Informations générales
Événement : 82e congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 300 - Lettres, arts et sciences humaines
Description :Ce colloque a pour visée de réfléchir aux résonances croisées entre littérature et phénomènes médiatiques, tout particulièrement dans le contexte contemporain. En effet, si la littérature a, de tout temps, incorporé des éléments qui lui étaient extérieurs ou étrangers (discours sociaux, description d’images, évocation de sons ou de musiques), la tendance paraît s’exacerber en une société postmoderne où priment les moyens de communication électroniques (vidéo, courriel, médias sociaux). De même, si les nouvelles formes médiatiques qui se mettent en place (hypertexte, Web 2.0 et 3.0) ouvrent à des potentialités d’expression inédites, elles n’en reposent pas moins souvent – ne serait-ce qu’en partie – sur un contenu textuel dont elles s’approprient, parfois inconsciemment, les propriétés formelles (rhétorique, narrativité). Bien que de tels mécanismes de partage et de transfert aient déjà fait l’objet d’études individuelles, on n’a, à notre connaissance, guère tenté de penser leur interaction dynamique ou leur réciprocité. Le défi – et l’originalité – de la présente rencontre sera donc de combiner ces deux approches pour essayer de saisir les « résonances médiatiques » à la fois dans la perspective de la création littéraire et dans celle de l’invention de nouveaux médias. Le cadre théorique privilégié sera celui offert par la sociocritique (interdiscursivité, imaginaire social), la sémiotique (figuration, iconicité, imaginaire) et l’intermédialité (immersion, virtualité), sans pour autant exclure l’apport d’autres démarches ou disciplines. Les participants sollicités viendront des études littéraires, mais aussi des études cinématographiques ou télévisuelles, de l’histoire de l’art, des communications ou des « game studies ».
Date :- Sylvain David (Université Concordia)
- Sophie Marcotte (Université Concordia)
Programme
Textualités numériques
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Mot de bienvenue
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De l'autre côté de l'écran : polyphonie bakhtinienne sur les réseaux socionumériquesMarc Rowley (Université Concordia)
Le volume des messages contenus dans les réseaux socionumériques empêche une lecture détaillée de leur contenu global : s'il y a un sens à Twitter, par exemple, il serait caché sous un véritable déluge d'informations, lesquelles paraissent en outre souvent éclatées, incohérentes. Aux paroles et aux histoires rapportées en apparente sincérité s'opposent en effet des contradictions volontaires, des incohérences voulues et des fictions ouvertement fantaisistes : comprendre la signification des contacts entre ces discours hétérogènes devient dès lors une tâche quasiment impossible. Cependant, ce type de polyphonie n'est pas unique aux communications en ligne : on en retrouve de nombreux exemples dans la littérature des XIXe et XXe siècles, surtout dans le roman. Comme l'observait Mikhaïl Bakhtine : « c'est précisément la diversité des langages, et non l'unité d'un langage commun normatif, qui apparaît comme la base du style » romanesque. À partir de cette observation, on considérera, dans le cadre de cette communication, quelques-uns de ces « langages », et les perspectives diverses sur le monde que ceux-ci permettent. On observera par ailleurs la manière dont ils interagissent, afin de voir en eux « une réfraction (des) intentions sémantiques et expressives » non pas d'un simple auteur, comme le supposait Bakhtine, mais d'un éventuel système sémiotique global dont ces auteurs multivalents feraient partie et que leurs interactions numériques contribueraient à mettre en place.
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Lire Gone Home : l'exploration vidéoludique du fragment littéraireJérôme-Olivier Allard (UdeM - Université de Montréal)
Le jeu Gone Home (Fullbright, 2013) se présente comme un « story exploration video game ». Le joueur y tient le rôle de Kaitlin Greenbriar qui, un jour de juin 1995, rentre au pays après un an d'absence et apprend que sa sœur cadette, Sam, a fugué. Le personnage-joueur, qui cherche à comprendre les événements qui ont poussé Sam à quitter la maison familiale, doit découvrir puis examiner divers objets – des simples tasses aux photos de famille – et lire de multiples documents, qu'on pense aux différentes lettres manuscrites, aux pages dactylographiés, aux revues et aux livres qui jonchent la maison désertée. C'est principalement grâce aux fragments de texte – éléments embrayeurs servant à initier, puis à faire évoluer l'intrigue – que le personnage-joueur parvient à remettre en ordre les pièces du puzzle et à reconstruire le récit des événements ayant conduit à la fugue. Dans le cadre de cette communication, qui s'inscrit dans une réflexion plus large sur les transferts entre les objets littéraire et vidéoludique, il s'agira de voir comment Gone Home remédiatise (Bolter et Grusin, 1999) le fragment littéraire – emblématique d'une certaine modernité selon Jean-François Chassay (2002) – et en quoi les supports textuels deviennent des sources précieuses d'information en regard des personnages et de l'univers fictionnel mis en place dans ce jeu qui explore avec sensibilité des thèmes matures rarement traités par des œuvres vidéoludiques.
