Informations générales
Événement : 90e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 600 - Colloques multisectoriels
Description :Pour l’historien et philosophe huron-wendat Georges E. Sioui, les profonds bouleversements produits par les épidémies d’origines européennes en Amérique constituent un désastre dont il est indispensable de prendre en compte « si l’on veut déculpabiliser, et ainsi rapprocher, les héritiers des deux civilisations en cause, l’amérindienne et l’européenne ». Cette invitation à repenser les répercussions du choc microbien et de la dépossession du territoire sur la santé des populations autochtones et leurs relations avec la société coloniale a été lancée dès 1989. En 1985, Denys Delâge avait souligné que sans cette brèche ouverte par les épidémies, qui avaient « profondément bouleversé la géographie humaine de l’Amérique du Nord-Est », il aurait été impossible de « renverser » le pays, et aux Européens de le coloniser. Et pourtant, l’étude de l’incidence des épidémies et du déploiement de la médecine coloniale sur les populations autochtones depuis le 17e siècle jusqu’à aujourd’hui est encore un champ de recherche embryonnaire. Notre colloque invite les chercheur·se·s et les professionnel·le.s de la santé à s’interroger sur les répercussions historiques et contemporaines des épidémies et du colonialisme sur le rapport qu’entretiennent les Premières Nations avec la médecine, ainsi que sur les représentations des corps et de la santé autochtones construites et entretenues par la société coloniale.
En 1996, le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones faisait un constat accablant sur l’état de santé et les conditions de vie des Premières Nations, qui rappellent parfois ceux des pays du tiers monde. Malgré le chemin parcouru depuis bientôt 30 ans, il existe encore un écart notable entre l’accès aux soins de santé pour les communautés autochtones et le reste de la population nord-américaine. De nombreuses Premières Nations font toujours face à des problèmes de santé endémiques résultant de la colonisation de leurs territoires, de l’extraction des ressources naturelles, de la pollution par des activités minières ou des déversements industriels toxiques, et de leur marginalisation au sein de la société. Parmi les « Appels à l’action » de la Commission de vérité et réconcialiation du Canada (2015) figure la reconnaissance « que la situation actuelle sur le plan de la santé des Autochtones au Canada est le résultat direct des politiques des précédents gouvernements canadiens » […] et la « mise en application les droits des Autochtones en matière de soins de santé tels qu’ils sont prévus par le droit international et le droit constitutionnel, de même que par les traités ».
Enfin, de récents événements tragiques tels que la mort de Brian Sinclair en 2008 et de Joyce Echaquan en 2020 ont révélé avec fracas les inégalités, la discrimination et les défaillances que nos systèmes de santé imposent aux Autochtones, qui sont toujours confrontés à une indifférence structurelle et au racisme systémique prévalant dans les milieux hospitaliers à l’échelle du pays.
Format : Sur place et en ligne
Responsables : Partenaires :Programme
Aspects historiques I
Introduction : Helga Bories-Sawala / Mathieu Arsenault
Aspects historiques I
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Communication orale
IntroductionMathieu Arsenault (Université de Montréal), Helga Bories-Sawala (Universität Bremen)
Introduction
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Communication orale
« Les grandes maladies » : mémoires d’épidémies chez les Anicinabek (Québec)Marie-Pierre Bousquet (UdeM - Université de Montréal)
Au fil des siècles, les Anicinabek ont vécu de nombreux épisodes d’épidémies, qui ont laissé des traces dans leur mémoire orale. Nous nous concentrerons sur celles qui ont fait rage au 19e et au 20e siècles, comme la scarlatine, la rougeole, la grippe, la diphtérie ou la tuberculose, ces « grandes maladies » (kitci akosiwinak) qui ont été meurtrières. Alors que les récits des missionnaires, traiteurs et agents des Affaires indiennes, présentent essentiellement les Anicinabek comme dépourvus de ressources et pas du tout outillés pour faire face à ces occurrences dévastatrices, démontrant un racisme sous-jacent qui a justifié le colonialisme médical, ce n’est pas ainsi que les Anicinabek ont transmis la mémoire des épidémies. Certes, cette mémoire n’occulte pas les traumatismes engendrés par la perte de familles entières. Mais également, à l’opposé de comptes rendus uniquement misérabilistes, elle parle de savoirs et de puissance, d’étiologie, de prévention et de traitements, sans toutefois renier les apports de la biomédecine. Les Anicinabek n’étaient donc pas les ignorants que les chroniques historiques nous ont présentés.
