434 - Explorer les liens entre sport, culture et identité dans le monde contemporain

Tout le monde peut être fan de sport. Les grandes ligues de sport professionnel nord-américaines estiment désormais que le public en amphithéâtre et devant le téléviseur est diversifié – et quasiment paritaire - en termes de genre. Les récentes initiatives de la Ligue professionnelles de hockey telles que « Le Hockey est pour tout le monde » abondent dans le même sens et donnent ainsi l’impression d’un milieu diversifié et inclusif. Pourtant, le milieu du sport professionnel - qualifié de « malestream » – a longtemps participé à marginaliser les fans femmes à travers la réitération de commentaires suspicieux et exotisants et des offres de consommation distinctes. Les recherches sur les femmes fans de sport ont fait ressortir à quel point elles doivent performer et rendre légitime leur attachement afin de correspondre à l’image du fan « authentique ». Cette présentation vise à mettre en perspective des stratégies pour contrer cette hégémonie masculine et reconnaître le fandom sportif féminin, mais aussi les discours et les pratiques de résistance qui surviennent avec la venue d’un « marketing rose » et des politiques de EDI qui encadrent et balisent les manières d’appartenir au féminin. Cette présentation souhaite donc prendre le fandom féminin comme objet d’étude pour saisir les avancées et les limites d’une industrie qui cherche à s’adapter sur les plans médiatiques, commerciaux et sociaux. 
 

L’offre sportive à la télévision (québécoise, canadienne, et plus en général) a été principalement tournée vers les exploits des athlètes masculins. Encore en 2018, une étude démontrait que moins de 5% de la couverture sportive canadienne portait uniquement sur le sport féminin. Dans le cadre d’un projet de recherche portant sur le complexe médiatico sportif en contexte numérique au Québec et au Canada (mené avec Éric George, Bachir Sirois-Moumni,Philippe-Antoine Lupien, Samuël Brisebois et Matthieu Meignan), nous avons effectué trois saisies de données (printemps, été et automne 2023) des contenus offerts à la télévision sportive linéaire asinsi que sur les plateformes de la télévision par contournement.

Alors que le sport féminin est en pleine croissance, et que la visibilité est une monnaie d’échange pour le développement, les contrats de diffusion sont relativement rares. Un certain engouement pour le sport féminin s’exprime sur les réseaux sociaux, mais celui-ci ne se traduit pas encore dans les contenus offerts par la télévision sportive linéaire ou par contournement.

À partir de nos données, nous présentons la place que se forge le sport féminin comme contenu et aussi comme thématique dans le complexe télévisuel sportif canadien actuel. La faible présence du sport féminin à la télévision sportive est frappante et sera discutée dans cette présentation en fonctions des croisements entre genres télévisuels et disciplines sportives.

Depuis 2019, l’industrie télévisuelle a accru ses investissements liés à la production de séries axées sur le sport. Ce financement concerne aussi les services de télévision par contournement. En donnant accès aux coulisses du sport, une impression d’intimité se dégage de ces docuséries dont les propos ne sont pas tant sportifs que liés aux motivations, aux préférences et à l’identité des athlètes et de leur entourage. Ces productions sérielles contribuent à l'avènement d'une culture commune du sport à l'échelle mondiale portée par les spectateur·trice·s qui s’y identifient. Malgré tout, un déséquilibre majeur subsiste au niveau des représentations genrées du sport qui sont véhiculées dans ces programmes. Le remontage d’images et la mise en récit de faits sportifs s’inscrivent au sein d’un dispositif médiatique favorisant la reproduction de l’hégémonie masculine dans le domaine sportif, boudant les représentations qui feraient état de la diversité corporelle, ethnique, de genre ou de capacité. L'analyse des principales caractéristiques narratives et thématiques des docuséries de sports diffusées sur les plateformes de télévision par contournement démontre qu’un déséquilibre existe à l’avantage des hommes cisgenres blancs. Des séries comme Drive to Survive (Netflix, 2019) Break Point (Netflix, 2023), La vitesse dans le sang (Vrai, 2022) ou encore Moto GP Unlimited (2022, Amazon Prime Video) serviront de points d’ancrage à cette présentation.

Les jeunes trans et non binaires forment une population marginalisée sur le plan du sport et de l’activité physique. Se sentant moins en sécurité que les jeunes cisgenres dans les environnements sportifs, iels sont peu investi·es dans la pratique du sport. Ces jeunes se retrouvent face à des barrières qui les restreignent, voire les empêchent de prendre part aux activités physiques et sportives dont les préjugés à leur endroit et la crainte de subir des violences. Au-delà de la cisnormativité et de la transphobie ambiantes, nous avons cherché à comprendre, au moyen d’entrevues individuelles avec des personnes trans et non binaires, les obstacles concrets qu’iels rencontrent et les solutions qu’iels préconisent pour parvenir à créer des environnements sportifs positifs et sains pour toustes. Nos résultats mettent l’accent sur le caractère transversal des besoins des groupes historiquement marginalisés en sport et sur la cristallisation de ces barrières dans les parcours sportifs trans. En effet, si nous observons des barrières spécifiques à l’épanouissement des personnes trans et non binaires dans le sport, plusieurs de ces barrières ne sont pas exclusives à ces dernières et touchent plus d’un groupe historiquement marginalisé en sport, dont les femmes cisgenres et les personnes grosses. Toutefois, l’analyse des témoignages des personnes trans et non binaires participantes permet de pointer vers des solutions concrètes et valorise l’expertise des groupes marginalisés.

