3 - Dé-covidiser les recherches et les pratiques éducatives?

Cette communication s’intéressera à un type d’actrices ou d’acteurs sociaux qui évoluent dans de nombreux cas initialement dans le domaine de la recherche, mais cherchent aussi à acquérir une audience qui dépasse les seuls publics académiques. Nous pensons ici aux intellectuel.le.s, individus assumant une parole publique, en particulier face aux situations critiques traversées par un pays. Nous identifierons ainsi deux dynamiques de transformation à analyser de manière parallèle. D’un côté, donc, il y a le passage de l’intellectuel.le générique (né de l’affaire Dreyfus) à l’intellectuel.le spécifique (promu.e par Foucault), puis la tentative de leur dépassement dans la figure de l’intellectuel démocratique. D’un autre côté se fait jour une tension permanente et dynamique entre la tentation de la harangue publique directe (de Sartre sur son tonneau à Billancourt en 1970 aux punchlines des intellectuel.le.s d’aujourd’hui sur Twitter durant la crise pandémique COVID 19) et la prégnance de la forme écrite de l’essai, du tract ou du pamphlet. D’orientation résolument philosophique, conceptuel et intertextuel, notre propos permettra de développer et de mettre en discussion une réflexion sur les enjeux éthico-politiques de l’assomption publique d’une posture d’autorité et de médiation dans un monde démocratique, dont la numérisation sans cesse croissante reconfigure en profondeur l’espace public et ce qui peut s’y jouer.

La période de (re-dé-)confinements aura permis de revoir un ensemble de notions conceptuelles à l’ordre du jour. Le bien-être en formation à distance a ainsi émergé des recherches (Mercier, 2020), et récemment modélisé à partir de 6 dimensions (Mercier et Lefer Sauvage, 2022). Ces dimensions renvoient à des adaptations conceptuelles issues de précédents travaux sur le bien-être des élèves (Bacro et al., 2017 ; Guimard et al., 2015 ; Ferrière et al., 2016). Ainsi, le bien-être en formation à distance semble être une notion enrichie par le contexte pandémique et adaptée au contexte. Mais les fondements conceptuels font toujours l’objet de discussions (Galand, 2022 ; Voyer et Boyer, 2001). L’histoire notionnelle du bien-être rappelle l’histoire notionnelle de l’estime de soi en psychologie (Martinot, 2002), ainsi que ses moyens d’évaluations (modélisation en facteurs, analyses comparatives et différentielles interculturelles, Florin et al., 2021 ; Mercier et al., 2021). Cette communication sera donc l’occasion d’interroger les déplacements conceptuels et épistémologiques de cette notion psychologique construite en contexte, en prenant le point de vue inverse : en quoi cet artefact culturel donne du sens aux recherches eurocentrées en psychologie ? Plus spécifiquement, il s’agira d’identifier les rapports entre contexte et culture (Sabatier, 1994), dans une approche émic, et socio-constructi-relativiste, pour redonner du sens et une forme à l’esprit du bien-être (Bruner, 1991).

Cette contribution mobilise les résultats d’une recherche initiée par le Bureau International de Jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Belgique) dans le cadre du dispositif européen RAY (Research based analysis of European youth programmes) et portant sur l’impact de la pandémie du Corona sur le travail de jeunesse.

En mars 2020, les activités des écoles de Belgique francophone sont totalement suspendues puis partiellement réouvertes jusqu’aux vacances d’été. Après la rentrée scolaire de septembre 2020, les protocoles sanitaires obligent à une réorganisation du travail scolaire privilégiant un apprentissage à distance. Les pouvoirs publics, inquiets d’une accélération du décrochage scolaire et social, se tournent vers les intervenants des maisons de jeunes, des services d’aide à la jeunesse, des organisations de jeunesse, et les invitent à développer des initiatives visant à offrir « un cadre de socialisation » et à fournir « une bulle d’oxygène » aux enfants et aux jeunes. Si dans l’École il s’est agi de préserver des habitudes de travail en les adaptant à un environnement numérique, les travailleurs de jeunesse ont pour leur part inventé de nouvelles démarches pédagogiques. Au départ des réflexions partagées par ces professionnels durant des focus groupes, nous rendrons compte des tensions inhérentes à ce processus de remodelage de l’action éducative et débouchant sur une critique radicale d’une conception de la jeunesse qui serait réduite aux « adultes de demain ».