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Communication orale
La centralité des épidémies dans la conquête européenne de l’AmériqueDenys Delâge (Université Laval)
Pourquoi l’Europe a-t-elle conquis l’Amérique ? Accès aux grands voiliers, production du fer et de la poudre à canon, capacité de mobilisation de troupes importantes, structure fortement hiérarchique, émergence de la rationalité avec la Renaissance? Oui à toutes ces propositions, mais il est une autre qui les dépasse toutes en importance : l’unification microbienne du monde. L’Europe, l’Asie et l’Afrique constituaient alors un même univers microbien caractérisé par l’élevage intensif d’animaux domestiques. Étaient exclus de cet univers : l’Amérique, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les îles du Pacifique, des isolats sans élevage intensif à l’exception du chien, du lama et de l’alpaga. Europe-Asie-Afrique vivaient dans un univers microbien caractérisé par des zoonoses auxquelles se sont graduellement adaptées, par sélection naturelle, sur une période de plusieurs millénaires, les populations de ces 3 continents. La conquête européenne de l’Afrique et de l’Asie n’a jamais conduit à l’écroulement des populations, comme elle l’a pourtant fait en Amérique, de même qu’en Australie, Nouvelle-Zélande et aux îles du Pacifique. Ce sont surtout ces maladies qui ont causé autant de morts pendant les guerres iroquoises et la nécessité de les remplacer ensuite. Ce sont elles pour l’essentiel qui ont entrainé les défaites des Micmacs, des Abénaquis en 1713 et des nations des Grands-lacs et du Mississippi, qui, avec Pontiac, ont mené une guerre pour leur indépendance de 1763 à 1766.
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Communication orale
Les épidémies qui ont façonné l’Amérique telle que nous la connaissons Et ce qu’en disent (et ne disent pas) les manuels d’histoireHelga Bories-Sawala (Universität Bremen)
Inexplicables pour les contemporains aussi bien autochtones que nouveaux venus, ces maladies qui accompagnent l’arrivée d’Européens en Amérique ont pourtant des conséquences bien réelles : elles vident le continent de ses habitants et « leur mort ouvre une brèche pour le peuplement européen ». (Delâge 1985)
Les manuels d’histoire au Québec des 40 dernières années que nous avons analysés (Bories-Sawala/Martin 2018/2020), évoquent le « choc microbien », malgré un manque d’attention des programmes ministériels. Les manuels citent l’explication scientifique : le manque d’anticorps des populations non immunisées, et ils s’accordent pour qualifier l’impact de « dramatique ». Un thème récurrent est celui de la « fragilisation » des populations. On évoque les secours offerts par les congrégations européennes et l’impuissance de la médecine traditionnelle. Parfois, l’introduction des réserves est présentée en tant que secours.
Les élèves relient souvent les épidémies aux autres aspects de la colonisation et insistent sur la responsabilité européenne.
