Informations générales
Événement : 90e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 400 - Sciences sociales
Description :Les dernières décennies ont été marquées par un essor des recherches sur l’enfance. Tandis qu’elle a longtemps constitué le territoire réservé de la pédiatrie et des sciences du psychisme, en particulier de la psychologie, l’enfance est désormais investie par une diversité de disciplines scientifiques, multipliant les angles épistémologiques, méthodologiques et analytiques à travers lesquelles elle est saisie.
Les dernières décennies ont été marquées par un essor des recherches sur l’enfance. Tandis qu’elle a longtemps constitué le territoire réservé de la pédiatrie et des sciences du psychisme, en particulier de la psychologie, l’enfance est désormais investie par une diversité de disciplines scientifiques, multipliant les angles épistémologiques, méthodologiques et analytiques à travers lesquelles elle est saisie.
Ce colloque part de l’idée que la manière d’aborder le développement de l’enfant, mais aussi les processus de socialisation, la cognition, l’éducation, l’anormalité, etc., divergent considérablement selon les lunettes disciplinaires que l’on adopte. Fort de ce constat, il vise à saisir l’enfance comme un territoire d’expertises concurrentes, sinon hiérarchisées, nous invitant à interroger ou réinterroger les normes qui président à son éducation, sa prise en charge, son accompagnement, sa protection, etc.
Afin de saisir les disputes indissociablement savantes et normatives qui entourent l’enfance, nous cherchons à faire dialoguer une diversité de travaux empiriques et théoriques, menés à partir de perspectives disciplinaires et méthodologiques variées. Les communications pourront suivre l’un ou plusieurs des trois axes thématiques suivants :
1. Les experts autorisés de l’enfance. Cet axe vise à interroger le champ de l’enfance à l’aune de l’évolution des savoirs qui l’entourent, et du rôle hégémonique qu’occupent historiquement les sciences du psychisme, et plus récemment du cerveau, dans sa saisie et dans les modalités d’interventions qui en découlent.
2. Quel « social » pour l’enfance ? Cet axe pose la question de l’intérêt des sciences sociales (sociologie, anthropologie, histoire, géographie, etc.) pour (re)penser l’enfance, en lien ou en concurrence avec les sciences du psychisme, et pour saisir autrement l’influence du « social » dans la connaissance et la prise en charge de l’enfance.
3. L’enfance saisie par l’expérience. Cet axe examine le rôle que peuvent jouer les savoirs expérientiels, des parents et des enfants eux-mêmes, pour comprendre l’enfance et réexaminer les contours de sa prise en charge.
L’objectif de la journée est de réfléchir à l’enfance au carrefour des tensions paradigmatiques qui orientent la manière dont cet âge de la vie est observé, analysé et in fine gouverné. Nous souhaitons réunir des acteurs de disciplines et d’horizons diversifiés pour :
- Discuter de la construction et de la circulation des savoirs sur l’enfance, en étudiant plus précisément les luttes qui se nouent entre les différents experts de l’enfance (axes 1 et 2).
- Échanger sur la place des parents et des enfants eux-mêmes comme acteurs de la connaissance de l’enfance, en interrogeant les manières dont ils peuvent, ou non, entrer en dialogue avec les experts autorisés (axe 3).
- Sonder les rapports de force qui se jouent dans la compréhension et la prise en charge de l’enfance.
Les organisateurs aimeraient remercier Josée Gagnon, professionnelle de recherche à la CRCEMS, pour tout le travail accompli lors de l'organisation de ce colloque.
Date :Format : Sur place et en ligne
Responsables :- Marie-Christine Brault (Université Laval)
- Marie-Laurence Bordeleau-Payer (UQO - Université du Québec en Outaouais)
- Nicolas Sallée (UdeM - Université de Montréal)
Programme
ACCUEIL
Table ronde – Dialogue sur le développement de l’enfant et la non-conformité : des savoirs en tension
BLOC 1
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Communication orale
Conflits d'expertise dans la prise en charge des enfants présentant une variation du développement sexuel.Gaëlle Larrieu (Université de Grenoble)
Cette communication porte sur les conflits d’expertise sur l’enfance au travers d’une recherche sur les familles dont un des enfants présente une variation du développement sexuel (VDS)[1]. Durant les dernières années, les débats autour de la prise en charge des enfants ayant une VDS ont été de plus en plus nombreux.
