L’image présente trois larves d'un parasite du genre Diplostomum, recueillies dans le cristallin d’un mené jaune (Notemigonus crysoleucas), pêché au lac Saint-François, en septembre 2010.
L'histoire
Grégaires, les diverses espèces de parasites se partagent souvent le même hôte. Elles forment une infracommunauté1. Parfois paisible, parfois belliqueuse.
Certaines espèces facilitent l’établissement de « voisins » dans ou sur l’hôte qu’elles occupent. Généralement, elles le font en interférant avec les défenses immunitaires de l’hôte. D’autres utilisent agressivement les ressources spatiales et énergétiques disponibles dans ou sur le parasité, pour contrecarrer le développement de la compétition.
L’organisation de cette communauté peut varier de complètement aléatoire à fortement structurée. La présence et l’abondance des différentes espèces chez un hôte donné peuvent n’être que le fruit du hasard. Ou encore, leur présence peut être régie par des interactions entre les parasites eux-mêmes et avec leurs hôtes, donnant ainsi à l’organisation des infracommunautés des patrons prévisibles. Un exemple de ces interactions serait une association entre espèces de parasites afin « d’attaquer » l’hôte simultanément et de s’y établir plus facilement.
L'hôte final
Plusieurs études se sont penchées sur ces relations, tout particulièrement sur celle reliant les parasites adultes et leurs hôtes finaux. Ces hôtes sont dits « finaux » parce que c’est dans ou sur eux que les parasites atteignent la maturité sexuelle et se reproduisent. Les grands poissons carnivores, les oiseaux aquatiques, les mammifères sont des destinations privilégiées. On observe que les relations varient en fonction du « système » étudié, c’est-à-dire selon le type d’espèce parasitaire et les hôtes impliqués.
Les souffrances de l’hôte…
Les parasites du genre Diplostomum causent des dommages aux structures oculaires et provoquent de l’inflammation. Un petit nombre de larves n’a que peu d’effet, mais en très grand nombre (plus de 50 larves métacercaires dans un œil), elles peuvent être très dommageables : détachement de la rétine, destruction d’une partie du cristallin, cécité. On peut y voir une forme de manipulation de l’hôte, puisqu’un hôte aveugle risque de se faire capturer par un oiseau piscivore, l’hôte final des Diplostomum.
Nos travaux
Notre équipe de recherche étudie, entre autres, les infracommunautés logeant chez des poissons d’eau douce du fleuve Saint-Laurent. Plus spécifiquement, nous nous attardons aux relations entre certaines espèces alors qu’elles sont au stade larvaire.
Pour ma part, mes travaux ciblent un groupe d’espèces de trématodes digènes du genre Diplostomum. Chez ce groupe, les métacercaires, les larves intermédiaires, infectent les yeux des poissons. Elles s’établissent abondamment chez certains cyprins (ou « menés ») ou centrarchidés telle la perchaude.
Le premier volet de mon projet vise à décrire les infracommunautés de Diplostomum présentes en milieu naturel, soit dans le lac Saint-François, un élargissement du Saint-Laurent, au sud-ouest de Montréal. La présence de patrons de relations entre ces espèces de parasites pourra être détectée de cette façon. Un exemple serait l’absence systématique de deux espèces de Diplostomum à un même site d’infection : l’espèce A n’est jamais vue en compagnie de l’espèce B dans un cristallin, mais les deux peuvent partager l’espace avec l’espèce C.
Le second volet consiste en une étude expérimentale approfondie des interactions ayant lieu au moment de l’établissement des parasites. Ces interactions pourront être quantifiées afin de déterminer si une espèce facilite l’installation de l’autre ou si au contraire il y a compétition entre les deux.
L’image principale
L’image présente trois larves métacercaires recueillies dans le cristallin d’un mené jaune (Notemigonus crysoleucas) pêché au lac Saint-François en septembre 2010. Elles ont un corps mou et une structure simple, mais possèdent deux structures d’attache centrales, une ventouse circulaire située au-dessus d’un organe de Brandes plus allongé, ainsi que deux pseudosuceurs – les petites protubérances sur chaque côté, en position antérieure.
