Informations générales
Événement : 85e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 400 - Sciences sociales
Description :Il est difficile de faire de la recherche en sciences sociales sans se référer au concept de groupe. Plusieurs études récentes visent précisément à démontrer que des changements au niveau de la groupalité ont des répercussions au niveau individuel. La question se pose de savoir quelles précautions doit prendre le chercheur ou la chercheuse en science sociale lorsqu’il ou elle veut généraliser à l’ensemble d’un groupe (national, culturel, ethnique, etc.). Par exemple, peut-on attribuer une agentivité à un groupe? Peut-on lui attribuer des intérêts, une volonté ou une mémoire? Faire cela, n’est-ce pas aussitôt simplifier le contenu du groupe? La question se pose de savoir comment devons-nous définir la notion de groupe si l’on veut éviter la généralisation hâtive, autrement dit si l’on veut bien saisir la diversité au sein du groupe. Des développements récents sur ces questions ont contribué à d’importants changements dans divers champs des sciences sociales, surtout dans l’étude sociologique de l’ethnicité, du nationalisme et du racisme, et dans les domaines de la philosophie politique qui lui sont le plus étroitement liés.
Les questions entourant la définition des concepts de groupes ont aussi fait couler beaucoup d’encre dans le champ de la philosophie politique. Par exemple, les politiques dites de la reconnaissance qui visent ultimement à corriger différents types d’injustices subies par des groupes « identitaires » ont été l’objet de beaucoup d’attention récente dans ce champ. Or, pour certains, les politiques de reconnaissance sont par définition essentialiste, étant donné qu’elles reposent sur une définition fixe de l’identité des groupes. Ce type de définitions, lorsque formulé dans des politiques, nourrirait l’injustice subie par certains membres de ces groupes. Notre colloque sera l’occasion de mettre en commun les travaux récents portant sur les différents problèmes qu’engendre l’étude des groupes et sur les différentes pistes de solution à ces problèmes.
Date :Programme
Définitions et luttes pour la définition des groupes
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Communication orale
Hechter et Brubaker sur la communalisation des groupes nationalistesF. Guillaume Dufour (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Cette présentation effectuera un retour sur l'étude du processus de communalisation dans les théories des groupes de Michael Hechter et Rogers Brubaker. Elle insistera notamment sur les spécificités du processus de communalisation en contexte de relations inter-ethniques par rapport au processus de communalisation dans la formation d'autres dynamiques groupales.
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Communication orale
La définition des groupes comme enjeu de luttes : classes sociales et conflictualité dans les discours « nationalistes conservateurs » (2006-2016)Félix Deslauriers (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Domaine privilégié des marxistes, l’analyse de classes est aujourd’hui mobilisée là où on ne s’y attend pas : au sein de discours qualifiés de « nationalistes conservateurs ». Ces derniers s’inquiètent d’un phénomène de fragmentation de la société québécoise sous l’effet du pluralisme identitaire, qui ébranlerait toute représentation unitaire de la communauté nationale. Sur cette base, la légitimité des revendications des mouvements féministes ou antiracistes y est remise en cause. Du même souffle, bon nombre de ces discours mettent en forme un clivage opposant les « classes populaires » et les « élites ». Comment ces deux éléments apparemment contradictoires sont-ils réconciliés dans les discours « nationalistes conservateurs »? Comment l’exposition d’une division fondamentale de la société en deux groupes aux intérêts antagoniques peut-elle cohabiter avec une vision de la nation comme entité cohérente et unifiée ? Cette communication s’intéresse à ces questions à partir d’un corpus de textes parus dans les revues Argument et L’Action nationale entre 2006 et 2016. Il s’agira d’examiner la conceptualisation les classes en tant que groupes sociaux. L’analyse est menée à partir d’un cadre théorique issu de la sociologie matérialiste des rapports sociaux, qui met l’accent sur les processus historiques qui génèrent les groupes sexuels, les groupes ethniques et les classes. La communication portera sur la conceptualisation des classes sociales comme enjeu de luttes.
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Communication orale
Nation, ethnicité et race dans les discours de citoyens « ordinaires » à l’ère numérique : analyse de la problématisation de l’immigration et des minorités racialisées dans les commentaires sur FacebookMathieu Forcier (UdeM - Université de Montréal)
Au-delà des discours institutionnels se revendiquant du pluralisme, il importe de chercher à comprendre comment les discours sociaux sur les minorités sont parties prenantes de l’inclusion et de l’exclusion des frontières de la communauté nationale. Avec la démocratisation de l’utilisation d’Internet et des médias sociaux, les discours sur l’immigration et la « diversité » sont largement relayés dans l’espace numérique où toutes et tous peuvent rendre publiques leurs conceptions de l’identité nationale. Quelles sont les représentations dominantes des minorités issues du Sud dans les pratiques discursives numériques ? Comment l’espace numérique structure-t-il la production des discours sur la nation et ces figures de l’altérité ? L'objectif ici est de jeter un éclairage novateur sur les représentations populaires de la nation et de ses altérités en analysant les discours de citoyens ordinaires blancs tels qu’apparaissant dans les sections commentaires d’articles portant sur l’immigration publiés sur les pages Facebook de grands médias québécois. En nous penchant spécifiquement sur la société québécoise, nous sondons la configuration particulière d’une condition commune aux sociétés postindustrielles, c’est-à-dire l’association entre altérité et insécurité favorisant les nationalismes défensifs. Sera présentée une analyse critique de discours portant sur l'accueil de réfugiés syriens au Canada.
