Informations générales
Événement : 87e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 600 - Colloques multisectoriels
Description :Les récentes contestations publiques, qui ont conduit au Québec à l’interdiction des pièces de théâtre Slav et Kanata, sous motif que le metteur en scène et son équipe s’appropriaient culturellement l’histoire des esclaves noirs et des communautés autochtones, nous amènent à réfléchir sur les diverses significations historiques, politiques, juridiques, sociales et éthiques des revendications des groupes historiquement marginalisés.
Ces groupes, historiquement dominés, mènent aujourd’hui une quête qui va au-delà de la reconnaissance formelle des souffrances qu’elles ont subies dans le passé. En effet, au nom d’une justice réparatrice, elles imposent une sacralisation du passé et des bénéfices financiers et symboliques. Or, comme le souligne Tzvetan Todorov : « Le devoir de mémoire est le devoir de rendre justice, par le souvenir, à un autre que soi. […] La victime dont il est ici question, c’est la victime autre, autre que nous. » (1995 : 108). Se positionner en victime suffit-il pour réparer les souffrances du passé? Est-ce que les excuses suffisent pour passer par-dessus les politiques d’assimilation des autochtones canadiens? La sacralisation du patrimoine autochtone leur permet-elle de continuer à construire leur identité? Quelle partie de leur patrimoine culturel doit être protégée?
Ce colloque propose d’examiner l’évolution discursive des groupes qui utilisent l’appropriation culturelle, à l’instar des Autochtones (Noirs, homosexuels, immigrants, femmes et autres minorités soumis à un pouvoir politique), en lien avec leur constante redéfinition identitaire. Les conférenciers sont invités, d’une part, à réfléchir à ces enjeux à partir d’exemples concrets et, d’autre part, à approfondir les concepts inhérents à ce débat comme ceux d’acculturation, d’assimilation, de reculturation, d’appropriation culturelle, de white culture & white art, d’identité, etc.
Date :Programme
Mot de bienvenue
Conférence d’ouverture
-
Communication orale
Appropriation culturelle, mondes représentés, assimilation et interfécondationAlexandre Buysse (Université Laval), Stéphane Martineau (Université du Québec à Trois-Rivières)
La dénonciation de l’appropriation culturelle peut être vue non seulement comme une tentative pour que justice soit rendue en réparation des torts subis, mais aussi comme une stratégie de valorisation identitaire en s’appropriant l’exclusivité de certaines productions culturelles ou la spécificité d’événements historiques.) élevées au rang de symboles identitaires (Maalouf, 1998). Sujet complexe et particulièrement sensible, la question de l’appropriation culturelle renvoie donc à l’identité, mais celle-ci nous conduit vers la problématique des mondes représentés, dans la mesure où une représentation symboliquedépend du vécu des peuples impliqués. Ceci, à son tour, pose la question de l’élaboration de leur culture, processus de tout temps éminemment dynamique, et du partageinterculturel. Bref, tout un horizon de questionnements se déploie désormais. Nous souhaitons ici mettre en lumière l’origine et les diverses dimensions du débat. Plus encore, nous soulignerons ce que la quête de reconnaissance et de justice réparatrice des groupes marginalisés laisse dans l’ombre, ce qu’elle occulte en quelque sorte. Nous pensons notamment aux inégalités économiques et au projet d’émancipation collective que l’Occident a porté pendant des décennies (Beauchemin, 2004; Steiner, 2000; Taylor, 1998; Todorov, 2006). Notre intervention vise à fournir des pistes pour alimenter la réflexion de tous et chacun.
I. Réflexions philosophiques, historiques et épistémologiques
-
Communication orale
Entre alliés utiles, entraves à la colonisation ou victimes d’un bout à l’autre: quelle place pour les Autochtones acteurs de leur histoire ?Helga Bories-Sawala (Universität Bremen)
Depuis les manuels scolaires des années 1970 à aujourd’hui la représentation des Autochtones dans l’histoire du Québec et du Canada a beaucoup évolué. L’ouvrage désormais classique de Sylvie Vincent et Bernard Arcand (1979) avait démontrécomment l’image du « sauvage » qu’il soit présenté comme savant et serviable, cruel guerrier ou habile négociateur, arriéré et naïf ou fourbe et dangereux, selon la conjoncture historique, s’avère uniquement définie selon la perspective euro-américaine. Isolés de ce contexte, les aspects les plus spectaculaires de l’internement forcé des enfants autochtones suscitent plus la commisération que des connaissances historiques précises sur la dépossession territoriale, la marginalisation économique et la privation de droits politiques qui ont accompagné l’assimilation culturelle. Ainsi la question se pose comment la conscientisation sur le tort historique de l’assimilation forcée et la compassion devant la souffrance humaine peuvent aller de pair sans la «double dérive de la rétroactivité sans limites et la victimisation générale du passé » (Nora 2006) qui, une fois de plus, nierait l’agentivité des Autochtones dans l’histoire canadienne et québécoise. «Comprendre que le changement social qui se donne à voir est aussi le produit de l’action des Autochtones et non pas seulement le résultat d’un déterminisme » (Martin 2009) voici une approche qui rendrait à ceux-ci leur dignité d’acteurs historiques.
