Informations générales
Événement : 90e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 600 - Colloques multisectoriels
Description :Le champ des études rituelles témoigne d’un phénomène d’invisibilisation de la femme. On reconnaît volontiers les contributions décisives d’auteurs tels que Marcel Mauss, Victor Turner, Gregory Bateson, oubliant les femmes ayant œuvré avec eux. Mauss a initié avec succès des femmes au monde de la recherche anthropologique, dont Germaine Dieterlein et Denise Paume. Edith Turner a, pour sa part, accompagné son mari, Victor Turner, dans le cadre de son enquête de terrain auprès des Ndenbus en Afrique, y retournant après son décès pour reprendre la recherche. Mary Catherine Bateson, anthropologue comme son père, risque d’être connue plus par les fameux « métalogues » avec son père que par ses propres contributions, dont notamment son regard sur la vie des femmes. Ce phénomène réclame une prise de conscience critique et une mise en valeur du rôle et des contributions des femmes pour l’émergence, la constitution et le développement des études rituelles. À titre d’exemple, aux noms de Mary Douglas et de Catherine Bell, nous souhaitons ajouter les noms d’autres femmes pionnières oubliées ayant contribué à façonner les études rituelles avec de recherches originales. Avec Susanne Langer et Judith Butler, il est possible de mettre en valeur les apports interdisciplinaires des femmes. Avec Hélène Lubienska de Lenval et Marjorie Procter-Smith, le potentiel critique du regard féminin sur les rites religieux peut être revisité. Avec Marina Abramović, enfin, l’audace de l’invention rituelle et performative peut gagner un nouvel élan. Le point focal de notre colloque est la mise en valeur de l’originalité et de l’audace des contributions féminines aux études rituelles.
Dates :Format : Uniquement en ligne
Responsables :- Ângelo Cardita (Université Laval)
- Adriane Luísa Rodolpho (Universidade Federal de Pelotas)
- Monia Bousnina (Université Ferhat Abbés Setif 1)
Programme
Session I – Femmes et créativité rituelle
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Communication orale
L’art corporel et la quête de transformation : Marina Abravomić, pionnière de la performance rituelleCaroline Mailhot (UdeM - Université de Montréal)
Marina Abravomić (1946-) est reconnue pour son art corporel et ses performances audacieuses. Artiste pionnière féministe, elle travaille avec la véridicité des éléments, utilisés comme outils générateurs de transformation chez les spectateurs. L’espace offert par Abravomić, où la performance rejoint le spectateur, tout comme l’utilisation des limites de son corps et de son psychique, propose le rituel sous une forme créative et audacieuse, au service de l’expérience partagée. Marina Abravomić est une figure de proue de l’ingéniosité artistique féministe depuis maintenant un demi-siècle. Son charisme et son travail acharné ont attiré des milliers de spectateurs au fil du temps, un public curieux d’assister entant qu’observateur ou participant actif à ces phénomènes artistiques uniques. Notre communication se veut une exploration des aspects rituels et symboliques que l’on retrouve dans l’art de Marina Abravomić. On mettra également en valeur l’utilisation d’éléments du réel dans ses installations. Abravomić a dit: In theater, blood is ketchup; in performance, everything’s real. Tout en jetant un regard sur le parcours de Marina Abravomić, ainsi que sur l’héritage artistique, politique et spirituel de ses œuvres, nous nous questionnerons, alors, sur la relation entre la performance de l’artiste et l’attitude du spectateur afin de comprendre davantage sur l’expérience partagée lors de ses performances rituelles.
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Communication orale
La ritualisation dans la pratique artistique de Mary Beth EdelsonCapucine Sammani (Université Paris 8 - Vincennes - Saint-Denis)
Faire état des pratiques ritualisées dans la création contemporaine permet de mettre en lumière des pratiques adossées à des revendications féministes ainsi qu’à une prégnance de la sensibilité New Age depuis la fin des années 1960. C’est précisément cette rencontre que je souhaite appréhender au regard des pratiques de Mary Beth Edelson des années 1973 et 1977. Il s’agira de proposer une analyse conjointe des rituels privés et publics les mieux connus de l’artiste à la lumière de ses écrits ainsi que des rares traces visuelles de ses rituels, afin de démontrer leur portée politique. Tout d’abord, il s’agira de décrire et d’étudier les pratiques ritualisées de Mary Beth Edelson datant de 1973 et de 1977. Certaines découlent de rituels privés de l’artiste; d’autres sont des rituels publics et commémoratifs, dont il ne reste que de très rares photographies. Ensuite, il s’agira de comprendre l’efficacité des rituels de Mary Beth Edelson dans un contexte de rejet du patriarcat et de ses codes. Pour finir, il s’agira de montrer que les mises en forme ritualistes, l’iconographie et la symbolique que Edelson convoque visent à introduire de nouveaux signifiants s’inscrivant dans une démarche politique et émancipatrice. La réactivation, par la mise en forme rituelle d’un supposé culte ancien de la déesse, permet alors de resignifier le présent par une sensibilité holistique et féminine.