Si les manuels euro-québécois reconnaissent l’importance des épidémies, ils n’y voient cependant pas un élément structurant de l’histoire nord-américaine, à la différence des manuels autochtones qui leur accordent plus d’attention, mais surtout, osent poser cette question : « Que serait-il arrivé des rêves de colonisation des Européens si les Autochtones avaient été immunisés contre les maladies européennes ? » (Faries/Pashagumskum 2002)
Aspects historiques II
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Communication orale
Les stratégies autochtones de dispersion et de distanciation pour contrer la variole au XVIIIe siècle : le cas de l’épidémie de 1732-1734William Chassé (Université Laval)
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, plusieurs maladies emmenées par les Européens en Amérique du Nord déciment les populations locales. Parmi celles-ci, la variole, ou petite vérole, est particulièrement dévastatrice. Ce virus, qui se propage principalement par contact, se répand le long des voies de communication et couvre d’immenses distances en peu de temps. Si l’historiographie a souvent dépeint les nations autochtones comme des acteurs passifs face à la propagation de la maladie, les recherches récentes montrent une réalité tout autre. En prenant l’exemple de l’épidémie de 1732-1734 à travers la correspondance officielle française, la communication propose d’analyser les voies de propagation de la maladie et de montrer comment le réseau d’échanges de l’alliance franco-autochtone a contribué à augmenter la contamination entre les communautés. Il s’agit également d’exposer les différentes stratégies adoptées par les Autochtones, plus particulièrement les nations de l’Acadie, de l’Iroquoisie et des Grands Lacs, afin de contrer la propagation de la variole lors de cette épidémie, notamment la mise en place de formes de distanciation lors d’échanges avec les Européens et la dispersion des nations vers des territoires plus éloignés des centres coloniaux.
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Communication orale
De l’immunisation à l’hospitalisation : soin et contrôle des corps autochtones au 19e siècleMathieu Arsenault (UdeM - Université de Montréal)
L’histoire de la médecine au 19e siècle révèle rapidement que la place réservée aux Autochtones se limite soit à un regard romantique sur la pharmacopée et les pratiques médicinales traditionnelles, soit au rôle de victimes impuissantes face aux maladies infectieuses. Pourtant, de la seconde moitié du 18e siècle jusqu’aux années 1880, la transformation du rapport de l’État et des communautés autochtones à la médecine coloniale révèle une dynamique complexe qui demeure largement inexplorée. D’une part, cette période marque la volonté des communautés domiciliées du Haut et du Bas-Canada d’élargir leur accès à certains services de la médecine coloniale, tels que l’immunisation contre la variole, leur permettant de mitiger de profonds changements sociaux sanitaires. Simultanément, on observe les mécanismes de mise en place d’un système de soins paternaliste par l’État colonial destiné à renforcer son contrôle et sa gouvernance sur les corps autochtones dans l’ensemble de la province.
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Communication orale
Traités et tuberculose : la propagation non naturelle de la maladie parmi la population autochtone de l'Ouest canadienJames Daschuk (University of Regina)
Les documents historiques démontrent que la tuberculose a éclaté soudainement quelques années seulement après la conclusion des traités numérotés et est rapidement devenue la principale cause de maladie et de décès parmi les populations qui sont rentrés aux traités numérotés. Cependant, elle ne s'est pas propagée universellement parmi les Premières Nations ; les nations non-traitées comme les communautés Dakota et Lakota continuaient en bonne santé. Cet article examine les forces politiques et écologiques qui ont façonné l'épidémie à la fin du 19e siècle.
Dîner
Enjeux contemporains I
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Communication orale
La première nation Grassy Narrows et sa lutte pour la justice environnementaleDonna Mergler (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Depuis 1962, Asubpeeschoseewagong Anishinabek (Première Nation de Grassy Narrows) subit les conséquences de l’une des pires catastrophes du Canada. Une usine a déversé 10 000 kg de mercure dans leur réseau hydrographique, contaminant les poissons, au centre de leur identité culturelle, leurs traditions, leur économie et leur alimentation. Les concentrations de mercure étaient parmi les plus élevées jamais signalées. Face aux conséquences désastreuses, Grassy Narrows a entrepris des actions visant la reconnaissance des dommages: des mémoires aux gouvernements, des poursuites, une grève de la faim, maintes manifestations, et le plus long blocus contre l’industrie forestière au Canada. En appui à leurs luttes, la communauté a su établir des collaborations avec des scientifiques. Depuis 1975, la communauté maintient des liens avec les médecins japonais qui ont révélé de nombreux cas de la maladie de Minamata. