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Valérie Lapointe-Gagnon, Université de l'Alberta

Le rapport Portrait et défis de la recherche en contexte minoritaire au Canada, publié en juin 2021, regroupe les résultats d'une grande étude sur l'état de la recherche en français en contexte minoritaire au Canada. Nous republions ici la préface du document, signée par Valérie Lapointe-Gagnon, historienne et professeure à l'Université de l'Alberta.

Étude

 

Préface de la publication

Nous sommes 30 070 professeur-e-s, chargé-e-s de cours, assistant-e-s d’enseignement et de recherche au niveau postsecondaire qui connaissent le français et qui oeuvrent en contexte minoritaire au Canada, et, parmi ce nombre, 7 615 qui ont le français comme première langue officielle parlée. 

En plus de contribuer à l’avancement des savoirs, nous participons au développement de la culture scientifique partout au pays en organisant le concours Ma thèse en 180 secondes dans différentes régions, des conférences en ligne, ainsi qu’en vulgarisant nos recherches et des phénomènes complexes de la société dans les médias francophones locaux. Cependant, nous faisons face à un contexte où les écosystèmes qui permettent la conduite de recherches en français au Canada sont fragilisés ou littéralement détruits, comme nous avons pu le voir avec les cas de l’Université Laurentienne et du Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta, ou encore, où plusieurs établissements de la francophonie canadienne souffrent d’un sous-financement chronique. Il en ressort une grande perte pour l’avancement de notre société.

En effet, les universités, campus et programmes de langue française sont des piliers du développement des communautés francophones au Canada. Ils façonnent un espace de vie intellectuelle, culturelle, sont un vecteur d’enrichissement et un lieu de dialogue en français en contexte minoritaire. Ils sont également un lieu d'accueil et d’intégration des nouveaux arrivants qui parlent le français et ne maîtrisent pas toujours l’anglais. Ils assurent la formation d’une relève dans des domaines cruciaux, tels que l’éducation, les arts, le génie et la santé, concourant activement à l’épanouissement de la population. Ils créent des citoyen-ne-s à l’esprit critique et innovant, capables de travailler dans les deux langues officielles du Canada. En ce moment, cette relève, dont nous avons besoin pour construire le Canada de demain, reçoit un message bien troublant, soit que l’éducation postsecondaire en français n’est pas une priorité. Pourtant, les écoles d’immersion débordent d’un bout à l’autre du pays. De plus, les jeunes s’intéressent au français et souhaitent poursuivre leurs études dans cette langue, et éventuellement s’engager dans leur communauté, y vivre et y contribuer en français.

...les universités, campus et programmes de langue française sont des piliers du développement des communautés francophones au Canada. Ils façonnent un espace de vie intellectuelle, culturelle, sont un vecteur d’enrichissement et un lieu de dialogue en français en contexte minoritaire.

La recherche, pour sa part, constitue un pilier des établissements postsecondaires, et représente un enrichissement tant pour ceux-ci que pour la société dans son ensemble. Elle produit des données cruciales pour la prise de décisions éclairées dans tous ses secteurs. Il est essentiel qu’elle soit rendue disponible dans la langue des citoyen-ne-s et des professionnel-le-s des communautés francophones, afin qu’ils et elles puissent y faire référence dans leurs domaines respectifs. Il est également impératif qu’il se fasse de la recherche en français afin que nous développions, en tant que collectivité, un vocabulaire francophone, essentiel pour parler de nos recherches dans les médias et dans nos classes. Nous reconnaissons qu’afin de rendre nos travaux accessibles aux chercheur-se-s du monde entier, la langue commune qu’est l’anglais est utile, mais le recours exclusif à cette langue est susceptible de transformer les objets de recherche (les recherches sur les enjeux communautaires locaux sont parfois difficiles à exporter en anglais) et d’empêcher le partage des connaissances auprès des acteurs locaux, souvent éminemment concernés par nos recherches.