Session II – Femmes en liturgie chrétienne
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Communication orale
Liturgie, geste et silence : les contributions d’Hélène Lubienska de LenvalBrian Almeida (Université Laval)
Hélène Lubienska de Lenval (1895-1972) est l’une des contributrices éclipsées du domaine de la théologie liturgique, voire de l’ensemble de la théologie chrétienne, dans le contexte du Mouvement liturgique. Nous voulons présenter trois axes essentiels de son corpus : la liturgie, le geste et le silence. La liturgie comme « mystère en acte » réussit à « unifier » et à entrainer par son rythme spatial l’homme tout entier — esprit, âme et corps — à graviter autour de Dieu. Elle exige une métaphysique agissante, vécue et incarnée, permettant la conscience de soi et des autres. Les historiens de la liturgie, préoccupés des textes, ne s’occupent que très peu de ce domaine agissant du geste liturgique, ce faisant le « langage » ou « l’art du geste » est tombé en décadence. Pourtant, c’est par tout leur comportement que les personnages bibliques communiquent : gestes d’humilité, de puissance, de guérison. Le geste exprime les « tendances profondes de l’être » et s’avère supérieur à la parole. Il faut redécouvrir cette dimension gestuelle et réapprendre à « faire prier le corps » dans la liturgie comprise comme « école de silence ». Loin d’être un mutisme, le silence du corps, de la pensée et de l’esprit se compose de vigilance, d’attention, d’attente, et demeure éminemment actif. Constitué d’un repos et d’une bienveillance qui refuse le bruit du monde externe et interne, le silence nous dirige vers l’altérité divine.
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Communication orale
De l’émergence du symbolique dans le champ sacramentel : hommage théologique à une femme inconnueÂngelo Cardita (Université Laval)
On sait très peu à propos de Suzanne Billault. Elle est présentée dans la préface de son livre sur les sacrements chrétiens comme une « mademoiselle » ayant œuvré en catéchèse pendant trente ans. L’ouvrage est également peu connu, n’ayant pas fait l’objet de recensions dans les pages des revues de la spécialité. Pourquoi, alors, se pencher sur une auteure inconnue et sur un livre oublié? C’est que cet ouvrage témoigne du déplacement de la sacramentaire du terrain de la causalité métaphysique vers celui de l’efficacité symbolique des actes rituels. Il participe du nouveau paradigme liturgique mis de l'avant par Louis-Marie Chauvet. Cependant, ce proéminent auteur ne semble pas connaître le livre de Billault, qui pourtant anticipe sa propre perspective. La syntonie entre les deux travaux s’établit sans efforts. Le parallélisme des titres est frappant : Du synthème au signe – du symbole au sacrement (Billault); Symbole et sacrement (Chauvet). Dans les deux cas, on observe une similaire ouverture à l’interdisciplinarité, une similaire plongée dans l’herméneutique symbolique, et une similaire perception du sacrament, mis en relation avec la Parole (ou l’Évangile) et l’éthique (ou la charité). Dans notre communication, nous mettrons en valeur la pensée de Suzanne Billault par rapport au paradigme symbolique. Il s’agira, plus radicalement encore, de contribuer à la réécriture de l’histoire de la théologie, montrant qu’un tel paradigme trouve une assise fondamentale chez Billault.
Les femmes prennent la parole au sujet des rites
Session publique.
Présentation et discussion de capsules vidéo sur Susanne Langer (1895-1995), Germaine Dieterlen (1903-1999), Mary Douglas (1921-2007), Edith Turner (1921-2016), Catherine Bell (1953-2008) et Danielle Hervieu-Léger (1947-).