-
Communication orale
Considérations épistémologiques et éthiques sur l’appropriation culturelleDenis Jeffrey (Université Laval)
Dans cette présentation, nous partirons de l’idée qu’il est préférable de s’appuyer sur les orientations philosophiques, éthiques et sociales du perspectivisme méthodologique pour contrer l’appropriation culturelle des interprétations de soi. Cela nous amène à définir l’éthique des productions de savoir. Non pas pour déterminer leur validité scientifique, mais plutôt pour analyser la régulation de leur usage moral, social et politique. Nous pourrons alors nous intéresser à l’interdit de construire et de faire usage de savoirs provenant d’une culture minoritaire, ayant en vue que certains tenants sacralisent les savoirs sur leur histoire et interdisent à quiconque d’en parler, positivement ou négativement. Bref, nous nous proposons de définir ce que pourrait être une éthique des productions des savoirs dans le contexte du débat sur l’appropriation culturelle.
Dîner
II. L’appropriation culturelle dans les médias et dans la sphère artistique
-
Communication orale
Le concept d’appropriation culturelle : une analyse de contenu médiatiqueDavid Lefrançois (UQO - Université du Québec en Outaouais)
D’autres manifestations artistiques auraient pu connaitre la réception réservée aux pièces de théâtre SLĀV et Kanata au Québec : les écrits savants sur le concept d’appropriation culturelle montrent que de nombreuses œuvres d’art ou de fiction (bédés, chansons, films, romans, séries télévisées, danses, etc.) s’abreuvant de l’histoire partagent des caractéristiques similaires aux pièces susmentionnées, qu’elles sèment des controverses d’une nature et d’une intensité comparables (Coutts‐Smith, 2002 ; Spickard, 2018 ; Young, 2005 ; Ziff et Rao, 1997).
Dans ces conditions, il faut vérifier quelle(s) valeur(s) – définition(s) – la variable « appropriation culturelle » occupe dans les débats, notamment pour tenter de voir si celles·ceux qui utilisent ces différents concepts ont des points communs dont dépendraient ces usages.
Nous avons recensé tous les articles ayant été publiés au Canada dans des quotidiens de langue française, avec comme seul mot-clé SLĀV, dans le titre ou le texte. De juin à décembre 2018, près de 1000 articles contenant ce mot-clé furent publiés. Nous avons échantillonné 18 articles parmi ceux écrits par les 42 auteur·e·s ayant publié plus d’un titre durant les mois de juin et de juillet 2018. À la suite de notre analyse, nous avons constaté que les protagonistes énonçaient surtout des avis ou des propositions politiques polarisés, fondaient leurs argumentaires sur des concepts déformés ou indéfinis et s’engagèrent rapidement dans une impasse dialogique. -
Communication orale
Ma liberté de création et d’expressionNabila Ben Youssef (Union Des Artistes)
Je suis comédienne et humoriste québécoise d’adoption, d’origine tunisienne. J’ai quitté mon pays natal depuis un quart de siècle maintenant pour fuir la dictature et la censure. Et j’ai choisi d’immigrer au Québec essentiellement pour vivre dans la diversité d’opinions et pour avoir le droit de m’exprimer librement. Car sans liberté de création et d’expression, l’artiste ne peut pas évoluer ni s’épanouir.
En tant que comédienne, je ne peux pas progresser ni m’épanouir professionnellement en restant emprisonnée dans le rôle de la femme issue de ma culture d’origine, et de faire l’arabe de service durant toute ma carrière. Comment peut-on parler de création alors, en se répétant constamment ? C’est beaucoup plus intéressant et créatif pour moi de jouer l’une des belles sœurs de la pièce de Michel Tremblay, par exemple. Être comédienne, ce n’est pas se jouer soi-même, mais un autre que soi. Le fait de jouer un personnage est une appropriation culturelle !
Puis comme humoriste, je souhaite préserver la liberté de faire des blagues sur les Québécois, les Latinos, les Européens, les Asiatiques, les Noirs, les Juifs… sans me faire traiter de raciste, de xénophobe et d’antisémite. Sinon, à quoi ça sert toute cette diversité culturelle au Québec si nous ne nous inspirons pas les uns des autres ?
L’art doit être LIBRE ! Après 30 ans de vie dans la censure, j’ai réalisé que sans liberté, l’artiste et son art finissent par mourir !
