543 - Problématiser la question du développement des émotions dans les recherches à visées transformatives avec Vygotskij

Vygotskij, à partir des années 1930, entend développer une psychologie des émotions qui les considère à la fois objectivement, comme objets d’une science explicative qui en montre les logiques de production, et subjectivement, comme objets d’une expérience vécue qui ont un sens particulier pour ceux qui les éprouvent. Afin de jeter les bases de cette nouvelle psychologie affective, Vygotskij entreprend de délivrer le paradigme spinoziste de la fausse croyance selon laquelle il fonde les psychologies des émotions prégnantes en son temps (en premier lieu celles de William James et de Carl Lange) : il le rend ainsi disponible pour tracer la voie d’une psychologie nouvelle des émotions qui s’enracine, elle, véritablement dans l’héritage spinoziste.

Comment Spinoza peut-il aider à développer cette nouvelle psychologie des émotions ? Que faut-il retenir de sa philosophie, que faut-il laisser ? C’est à ce rapport dialectique entre Vygotskij et Spinoza que nous consacrerons cette conférence : la psychologie des émotions de Vygotskij s’attache à développer Spinoza en s’appuyant sur lui et en le dépassant, mais Spinoza peut aussi servir à développer Vygotskij dont l’entreprise, inachevée, demande à être poursuivie… avec les instruments théoriques que nous propose Spinoza

Vygotsky (1996; 1998) a défendu la centralité de la théorie des affects de Spinoza dans la Psychologie et le dépassement de sa crise. Ses idées sont encore très fructueuses dans un scénario où les affects assument le rôle principal et l'imposition d'un ordre rationnel néolibéral de concurrence continue, avec l'établissement de l'entreprise comme un mode de vie social et de l´existence subjective (Dardot et Laval, 2016). Dans cette logique, les compétences socio-émotionnelles prennent de l'importance dans les politiques éducatives délimitant la formation humaine et subvertissant l'activité enseignante. Dans ce contexte, cette communication aborde le rôle des émotions dans de la politique éducative au Brésil. Elle repose sur une analyse de documents et pratiques directeurs et elle défend le contrepoint vital de la théorie historico-culturelle. Elle montre comment les émotions sont traitées comme une compétence individuelle acquise à l'école (sous forme de marchandise) et sont au cœur de la (con)formation d'une subjectivité auto-entreprenante (par les élèves et les enseignants). Nous les discutons  à partir des concepts de perejivánie et drame ainsi que de ceux de puissance d'action, ingenium et liberté. Ce faisant, les affects sont déprivatisés et acquièrent un sens d'insurrection et de liberté, au-delà du contrôle et de la conformation des corps et des sujets et fondent une praxis éducative transformatrice qui vise une subjectivité insurgée.

La zone de développement le plus proche (ZDP) est l’un des concepts vygotskiens le plus connus en éducation. Or, elle est le plus souvent conceptualisée comme une zone liée à des capacités intrinsèques des personnes – avec et sans aide - qui serait purement intellectuelle. La conséquence étant qu’il s’agit, pour une personne intervenante de proposer des tâches « dans » la ZDP pour qu’il leur soit possible d’apprendre le savoir visé. Cette conceptualisation n’apparaît pas cohérente avec les écrits de Vygotskij en ce qui concerne les rapports entre les personnes, entre apprentissage et développement de même qu’entre émotions et intellect. Nous discuterons donc du rôle des émotions pour provoquer l’ouverture de ZPD chez les personnes enseignantes et chercheures engagées dans une situation de recherche intervention à visées transformatives. Deux cas issus d’une clinique didactique de l’activité (Benoit, 2022) pour lesquels une entrée émotive-intellectuelle fut essentielle afin de provoquer des ouvertures de ZDP seront discutés. En découle une conceptualisation de la ZDP réaffirmant le rapport apprentissage-développement et explicitant le rapport affect-intellect inhérent au concept de développement. Cette mise en visibilité apparaît nécessaire afin qu’il soit possible de comprendre et d’utiliser toute la puissance du concept de ZPD.

Selon la façon dont il est pratiqué, l'accompagnement pédagogique peut être une forme d’intervention à visée transformative (Stetsenko, 2017) puisqu’il vise à aider la personne enseignante à transformer son expérience connotée d’affects négatifs en une expérience plus positive ou dont les futures itérations pourraient être plus positives. Dans ce type d’accompagnement, la transformation de l’expérience enseignante passe d’abord par la conscience de cette expérience, la conscience étant en-elle même une nouvelle expérience (Vygotski, 2004) qui permet d'en disposer autrement dans le futur. Cette mise à l’écart de l’expérience vécue s’effectue à l’aide du langage par sa mise en mots et provoque parfois à elle seule une transformation. Le langage étant porteur de concepts, d’outils psychologiques, leur mise à disposition dans l’accompagnement soutient d’autant plus sa transformation. Le caractère transformatif de l'accompagnement se négocie dans un équilibre très délicat visant à éviter de tomber dans le panneau de la prescription de la « bonne » pratique. Un cadre vygotskien met en lumière l’importance de la relation entre émotion, pensée et langage dans l’accompagnement pédagogique des personnes enseignantes. Cette contribution vise à proposer une lecture d’une situation transformative de l’accompagnement pédagogique par un cadre vygotskien.

