Dans les mutations en cours, tant sociétales que technologiques, des enjeux majeurs apparaissent quant à l’accès à l’information et à la culture, à la numérisation de nos patrimoines, à leur préservation et à la perpétuation du développement du bien commun.
Le fossé entre l’image et la pratique du bibliothécaire est profond. D’une part, le bibliothécaire est souvent confondu avec le technicien ou le commis. D’autre part, la bibliothécaire portant haut col de dentelle, chignon bien serré et lunettes sur le bout du nez ne correspond pas davantage à la réalité, sans parler de cette autre figure friponne, souvent érotisante, traversant le cinéma et la littérature. Enfin! De toute évidence, tant la diversité de ces représentations imaginatives que leur écart par rapport à la réalité attestent que les bibliothécaires ont un « sacré » problème d’image.
Le MÉTIER de la société de l’information
Mais quelle est la raison d’être du bibliothécaire? Quelle est sa contribution à la société? Maintenant qu’Internet est bien entré dans nos vies, avons-nous encore besoin des bibliothèques et des bibliothécaires? Voilà les questions auxquelles je cherche à répondre dans ce livre.
La collection « Profession » des Presses de l’Université de Montréal était le lieu tout indiqué pour formuler cette réflexion puisque son objectif est de communiquer en quoi consiste le rôle, dans la Cité, des chercheurs, des intellectuels, des universitaires en général. Pour le lectorat auquel s’adresse cette collection – les étudiants du cégep et du premier cycle universitaire, de même que le public en général –, s’imaginer le quotidien des intellectuels ne coule pas de source.
La fonction de bibliothécaire a beaucoup évolué depuis l’Antiquité, de la bibliothèque d’Alexandrie jusqu’aux bibliothèques numériques. Alors qu’une des fonctions centrales du bibliothécaire consistait à servir au comptoir de référence pour répondre aux questions des usagers, le numérique transpose ce service en ligne avec le clavardage. Qui plus est, les activités les plus importantes des bibliothécaires sont devenues la sélection de ressources numériques, la négociation de licences totalisant des millions de dollars chaque année ou encore, l’enseignement et la consultation spécialisée. La définition usuelle du terme (« personne qui travaille dans une bibliothèque », Le grand Robert de la langue française) ne donne qu’une idée bien vague de cette profession aux mille visages.
En ce moment, des bibliothécaires réalisent des activités ou assument des responsabilités telles que :
- enseigner aux élèves comment chercher et évaluer des sources d’information et des publications de qualité;
- présenter l’« heure du conte » à un groupe d’enfants;
- procéder à l’évaluation de la valeur financière d’un fonds de livres anciens;
- participer à la numérisation du patrimoine éditorial d’une société;
- créer un système d’information Web et un site mobile à l’usage d’avocats spécialisés en droit du travail;
- implanter un programme de prêt de tablettes électroniques;
- négocier avec les représentants d’un réseau de bibliothèques pour la vente d’un service de catalogue centralisé;
- procéder à l’acquisition de livres imprimés et numériques, de DVD et de jeux vidéos;
- défendre et gérer un budget qui dépasse 30 millions de dollars annuellement et avoir sous sa responsabilité près de 300 personnes;
- participer à une réunion avec les acteurs sociaux d’un quartier difficile pour mettre en place des mesures favorisant la réussite et la persévérance scolaires des jeunes;
- travailler en collaboration avec un architecte et un ingénieur à l’élaboration du programme des espaces en vue de la construction d’une nouvelle bibliothèque.
Hors de son rayon
La pratique du bibliothécaire reflète son engagement dans une communauté. Cet engagement s’exprime de multiples façons, allant du développement de programmes d’alphabétisation, de programmes d’animation culturelle ou d’activités d’aide aux devoirs, jusqu’à la contribution à des mesures d’intervention sociale, le plus souvent en partenariat avec les acteurs sociaux d’une communauté.
Il n’y a pas de limite aux services qu’un bibliothécaire peut créer pour faciliter l’accès à la culture et à l’information. Cela peut aller jusqu’à offrir un service de prêt de lunettes de lecture, comme dans certaines bibliothèques de Montréal, ou à faire entrer dans la bibliothèque des consoles et des jeux vidéos pour répondre aux besoins des adolescents et les mettre en contact avec un lieu de culture.
Une chartre de la liberté
Dans tous ses gestes au quotidien, le bibliothécaire incarne les valeurs universelles de la profession. La plus importante de toutes est de garantir le droit fondamental à la liberté intellectuelle, à la libre pensée, c’est-à-dire le droit d’accéder à toutes les formes d’expression des savoirs et de la culture et d’exprimer ses pensées en public. Ce droit à la libre expression et à la liberté de conscience est le pilier sur lequel s’élabore la Charte des droits du lecteur que les associations québécoises de la profession adoptaient en 1976 et qui n’a pas pris une ride depuis.
Cette charte commande aux administrateurs et au personnel des bibliothèques de garantir et de faciliter l’accès à toute forme et à tout moyen d’expression du savoir, de garantir ce droit d’expression dans l’ensemble des services offerts et de s’opposer à toute tentative visant à limiter ce droit à l’information et à la libre expression. Cette dernière implique de reconnaître aux individus et aux groupes le droit à la critique, indispensable condition pour l’exercice d’une citoyenneté engagée. L’accès pour tous à l’information, le respect de la confidentialité, la protection des renseignements personnels des lecteurs ainsi que le respect de la liberté d’opinion et de pensée sont des valeurs fondamentales de la profession.
«Parmi les valeurs universelles de la profession, la plus importante de toutes est de garantir le droit fondamental à la liberté intellectuelle, à la libre pensée».
Une bibliothèque, c’est beaucoup plus qu’un dépôt de livres et un service de prêt. Dans les mutations en cours, tant sociétales que technologiques, des enjeux majeurs apparaissent quant à l’accès à l’information et à la culture, à la numérisation de nos patrimoines, à leur préservation et à la perpétuation du développement du bien commun. Ces enjeux se posent dans un contexte de surabondance informationnelle, de crise budgétaire et de présence de plus en plus importante de méga entreprises privées dans des fonctions assumées depuis des siècles par le service public (pensons notamment à Google et à son projet de numérisation massive de livres). Les bibliothécaires ont un rôle clé à jouer pour répondre à ces enjeux.
Les responsabilités du bibliothécaire consistent à préserver, à faire fructifier et à diffuser le capital économique, humain et symbolique des bibliothèques pour répondre aux besoins d’information et de culture des membres d’une communauté. Ces responsabilités s’assument dans le temps présent, face à ses concitoyens et à ses contemporains, dans le respect des engagements et des investissements passés de la collectivité et dans le respect du travail des collègues et des prédécesseurs. Elles s’inscrivent dans le temps futur, pour le bénéfice des générations à venir. Ce sont ces responsabilités que j’ai voulu décrire dans Profession bibliothécaire pour contribuer à mieux faire connaître le rôle du bibliothécaire dans la société.
- Guylaine Beaudry
Université Concordia
Guylaine Beaudry est directrice des Bibliothèques par intérim de l’Université Concordia. Elle a été précédemment directrice de la Bibliothèque Webster de l’Université Concordia, directrice du Centre d’édition numérique de l’Université de Montréal de même que directrice générale d’Érudit (www.erudit.org). Elle est auteure ou co-auteure de nombreux articles et chapitres de livres portant sur l’édition numérique. Elle est titulaire d’un doctorat en histoire du livre de l’École pratique des hautes études de Paris.
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