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Du virtuel à l'hyper-virtuel : les richesses de l'interactivité textuelle dans le jeu vidéoDominic Arsenault (UdeM - Université de Montréal)
Si l'on admet généralement que c'est l'interactivité qui distingue le jeu vidéo des autres médias, on occulte trop souvent sa dimension textuelle au profit de l'image. Et si les jeux d'action reposent effectivement en grande partie sur les réflexes et la coordination œil-main des joueurs dans un registre visuel, il existe de nombreux jeux et segments de jeux qui sont plutôt axés sur une immersion fictionnelle et l'exploration d'un monde par le biais du texte. Cette communication examinera les forces de l'interactivité textuelle dans des jeux vidéo en partie ou en majorité graphiques. Il s'agira d'identifier les spécificités de la textualité afin d'en dégager des traits sémiotiquement déterminants pour son potentiel interactif et distincts de ceux de l'image. La réflexion proposera ainsi une double virtualité de l'interaction textuelle, l'une située dans le système de l'objet mis en place par la computation, et l'autre située dans le système de l'interprétation langagière chez le sujet (ou, pour le dire autrement, de la lecture). Vu sous cet angle, l'interaction textuelle propose un répertoire exponentiellement plus riche de possibilités d'interaction, pour des raisons essentiellement sémiotiques et techniques. J'illustrerai ma réflexion principalement au moyen du jeu de rôle AAA The Elder Scrolls III : Morrowind (Bethesda, 2002) et du jeu indépendant FTL : Faster Than Light (Subset Games, 2012).
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Pause
Le roman augmenté
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Le travail en mutation : économie (im)matérielle du texteAnne-Marie David (UdeM - Université de Montréal)
Si le travail est un thème abondamment pratiqué en littérature française, la vision proposée est fluctuante. Elle est l'objet d'une modification radicale depuis 1945, en parallèle avec des marchés de l'emploi bouleversés par la fin du fordisme et sous le coup de mutations financières ou techniques qui font du travail une réalité à la fois précaire et complexe. En réaction, les écrits qui en rendent compte adoptent des formes diffuses, à l'image d'un salariat dont les contours comme les frontières internes semblent de plus en plus insaisissables. La représentation textuelle du travail est ainsi à l'origine de particularités narratives qui lui sont spécifiques, et qui entretiennent un dialogue avec d'autres configurations génériques données. Cette communication tentera de transposer le constat dans un registre extra-littéraire, c'est-à-dire qu'on réfléchira aux conditions et aux effets – leurs résonances dans les textes – d'éventuels métissages médiatiques. Que se passe-t-il lorsque des auteurs, comme Martine Sonnet (Atelier 62, 2009), intègrent la photographie et des procédés documentaires à leurs œuvres ? Ou encore si, à l'instar de Nathalie Kuperman (Nous étions des êtres vivants, 2010), ils empruntent à des structures dramaturgiques antiques pour véhiculer un propos contemporain ? Finalement, quelle poétique se dégage d'éléments électroniques (les Composants qui donnent son titre au roman de Thierry Beinstingel, 2002), le jour où un narrateur allumé les agence… en poème ?
