Informations générales
Événement : 89e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 300 - Lettres, arts et sciences humaines
Description :Ce colloque aura pour objet la représentation de l’Ailleurs dans la fiction québécoise (tant anglophone que francophone). La prolifération de fictions exotopiques (qui explorent les pays étrangers) est un phénomène de plus en plus remarqué dont nous chercherons à dégager les enjeux. Au-delà du goût de l’exotisme, que peut impliquer cette migration de l’imaginaire hors du territoire natal? Dans quelle mesure entraîne-t-elle, pour qui écrit, un nouveau contrat passé avec la communauté d’origine, et, du côté de la réception, une redéfinition du concept de « littérature nationale »? Peut-on y lire un signe d’ouverture au monde? Une évasion hors de l’exiguïté identitaire? Un effet de la mondialisation et de l’intensification des flux migratoires?
Par souci de cohérence méthodologique, nous approcherons l’Ailleurs comme espace géopolitique hors des frontières du Canada, en analysant ses représentations et les affects qu’il génère à partir du lieu même comme espace physique (climat, paysages, villes, moyens de transport, habitations, etc.), des habitants (corporalité, sociabilité, sexualité, etc.), des manières de vivre (mœurs, traditions, conditions socio-économiques) et de la langue (incidences sur la communication).
Sur le plan du parcours narratif, trois modèles de base se présentent. Le plus courant correspond aux « fictions de voyage » : pour une raison ou une autre (fuite des origines, goût de l’aventure, amour, profession, tourisme, etc.), un.e protagoniste se rend à l’étranger, expérience qui souvent le.la transforme. D’autres récits mettent en scène des personnages québécois déjà installés ailleurs qu’au Canada : expérience d’immersion où se profile là encore une dialectique entre l’identité natale du sujet et ce que l’Ailleurs lui donne à vivre. Enfin, on trouve aussi des fictions exotopiques qui ne comportent aucun personnage québécois. Dans ce cas, la rupture totale avec le lieu natal demande à être interrogée : où conduit cette dénationalisation du sujet?
L’enquête peut également interroger les relations entre la fiction, le voyage et le tourisme en tant que discours et pratiques culturelles. Peut-on établir une corrélation entre le récit exotopique et le développement du tourisme de masse? Qu’en est-il aussi des « destinations » qu’explorent ces récits? Certains lieux du monde exercent-ils un pouvoir d’interpellation plus fort que d’autres? Comment se dessine la « carte du monde » des fictions québécoises? Dans tous ces cas, les marqueurs de distance, de proximité, d’interpellation, de résistance, d’incompréhension, etc., fourniront les matériaux d’une cartographie de l’imaginaire.
Date :- Dominique Garand (UQAM - Université du Québec à Montréal)
- Pierre Rajotte (UdeS - Université de Sherbrooke)
- Lianne Moyes (UdeM - Université de Montréal)
Programme
Session 1
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Communication orale
Relire le roman «Restons chez nous!» à l’aune de l’exotopiePierre Rajotte (UdeS - Université de Sherbrooke)
Les romans québécois du début du XXe siècle sont généralement lus dans une perspective endotopique. Le plus souvent, il s’agit de montrer qu’ils confortent une propagande régionaliste/nationaliste qui prône l’enracinement sur le territoire québécois. Cette vulgate s’impose tout particulièrement lorsqu’il est question des romans du terroir. Si un personnage quitte la « terre paternelle », c’est inéluctablement pour mieux y revenir repentant et disposé à se conformer aux diktats de l’agriculturisme. Or, une lecture plus nuancée est-elle possible ? Peut-on prendre en considération le désir de départ et l’appel de l’ailleurs exprimés dans ces fictions sous un autre angle interprétatif ? La présente communication tente de répondre à cette question à partir d’un roman au titre particulièrement évocateur : Restons chez nous !, publié en 1908 par Damase Potvin. La lecture traditionnelle considère qu’il s’agit d’un « roman à thèse » dont « le déroulement de l’intrigue a la précision d’une mécanique » et qui a servi de « prototype à quelque soixante-dix romans agriculturistes » (DOLQ). Or, l’appel de l’ailleurs qu’on y trouve est-il forcément réductible à faire valoir la thèse ? Peut-on y relever ce que Susan Rubin Suleiman appelle « les failles du roman à thèse » ? Et le cas échéant, de quoi ces failles sont-elles significatives ? L’objectif est donc ici de reconsidérer ce roman à l’aune d’une approche qui tente d’y activer certaines virtualités non encore actualisées.