En 2021, le Comité International Olympique (CIO) publiait son cadre sur « l'équité, l'inclusion et la non-discrimination sur la base de l'identité sexuelle et de l'intersexuation ». Le CIO recommande aux fédérations sportives d’inclure les athlètes dans la catégorie de sexe à laquelle iels s’identifient, et ce, tant qu’il n’a pas été démontré qu’il y a avantage « constant, injuste et disproportionné ». Une telle sortie rend compte de l’importance que prennent aujourd’hui les enjeux liés aux identités de genre et qui s’inscrivent dans un contexte beaucoup plus large d’intérêt croissant pour ces questions dans une pluralité d’espaces de réflexion.

Il ressort des travaux produits par les sociologues féministes depuis le début des années 2000 sur les politiques dites « d’équité » instaurées dans le sport de haut niveau que : 1) les corps peuvent difficilement être classés en deux sexes, peu importe le choix du marqueur biologique; 2) le cadre du CIO de 2021 résulterait en partie de la remise en question des liens entre testostérone et performance formulée par des scientifiques féministes; 3) l’approche intersectionnelle est privilégiée dans presque la moitié des travaux pour analyser le ciblage disproportionné des femmes racisées du Sud global pour des contrôles sexuels; 4) les politiques « équité, diversité, inclusion » dans le sport canadien sont comparables à des « actes institutionnels du langage » d’Ahmed (2012), puisqu’elles sont rarement associées à des mesures tangibles.

L'intersection entre les méga-événements et les dynamiques nuancées de la gouvernementalité racialisée est appréhendée par l'analyse de discours et de catégories “raciales” entourant la participation du Canada à la Coupe du monde de football en 2022. L'analyse interroge la façon dont de tels événements sportifs mondiaux, bien qu'ostensiblement célébratoires et unificateurs, sont imprégnés de sous-textes raciaux qui informent les récits et les politiques nationales. L'analyse critique des représentations médiatiques, des discours des athlètes et de la perception du public met en évidence les discours et catégories “raciales” qui s'inscrivent dans la présence du Canada à la Coupe du monde. Elle soutient que ces discours ne sont pas de simples reflets du multiculturalisme et de la fierté nationale, mais qu'ils servent plutôt d'instruments d'une forme plus subtile de gouvernementalité qui façonne et est façonnée par des conceptions raciales. L'article contribue à l’analyse du discours dans les études sur le sport en reliant le spectacle des méga-événements aux concepts de Sportswashing  et de gouvernementalité, soulignant ainsi comment le sport peut être un site de résistance et de renforcement des hiérarchies et des identités raciales. Le contexte canadien, avec sa perspective multiculturelle particulière, offre un terrain fertile pour explorer ces dynamiques, en rendant visibles les sous-jacents raciaux souvent négligés dans les événements sportifs mondiaux.

Les identités produites à travers le sport peuvent sembler de plus en plus « déracinées » et « fragmentées », marquées par l’instabilité, la variabilité, à l’image des partisans qui allouent désormais leurs allégeances aux équipes sportives au gré des modes ou des campagnes de communication. Pourtant, il demeure que les partisans et les athlètes expriment encore fortement leur identité nationale dans la sphère sportive, tandis que le spectacle sportif, notamment celui des ligues professionnelles, constitue un haut lieu de représentation des symboles et des récits nationaux, ceux des États comme ceux des petites nations régionales. Je présente les résultats de la recherche menée pour ma thèse de doctorat. Celle-ci cherche à élucider ces phénomènes à partir d’une analyse contrastive  retraçant l’évolution du récit médiatique du spectacle du Canadien de Montréal et du FC Barcelone, deux équipes considérées comme des institutions identitaires dans leurs sociétés respectives, deux petites sociétés enclavées. Je m’intéresserai aux parallèles généralement établis entre les deux clubs et je révèlerai les principaux contrastes qui ressortent de mon analyse des archives de presse écrite et des retransmissions télévisées de douze matchs disputés en 1980, 1995 et 2010, laquelle vise, ultimement, à relever les thèmes fabuleux et autres reflets que le spectacle sportif de ces deux équipes renvoie des imaginaires identitaires québécois et catalans.