Développer la psychologie historique du développement culturel de Vygotskij exige un processus d’élaboration conceptuelle en dialogue avec la philosophie, l’anthropologie, les sciences du langage, l’esthétique et l’art. À partir d’une perspective matérialiste, dialectique, moniste et critique, l’auteur conçoit le psychisme comme structuré sur la base des relations sociales que nous établissons et des appropriations que nous faisons de ce que nous vivons (Vygotskij, 2014). Les fonctions psychiques supérieures et leurs rapports se développent au cours de l’ontogenèse. Dans cette communication, nous présentons une intervention développementale en éducation esthétique réalisée avec un groupe des enseignantes brésiliennes où l’art et les expériences esthétiques ont été mobilisé comme moyens de transformation des émotions en stimulant l’imagination et la création de nouvelles possibilités d’agir (Vygotski, 2005 ; 2009 ; 2010). Cette intervention fait partie d’une recherche de doctorat en cours. Les analyses préliminaires mettent en lumière une prise de conscience des enseignantes sur les rapports entre éthique, esthétique et politique. En dialogue avec Spinoza, nous analysons le développement de la puissance d’agir des enseignantes à l’occasion des rencontres qui les ont affectées ainsi que leur désir de lutter pour une éducation émancipatrice.

Cette communication s'inscrit dans le cadre d'une thèse portant sur l’évolution de la fonction sociale de l’art et de la formation de l’artiste dans des dispositifs contemporains. À partir des prémisses théoriques avancées par Vygotski (1925) dans Psychologie de l'art, nous construisons un modèle d'analyse de l'activité artistique pour le rendre disponible pour les dispositifs contemporains. Pour cela, nous adoptons une méthodologie de la recherche théorique, appliquant la méthode de Latour à l'évolution des idées. Nous cartographions un réseau de concepts, de propositions, de chercheurs, de genres artistiques, d’œuvres d'art et d’artistes en quatre temps : 1) nous identifions les prémisses centrales de Psychologie de l'art ; 2) nous nous intéresserons aux travaux d'auteurs contemporains de Vygotski ; 3) nous étayons les prémisses identifiées par leurs prolongements dans ses travaux ultérieurs sur le développement des fonctions psychiques supérieures ; 4) notre analyse s’élargit à des auteurs plus récents, qu’ils se réclament de la pensée de Vygotski et/ou qu’ils permettent de mieux la comprendre aujourd’hui. Nous montrons en conclusion comment le réseau développé permet d’étudier l’activité artistique dans les dispositifs contemporains en insistant sur les déterminants socio-historiques de l’œuvre, ses contradictions internes et l’expérience cathartique.

Cette communication se réfère à la recherche et à l'extension universitaire avec les enfants et les adolescents vivant dans la périphérie de Fortaleza-CE. L'objectif est de guider un débat analytique à partir des affections vécues par les sujets impliqués dans ces travaux. Nous comprenons que la création d'un champ de production narrative avec les habitants des territoires socio-économiquement vulnérables peut promouvoir des affections micropolitiques qui se traduisent par de nouvelles façons de penser, de sentir et d'agir pour ces sujets, en considérant les travaux de Vygotski, Bakhtine et Freire. Ainsi, nous comprenons que la promotion de moments de contact avec la littérature d'enfance et de jeunesse, avec des histoires qui traitent des affections inhérentes à la condition humaine (peur, tristesse, fantaisie, colère, joie et autres), peuvent contribuer au développement des émotions. Il s'agit d'inviter l'imagination, en offrant aux enfants et aux adolescents une réélaboration fantastique du dur concret de leurs réalités quotidiennes et en déclenchant ainsi des horizons qui ont du sens pour eux. Nous discuterons également des affections paralysantes ou mobilisatrices qui se sont développées au cours des rencontres avec ces enfants et adolescents en considérant notamment les scènes de violence urbaine et institutionnelle qu'ils ont racontées.  

Les émotions constituent le moteur de notre rapport à nos milieux de vie. Bien que souvent condamnées par la recherche à n’être que le décor des processus intellectuels, elles sont rétives à cette mise à l’écart et se manifestent dans les situations de recherche interventions dans la dynamique de la construction de sens dans laquelle s’engage les sujets dont elles constituent parfois l’objet. Dans cette communication, nous analyserons une controverse de métier sur la question de la prise en compte des émotions dans une intervention en groupe visant l’insertion sociale et professionnelle de personnes immigrantes. Ces données issues d’une recherche-intervention s’inspirant de la clinique de l’activité ont été recueillies auprès de collectifs (3)  de personnes spécialistes de l’orientation ouvrant auprès de personnes immigrantes. Elles seront discutées plus particulièrement à l’aune des travaux de Vygotsky et de travaux plus récents issus de la perspective culturelle-historique en croisant les concepts d’émotions, d’affects et de sentiments. 

Dans cette communication, nous utilisons la méthode de l’auto-confrontation (Faïta et Vieira, 2003) afin de permettre aux enseignants de revivre leur expérience vécue et, en étant affectés par cette activité sur l’activité, d’être capables de transformer leur situation de travail et de se former par la co-analyse du travail. Nous présenterons une analyse des difficultés, conflits et dilemmes qui interviennent dans le travail des enseignants de français comme langue seconde (FLS), en soulignant le rôle des émotions dans le redoublement de l’expérience vécue grâce à l’auto-confrontation. Les verbalisations sont analysées avec le modèle d’analyse de textes proposé par Bronckart (1997, 2019) de façon à comprendre les représentations construites par les enseignants dans les entretiens à propos du métier et de leur manière d’agir, ainsi que les difficultés, conflits et dilemmes auxquels ils sont confrontés. Les analyses mettent en lumière a) comment les émotions se traduisent dans les verbalisations, lorsque les enseignants abordent des difficultés au travail et expriment des conflits ou des dilemmes qui les affectent et affectent leur activité (Clot, 2017) et b) les possibilités créées par le redoublement de l’expérience vécue et leur impact dans la transformation des situations de travail et dans la puissance d’agir des enseignants.