La pandémie, à travers un recours au distanciel forcé, a mis en exergue les pratiques étudiantes mobiles préexistantes à la crise et les problématiques que les étudiants ont rencontrées dans cette forme d’apprentissage, comme celles qu’ils rencontrent quotidiennement encore dans leurs cursus universitaires à Mayotte. L’influence que ce vécu a sur leurs perceptions du distanciel, sur les dispositifs hybrides de formation (Peltier, 2021) et sur la continuité pédagogique est conséquente. Cette communication questionne la genèse d’un distanciel et de dispositifs de formations hybrides effectifs et adaptés au territoire, au plus proche des pratiques étudiantes. Ce programme, porté par le projet X-MEM, a pour objectif une transformation numérique globale du Centre Universitaire de Mayotte (CUFR). Pour cela une méthode qualitative a été employée, avec des données issues de focus groups réalisés avec des étudiants de master 1 et 2 en formation d’enseignants (MEEF), des observations ethnographiques ainsi que des entretiens individuels ouverts au sein du CUFR.

En raison de la pandémie, les enseignant⋅e⋅s et formateurs⋅rices de la maternelle à l’université ont dû basculer d’un enseignement « en présentiel » à un enseignement à distance ou hybride, alternant des temps synchrones et asynchrones, en vue d’assurer la « continuité pédagogique » prescrite par l’institution. Cette dérégulation sans précédent a provoqué l’émergence de pratiques enseignantes distancielles adaptatives plus ou moins efficaces au regard de l’enjeu recherché et généré des redéfinitions des temps et des espaces d’enseignement/apprentissage (E/A) entraînant de nouvelles pratiques d’accompagnement. Dans une classe réelle, faire classe, c’est être ensemble dans le même lieu et au même moment. En revanche, dans la classe virtuelle, l’enseignant·e et ses élèves sont réunis grâce à un système de visioconférence qui permet au groupe d’individus de se voir, de se parler, de communiquer via un chat en ligne et/ou par audio, de partager et d’échanger des documents audio et/ou vidéo. Dans le contexte de deux Ingénieries Hybrides Didactiques Cliniques Coopératives (français au collège et EPS en lycée), nous interrogeons la notion de présence et les formes que peut prendre la présence à distance pour accompagner les apprentissages dans les phases synchrones et asynchrones de l’E/A à distance. Les deux études de cas donnent à voir des pratiques d’accompagnement en mode synchrone mais aussi en modes ante, post et inter-synchrones.

La lutte contre le décrochage scolaire, cet «enjeu majeur humain, social et économique » (Stratégie Europe 2020) est une des priorités de l’Éducation Nationale en France, et les structures de raccrochage ne manquent pas. Pourtant, certains travaux conduits durant la crise sanitaire et les confinements qui ont suivis (Gevrey, 2021 ; Cadiou , Mothes, 2020) tendent à questionner ce désengagement dont l’indicateur « sorties précoces » (Ministère de l’Éducation nationale, gouvernement.fr/indicateur-decrochage-scolaire) montre d’ailleurs qu’il est en constante baisse depuis 2005.

Le différentiel entre le discours institutionnel alarmiste et les données statistiques interroge : ces élèves qui quittent l’école avant la diplomation sont-ils des décrocheurs victimes d’un ensemble de tensions multi factorielles (Bautier, 2003 ; Bernard, 2011 ; Blaya, 2010) ? Ou des décrochés, symptômes de difficultés institutionnelles à prendre en charge certains profils d’élèves ? Et que dire alors de la place et du rôle joué par les structures dites « de lutte contre le décrochage » ?

Cette communication, fondée sur la parole de jeunes dits « décrocheurs » interrogés entre 2020 et 2022, propose de considérer la crise sanitaire comme le révélateur de la nécessité d’un changement de paradigme dans le regard porté sur le décrochage scolaire et fait l’hypothèse de la nécessité d’une relecture critique de la forme scolaire comme analyseur du désengagement scolaire.