Le sport professionnel est un élément central de notre divertissement quotidien. Il contribue à nous définir individuellement et à nous lier collectivement en nous offrant notamment des moments historiques à partager. Cet article s’intéresse à ces moments que l’on qualifie à tort ou à raison d’« historiques ». Ainsi, nous nous sommes demandé : 1) si la fréquence de « moments historiques » avait évolué avec le temps et 2) si « l’histoire du sport » était « marquée » de la même façon aujourd’hui qu’hier. Pour ce faire, nous avons analysé des articles de journaux et de magazine (n=1062) publié en France (Le Monde, l’Équipe) et aux États-Unis (USA Today, Sports Illustrated) au cours de trois différentes périodes lors du 21^ème siècle (2003; 2010; 2019). Nos résultats nous ont permis de conclure que : 1) le nombre de moments dits « historiques » augmente avec le temps; 2) l’histoire du sport est de plus en plus liée aux dimensions sociales et normatives ; 3) la performance statistique reste le premier « marqueur d’histoire ». La sphère sportive ne peut donc pas être dissociée de notre histoire sociale collective puisqu’on ne marque pas l’histoire du sport en dehors d’un espace social défini.

Parmi les disciplines sportives figurant au programme des Jeux d'Hiver de l'Arctique (JHA), un événement sportif international unique en son genre, deux pratiques y apparaissent comme les emblèmes des Jeux : les Jeux Déné et les Sports arctiques. Ces pratiques, originaires des Déné (également appelés Athabaskans), résidents autochtones aux abords de l’Arctique , ainsi que dans la culture inuite, testent des habiletés techniques et des compétences nécessaires à la survie dans un environnement où la subsistance dépend des ressources terrestres. Là où dans les événements sportifs et les clubs, un “récit de performance” circule et prédomine, reflétant une focalisation sur l'obtention de résultats, tels que la victoire et/ou être le meilleur, au détriment d’autres domaines de la vie, ces pratiques sportives ancrées dans des logiques culturelles particulières, interrogent le sens donné au sport. Comprendre les perceptions et les valeurs qui orientent et donnent du sens à ces pratiques, nous permet d’envisager les liens entre sport et culture. Une exploration de l’identité sportive des pratiquants de ces disciplines a donc été menée au travers d’entretiens semi-directifs et d’observations. Les résultats mettent en avant une perspective alternative à l'idée répandue selon laquelle les athlètes se définissent avant tout par l’accomplissement d’exploits sportifs, nous permettant ainsi de mieux comprendre ce qu’est un athlète des abords de l’Arctique.

À partir des années 1990, Jos Montferrand revient sur la scène publique en Ontario français par les efforts de la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO). Reconnu pour sa force et pour ses prouesses physiques, Jos Montferrand s’inscrit dans la grande lignée des hommes forts qui ont nourri le mythe identitaire canadien-français ; un mythe de force, de résilience, et de succès, surtout contre l’autre solitude. Nous analysons les représentations de Jos Montferrand en Ontario français entre 1960 et aujourd’hui. Alors reconnu pour sa force physique contre l’autre solitude dans l’industrie forestière du XIXe siècle, Jos Montferrand est repris 100 ans après sa mort afin d’adresser différentes demandes. En Ontario français, Montferrand est un réel lieu de mémoire qui rappelle la persévérance et la lutte franco-ontarienne. À l’instar de Pierre Nora, un lieu de mémoire est établi afin d’empêcher l’oubli d’un événement ou d’une idéologie qu’une collectivité juge importants. L’Ontario français ne veut pas oublier qu’il était, et est encore, un peuple opprimé dans une province majoritairement anglophone. Sous l’encre d’acteurs comme Yves et Félis Saint-Denis ou d’artistes comme Marc Keelan-Bishop, Jos Montferrand représente un lutteur qui assure la survivance de la réalité francophone en Ontario. Bien qu'il soit un bûcheron et un cageux de son vécu, la plupart des acteurs franco-ontariens mettent cet aspect de côté afin de valoriser la bataille et la persistance. 

Nous explorons la tradition de pêche sur caballitos de totora ou petits chevaux de roseau, à Huanchaco, au nord du Pérou, en relation avec le développement du tourisme de surf moderne des dernières décennies. La culture ancestrale des caballitos est imbriquée dans un système de connaissances et savoir-faire complexe provenant de la culture Mochica (ou Moche, 100 à 700 de notre ère) et Chimu (11-15^e siècles) et suggère l’origine du surf où l’apprentissage du maniement de ces embarcations individuelles dans un environnement côtier est propice à sillonner les vagues. Les caballitos, encore aujourd’hui, servent la pêche vivrière et le transport, mais ils démontrent aussi que les descendants Moche / Chimu entretiennent une relation intime avec la côte, la plage et l’océan, comme source de survie et comme terrain de jeu. L’introduction récente du surf moderne et la déclaration de Huanchaco comme Réserve mondiale de surf symbolise une forme de colonialisme contemporain où cette nouvelle industrie, avec son style de vie et valeurs occidentales, impose tranquillement de nouvelles significations à la tradition des caballitos. Huanchaco se constitue comme un haut lieu de surf ludo-sportif, profondément ancré dans la tradition. Cette mise en tourisme et reconstruction symbolique avantage l’industrie du surf moderne, où la lutte à la sauvegarde de la tradition des caballitos semble hardue et souvent conflictuelle.