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Communication orale
Ovide Plouffe débarque à ParisYan Hamel (TÉLUQ - Université du Québec)
Cette communication se penchera sur 12 romans québécois écrits par Victor Lévy-Beaulieu, Marie-Claire Blais, Anne Hébert, Hélène Frédérick, Jacques Godbout, Jacques Poulin, Gabrielle Roy, Gail Scott et Michel Tremblay. Publiés entre 1961 et 2014, ces textes ont un point en commun : ils montrent un personnage d’origine canadienne-française se trouvant à Paris. La communication examinera de quelle façon nos romanciers ont voulu s’accaparer la « Ville lumière », la refaire à leur mesure, afin de tailler à notre littérature une place sur le terrain d’élection propre aux génies français qui ont dominé le genre pendant près de 150 ans. À la recherche du romanesque véritable, celui de Hugo, de Zola, de Proust, d’Hemingway ou des surréalistes… le roman québécois de Paris fut cependant, chez tous les auteurs considérés, une paradoxale fiction de la déception a-romanesque. Ce qui aurait dû faire l’intérêt de Paris — l’enchantement, le conflit, le foisonnement des types humains et les possibilités infinies d’échapper à la médiocrité — est justement ce qui ne se laisse pas saisir par nos héros, ce que ne met jamais en texte notre imagination, sinon à la manière de ce qui était attendu, mais qui n’a pas eu lieu. En relevant des similitudes fortes entre les grands motifs et les principales situations romanesques mises en texte, la communication montrera comment Paris est toujours restée chez nos romanciers la capitale d’un dégonflement naïf et pathétique.
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Communication orale
Mettre table sur carte : géographie, personnages et sujets du roman québécois de l’AilleursPascal Brissette (Université McGill), Julien Vallières (Université McGill)
Les statistiques textuelles peuvent-elles nous aider à comprendre la manière dont la littérature québécoise envisage l’Ailleurs? Si elles ne peuvent remplacer la lecture attentive et l’intelligence herméneutique, elles peuvent à tout le moins nous aider à élargir l’angle d’analyse et à prendre en compte plus que le 1 % des œuvres qui retiennent habituellement l’attention des spécialistes. Quels pays, régions ou villes le roman exotopique québécois privilégie-t-il? Observe-t-on une variation significative de ces lieux de prédilection au fil des décennies? Existe-t-il une corrélation entre les lieux, les types de personnages et les sujets des fictions? La fiction exotopique est-elle davantage pratiquée par les auteur·e·s masculins ou féminins? Quelles œuvres se démarquent par la variété des lieux évoqués?
Dans la foulée de travaux menés au croisement de l’histoire littéraire, des sciences informatiques et de la statistique, cette communication voudrait contribuer à brosser un portrait de la fiction exotopique québécoise. Elle recourra principalement à la riche base de données « Romans à lire », une ressource produite par la Grande Bibliothèque et qui recense, à ce jour, plus de 11 000 romans québécois du XIXe au XXIe siècle, dont 1600 situent l’entièreté de leur action hors des frontières du Canada. Pour répondre aux questions posées ci-dessus, on recourra aux champs sujets, types de personnage et lieux géographiques composés par les bibliothécaires de la Grande Bibliothèque.
Session 2
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Communication orale
Voyages sans retours : les nouvelles de Mavis GallantLianne Moyes (UdeM - Université de Montréal)
L’importance du voyage dans la fiction de Mavis Gallant est mise en évidence dans les titres des recueils Voyageurs en souffrance, Going Ashore, In Transit, Paris Stories et The Other Paris. Les œuvres critiques Variétés de l’exil et Les belles étrangères : le Canadiens à Paris mettent également l’emphase sur le mouvement et la délocalisation. Les nouvelles de Gallant présentent des personnages à Paris, dans le sud de la France, en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Suisse, en Angleterre et en Europe de l'Est. Le voyage chez Gallant n'est pas délimité par un début ou une fin ; il n’est pas touristique, mais guidé par une curiosité intellectuelle—à propos de l'histoire du fascisme en Espagne ou en Allemagne, par exemple. Bien qu’elles soient rarement autobiographiques, les histoires de Gallant offrent tout de même des références indirectes à ses propres voyages ou, du moins, à une exploration de la délocalisation. Au sein de l’univers fictionnel, le voyage permet à Gallant d'explorer les modalités de la rencontre et l'intensification des paysages émotionnels qui accompagnent cette délocalisation. Le « chez-soi », dans ce contexte, devient une catégorie très instable. Bien que Gallant ne soit jamais revenue à Montréal, le « chez soi » qu’est Montréal pour Gallant demeure un point de référence constant, quoique compliqué. Travaillant à partir du recueil Home Truths, cette communication explorera ce que l'on entend par « voyage » et par « chez-soi » dans la fiction de Gallant.
