Ce colloque aborde la question de l’évolution du travail social au prisme du numérique. Malgré l’intérêt mitigé des intervenant·e·s social·e·s envers les objets numériques, ils sont maintenant omniprésents (Boullier, 2015) et indissociables du travail social (Jochems, 2023b). Le contexte de distanciation sociale liée à la pandémie de COVID-19 a attiré davantage l’attention sur ces questions de conception, d’accès et d’usages du numérique en travail social, mais a aussi soulevé des débats, voire des controverses (Latour, 2005; Boltanski et Thévenot, 1991) avec plus d’acuité qu’auparavant (Grenier, 2023; Mishna et al., 2021).
Or, qu’en est-il de l’état des connaissances et des enjeux sur le « travail social numérique » au Québec et au Canada francophone ? Pour y répondre, les contributions attendues peuvent s’appuyer sur une revue systématique de littérature 1985-2023 en anglais et en français (Jochems, 2023a) qui, pour le moins :
a) identifie et propose des analyses des problèmes sociaux à l’ère numérique (fracture numérique : Plantard 2019; acceptabilité sociale : Meyer, 2023; Hodzic et al., 2021; dématérialisation : Jacob et Souissi, 2022; asocialité en ligne : Lemay et al., 2022);
b) constate la quasi-absence de données empiriques sur l’état de l’accès, des usages du numérique et des technologies utilisées (médias sociaux : Chan, 2016; systèmes experts : Gillingham, 2019) spécifiques au travail social, notamment au Québec. Bref, les objets numériques sont une anomalie (Kuhn, 1983) en travail social (Dubasque, 2019).
c) nomme et analyse des enjeux socionumériques (éthiques : Gough et Spencer, 2021; santé du travail : Hamilton et al., 2017; universitaires : Karpman et Drisko, 2016);
d) soulève la nécessité de questionner nos cadres conceptuels et théoriques (interaction entre humains et objets numériques : Latour, 2005) et même revisiter des concepts fondamentaux (relation : Nordesjo et al., 2022; Pascoe, 2021; espace : Fierentino et al., 2022). Autrement dit, la pertinence de ce colloque est fonction de l’importance à questionner l’objet au cœur même du travail social en contexte numérique : le lien social. De fait, les définitions courantes du travail social ne permettent pas de voir et de prendre en compte les objets techniques (Nélisse, 1998) alimentant de façon persistante les logiques déterministes techniques et sociales (Jauréguiberry et Proulx, 2011).
e) et explore de nouvelles méthodologies de recherche (netnographie : Kozinets, 2015).
Enfin, cette littérature révèle aussi l’apparition récente d’un « digital social work », et d’un « e-social work » (Lopez Pelaez et al., 2023). Il sera alors fort intéressant de discuter de ce possible « moment numérique » (Sorin, 2019) du travail social au Québec et au Canada francophone. En outre, s’agit-il d’une nouvelle spécialité transversale ou d’un nouveau champ du travail social « en-train-de-se-faire » (Latour, 2007) ? Bref, voilà quelques questions qui traduisent l’étendue du terrain à labourer.