Dîner libre
Le groupe comme catégorie de pratique et comme catégorie d’analyse
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Communication orale
Le concept de diaspora et son application au cas des populations migrantes panethniquesVictor Armony (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Le concept de diaspora a été redéfini et actualisé dans le cadre de plusieurs approches théoriques qui mettent en relief la dimension transnationale des populations migrantes, ainsi que le caractère hybride et fluide de leur construction identitaire. Si le concept de diaspora a permis d'éviter certains biais essentialistes liés à la notion de groupe ou minorité ethnique, il a aussi placé la question de l'origine et de la filiation au cœur des analyses, ce qui est également problématique. Dans cette communication, j'examinerai le potentiel et les limitations du concept de diaspora dans l'étude des populations issues de l'immigration, en portant un intérêt particulier au cas des identifications pan-ethniques. L'exemple des Latino-américains du Québec servira à illustrer ce type de cas.
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Communication orale
Groupes et réification dans l’étude sociologique de la mémoireMichel-Philippe Robitaille (UQAM - Université du Québec à Montréal)
La notion de mémoire collective, développée dans les écrits de Maurice Halbwachs, de Pierre Nora et de Paul Ricoeur, notamment, s’appuie sur une métaphore. Le passage de la mémoire individuelle à la mémoire collective comporte par conséquent un risque : celui d’attribuer les facultés cognitives des individus à des entités collectives qui ne les possèdent pas. La critique de la réification qui accompagne la notion de groupe a mené certains chercheurs en sociologie du nationalisme et de l’ethnicité à abandonner l’idée même de l’existence objective des entités collectives imaginées subjectivement par des entrepreneurs identitaires. La réflexion sur la mémoire en histoire et en sciences sociales bénéficierait de l’éclairage amené par ces critiques de l’idée de groupe. Peut-on parler de mémoire collective sans s’appuyer sur l’existence préalable d’un groupe porteur de cette mémoire ? S’inscrivant dans le cadre de recherches sur les controverses mémorielles dans l’historiographie des fascismes, cette communication présente l’hypothèse voulant que la mémoire soit constituée des interventions des entrepreneurs mémoriels, lesquels construisent subjectivement le groupe au nom duquel ils prétendent parler lorsqu’ils « remémorent » le passé. En ce sens, les controverses mémorielles constituent un terrain privilégié pour l’étude de la construction sociale des groupes.
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Communication orale
Relations internationales et communautés imaginées : les origines inégales et combinées du nationalisme au Moyen-Orient ottomanJonathan Viger (York University)
Cette communication a pour objectif d’analyser l’interaction des relations internationales, la redéfinition de la « communauté politique » et les origines du nationalisme dans les provinces arabes de l’Empire Ottoman. L’argument central est que l’aspect « modulaire » du nationalisme – « the fact that it is “capable of being transplanted with varying degrees of self-consciousness to a great variety of social terrains, to merge and to be merged with a correspondingly wide variety of political and ideological constellations » (Anderson 2006 : 5) – peut être ancré à l’intérieur du concept de dévelopement inégal et combiné, tel que développé au sein de la discipline des relations internationales : cet aspect est déterminé par l’entremise des relations (géo)politiques influençant la reproduction social des communautés politiques autant entre elles qu’à l’intérieur de celles-ci.
À partir du tournant du 18e siècle, les luttes sociales portant sur la définition d'un nouveau principe d’identité collective, la nation ottomane, donnèrent naissance à des projets politiques distincts, soutenu par des principes sociaux conflictuels et mobilisant progressivement des référents culturels divergents : c’est à l’intérieur de ces luttes que j’identifie les origines et la trajectoire initiale du nationalisme arabe, qui se distingua progressivement de l’idéologie ottomane.