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Communication orale
Voyage vers une société hyperréelle : l’imaginaire américain dans le roman de la route franco-canadienLeah Sandner (UdeM - Université de Montréal)
Cette communication vise à une réflexion sur le roman de la route du Canada francophone et sa représentation de l’espace américain. Traditionnellement, il met en scène un sujet en quête d’identité qui se propose de la retrouver aux États-Unis. Nombreux sont les écrivains qui, depuis les années 60, ont contribué à ce genre littéraire, mais une lecture attentive de leurs œuvres révèle une différence dans la manière dont le récit de voyage fictif est abordé par les hommes et les femmes ; tandis que les premiers s’expriment avec plus d’autonomie, ces dernières sont entravées par leur statut de femme. Or, leur périple en terre américaine n’en est pas moins captivant. Nous analyserons les romans « de la route » de trois autrices canadiennes, à savoir De quoi t’ennuies-tu, Éveline ? (1982) de Gabrielle Roy, Soifs (1995) de Marie-Claire Blais et Distantly Related to Freud (2008) d’Ann Charney. Chaque récit présente les États-Unis comme un paradis dominé par des formes d’hyperréalité – pour emprunter le terme de Jean Baudrillard – où le faux ne se distingue plus du vrai. Ainsi confronté à la société étatsunienne, le personnage romanesque, désabusé, s’enfonce encore plus dans sa crise d’identité. Notre objectif sera d’étudier ce lieu paradigmatique américain. Nous examinerons non seulement les raisons motivant le voyage aux États-Unis et pourquoi ceux-ci sont choisis comme lieu de destination, mais également ces formes hyperréelles et leur impact sur la quête du sujet canadien.
Dîner
Session 3
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Communication orale
«Mater Europa», roman allemandMarilyne Lamer (UQAM - Université du Québec à Montréal)
De Jean Éthier-Blais, les historiens de la littérature ont surtout retenu ses essais, notamment ses Signets. Moins connue, son œuvre romanesque est pourtant remarquable, car elle révèle le riche imaginaire germanique de cet écrivain qui a séjourné en Bavière dans le cadre de ses fonctions de diplomate pour le ministère des Affaires extérieures du Canada.
L’Allemagne est le cadre principal dans lequel se déroule le roman Mater Europa (1968) : on y trouve en outre les descriptions du château médiéval d’une baronne semblant tout droit sorti d’un conte de Hoffmann, ainsi que des évocations des lieder de Schumann, un almanach de Gotha, etc. Narrant le récit de l’éducation, du développement et de la maturation du jeune Théodore Salandon, Mater Europa se présente sur le plan formel et thématique comme un Bildungsroman, ce genre romanesque qui prend racine dans l’Allemagne du XVIIIe siècle et qui a pour prototype Les années d’apprentissage de Wilhelm Meister de Goethe. Le spectre du maître de Weimar hante d’ailleurs le roman : ce sont les vers goethéens qui conduiront le jeune protagoniste à la découverte de sa vocation d’écrivain. C’est dire que l’influence de l’Ailleurs se manifeste non seulement sur le plan thématique de ce roman, mais formel et esthétique.
Au confluent de l’histoire littéraire et de la poétique des genres, ma communication tentera de saisir, à partir de Mater Europa, la forme que prend l’imaginaire germanique dans la littérature québécoise.