Ma communication s’appuie sur une enquête de terrain menée en France entre 2018 et 2020 auprès de différents acteurs (parents, médecins, membres d’associations).
Trois types d’expertise peuvent être identifiés concernant la prise en charge médicale des enfants présentant une VDS. L’expertise médicale est longtemps restée incontestée en la matière. Les médecins sont, dans leur grande majorité, en faveur de traitements visant à conformer les corps des enfants aux normes binaires. Ces traitements ont été remis en question publiquement à partir des années 1990 par des associations de personnes concernées mettant en évidence un second type d’expertise : celle basée sur les savoirs expérientiels d’enfants devenus adultes. Enfin des parents peuvent également faire valoir une expérience et des connaissances expérientielles, et ainsi une légitimité à décider ce qui est le mieux pour leur enfant.
[1] Les personnes ayant une variation du développement sexuel sont nées avec des caractéristiques sexuelles (génitales, gonadiques, hormonales et/ou chromosomiques) qui ne correspondent pas aux définitions binaires types des corps masculins ou féminins.
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Communication orale
Le monde de l’enfance sourde et ses acteurs : expertises en question et en tensions.Tamara Dmitrieva (Centre Norbert Elias)
Cette communication se base sur le travail de thèse en sociologie, qui se situe au croisement de trois champs de recherches – surdité, handicap et enfance – et propose une étude exploratoire du monde de l’enfance sourde en France, en articulant une analyse de ses dispositifs et de leur évolution à une analyse des expériences du grandir sourd.e. Le choix de la communication est, dans une perspective socio-historique et à partir des matériaux de terrain concernant la période dès les années 2010, de questionner la place des différents acteurs de ce monde, impliqués à titre professionnel ou existentiel, dans la construction des savoirs au sujet de l’enfant sourd et de leur mise en pratique (notamment dans le cadre de l’éducation et de la prise en charge). Nous retrouverons d’un côté des instituteurs des sourds d’abord (milieu du XVIIIe siècle), puis des médecins (début XIXe siècle) et par la suite de nombreux professionnels de la surdité qui entourent l’enfant sourd de nos jours ; et de l’autre côté, des parents (depuis la montée en puissance des associations des parents au milieu du XXe siècle), des personnes sourdes adultes (avec le Mouvement sourd dès les années 1970) et l’enfant même. Le monde de l’enfance sourde sera ainsi abordé comme un territoire de tensions historiques et actuelles quant à la définition de l’enfant sourd et de la norme de son intégration sociale.
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Communication orale
Refuser des soins psychiatriques, une vraie possibilité pour les ados ? C’est l’expert qui nous le dira…Marianne Tétreault (Université d’Ottawa)
Ma présentation portera sur les discours d’experts des adolescent·es dans l’espace judiciaire, dans le cadre d’autorisations de soins. Régulièrement, des experts et autres spécialistes sont appelés par des tribunaux à se prononcer sur la situation des adolescent·es qui refusent des soins psychiatriques. Dans cette judiciarisation, les psychiatres, intervenant·es sociaux et juges joueront tour à tour le rôle d’«expert» de l’anormalité et du meilleur intérêt de l’enfant. Je partagerai les résultats préliminaires de ma recherche, qui relèvent des problématiques au niveau des discours tenus par les psychiatres, intervenants et juges (stigmas, jugements, infantilisation, etc.) et un éloignement des connaissances scientifiques pour tendre vers un discours de normalisation et contrôle social. Je traiterai ensuite de l’impact de ces discours sur la gouvernance de ce groupe d’âge. Du point de vue méthodologique, je vise à documenter les discours sociaux, psychiatriques et judiciaires tels qu’ils s’expriment dans la littérature et les jugements concernant les adolescents puis proposer une analyse féministe et institutionnaliste de ces discours, mettant en lumière comment les facteurs sociaux tels que le genre, l’âge, et le diagnostic les déterminent, de même que leur influence sur les décisions judiciaires. Je mobiliserai une approche méthodologique qualitative en procédant à une analyse de discours ainsi qu’une étude de cas (adolescents avec expérience en pédopsychiatrie).
