Informations générales
Événement : 85e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 300 - Lettres, arts et sciences humaines
Description :Des recherches récentes dans le domaine des études rituelles suggèrent que les rites doivent être étudiés « rituellement » (McGann) et considérés « en eux-mêmes », de « leur propre droit » (Handelman et Lindquist), de façon à dépasser l’opposition implicite de la pratique des agents rituels à la théorie des chercheurs (Bell). Certains auteurs arrivent même à proposer l’abandon de « l’athéisme méthodologique » et l’engagement d’un « théisme méthodologique » (Piette).
En se concentrant sur l’écart épistémologique qui s’installe entre la pratique rituelle et les théories scientifiques sur les rites, ce colloque se propose de faire avancer les connaissances au-delà de l’impasse qui semble les faire s’arrêter précisément devant les connaissances pratiques et intuitives des rites eux-mêmes. En d’autres termes, il s’agit dans ce colloque de mettre en question l’écart entre les savoirs « internes » et les savoirs « externes » aux rites, et ce, dans le but de soulever les enjeux épistémologiques et méthodologiques liés à l’étude interdisciplinaire des rites. Si les rites sont des jeux linguistiques caractérisés par une multiplicité de langages (verbaux, gestuels, iconiques, musicaux, etc.) mobilisés de façon simultanée, l’étude critique des rites gagne à être interdisciplinaire (sociologie, anthropologie, sciences des religions, théologie, études liturgiques, littérature, musique, arts, etc.) non seulement afin d’arriver à une description plus exhaustive de l’action rituelle de l’extérieur, mais aussi afin d’accorder une place aux sens et aux significations internes au rite lui-même.
Ce colloque désire entrer dans ce débat dans le but de faire avancer les connaissances dans le domaine des études rituelles, notamment par le biais de la discussion méthodologique.
Qu’est-ce que l’on entend par rite? Quelle est la part du religieux dans les rites profanes? Ou encore, quelle est la part du profane dans les rites religieux? Et où passe la frontière entre le religieux et le séculier? Et qu’est-ce que l’on entend par « religieux » dans ce contexte? Qu’est-ce que l’utilisation de la notion rite dit de notre conception des sciences humaines? Quel rapport s’établit entre nos pratiques de recherche et d’enseignement sur les rites et la manière dont les rites sont élaborés, transmis et réinventés par les agents rituels eux-mêmes? Les agents rituels ritualisent à partir de connaissances « internes » aux rites, souvent des connaissances pratiques très complexes. Prendre en considération les connaissances internes revient-il nécessairement à se laisser « mystifier » par le rite (voir le différend entre Lévi-Strauss et Mauss sur le hau des Maoris)? Toutes ces questions renvoient à la nécessité contemporaine de redécouvrir et développer une « raison sensible » (Maffesoli), et non simplement une raison détachée. Elles exigent que l’on reprenne la réflexion épistémologique ainsi que le débat méthodologique dans le domaine des études du rite.
Date :Programme
Session d’introduction
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Communication orale
Pourquoi (ne pas) se laisser « mystifier » par les rituels? Mauss, Lévi-Strauss et Hénaff sur le « hau » maoriPatrice Bergeron (Université Laval)
Dans son «Essai sur le don», Marcel Mauss fait appel à un terme maori - le hau qui désigne la force spirituelle de la chose donnée - pour rendre compte du caractère obligatoire des rapports de don dans les sociétés segmentaires, ce que Claude Lévi-Strauss n’a pas manqué de lui reprocher : «Ne sommes-nous pas ici devant un de ces cas où l’ethnologue se laisse mystifier par l’indigène?»
Marcel Hénaff a repris cette question en donnant raison à Mauss sur ce point, mais sans pour autant disqualifier le structuralisme de Claude Lévi-Strauss. Pour quelles raisons précisément Hénaff choisit-il de revenir à Mauss après être passé par Lévi-Strauss sur cette question? Que peut nous apprendre ce débat et sa reprise par Hénaff sur l’étude des rituels, et en particulier sur le rapport entre les connaissances dites «externes» développées par les chercheurs et les connaissances dites «internes» de ceux et de celles qui y participent? Ce sont de telles questions que j’aborderai dans cette communication, en montrant comment, par-delà le cas théorique du hau maori, c’est la manière même d’étudier les rituels qui est en jeu dans ce débat. Et curieusement, ce débat rejoint à sa façon la situation inconfortable des théologiens chrétiens aux prises avec les rituels chrétiens.