Afin de réaliser son mandat, la recherche en français en milieu minoritaire a besoin non seulement de conditions particulières, mais aussi de reconnaissance et de valorisation. Or, certaines contraintes limitent actuellement la progression des chercheur-se-s francophones travaillant en contexte minoritaire et briment chez eux l’obtention d’un statut égal à celui de leurs collègues qui travaillent dans des contextes majoritaires.

Les nombreux témoignages faisant état de ces écarts et livrés à l’Acfas par des chercheur-se-s des milieux minoritaires dans les dernières années ont soulevé des questionnements qui ont mené au sondage réalisé dans le cadre de la présente étude. Par exemple, est-ce que les chercheur-se-s d’expression française vivant en contexte minoritaire et travaillant au sein de petites universités ou d’universités de langue anglaise ont les moyens de faire de la recherche en français? Les données collectées démontrent que la réponse est trop souvent non.

Nous reconnaissons qu’afin de rendre nos travaux accessibles aux chercheur-se-s du monde entier, la langue commune qu’est l’anglais est utile, mais le recours exclusif à cette langue est susceptible de transformer les objets de recherche (les recherches sur les enjeux communautaires locaux sont parfois difficiles à exporter en anglais) et d’empêcher le partage des connaissances auprès des acteurs locaux, souvent éminemment concernés par nos recherches.

En plus des réalités qu’elle dévoile, l’étude identifie des solutions concrètes aux problèmes observés, et permet d’établir un programme d’actions pour l’Acfas, son comité pancanadien de la recherche en français et ses partenaires. Tant les gouvernements canadien et provinciaux que les universités ont leur rôle à jouer pour mettre en place les recommandations du présent rapport et ainsi favoriser l’épanouissement de nos communautés. Ces recommandations permettront notamment au gouvernement du Canada, d’une part, d’avancer dans l’atteinte de ses objectifs en matière d’égalité des langues officielles au pays, et aux gouvernements provinciaux, d’autre part, de soutenir adéquatement et durablement le milieu de la recherche. Elles constituent un point de départ pour améliorer la situation, mais un travail continu sera requis pour favoriser l’épanouissement de la communauté des chercheur-se-s d’expression française du Canada à long terme. 

L’une des recommandations prône la création d’un service d’aide à la recherche en français (SARF). Ce service pourrait et devrait s’inscrire parmi les mesures du prochain plan d’action sur les langues officielles du Canada. Il permettrait au gouvernement fédéral d’approcher ses objectifs en termes de soutien à la production et à la diffusion des savoirs en français, évoqués dans le document de réforme des langues officielles. Tous les ordres de gouvernement gagneraient à s’allier afin d’appuyer la mise en place du SARF.

Finalement, pour assurer la vitalité de la recherche en français partout au Canada, il est essentiel de mieux soutenir les universités qui sont en difficulté et d’encourager la création de postes de professeur-e-s dans des domaines variés. Les coupures de postes observées dans les dernières années réduisent la recherche menée au sein des universités touchées, et particulièrement celle effectuée en français. Si l’on veut assurer la vitalité de cette dernière, il faut des chercheur-ses, et des milieux solides pour les accueillir. Recherche en français et universités, campus et programmes francophones forts vont donc de pair.

Ensemble, travaillons à les préserver et à les voir s’épanouir. Ensemble, poursuivons le dialogue pour soutenir et valoriser la recherche en français.

Lien vers la version sommaire du Rapport

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  • Valérie Lapointe-Gagnon
    Université de l'Alberta

    Valérie Lapointe-Gagnon est professeure à la Faculté Saint-Jean de l'Université de l'Alberta et vice-présidente de l’Acfas-Alberta. Elle s’intéresse à l’histoire intellectuelle du Québec et du Canada contemporains, à l’apport des intellectuels à la société et aux questions constitutionnelles. Elle met en lumière l'héritage de la Commission Laurendeau-Dunton dans son nouvel ouvrage Panser le Canada, paru aux éditions Boréal . Auteure de nombreux articles, Valérie est récipiendaire de plusieurs bourses et distinctions, notamment du Prix d’auteurs pour l’édition savante, du Prix Benoit-Lacroix et du Prix de la Fondation Jean-Charles-Bonenfant de l’Assemblée nationale du Québec. 

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