Le discours dominant sur la psychiatrie dans les sociétés occidentales propose que l’asile soit une institution du passé et que nous vivions dans une ère de désinstitutionnalisation des asiles psychiatriques. Ce discours suppose que nous sommes arrivés à un point où les « malades mentaux » ont des droits et sont traités avec dignité, et où les contentions physiques et chimiques sont des mesures exceptionnelles déployées envers les « patients » afin de les protéger ou de protéger autrui. La psychiatrie dit aider et soutenir les personnes en détresse; par contre la réalité est tout autre.
Aux États-Unis et au Canada, l’utilisation des trois principales formes d’internement, à savoir l’évaluation d’urgence de l’état mental d’une personne, l’internement involontaire et les ordonnances de traitement communautaire, a augmenté au cours des dernières décennies. Pour de nombreuses personnes, la rencontre avec ce dispositif psychiatrico-carcéral est catastrophique. En plus des nombreuses morts de personnes en détresse aux mains de la police à la suite des soi-disant « contrôles de bien-être », les « effets secondaires » des traitements psychiatriques et des contentions physiques et chimiques conduisent à une mort prématurée. En effet, la psychiatrie a toujours été liée aux questions de la vie et de la mort des patients psychiatriques en définissant qui était a/normal, quelles vies méritaient d’être vécues et quelles vies méritaient d’être oubliées ou tuées. Dans nos sociétés contemporaines néolibérales, cette obsession du complexe psychiatrico-carcéral pour l’a/normalité se traduit par l’exclusion et l’exécution systémique de strates populationnelles, telles que les Noirs, les Autochtones, les pauvres, les gens considérés comme ayant une sexualité ou un sexe déviants, etc. C’est dans ce contexte que s’inscrit notre colloque. Il constitue un lieu de réflexion au sujet de la relation entre la psychiatrie, la violence et la mort dans une perspective interdisciplinaire : historique, géographique, philosophique, antiraciste et postcoloniale.
En nous appuyant sur les théories développées par Frantz Fanon, Judith Butler, Achille Mbembe et d’autres, nous proposons de réfléchir à l’abolition de la psychiatrie, de retracer sa brutalité et d’exposer les séquelles contemporaines qu’elle a engendrées. Il faut mieux comprendre le rôle de la psychiatrie dans les processus de criminalisation, de maintien de l’ordre et de surveillance à partir des connaissances sur l’histoire de la psychiatrie et sur ses effets dévastateurs contemporains. Se situant aux croisements de la réflexion théorique et de l’action politique, cette approche permet de relever les atrocités humaines attribuables au complexe psychiatrico-carcéral afin de comprendre comment elles définissent le présent (colonialisme, esclavage, génocide, psychiatrie).