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Les liaisons @nodines : un imaginaire du roman e-pistolaireSophie Marcotte (Université Concordia)
Si, dans le roman épistolaire traditionnel, les protagonistes écrivent surtout des lettres pour se mettre en valeur, dans un espace tout autant de séduction que de confrontation, le roman e-pistolaire (par courriels) paraît plutôt reposer sur une dynamique d'échange de considérations tout à fait banales. Dans les trois romans qu'on interrogera dans le cadre de cette communication – e (2000), Le baiser électrique (2001) et Eleven (2006) –, romans dont l'intrigue se déploie sur toile de fond corporative, cet échange de trivialités devrait normalement laisser place à l'adoption d'un registre plus sérieux lorsque se profilent des problèmes ou qu'un événement grave survient. Car même s'il y a abondance de courriels abordant des sujets tout à fait insignifiants (les activités du week-end, par exemple, ou encore des rumeurs sur des liaisons entre collègues), ou racontant des « non-événements » (une conversation lors du BBQ organisé par la compagnie ou une rencontre fortuite dans un ascenseur), il se produit dans tous les cas un ou des éléments perturbateurs, comme les attentats contre les tours jumelles et le Pentagone, qui devraient entraîner un changement de registre dans les messages. On tentera notamment de voir, par l'examen de cette pléthore de courriels vides de sens, ce que peuvent révéler la superficialité et la banalité sur l'individu et la société de notre siècle.
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Dîner
Recadrages et transferts
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5150, rue des Ormes : la transposition de l'intériorité à l'écranEmilie Lamoureux (Université Concordia)
En cette époque où l'intermédialité est devenue chose courante, il n'est plus possible d'étudier chaque genre de façon individuelle. Le cinéma, par exemple, emprunte à la littérature des intrigues, des sujets et des discours. Cette dynamique de l'adaptation cinématographique appelle à une lecture comparative des œuvres et soulève la question de la « fidélité » à l'original. On sait que le cinéma et la littérature reposent sur des formes et procédés distincts : ce que la littérature raconte, le cinéma le montre. En ce sens, transposer un récit de l'écrit à l'écran nécessite forcément des ajustements. Or, s'il est assez facile de rendre une action en images, comment fait-on pour transposer des éléments qui relèvent de l'intériorité ? Ceux-ci sont aisément descriptibles par écrit, mais beaucoup plus difficiles à exposer visuellement. Dans cette perspective, ma communication portera sur 5150, rue des Ormes, un roman de Patrick Sénécal publié en 1994 et adapté au cinéma en 2009 par Éric Tessier. Je tenterai de démontrer que, en dépit des contraintes imposées par le média d'arrivée, l'intériorité des personnages du roman a bien été rendue dans l'adaptation. Pour ce faire, j'expliquerai d'abord de quelle façon Sénécal évoque les états d'âme et émotions dans sa narration ; je parlerai ensuite de la manière dont ces aspects sont rendus dans le film de Tessier en m'appuyant sur des exemples concrets (lecture de plans, de cadrages ; analyse de séquences).
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Beckett et le nouveau néantGeneviève Hamel (Cégep André-Laurendeau)
Qu'arrive-t-il lorsque, errant sur Youtube, un regard tombe sur une adaptation de l'œuvre de Samuel Beckett ? De L'Innommable transformé en dessin animé, en passant par un extrait du jeu vidéo inspiré d'En attendant Godot, jusqu'aux LEGO jouant à Fin de partie, les œuvres beckettiennes sont récupérées par le monde moderne, transformées par nos nouvelles technologies, projetées à travers ce réseau sans limite et sans fin que constitue le web. Le désir d'adapter les textes de Beckett soulève tant l'enthousiasme des artistes que la résistance des puristes. La question se pose donc : ces adaptations sont-elles vraiment en mesure de transmettre la vision beckettienne à un nouveau public, ou sont-elles en train de malmener à la fois la création originale et la réflexion esthétique qu'elle porte ? C'est avec cette question en tête que nous examinerons le plus étrange de ces objets, presque anonyme et plutôt inaperçu : For Company. Difficilement qualifiable de film, l'œuvre présente un fond noir, parsemé de rares éclairs blancs, se superposant à une trame sonore où des bruits (puissants et désagréables) sont en apparence dénués de sens. Aucune image à proprement parler, aucun mot, aucun signe. Que reste-t-il donc du texte Compagnie ? Que reste-t-il de cette « voix [qui] parvient à quelqu'un dans le noir » et tout ce qui s'ensuit ? Ne resterait-il alors que l'anéantissement total de toute existence, but ultime de l'œuvre beckettienne ?