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Communication orale
La trilogie états-unienne d'Andrée-A. Michaud : aux frontières de l'ipséité et de l'altéritéJean Morency (Université de Moncton)
Dans un entretien accordé au magazine web Milieu hostile, la romancière Andrée-A. Michaud explique que Mirror Lake (2006), Lazy Bird (2010) et Bondrée (2013) forment ce qu’elle nomme sa trilogie états-unienne, « en ce sens que ces trois romans se passent dans des états partageant une frontière avec le Québec ou se situent à la frontière même entre le Québec et les États-Unis ». Elle précise ainsi sa pensée : « Dans les trois cas, j’y aborde la question de la langue, qui nous amène inévitablement à ce qui distingue la culture québécoise de la culture états-unienne, mais aussi aux points communs entre ces deux cultures qui participent d’une nord-américanité qui pour moi est fondamentale ». Le but de cette communication consiste à étudier les particularités de l’usage que fait Michaud des possibilités offertes par le modèle de la fiction exotopique dans sa trilogie états-unienne, en ayant recours notamment à un décor où se brouillent les frontières de l’ipséité et de l’altérité, ainsi qu’à des personnages qui sont caractérisés par une esthétique de l’entre-deux. Il s’agira aussi d’élaborer sur la conception que se fait Michaud de l’américanité, en relation avec celle qui s’impose de plus en plus dans le roman québécois contemporain, où la culture états-unienne est devenue une référence incontournable.
Session 4
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Communication orale
Alan Turing vu du QuébecRobert Dion (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Publié en 2019, la Joie discrète d’Alan Turing, roman de Jacques Marchand, s’inscrit dans un mouvement général de réhabilitation de la figure du génial mathématicien anglais et précurseur de l’intelligence artificielle mort en 1954. Après le succès de M. Tyldum, The Imitation Game (2014), Indécence manifeste (2009) de D. Lagercrantz et quelques romans biographiques, sans oublier de nombreuses biographies comme Alan Turing : the Enigma (A. Hodges,1983), le livre de Marchand arrive en territoire déjà très bien balisé. Sans du tout remettre en question la légitimité d’un auteur du Québec à s’approprier l’histoire d’un héros tragique britannique dont la destinée n’a aucunement croisé notre trajectoire historique, il est néanmoins pertinent de se demander ce qu’un regard québécois est susceptible d’apporter de neuf ou de spécifique. La question est d’autant plus intéressante que le narrateur se met en scène dans le roman en enquêteur à la recherche des témoins et des traces de l’existence de Turing, entre Cambridge, Bletchley Park et Manchester. C’est cette question de l’éventuelle spécificité d’un regard québécois sur un personnage historique étranger qui me retiendra dans cette communication, ainsi que celle, plus large, d’un possible apport particulier de l’écriture biographique, ou plutôt « biographoïde », pour l’élaboration de fictions exotopiques qui rompraient aussi bien avec un imaginaire local qu’avec le « service national obligatoire » (J. Godbout).
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Communication orale
«Là comme partout ailleurs, sans savoir vraiment ce que je suis venu y faire» : déracinement et projection exotopique chez Éléonore LétourneauDominique Garand (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Trois des quatre romans publiés à ce jour par Éléonore Létourneau (née en 1981) mettent en scène des personnages dont la quête de sens se traduit par le besoin de se rendre à l’étranger. Un même mal de vivre les apparente : déracinés, ils éprouvent des difficultés à établir des relations significatives avec autrui, leurs projets échouent tant sur le plan professionnel qu’amoureux et ils peinent à trouver leur place dans le monde. Dans Notre duplex (XYZ, 2014), Véronique se voit refuser un projet de film qu’elle a peaufiné pendant des années et décide de se rendre à Paris pour fuir un monde qui ne veut pas d’elle. Dans Il n’y a pas d’erreur, je suis ici (XYZ, 2018), le narrateur, atteint d’une maladie dégénérative et désabusé de tout, se tourne vers Venise dans l’espoir secret de s’accorder «une dernière chance de réintégrer le monde des vivants». Enfin, dans Une forme claire dans le désordre (VLB, 2021), quatre amis artistes disséminés à travers le monde se donnent rendez-vous à Rome, là où ils se sont connus vingt ans auparavant, dans le but de ranimer leur amitié et tirer un bilan de leur vie.
Ma communication se propose de cerner la valeur sémantique et affective attribuée à l’Ailleurs dans l’œuvre de Létourneau. J’examinerai de quelle manière les lieux choisis répondent à la quête des personnages. J’inscrirai en outre l’œuvre de l’autrice dans une tendance du roman québécois contemporain, qui ne situe plus l’Ailleurs en conflit ou en opposition avec l’espace québécois.