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Communication orale
La dyslexie : splendeur et déclin d’une catégorie nosographique.Stanislas Morel (Université Sorbonne-Paris-Nord)
S’appuyant sur les travaux que je réalise depuis une quinzaine d’années sur le recours croissant à des diagnostics médico-psychologiques pour interpréter les difficultés scolaires et à des professionnels du soin pour les prendre en charge (Morel 2014 ; 2018), ainsi que sur un travail assidu de lecture de la littérature en sciences cognitives (psychologie cognitive, neurosciences) sur les difficultés d’apprentissage (Morel, 2020), cette intervention se fixe pour objectif principal de questionner la validité scientifique de la catégorie « dyslexie », les usages sociaux qui en sont actuellement faits et les effets que ces usages engendrent, notamment dans le domaine des inégalités scolaires. Plus généralement, cette communication constitue aussi un plaidoyer pour une articulation entre les savoirs issus des différentes disciplines : l’approche sociologique des troubles spécifiques des apprentissages est d’autant plus convaincante qu’elle est adossée à une bonne connaissance des apports et des limites des travaux en sciences cognitives. C’est en prenant en compte ces connaissances, qui varient d’un trouble à l’autre (la dyslexie n’est pas syndrome de Down par exemple), que les sociologues peuvent produire une analyse fine et informée des diverses catégories nosographiques, à même de convaincre les chercheurs des différentes disciplines, les professionnels travaillant avec cette catégorie ainsi que les familles (enfants et parents).
Dîner
BLOC 2
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Communication orale
Jeune en France: grand enfant ou petit adulte? Impacts des « seuils d’âge » dans les représentations et pratiques des travailleurs sociaux.Christelle Achard (Université de CaenNormandie)
Cet article s’inscrit dans un contexte de montée en puissance de la catégorie sociale de la jeunesse (Bordiec, 2018, Labadie, 2001). L’émergence de cette catégorie est majoritairement associée à l’allongement de la période d’entrée dans la vie adulte (Galland, 2001). Nous formulerons l’hypothèse selon laquelle ce phénomène s’accompagne d’un mouvement opposé
mais concomitant : celui du raccourcissement de la durée de l’enfance. Dans quelle mesure la catégorie jeune en travail social en France tend-t-elle à véhiculer des représentations sources de tensions paradoxales dans l’accompagnement des publics concernés ? (adulte en devenir vs grand enfant). Alors que la fragmentation des accompagnements (Ravon et al, 2018) est majoritairement appréhendée à l’aune des ruptures et/ou superpositions de prises en charge (Dulin,
2018), nous chercherons à interroger autrement les tensions paradoxales et divergences d’approches dont la catégorie jeunesse se fait reflet et vecteur. Pour ce faire, nous nous appuierons une participation observante de huit années dans le secteur de l’hébergement en Île de France. Nous chercherons à analyser l’impact des seuils d’âge et des missions des différents services sur les manières d’appréhender le public jeune par les travailleurs sociaux. Ces observations nous permettront d’esquisser une réflexion autour des tensions paradoxales pour les professionnels, mais également concernant les conflits identitaires pouvant émerger chez les jeunes accompagnés. -
Communication orale
De l’enfance à la domination adulte : pour une approche critique des violences sexuelles sur mineur·es.Simon Protar (ENS de Lyon/Laboratoire Triangle)
A partir d’une recherche doctorale portant sur les violences sexuelles subies par les mineur·es, cette communication propose une approche critique de l’enfance, comprise comme une catégorie sociale minorisée. Défendant la thèse selon laquelle ces violences sont une manifestation et un moyen de la domination des adultes sur les enfants, j’entends montrer que les savoirs produits et mobilisés dans ce domaine font obstacle à la reconnaissance de cette domination. M’appuyant sur une étude de campagnes nationales de prévention, sur des entretiens avec des adultes ayant agressé ou violé des enfants, et avec des acteurs engagés à des titres divers dans la prévention des violences sexuelles (psychologues, agents de probation ou encore individus se déclarant pédophiles mais oeuvrant à ne pas concrétiser leurs attirances), je tacherai de reconstituer les corpus de connaissances qu’ils et elles mobilisent, et analyserai comment le registre psychopathologique et la sexualisation des violences sexuelles sur mineur·e conduit à négliger l’importance du statut infériorisé des enfants dans la compréhension de ce phénomène. En définitive, je plaiderai pour une compréhension relationnelle de l’enfance, c’est-à-dire devant être saisie comme le pendant marginalisé de l’âge adulte, à rebours des conceptions essentialisantes de l’enfance comme stade inabouti du
développement humain. -
Communication orale
Le point de vue des enfants à l’égard des pratiques éducatives de leurs parents.Fatima-Ezzahra Ourhou (Institut National de l’Action Sociale (INAS)), Abdelaaziz Ourhou (Institut National de l'Action Sociale (INAS))
Cet article présente les résultats d'une recherche effectuée auprès d'un groupe d'enfants marocains (N = 31). La présente étude qualitative ayant utilisé la technique du groupe et le dessin avait pour but de documenter le point de vue des enfants à l'égard de leurs relations avec leurs parents, des styles parentaux et des pratiques parentales. Les résultats suggèrent que l'exercice du contrôle auprès des jeunes et l'éducation parentale influencent le développement des enfants et parfois ils entraînent des insatisfactions, des conflits parents-enfants, ainsi que des effets défavorables sur le développement lorsqu'elle le fonctionnement parental à l'égard des enfants est marqué par la froideur relationnelle, la tension et la coercition. Les perceptions des jeunes à l'égard de leurs parents varient énormément selon chaque situation. Il importe de souligner que les enfants interviewés ont généralement la perception d'être mal compris et mal soutenus par leurs parents. Les parents négligent l'importance de prendre en compte le point de vue de leurs enfants. Des recommandations sont présentées pour améliorer les pratiques parentales et les relations parents-enfants.