La différence de taille entre les larves observées peut s’expliquer de deux manières. Il peut s’agir de larves ayant infecté l’hôte à différents moments, la première larve ayant eu plus de temps pour sa croissance. Mais il peut aussi s’agir d’une réponse numérique à la compétition entre espèces. On qualifie une réponse de « numérique » lorsqu'elle produit une réduction du nombre d’individus présents à un site d’infection ou une réduction de leur taux de croissance.
La technique
L’image a simplement été captée à l’aide d’un microscope optique équipé d’une caméra numérique. Les larves matures mesurent environ 300 micromètres2 et sont visibles à l’œil nu. Cependant, l’usage d’un microscope facilite grandement le travail et permet d’observer la morphologie et les caractéristiques fines des parasites rencontrés lors de la dissection des poissons-hôtes.
L’usage des images
Pour un spécialiste, l’observation des caractéristiques morphologiques des larves de Diplostomum mène à une identification préliminaire de l’espèce. Cependant, les techniques d’analyse génétique ont récemment permis une meilleure « résolution » dans l’identification des espèces.
Notre équipe a montré, en 2010, que les quatre ou cinq espèces de Diplostomum présentes dans le Saint-Laurent, près de Montréal, formaient en fait un complexe d’une douzaine d’espèces dites « cryptiques », c’est-à-dire que leurs larves sont presque impossibles à différencier morphologiquement.
Les résultats de mon étude revêtent une importance sur le plan de l’avancement des connaissances portant sur les facteurs modelant les communautés parasitaires en milieu naturel, particulièrement pour ce qui concerne le rôle potentiel des interactions compétitives entre les espèces. Une meilleure connaissance de ces facteurs d’interactions entre les parasites et avec leurs hôtes pourrait ouvrir la porte à des études plus complètes ciblant d’autres paramètres potentiellement influents. Par exemple, l’impact de facteurs environnementaux tels que la pollution ou la réduction de la taille des écosystèmes sur les communautés parasitaires chez les poissons du Saint-Laurent pourrait être mieux défini.
La vidéo
Voici deux larves métacercaires de trématodes digènes du genre Diplostomum [Daily Motion]. Ces larves ont été retirées d’un cristallin provenant d’un meunier noir (Catostomus commersonii) capturé dans le lac Saint-Louis, près de Beauharnois, le 5 juin 2007. La taille des larves est d’environ 300 micromètres. Lorsqu’elles sont dans le cristallin, leurs mouvements sont lents. Cependant, sur cette surface de verre, les larves s’agitent sans résultat. Elles cherchent probablement à quitter ce milieu hostile, mais leurs petites structures d’attache s’avèrent inefficaces.
Notes :
- 1. « Infra » signifiant « à l’intérieur de », le terme d’infracommunauté fait ici référence au fait que les parasites vivent dans ou sur leur hôte. Un autre type de communauté serait la « communauté composante » (component community), qui représente toutes les espèces de parasites présentes chez un type d’hôte dans une population donnée.
- 2. Un micromètre correspond à 1000 nanomètres.
- Hubert Désilets
Université Concordia
Hubert Désilets a complété son baccalauréat en écologie à l’Université de Sherbrooke et est maintenant candidat à la maîtrise en biologie. Il travaille dans le laboratoire de recherche de Daniel McLaughlin à l’Université Concordia. Le laboratoire du Dr McLaughlin se concentre sur l’étude de l’écologie, de la biologie et de la systématique des helminthes, plus particulièrement des trématodes et des cestodes, parasitant les oiseaux aquatiques, ainsi que sur les réponses hôtes-parasites des helminthes larvaires. Le tout se réalise en étroite collaboration avec le Dr David Marcogliese, dont le laboratoire, à Environnement Canada, se concentre sur la santé des parasites et leur utilisation en tant que bioindicateurs de stress écosystémiques.
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