409 - Recherche qualitative en comptabilité : explorer les enjeux comptables sociétaux et organisationnels

Cet essai argumente que l'enseignement de la comptabilité environnementale doit être considéré comme partie intégrante de la pensée scientifique critique en comptabilité - plutôt qu’une composante de 2e rang. Nous commençons dépeindre la marginalisation de l'enseignement dans les revues scientifique comptables de renom et réfléchissons à ses conséquences. Ensuite, pour appuyer le potentiel de l'enseignement à contribuer à la pensée comptable environnementale critique, nous considérons des approches éducatives sur la durabilité (ex.: l'éducation pour le développement durable, l'éducation écocentrique). Ces approches s'efforcent de développer une praxis réflexive critique chez les étudiants, qui les équipent pour faire face à la nature complexe des défis environnementaux. Elles permettent de souligner que l'enseignement de la comptabilité devrait considérer les questions environnementales comme des sujets politiquement contestés plutôt qu’un terrain dans lequel la comptabilité peut être transplantée. Ainsi, cet essai réfléchit aux approches, significations et enjeux politiques inhérents à l’articulation des questions éducatives dans la pensée comptable environnementale critique. Nous espérons ainsi (re)valoriser l’enseignement et encourager la réflexivité et la bienveillance dans les approches éducatives adoptées pour l'enseignement de la comptabilité environnementale, car elles ont une importance cruciale pour les transformations sociétales requises par notre époque.

Si le constat de l’urgence climatique et de la perte de biodiversité fait l’objet d’un quasi-consensus parmi les chercheurs en sciences de gestion, les moyens d’y faire face diffèrent. Pour certains chercheurs il est impossible de maintenir la croissance tout en restant à l’intérieur des limites planétaires (Meda, 2022). Il serait donc important de ne pas garder la croissance comme finalité première de toutes organisations (Latouche, 2022) et de penser des modes d’organisation qui conduiraient à un véritable respect de l’environnement, à la réduction des inégalités et à l’accroissement de la qualité de vie pour tous (Jackson, 2024). La présentation vise à explorer la définition même de ce que serait une organisation en post-croissance à la fois empiriquement et théoriquement. D’une part, nous mobilisons les apports théoriques d’autres disciplines pour décliner au niveau organisationnel des concepts qui soutiennent une perspective post-croissante. Nous étudions notamment les concepts de robustesse (Hamant, 2023), précarité (Tsing, 2015; Guthman, 2019), temporalité (Rosa et Chaumont, 2017; Tsing, 2015). D’autre part, nous avons réalisé des entrevues au sein d’organisations qui mettent en place des modes organisationnels s’inspirant d’une démarche post-croissante. L’analyse vise à dégager ce qui rassemble et ce qui différencie ces différentes organisations entre-elles, et vis-à-vis d’organisations s’inscrivant dans un paradigme de croissance. 

Le monde du football professionnel, où les joueurs et les clubs investissent activement dans la connectivité numérique, est emblématique d’une tension entre la surveillance organisationnelle et la stratégie individuelle dans l’organisation numérisée. 

Le joueur est un actif pour le club, mais c'est un actif vivant qui se vit comme « soi en projet » (Berglund et al., 2020 ; Nappert et Plante, 2023). À partir de 45 entretiens avec différents protagonistes du football professionnel, nous mobilisons les concepts d'assemblage et de lignes de fuite développés par Deleuze et Guattari (1987) afin de comprendre comment les individus déploient des stratégies leur permettant d'échapper à l'assemblage numérique alors qu’ils évoluent dans un contexte où les dispositifs de surveillance numérique se multiplient.

Cette recherche contribue aux travaux sur les assemblages en comptabilité (Berland et al. 2024, Martinez & Cooper, 2017 ; 2019 et Martinez et al. 2022) en montrant que le désassemblage est un processus de désintensification de l'assemblage. Nous contribuons également aux études sur la connectivité (Kolb et al. 2020), y compris dans le monde du football (Nappert et Bamber, 2023) en considérant la connectivité latente comme le support de lignes de fuite. Ce travail contribue également à la recherche sur la surveillance (DeLanda, 2016) en montrant que les individus peuvent suivre des lignes de fuite rendues possibles par la connectivité numérique.
 

Cet article étudie les pratiques de contrôle organisationnel dans l’industrie textile au Bangladesh. En analysant différentes formes d’abus, de harcèlement et de violence, nous révélons comment la comptabilité est mobilisée pour cibler la vie culturelle, politique, sociologique et spirituelle des travailleurs. Notre argument est qu’un assemblage complexe de discipline et de gouvernementalité façonne un état d’exception qui donne aux managers et propriétaires un pouvoir « souverain » sur la vie des travailleurs. Nous contribuons ainsi à la littérature sur la comptabilité pour les droits humains en montrant qu’elle invisibilise la vie des travailleurs, ce qui facilite les abus et permet les pratiques violentes. Nous affirmons que le rôle de la comptabilité devrait être de rendre ces vies visibles tout au long des chaînes d’approvisionnement et ainsi d’arrêter l’arbitraire du pouvoir souverain sur les conditions de travail au point de production. 