BLOC 3
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Communication orale
Construction sociale et agentivité de l'enfant sujet de droits : Le cas des enfants en situations de rue au Brésil.André Cardozo (Université de Genève), Daniel Stoecklin (Université de Genève)
En affirmant que la construction sociale de l’enfance résulte de préférences culturelles qui naturalisent et reproduisent les points de vue des acteurs placés en position dominante, la sociologie de l’enfance a contribué à extirper l’enfance de l’hégémonie historique des sciences du psychisme (James & Prout, 1998). A cette émancipation disciplinaire succède aujourd’hui une reconnaissance mutuelle mais qui demeure superficielle. Nous proposons dès lors de retourner aux fondements épistémologiques de l’expertise (inter)disciplinaire de l’enfance en éclairant les liens qui sont faits ou omis entre l’influence du social sur le psychisme, et réciproquement, dans les manières d’envisager le rapport entre réalité objective et construction sociale (Loriol, 2012). A partir de l’observation d’enfants institutionnalisés au Brésil, nous éclairons la mise en oeuvre des droits de l’enfant comme une construction sociale à la jonction de l’ordre normatif de la Convention relative aux droits de l’enfant et de l’ordre interactionnel effectivement observé dans les centres brésiliens d’hébergement pour les enfants en situations de rue. Les modes d’action qui médiatisent la mise en oeuvre des droits de l’enfant reposent sur des horizons transactionnels (Stoecklin, 2021), une notion contribuant à la découverte de l’interface entre le psychologique et le social, au tournant ontologique dans les « childhood studies » (Spyrou, 2019) et plus largement au dialogue interdisciplinaire.
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Communication orale
Représentations sociales de l’enfance : quelques points de controverses scientifiques autour de l’« enfant-sujet ».Samuel Morard (Centre interfacultaire en droits de l'enfant, Université de Genève)
L’analyse des discours scientifiques, politiques ou médiatiques sur l’enfance est indissociable de l’étude des représentations sociales dans lesquelles s’inscrivent ces productions de connaissances. A l’interface du psychologique et du social (Jodelet, 1984), les représentions sociales sont opérantes dans un certain contexte culturel et sont assorties d’un système de valeurs plus ou moins explicite (Chombart de Lauwe & Feuerhahn, 1989). A la fois expression du psychisme et produit culturel, la réponse à la question « Qu’est-ce qu’un enfant ? » a un impact sur la manière dont adultes et enfants interagissent, sur les mesures politiques et éducatives entreprises, sur les approches scientifiques utilisées pour les étudier (Turmel, 2013). Les sciences sont productrices de représentations et tributaires de celles-ci, par les valeurs et croyances portées par les scientifiques et par l’héritage de leurs champs disciplinaires. Les recherches se basent sur des représentations, qu’elles participent à nuancer ou à renforcer, mais généralement sans que les présupposés philosophico-politico-éthiques les sous-tendant soient clairement exposés. L’identification des représentations paradoxales caractérisant l’enfance contemporaine (Dupeyron, 2010) permet d’éclairer certains aspects des débats entre les disciplines qui se disputent l’enfance. Cette présentation sera l’opportunité de questionner plus particulièrement la figure de l’enfant-sujet (Renaut, 2002) et les controverses y relatives.