Dans le corpus québécois des années trente et quarante, une quantité non négligeable de textes apparaissent comme des « œuvres frontières » qui brouillent ou transcendent les limites d’ordinaire plus fixes entre les genres littéraires établis. Romans sans intrigue mettant en scène des spéculations philosophiques, contes ou reportages flirtant avec l’autofiction, textes commémoratifs issus de collages de sources inattendues, autant de cas atypiques où se négocie un équilibre inédit entre la prose d’idées et des formes variées d’usage de la fiction. Pour l’historien de la littérature chargé de retracer les tendances et de mettre en récit les transformations d’un milieu, ces œuvres frontières représentent un défi à la fois par leur nombre et par leur diversité. La prolifération de ces œuvres « inclassables » devrait-elle elle-même être considérée comme un phénomène significatif? En cette époque où la modernité pénètre indubitablement la sphère culturelle québécoise, peut-on envisager ces cas sous l’angle de l’inscription problématique d’une subjectivité émergente? Alors que l’on assiste à une spécialisation disciplinaire des sciences humaines, peut-on par ailleurs voir dans cette hybridité formelle un débouché parallèle pour les discours de savoir? Autant de questions qui pourront être examinées dans le rapprochement et la confrontation de ces œuvres polymorphes.
Le mardi 10 mai 2016