Cette étude explore le parcours réglementaire du Conseil canadien sur la reddition de comptes (CCRC) dans la supervision de la qualité de l'audit. En utilisant le concept d'instabilité adaptative de Gioia (2000, 2013) qui présente l'identité comme un phénomène socialement construit ainsi que les « conversations réglementaires » (Black, 2002, 2008) nous examinons comment le CCRC a fait évoluer son approche réglementaire en réponse aux perceptions externes. Notre analyse met en évidence trois mécanismes de changement axés sur l'identité dans l'approche de la surveillance de l'audit par l'autorité de régulation : l'association d'identité, la dérive d'identité et le changement d'identité. Cette étude élargit la compréhension théorique de l'identité réglementaire, en la positionnant comme un atout stratégique que les régulateurs peuvent adapter pour combler les lacunes en matière de légitimité, répondre aux critiques et renforcer l'impact de la réglementation. En mettant en évidence la manière dont le CCRC navigue dans l'instabilité adaptative pour réconcilier ses identités souhaitées et perçues, nous soutenons que l'efficacité réglementaire dépend non seulement de mesures de contrôle robustes, mais aussi de la capacité du régulateur à gérer l'interaction dynamique entre les aspirations internes et les attentes externes.

Le concept d’expertise est fréquemment mobilisé en recherche comptable pour élucider les rôles sociaux et le développement de la profession, notamment par le biais d’analyses de luttes au sein desquelles les comptables cherchent à faire reconnaître leur expertise. La présente étude prend le contrepied de cette littérature, à travers un cas où les comptables rejettent un domaine d’expertise qui leur est institutionnellement assigné, au lieu de le défendre activement. Ce cas concerne la comptabilisation à la juste valeur des actifs incorporels acquis, une opération nécessitant souvent l'intervention d’experts en évaluation. Nos entretiens révèlent un décalage significatif entre les exigences des normalisateurs comptables et la philosophie résolument pragmatique de ces experts, engendrant un risque de conformité superficielle aux normes. Les pouvoirs institutionnels ont ainsi créé un domaine d’expertise pour lequel même les experts ressentent du désintérêt et démontrent du cynisme. Nous proposons la notion d’expertise à contre-cœur et analysons son émergence dans un contexte social marqué, d’une part, par la prolifération de l'expertise institutionnalisée, et d’autre part, par l’érosion de la confiance sociale envers l’autorité des experts. En outre, nous clarifions conceptuellement la notion d’expertise en nous appuyant sur le débat philosophique contemporain portant sur sa nature.

Engagés ensemble dans une situation d’action, les administrateurs reçoivent des chiffres, pour apporter de l’objectivité, des données, des faits, de manière écrite. Or, si ces chiffres sont produits pour alimenter la pensée, sans la parole (parfois dissidente), ces écrits n’ont pas d’existence. La parole de l’administrateur, comme outil de travail au sein des conseils d’administration, a été peu étudiée dans le champ de la gouvernance. De quelle façon l’oralité intervient-elle dans le maniement des chiffres pour l’exercice de la gouvernance ? Nous avons réalisé 30 entretiens pour étudier de quelle façon l’administrateur fait usage de la parole et du chiffre. L’approche pragmatiste, mobilisée dans cet article, autorise un regard procédural permettant de situer l’administrateur dans un travail d’enquête à propos de la bonne manière d’exercer la gouvernance. Des zones grises et lignes de tension dans l’exercice de la parole se dégagent de cet usage, permettant de mettre au jour trois figures de l’administrateur. Si ces trois figures donnent à voir une gouvernance plus traditionnelle, avec la figure de l’expert ou celle du rassembleur, elles dévoilent également une gouvernance réflexive avec le dissident. Cet article contribue à bonifier l’étude de la gouvernance hors establishment, à partir d’une perspective humaniste s’intéressant aux intérêts desservis par l’organisation gouvernée. L’article contribue également à améliorer l’usage de l’oralité et des chiffres en gouvernance. 

La représentation des femmes au sein de la direction et du conseil d'administration peut avoir une influence positive sur différents aspects du fonctionnement et des opérations de l'organisation. Étant différentes de leurs homologues masculins et ayant une perspective différente, les femmes au sommet des organisations ont tendance à gérer de manière plus inclusive et à prendre en compte les besoins de différentes parties prenantes. 

Sur la base de 23 entretiens réalisées avec des membres de la direction et du conseil d’administration, cette recherche exploratoire étudie la perception de la diversité et l'inégalité au sommet des organisations. Nos résultats préliminaires montrent que le leadership s’exerce différemment entre hommes et femmes, principalement en termes d’écoute et de civilité. L’écoute est une habilité plus naturelle chez les femmes tandis que les hommes la développent grâce à l’interaction avec les femmes. Aussi, plusieurs participantes reconnaissent qu’elles doivent faire plus d’effort afin d’être écoutées par leurs collègues masculins pendant les rencontres du conseil d’administration. Se faire couper la parole ou accepter que les hommes paraphrasent leurs idées ont été des situations soulevées régulièrement par nos participantes.