440 - L’entrevue de recherche avec des populations fragilisées : enjeux, limites et défis

La confiance en recherche est souvent présentée comme un garde-fou contre les
risques d’abus. Elle s’appuie sur différents éléments du cadre, dont le consentement
éclairé, l’accueil non jugeant de la parole du participant ou la clarté du protocole suivi.
La confiance est ainsi l’espace sécurisant préalable à la rencontre, condition pour
pouvoir se dire. Au-delà de cet élément éthique fondamental, la confiance est aussi ce
qui émerge par la rencontre : autant par la posture de l’interviewer lui-même, qui ose
s’appuyer sur son dispositif que l’effet de son propre récit sur celui qui répond aux
questions posées. La confiance n’est plus des lors seulement une question de cadre ou
de résultat et fiabilité de données mais le processus relationnel lui-même et ce qu’il
révèle de la dimension intersubjective de notre humanité. Nous réfléchirons sur ces
différentes lectures de la confiance et leur implication en recherche, en particulier dans
les méthodes qualitatives de type phénoménologique et herméneutique.

La confiance dans la recherche avec des personnes vulnérables est une condition essentielle, mais comme dans toutes entrevues de recherche qui abordent des questions personnelles, délicates ou douloureuses, qu’elles soient réalisées avec des personnes vulnérables ou non. L’établissement d’une relation de confiance doit être réfléchi en amont (processus de recrutement, lieu d’entrevue, choix des termes employés, protocole d’intervention en situation de crise, gestion du dévoilement d’informations sensibles, etc.) et lors du processus d’entrevue (style chaleureux et intérêt sincère pour le point de vue et
l’expérience de la personne interviewée, climat d’ouverture, rester à l’affut des inconforts qui pourrait transparaitre au fur et à mesure de l’entrevue, etc.). Le modèle de Bordin (1979) de création de l’alliance (lien, objectif et activité) peut être utile pour réfléchir l’établissement d’un lien de confiance.

Lors des entretiens de recherche avec des populations fragilisées, il est crucial de prendre en compte la posture de méfiance envers les institutions, posture qui n'est pas unanime chez les personnes en situation de vulnérabilité. Beaucoup y voient une occasion de partager leur point de vue et sont heureuses de savoir que leur partage pourrait avoir une utilité . La recherche est parfois vue comme une entité indépendante des institutions et devient une occasion de faire entendre leur voix quant à différentes expériences vécues avec le système de soins. 

Dans cette communication, l'accent est mis sur la création de portraits plutôt que sur des entretiens classiques. Cette approche se distingue par la nécessité de développer une relation de confiance avec le sujet, bien plus que lors d'une entrevue traditionnelle avec un directeur financier interrogé sur les résultats financiers de son entreprise. L'idée est de dépasser le simple curriculum vitae de la personne, qui se limiterait à mettre en avant ses réussites, pour tenter de saisir la véritable nature de l'individu au-delà de ses accomplissements (bien que la personnalité et les réalisations soient évidemment interconnectées). C'est dans cette optique que la rencontre a lieu chez le sujet, permettant ainsi d'explorer son cadre de vie. La séance de prise de vue est conçue comme le point de départ, créant une atmosphère détendue propice à des échanges plus intimes lors de l'entretien proprement dit. En résumé, cette approche vise à capturer l'essence véritable de la personne, en mettant l'accent sur la compréhension de sa personnalité au-delà de ses réussites professionnelles.

L’amélioration des soins de l'hépatite C, incluant la prévention, le dépistage et le traitement, nécessite une approche engageant les communautés marginalisées, notamment les personnes qui s’injectent des drogues. Plus particulièrement, il importe d’explorer les barrières organisationnelles et systémiques à l’accès aux soins, comme la stigmatisation et la discrimination. Dans le cadre du colloque de l’ACFAS L’entrevue de recherche avec des populations fragilisées : enjeux, limites et défis, cette communication présente l’expérience et les leçons tirées d’entrevues qualitatives semi-structurées avec des personnes qui s’injectent des drogues visant à explorer les barrières au dépistage de l’hépatite C dans un programme de distribution de seringues et d'aiguilles à Montréal, Canada. Les stratégies employées pour établir un climat de confiance avec les participants, essentiel pour obtenir des témoignages authentiques et fiables, seront abordées. L’impact de l'environnement physique où les entretiens ont été menés sera également examiné. La question de la vérité sera abordée sous l'angle de la complexité de recueillir des récits véridiques dans des contextes où les enjeux personnels et sociaux peuvent encourager la réticence ou la dissimulation. Cette présentation vise à enrichir la réflexion transdisciplinaire sur l'entrevue en contexte de recherche, en soulignant les défis spécifiques liés à la confiance et à la vérité lors de l’interaction avec des populations fragilisées.

La recherche en santé auprès des membres des communautés autochtones présente plusieurs défis axiologiques, épistémologiques et méthodologiques. Ces derniers relèvent notamment du besoin d’avancer vers une meilleure connaissance des réalités autochtones qui permette in fine de leur assurer un accès plus sécuritaire et équitable aux soins de santé. Par ce biais, les résultats de la recherche devraient contribuer à la réparation des traumas historiques de la colonisation tout en créant des conditions pour une réconciliation entre les peuples autochtones et les institutions publiques au Canada. Dans ce contexte, cette communication présentera les principaux défis rencontrés lors de l’utilisation du storytelling comme méthodologie décoloniale pour la recherche impliquant des membres des communautés autochtones en situation d’itinérance à Montréal. Plus précisément, la communication tournera autour des questions telles que l’établissement d’un lien de confiance avec les participants à la recherche, la place primordiale donnée à la connaissance expérientielle, le partage des traumas individuels et collectifs ainsi que autour du rôle de l’expression non verbale (artistique) dans la communication des émotions. Elle abordera également les enjeux liés à la recherche auprès de personnes en situation d’itinérance. Enfin, la place des chercheurs non autochtones et les représentations coloniales que ces derniers véhiculent parmi par les communautés autochtones sera de plus  abordée.