Session III – Femmes et critique rituelle
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Communication orale
Jeanne Favret-Saada et les rituels de sorcellerie : l’embrayeur de violenceAdriane Luísa Rodolpho (Universidade Federal de Pelotas)
Jeanne Favret-Saada est une ethnologue de nationalité française, née dans le sud de la Tunisie en 1934. Parmi ses recherches, celles sur la sorcellerie paysanne dans le bocage mayennais seront considérées comme des repères incontournables dans le domaine de l’anthropologie. Favret-Saada plongera dans le terrain pendant une vingtaine d’années. Son approche anthropologique sera reconnue par l’originalité de sa démarche de recherche, notamment par le recours à la psychanalyse dans le but d’éclairer ce que l’on tend à considérer comme de la sorcellerie. Dans cette communication, nous présenterons l’analyse faite par Favret-Saada de la lecture du jeu de Tarot mise en œuvre par son interlocutrice principale, Madame Flora. Notre objectif est d’apprécier la contribution de l’auteure à l’étude des rites. Selon Favret-Saada, ce type de rituel doit être compris dans le contexte d’une « ethnologie des thérapies », principalement à cause de ce que l’auteure identifie comme le dispositif rituel de « l’embrayeur de violence ». Ce dispositif permet à Madame Flora d’aider la personne qui se croit ensorcelée à sortir de la crise. À la fin d’une série de rituels, la personne est censée regagner la confiance nécessaire pour faire face aux situations de malheur et de détresse.
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Communication orale
Makilam et la pensée traditionnelle des femmes kabyle à travers leurs rituels et pratiques magiquesMonia Bousnina (Université Ferhat Abbés Setif 1)
Cette contribution veut réagir à la problématique de l’invisibilisation de la femme dans le champ des études rituelles. Dans ce but, on se concentrera sur Makilam, une auteure berbère et kabyle, universitaire d’origine algérienne, impliquée dans la recherche sur les femmes et leurs rites. Elle œuvre pour affirmer l’identité culturelle de la femme kabyle et pour pérenniser la pensée traditionnelle féminine. Elle décrit l’histoire sociale de la société kabyle et approfondit la condition féminine. Le postulat de l’infériorité des femmes étant d’emblée éliminé, elle se focalise sur la présence d’une dimension magique dans la vie quotidienne en lien avec une tradition entourée de pratiques et de rites symbolisant une relation d’unité magique entre l’humain et la nature. Il s’agit d’une réflexion sur le sens de l’organisation sociale et d’une étude de la femme kabyle à travers ses croyances, rituels et pratiques magiques, lesquels ne se transmettent que par les femmes dans le contexte de leurs productions manuelles (fabrication de poteries, décors des maisons, magie accompagnant leurs travaux en forme de rituels et d’autres actions…). Makilam dépeint l’univers naturel et magique de la femme kabyle. Elle illustre les multiples valeurs et applications des pouvoirs féminins dans les domaines traditionnels tant religieux, dans l’ordre des croyances et des rites, que culturel, dans des productions reflétant le rapport fondamental des femmes à la terre.
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Communication orale
Performativité, citationnalité et subversion : Judith Butler et la ritualité dans une perspective religiologiqueOtávio Amaral (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Trois concepts traversent les travaux de Butler au sujet du genre : la performativité (la manière dont le discours, soit-il corporel ou émané de la parole, impose et restructure les normes sociales), la citationnalité (phénomène de reproduction et d’imitation des normes courantes) et la subversion (pouvoir à la fois de résistance et de soumission engagée aux normes). Notre proposition est de réinterpréter ces trois notions majeures dans une perspective « religiologique ». Comment ces notions s’appliquent aux religions, en particulier l’hindouisme et l’islam ? Comment les rituels accomplis à l’intérieur de la structure normative de ces religions sont-ils réinterprétés par celleux qui subvertissent les normes de genre ? Notre communication prétend déclencher un débat interdisciplinaire dont les assises se forgent au sein de la théorie butlerienne de(s) genre(s). Ainsi, à partir d’une réflexion reliant la critique théorique à des études de cas empiriques, nous illustrerons l’importance du débat interdisciplinaire pour les études religieuses, mobilisant des écrits philosophiques de Judith Butler et des contributions de l’ethnologie classique. Notre but est de montrer comment la réinterprétation des normes religieuses implique de nouvelles pratiques rituelles. On essayera alors de donner réponse aux questions suivantes : comment cet agencement est-il façonné ? Quels sont les mécanismes utilisés par ces individus dans leur réinterprétation des pratiques rituelles classiques ?