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Communication orale
L’analyse de la mise en récit de l’expérience pèlerine à Compostelle : une connaissance médiate?Pierre Rajotte (UdeS - Université de Sherbrooke)
La connaissance que nous avons d’une expérience rituelle est largement tributaire du témoignage ou du récit qui nous la donne à connaître. De ce truisme, on pourrait être tenté d’inférer qu’étudier le récit, à l’aide d’un savoir théorique et méthodologique, conduit nécessairement à une meilleure compréhension de l’expérience. Or, le présent colloque, qui porte sur l’opposition implicite entre la pratique des agents rituels et la théorie des chercheurs, m’incite à me questionner sur ce chainon souvent indispensable entre la pratique et la théorie, à savoir le récit qui témoigne de la pratique et sur lequel peut s’appliquer la théorie. L’analyse du récit implique-t-elle que la connaissance que nous avons de l’expérience rituelle est forcément médiate? La théorie nous donne-t-elle une meilleure connaissance de la mise en récit que de l’expérience proprement dite, confondant du coup le moyen et la fin, ou au contraire, rend-elle possible une meilleure compréhension de l’expérience grâce à l’interprétation du récit qu’elle permet? La présente communication vise à explorer cet écart épistémologique entre l’expérience et sa mise en récit. À partir d’un extrait du récit Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi (2013) de l’écrivain, académicien et pèlerin Jean-Christophe Rufin, elle tentera de cerner la connaissance et la compréhension que l’étude du récit nous donne de l’expérience rituelle du pèlerinage à pied sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle.
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Communication orale
De l’in-observableÂngelo Cardita (Université Laval)
Pour le sociologue allemand, Niklas Luhmann, la religion appartient à la société en tant que sous-système façonné par la communication à son intérieur ainsi que par la communication vers l’environnement extérieur. La religion est, donc, un sous-système autopoïétique autonome, mais toujours en relation avec d’autres systèmes sociaux par la double fermeture/ouverture qui caractérise tout système communicatif. À l’intérieur d’une religion, les rites reproduisent ce même mécanisme.
La religion comme communication se présente comme une proposition épistémologique, basée sur les paradoxes de l’observation. Celle-ci consiste dans la reconnaissance d’une différence à partir d’une position qui laisse quelque chose dans l’ombre de l’inobservable. En observant, l’observateur observe la différence, mais il ne peut jamais observer son propre acte d’observation.
C’est ici que la religion comme système de communication autopoïétique montre sa pertinence, parce qu'elle ne ferait qu’essayer d’observer l’unité paradoxale de la différence entre l’observable et l’inobservable, notamment dans ses rites. La « réalité de la réalité » est ce que l’on n’observe pas quand on est en train d’observer la réalité, mais la religion crée la différenciation qui permet d’observer le paradoxe de toute observation. Si une communication est religieuse quand elle observe l’immanence du point de vue de la transcendance, un rite sera religieux non seulement quand il observe l’immanence du point de vue de la transcendance, mais aussi quand il crée cette différence.
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Communication orale
Ritualités queer néo-païennes : enjeux méthodologiques liés à l’expérience et au récitMartin Lepage (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Mes recherches doctorales portent sur les négociations identitaires queer en contexte religieux néo-païen et se situent à la rencontre de plusieurs perspectives disciplinaires et méthodologiques. D’une part, les Pagan Studies sont majoritairement menées par divers chercheurs qui s’identifient en tant que païens. D’autre part, les études féministes de toutes disciplines proviennent pour la plupart de femmes, alors que les études de genre, gaies et lesbiennes, sont généralement menées par des individus LGBTQ. Pourtant, à l’intersection de ces deux communautés, ma relation d’appartenance à mon objet de recherche, en tant que chercheur, s’est vue questionnée à différents degrés, tant sur le terrain que du point de vue de la recherche académique. Cette communication s’intéresse aux différents rapports de pouvoir qui ont émergé de mes recherches et à l’impact d’une double appartenance à une communauté à l’étude sur leur réalisation. Elle décrira d’abord de manière plus spécifique ma relation à mon objet de recherche et les enjeux théoriques et méthodologiques qu’impliquent une appartenance identitaire. En examinant certaines ritualités néo-païennes, elle décrira aussi comment j'ai problématisé ma méthodologie afin d’approfondir les relations entre les données décrites comme émiques et étiques.
Session thématique : de l’expérience interne du rituel à sa critique externe
Repas du midi
Session d’enquête (Partie 1)
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Communication orale
Comment aborder les nouveaux rites autochtones chez les Hurons-Wendats aujourd’hui?Denis Boivin (Université Laval)
Mes récentes études sur le rituel m’ont invité à revisiter mes voisins Wendats afin d’explorer où ils en étaient avec leurs cérémonies de plus en plus nombreuses. Je dois avouer qu’il y a une vingtaine d’années, mon métier de cinéaste m’a amené à boire à la source nouvelle de leur spiritualité qui avait été enterrée depuis quelques siècles. L’histoire est ainsi. La conversion au christianisme a eu cette conséquence, comme chez plusieurs autres Premières Nations du Canada et à travers le monde. Aujourd’hui, on peut assister à divers rituels déclinés en cérémonies de bienvenue (accueil des invités), de purification (ou rituel de passage) et même de renouement conjugal.
