Ni tout à fait récit de fiction ni récit historique (tous deux étudiés par Paul Ricœur dans son ouvrage Temps et récit), le récit de prospective semble proposer un rapport particulier à la vérité, de l’ordre de la plausibilité, ainsi qu’au processus de réception des œuvres, au moyen d’une intensification délibérée et organisée de la dialectique expansive entre l’imagination et l’action, entre horizons d’attente et espaces d’expérience, ou encore entre utopies et idéologies.
Dans son ouvrage La culture au pluriel, Michel de Certeau souligne pour sa part qu’avec la prospective « le futur entre dans le présent sur le mode d’altérités », et que « la confrontation avec d’autres est le principe de toutes prospectives ». La prospective comme pratique discursive trouverait là son épistémologie : non pas celle de la prévision vérifiable, mais celle d’une interrogation critique et créative du présent médiatisée par des récits utopiques, étranges, ambigus ou surprenants, dont la force serait de nous inviter à penser et à agir autrement dans le monde. Cette approche rejoint par ailleurs ce que Michel Foucault définit dans son texte Qu’est-ce que les lumières comme une « ontologie historique de nous-mêmes » visant à diagnostiquer le présent de manière généalogique et expérimentale « pour saisir les points où le changement est possible et souhaitable ».
Le présent colloque se propose de réfléchir aux manières d’écrire et d’utiliser les récits de prospective, ces « futurs-rendus-présents tournés vers le pas encore » selon la belle formule de Ricœur, en invitant des chercheurs de différents horizons à confronter leurs démarches. Les récits de prospectives rendent-ils possible une refiguration originale de notre expérience du temps? Quels sont les effets de médiation recherchés par un « bon » récit de prospective? Comment, de quelles manières et selon quels styles des mises en récit littéraires, artistiques, d’expériences de design ou d’aménagement jouent-elles un rôle de prospective en ouvrant des voies inédites pour l’action collective? Par-delà la variété formelle des pratiques exploratoires et prospectives dans ces disciplines, peut-on repérer des points de convergence, ou même un noyau d’identité commune?