III. Usages et mésusages de l’appropriation culturelle
-
Communication orale
Quand la langue dominante est au service de la réappropriation culturelle autochtone: une recherche-action collaborative menée auprès d’élèves innus en quête identitaireAlexandre Buysse (Université Laval), Joanie Desgagné (Université Laval)
Les peuples autochtones, dans leur grande majorité, sont à la recherche d’une mesure de
souveraineté ou d’autodétermination qui leur permettra d’avoir mainmise sur leur propre
développement. Dans ce contexte de décolonisation « de la recherche, du savoir et de la
mémoire », les recherches participatives conduites « avec » plutôt que « sur » les sujets à
l’étude semblent être la voie tout indiquée. Notre communication vise à partager notre
expérience de recherche où le français n’est pas imposé comme une langue dominante
d’enseignement, mais comme un moyen d’intégrer la culture d’oralité par la tradition orale
innue par l’entremise des cercles interculturels de l’imaginaire. Ainsi, nous présenterons
d’abord notre dispositif et les témoignages d’élèves portant sur leur cheminement
identitaire d’apprenant qui en découlent. Ensuite, nous aborderons les aspects que nous
considérons primordiaux pour que l’enseignement reste un lieu d’accord et
d’interdépendance culturelles plutôt qu’un outil d’annihilation identitaire.
-
Communication orale
L’appropriation culturelle à l’époque de la post-véritéCatinca Adriana Stan (Université Laval)
L’appropriation culturelle à l’époque de la post-vérité
Les récentes revendications autochtones, qui ont conduit au Québec à l’interdiction des pièces de théâtre Slav et Kanata, nous amènent à nous interroger sur le nouveau rapport de forces discursives qui s’installent de plus en plus dans notre société moderne, traversée par la crise de la culture (Arendt, 1972/1999) et fragilisée par des idéologies relativistes comme la post-vérité / le post factuel. Ces idéologies qui instaurent un nouveau rapport à la vérité légitiment entre autres l’idée de postnational (Habermas, 2001) : en effet, l’État n’étant plus le garant d’une identité nationale, chaque groupe social cherche à s’inscrire dans le temps long de l’histoire, à utiliser sa propre historicité pour produire ou consolider sa propre identité.
En partant de cette controverse qui anime le Québec présentement, dans cette conférence nous souhaitons présenter un point de vue philosophique et historique autour du concept de post-vérité / de post-factuel, en soulignant le glissement entre l’histoire et la mémoire, d’une part (et le rapport différent qu’elles entretiennent avec la vérité) et entre la culture comme échange et culture comme privilège de ceux qui la détiennent.
-
Communication orale
L’évolution du discours autochtone au regard de l’enseignement de l’histoire nationaleCatinca Adriana Stan (Université Laval), Julien Vallée-Longpré (Université Laval), Alexandre Zarié (Maîtrise en didactique)
Dans le cadre de la Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec, les populations autochtones, notamment par l’entremise du Comité de survivance (1965) ont exprimé leurs demandes aux instances gouvernementales responsables du programme d’histoire québécois. Elles militaient, entre autres, pour une plus grande intégration des contenus historiques autochtones dans les programmes etpour une représentation différente dans le récit historique.
Parallèlement, et à partir des années soixante-dix, des intellectuels québécois se sont penchés sur la représentation des peuples autochtones à l’intérieur des manuels d’enseignement d’histoire (Vincent & Arcand, 1979; Bernard, 1995; Bories-Sawala &Thibault, 2018). Ces études de manuels ont montré le rôle secondaire des populations autochtones dans le récit historique et leur faible degré d’agentivité.
Malgré cela, les revendications autochtones en matière d’enseignement de l’histoire se poursuivent encore aujourd’hui, et ce, en dépit des efforts faits par les gouvernements et les auteurs de programmes et de manuels des dernières décennies. Afin de bien comprendre l’évolution des revendications des peuples autochtones lors des grandes réformes de l’éducation, il sera intéressant, par le découpage des documents en unité de sens, d’analyser parallèlement les programmes d’histoire et les mémoires déposés par des groupes autochtones dans le cas de consultation.
-
Communication orale
L’appropriation comme interprétation: une herméneutique de la conservationJacques Quintin
L’histoire de la philosophie est une histoire d’appropriation. Un philosophe qui s’appuie sur la pensée d’un autre penseur; Cicéron qui s’approprie la pensée grecque; le monde arabe qui s’approprie la pensée, principalement, d’Aristote; et la Renaissance qui redécouvre la pensée gréco-romaine. À chaque occasion, cette appropriation a permis de sauver un univers culturel de l’oubli. Cela nous amène à nous demander ce qu’est une appropriation authentique et la place du dialogue pour sa réalisation? En contrepartie, nous nous interrogerons sur ce qu’est une appropriation inauthentique, qui se caractériserait par la violence, le vol et l’injustice. La pensée de Gadamer nous servira d’appui pour développer notre propos et pour tenter d’en dégager une leçon.