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La reconstitution de l'aventure intérieure : Stéphane Heuet dessinateur de ProustFrançois-Emmanuël Boucher (Collège militaire royal du Canada)
Publiée en cinq volumes de 1998 à 2008, la bande dessinée À la recherche du temps perdu de Stéphane Heuet vise à adapter une partie de l'œuvre de Marcel Proust à la fois, dit le bédéiste, pour faire voir le Paris de la fin du XIXe siècle et rendre l'œuvre plus accessible à un public qui, jusqu'alors, aurait été rebuté par le gigantisme de l'œuvre sans parler de sa complexité narrative dite exceptionnelle. Critiquée par les puristes mais encensée par plusieurs professeurs désormais capables de présenter ce texte à des étudiants qui seraient autrement incapables d'accéder à ce chef-œuvre, cette entreprise d'adaptation pour ne pas dire de vulgarisation pose un nombre de problèmes au regard de la transposition d'une œuvre dans une autre forme artistique que rien, au départ, n'invitait à ce type de métamorphose. Le recadrage de la prose de Marcel Proust dans un univers qui s'apparente à celui de Tintin – une bande dessinée classique qui ne se démarque pas nécessairement par ses innovations formelles – implique un travail de synthèse qui opère sur le sens général de l'œuvre divers fléchissements et reconstitutions, mais aussi plusieurs manquements qui finissent par donner à ce nouveau médium dans lequel Proust se trouve transposé, une signification différente, peut-être plus accessible mais aussi plus acceptable et, surtout, beaucoup moins scandaleuse. C'est l'analyse de cette double modification apportée à l'œuvre par le travail de Stéphane Heuet qui sera au centre de ma communication.
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Pause
Savoirs et écrans
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Sherlock 2.0 : de l'empirisme à la connectivitéSylvain David (Université Concordia)
La télésérie britannique Sherlock (2010-14), qui adapte les aventures du célèbre détective à l'ère contemporaine, propose un certain nombre de variations significatives : le Dr. Watson, narrateur des romans et nouvelles, consigne désormais ses aventures sous forme de blogue ; les communications interpersonnelles se réduisent souvent à l'envoi de messages-textes ; Holmes lui-même ne dédaigne pas avoir recours à l'accès internet permis par son iPhone pour soutenir ses prouesses déductives. La facture visuelle de la série innove tout autant, surimposant aux plans des divers personnages le contenu de leurs écrans respectifs ; un traitement similaire est par ailleurs appliqué aux processus intellectuels de Holmes (dès lors associés – voire intégrés – à l'univers virtuel). On s'interrogera ici sur les mutations dans l'imaginaire qui permettent et sous-tendent une telle adaptation. D'une part, on déterminera en quoi évolue, via ce recours constant aux nouvelles technologies, la manière même de construire le récit (par rapport à l'œuvre originale). D'autre part, on réfléchira à la finalité implicite de la version actuelle : le héros de Conan Doyle, c'est bien connu, constitue un hommage détourné à l'empirisme britannique, dont il applique admirablement les principes d'observation, de déduction et de raisonnement ; qu'en est-il d'un Sherlock et d'un Watson branchés, interactifs ? alors que s'impose une réalité dite « augmentée », vers quel idéal épistémologique tend la version 2.0 ?
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Arrêts sur image : fragments d'une identité-fluxBertrand Gervais (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Penser le sujet digital, ou plus précisément l'expression de la subjectivité en contexte numérique, c'est penser les formes de l'imaginaire contemporain. Un imaginaire marqué par une culture de l'écran de plus en plus prépondérante. Pour décrire cet ordre, on peut, à la suite de Christine Buci-Glucksmann, parler d'une folie du voir. Comme elle le souligne : « De l'omnivoyance baroque à celle du virtuel, de ses panoptismes et de ses interfaces, on a assisté à la naissance et au développement d'une nouvelle folie du voir à l'échelle mondiale. » (La folie du voir. Une esthétique du virtuel) Cette folie du voir étend son emprise sur de nombreuses sphères de nos activités sémiotiques et elle s'inscrit comme trait saillant d'une culture de l'écran, où la dimension iconique des interfaces prescrit plus que jamais son ordre symbolique singulier. Elle joue explicitement sur une contribution des images non seulement comme mode de représentation, mais comme modalités identitaires et processus de connaissance. Ce sont sur ces deux aspects, identitaire et cognitif, que je veux surtout m'arrêter ici. Et je le ferai en fonction de la place qu'occupe l'image, par la voie de la photographie, et l'écran, en tant qu'interface, dans nos façons de nous définir, de même que dans les fictions que nous élaborons.
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Mot de clôture