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Valéry Ridde, Université de Montréal
Au-delà de leurs contenus, ces documents visuels montrent que les chercheurs peuvent s’engager dans d’autres formes de partage des connaissances que les traditionnels (et nécessaires) articles scientifiques.

Un zombie! Voilà à quoi Bob Evans, un des grands économistes de la santé au Canada, aime comparer le ticket modérateur. Régulièrement, cette idée de faire payer un certain montant au patient à chacune de ses visites refait surface. Malgré toutes les données scientifiques la réfutant comme mode viable de financement du secteur de la santé, l’idée refuse de mourir.

Le mythe est tellement récurrent et tenace que la Fondation canadienne pour l’amélioration des services de santé a été amenée à produire document après document sur le sujet . Il ressort de toutes ces analyses que l’instauration du ticket n’apporte qu’un revenu négligeable au système de santé et instaure une barrière financière insurmontable pour les moins nantis.

Le « zombie » à Ouagadougou

Quand cette idée refait surface parmi des populations déjà fragilisées, l’image de mort-vivant prend un autre sens. Je me souviens encore d’un gynécologue de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, osant affirmer haut et fort que si l’on rendait les accouchements gratuits, les femmes allaient faire plus d’enfants!

L’impossibilité de se rendre dans un centre de santé faute d’argent, voilà la réalité quotidienne des femmes et des hommes des pays d’Afrique de l’Ouest.

En effet, depuis la mise en place d’une politique de financement de la santé fortement « proposée » aux États d’Afrique de l’Ouest par l’UNICEF et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans les années 1980, un paiement direct est demandé au patient. Autrement dit, chaque fois qu’un individu est malade, ou qu’une femme souhaite accoucher dans une maternité publique, ils doivent payer pour la consultation, les médicaments et autres frais liés à leur prise en charge.

L’État paie les salaires du personnel de santé, mais demande un ticket modérateur au patient. Or, compte tenu du niveau important de pauvreté des populations de cette région, rares sont celles et ceux qui sont en mesure de payer lorsque la maladie les surprend. Le recours aux soins demeure donc très faible et les services de santé, très peu utilisés, sont donc inefficients. Par exemple, les enquêtes montrent que moins d’un enfant malade sur deux se rend dans un centre de santé.

Entrent en jeu nos travaux…

La suppression du paiement direct au point de service devient une nécessité, d’autant plus que les recherches l'ont montré : ce paiement ne permet pas de financer le fonctionnement du système de santé.

Mais faut-il le supprimer pour tous ou simplement pour les plus pauvres? Et pourquoi pas uniquement pour les populations les plus vulnérables, comme les femmes enceintes et les enfants?

C’est pour répondre à ces questions que nous avons effectué des recherches ces dernières années en Afrique de l’Ouest . Les trois vidéos présentées ici exposent nos principaux résultats.

Première vidéo : Miser sur la solidarité communautaire

La première vidéo relate le volet « action » d’une recherche-action menée de 2007 à 2011 dans une région du Burkina Faso. Selon une démarche participative, communautaire et pérenne, l’idée était de comprendre la capacité des communautés à sélectionner les personnes les plus pauvres (les indigents) afin de leur donner un accès gratuit aux centres de santé.

Cette démarche communautaire a été très appréciée, car elle a respecté les normes sociales locales sans provoquer de stigmatisation et tout en remettant la solidarité communautaire en avant.

Le film a été réalisé par Malam Saguirou, un cinéaste du Niger. Il a obtenu le prix du Festival des Mils d’Or en 2012, concours du documentaire scientifique du Burkina Faso. Il a été diffusé dans des colloques ou réunions avec les décideurs politiques et à plusieurs reprises à la télévision nationale du Burkina Faso, ainsi que dans les villages du lieu de tournage-action. Il est aussi utilisé dans de nombreux cours universitaires pour illustrer les enjeux d’éthique, de recherches-actions, d’accès aux soins et de stratégies de transfert des connaissances.

Deuxième vidéo : Bienfaits de la gratuité pour les enfants et les femmes enceintes

La deuxième vidéo présente des résultats de recherches concernant une expérimentation réalisée dans le Sahel du Burkina Faso, depuis 2008. Fruit d’un partenariat de recherche entre une ONG allemande (HELP) financée par l’Union européenne (ECHO), le ministère de la Santé du Burkina Faso et l’Université de Montréal (CRCHUM), elle montre les bénéfices que l’on tire à supprimer le paiement des soins pour les enfants et les femmes enceintes.

Ce film constitue une synthèse visuelle et vivante de preuves scientifiques obtenues grâce à plus d’une quinzaine de recherches. Réalisé par Manivelle Production du Burkina Faso, il  sert maintenant de média de transfert de connaissances, mais aussi de plaidoyer en faveur d’une meilleure accessibilité aux soins des populations vulnérables

Troisième vidéo : Défis d’une politique publique de gratuité au Niger

La dernière vidéo concerne le même thème, soit la gratuité des soins pour les enfants, mais elle a été réalisée non pas sur un temps court, comme les deux précédentes, mais sur un temps long.

Dans le cadre d’un programme de recherches que nous avons coordonné avec le LASDEL du Niger, Malam Saguirou (vidéo 1) a suivi notre équipe pendant plus de trois ans. Non seulement filmait-il les chercheurs dans l’exercice de leur métier, mais surtout, il a été en mesure de filmer l’évolution de notre objet de recherche, soit la Politique nationale de gratuité des soins pour les enfants au Niger.

Ce long métrage démontre parfaitement l’importance de la gratuité des soins pour les enfants, tout en illustrant la grande difficulté de mettre en œuvre cette pratique lorsque l’État ne se donne pas les moyens de ses ambitions.

Il complète différentes publications scientifiques, mais il a aussi été utile pour rendre compte des difficultés de mise en œuvre et du sous-financement de la politique auprès des décideurs du pays. De fait, quand un extrait de 15 minutes a été projeté début 2012 lors d’une conférence nationale sur le sujet, le contenu a particulièrement ému l’assistance et provoqué une réaction vive du premier ministre présent, qui s’est ainsi engagé à faire en sorte que la politique s’améliore.

La vidéo comme partage de connaissances

Au-delà de leurs contenus, ces documents visuels montrent que les chercheurs peuvent s’engager dans d’autres formes de partage des connaissances que les traditionnels (et nécessaires) articles scientifiques. Cependant, les défis sont immenses, car les moyens pour réaliser ce type d’activités sont minimes et surtout, elles ne sont pas (ou le sont si peu!) reconnues par le milieu universitaire au moment de l’évaluation des activités d’un chercheur.

Dès lors, pour ne pas devenir le chercheur stratégique et cynique décrit par Isabelle Stengers1, il faut avoir le goût du risque… ou simplement (et malheureusement) s’imposer un double fardeau : publier en anglais dans des revues savantes pour nos pairs et notre carrière, et écrire ou filmer en français pour les utilisateurs potentiels des résultats.

Note :

  • 1. Isabelle STENGERS, Une autre science est possible : manifeste pour un ralentissement des sciences, Éditions La Découverte, 2013.

  • Valéry Ridde
    Université de Montréal

    Valéry Ridde est professeur agrégé au Département de médecine sociale et préventive et chercheur au Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM). Il est aussi « nouveau chercheur » des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Le film sur les indigents et son livre publié en 2012 aux Presses de l’Université de Montréal, L’accès aux soins de santé en Afrique de l’Ouest, lui ont valu le prix de la réalisation scientifique de l’année 2013 du CRCHUM.

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