Alors la question se pose : comment, chercheurs en sciences des religions, pouvons-nous aborder ces nouveaux rites ? Comment retracer les continuités renoncées depuis tant d’éclipses solaires et lunaires ? Depuis à peine un quart de siècle, en quête d’identité renouvelée où les Hurons se sont reconnus Wendats, ne peut-on pas parler d’authenticité devant ce que certains définissent comme du néo-spirituel ?
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Communication orale
Le pleur ritualisé chez les Xikrin Mẽbengokre du Brésil : entre obligation rituelle et expression des émotionsJean-Bruno Chartrand (UdeM - Université de Montréal)
L'objet de cette enquête sera de présenter comment une pratique rituelle, en l'occurrence le pleur rituel réalisé par les femmes Xikrin Mẽbengokre du Brésil, permet la transmission et le partage d'affects individuels vécus collectivement. La performance rituelle permet alors ce que Gregory Urban (1986) nomme la communication indirecte ou overheard communication alors que les codes normaux de communication sont délaissés au profit de symboles partagés par les participants. Lors de cette performance, l'essentiel des propos partagés se centre sur les émotions vécues, et ce, socialement. Ce partage émotionnel passe à travers une forme de pleur enseigné par les femmes plus âgées aux femmes plus jeunes et est porteur de processus stylistiques particuliers en plus d’être pratiqué dans des contextes précis comme des décès ou des départs prolongés. Ce type de rituel met donc en scène des femmes qui performent un pleur obéissant à une structure rigoureuse à travers laquelle sont exprimées des émotions pour un auditoire. Il est donc possible d’opposer la dynamique interne du rituel à sa dynamique externe. En d’autres termes, l’émotion qui est présente dans le rituel et qui exprimée à travers une performance peut-elle être étudiée depuis l’extérieur du rite? Doit-on comprendre cette émotion comme moteur de l’action rituelle ou seulement comme partie intégrante d’une structure à laquelle il faut simplement obéir? À travers un aperçu ethnographique des particularités sociales, mythologiques et rituelles des communautés Gê, et plus spécifiquement des groupes Mẽbengokre formant la partie septentrionale des Gê, il sera question de la pace des émotions dans le rituel de pleur et de son étude.
Session pratique : laboratoire rituel
Session d’enquête (Partie 2) et clôture
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Communication orale
Théâtre rituel et jeu liturgique : une étude de casRémi Lepage (USP - Université Saint-Paul)
La liturgie chrétienne est parfois présentée comme un jeu (Guardini, Terrin), de manière à faire ressortir notamment qu’elle est une action qui implique tous ses participants. Le symbole du jeu aide à réduire l’écart entre le discours qui décrit le rite comme une action et l’expérience concrète de celui-ci qui laisse à plusieurs l’impression de les confiner à la passivité. Mais comment permettre à ce discours sur le jeu de faciliter le déploiement du caractère ludique des rites chrétiens traditionnels?
L’auteur examinera cette question à partir de l’étude de cas d’un théâtre rituel qu’il a co-animé avec une collègue au Centre Victor-Lelièvre (Québec) en novembre 2009. Ce théâtre consistait en une ritualisation de quelques récits évangéliques entourant la naissance de Jésus de manière à les incorporer et à faciliter une (re)naissance intérieure chez les participants. Cette expérience sera analysée en recourant surtout aux notions de «rituel émergent» et d’«agent ritualisé» (Grimes et Bell).
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Communication orale
Le procès d’actes criminels scandaleux en tant que rituel de contrôle social : quel futur pour le droit moderne et la subjectivité populaire?Vincent Dalpé (Université McGill)
Dans Surveiller et punir, Foucault décrit notamment l’exécution publique sous l’angle du vécu : la foule le reçoit avec une forme de fascination macabre et, surtout, avec passion. D’autres auteurs (Evans, Hay et Comaroff) abordent aussi le procès pénal sous l’angle du rituel. Tout comme Foucault, ces derniers en concluent que les connaissances intuitives des participants – la pleine subjectivité de leur expérience – sont au cœur de la réussite de ce rituel. Ces auteurs, au surplus, en concluent que ce rituel sert ultimement la fin politique qu’est le contrôle social.
Cette présentation entrevoit l’étude de cas du droit pénal international, percevant ce dernier en tant que prolongation de ce projet politique de contrôle social – cette fois sur l’atrocité de masse. Alors que la finalité du contrôle soit recherchée, ce projet semble toutefois souffrir d’un manque de sensibilité envers les subjectivités de ses participants (Clarke, Osiel): le droit international demande des populations post-génocidaires (habituellement non-occidentales) un procès pénal à l’occidental, style de procès manquant généralement de rejoindre la population dans ses passions pour des raisons culturelles. Il semble ainsi que les connaissances externes développées par les chercheurs (soit la capacité au contrôle social) soient ici appliquées d’une manière lourdement déconnectée des connaissances internes reflétant l’expérience intuitive des participants.