Langage et groupe
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Communication orale
Des injures racistes au langage génocidaire : sur les liens entre philosophie du langage et sociologieMathieu Marion (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Les mots blessants forment une catégorie disparate, allant du simple péjoratif, par ex. « peureux », à l’usage d’un langage génocidaire, tel que « rat » pour désigner les Juifs dans l’Allemagne nazie. Il ne sera question dans cette présentation que des termes racistes, allant jusqu’au langage génocidaire. Les péjoratifs ont donné lieu à un vif débat en philosophie du langage, dont je présenterai les grandes lignes, pour ensuite me concentrer sur l’approche d’Elisabeth Camp, selon laquelle en utilisant un de ces termes un locuteur accomplirait deux actes de langage, soit attribuer au destinataire l’appartenance à un groupe, et exprimer une attitude dénigrante envers ce groupe. La simple expression d’une telle attitude ne m’apparaît pas être une façon adéquate de capturer pleinement ce qui fait la spécificité des injures racistes et de leur signification. Après avoir donné mes raisons, je proposerai, en me basant sur les travaux de la philosophe Lynn Tirrell et de la sociologue Maryse Potvin, d’intégrer à celle-ci ce qu’on peut appeler les premiers « paliers » du discours raciste, que sont le marquage d’une frontière entre « nous » et « eux » (ce qu’accomplirait ici le premier acte de langage), et l’infériorisation du groupe dénigré, plutôt que l’expression d’une attitude qui serait celle du locuteur.
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Communication orale
Analyse de la pragmatique du langage de la pornographie et du langage racisteYannick Gingras (UQAM - Université du Québec à Montréal)
La philosophie du langage contemporaine offre des pistes de réflexion pour comprendre les mécanismes du discours de la haine. Cette présentation se limitera à la discussion de certains aspects de l’analyse pragmatique du langage, à partir des travaux de J. L. Austin. Après un rappel des notions d’acte « illocutoire » et d’effet « perlocutoire », j’analyserai, entre autres à partir des travaux d’auteures féministes telles que Catherine Mackinnon et de Rae Langton, les phénomènes de subordination des femmes et de leur réduction au silence (silencing) dans le langage de la pornographie, et je montrerai l’existence de phénomènes analogues dans le cas du langage raciste. En effet, dans les deux cas, les actes « illocutoires » ont pour effet de subordonner les membres des groupes visés, et leurs effets « perlocutoires » sont de légitimer une attitude discriminatoire envers elles.eux
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Communication orale
Énoncés génériques normatifs et constructionnisme socialRoxane NOËL (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Les énoncés génériques, tels que “Les chameaux ont des bosses”, portent sur une catégorie, naturelle ou non, à laquelle on attache une ou plusieurs caractéristiques considérées typiques des individus appartenant à ce groupe. Ils posent des problèmes intéressants sur le plan formel, car ils ne peuvent être analysés comme des énoncés tombant sous la portée d’un quantificateur universel. Bien que nous considérons que “Les lions ont des crinières” est un énoncé vrai, nous savons fort bien que ce ne sont pas tous les lions qui ont une crinière, ni même la majorité des lions. Des problèmes sont soulevés par les énoncés génériques ayant un poids normatif, tels que “Les hommes ne pleurent pas”. Ici, il ne s’agit pas seulement de décrire une manière d’être typique des membres du groupe “hommes”; il s’agit surtout de véhiculer de l’information à propos des comportements appropriés (ou non) pour les individus appartenant à ce groupe.
Je m’intéresserai donc aux conditions sous lesquelles les énoncés génériques à propos des groupes sociaux acquièrent une dimension normative. Grâce aux travaux récents de Sarah Jane Leslie, j’examinerai les manières par lesquelles ces énoncés exercent effectivement cette fonction en influençant les comportements et les cognitions des individus. Par la suite, j’invoquerai le constructionisme social de Sally Haslanger comme cadre conceptuel permettant d’amener une solution aux effets négatifs des énoncés génériques tels que décrits par Leslie. -
Communication orale
Groupes ethniques et raison publiqueOlivier Santerre (Université Laval)
Dans Libéralisme Politique, John Rawls soutient que les discussions publiques ayant pour objets des questions de justice fondamentale devraient prendre la forme d’un échange de raisons publiques. Ces raisons sont publiques, entre autres, en tant qu’ils « sont fournis par les idéaux et les principes exprimés par la conception de la justice politique de la société ». Lorsqu’il y a une grave dispute à propos de l’application des certains principes, mais surtout lorsque les groupes en conflit en viennent « à douter de [la] sincérité les uns envers les autres dans leur allégeance aux valeurs politiques fondamentales », Rawls croit que les membres d’un groupe pourront exposer ce qui, dans leur doctrine compréhensive, les mène à accepter ces valeurs (p.299). Cela aura pour effet, selon Rawls, d’apaiser le doute qu’ont certains. Dans cette présentation nous voudrons répondre à la question de savoir pourquoi certains doutes concernant la sincérité des membres de certains groupes persistent. Nous exposerons, par le fait même, les différents obstacles, associés aux relations inter-ethniques, qui minent l’actualisation de l’idéal de Raison Publique.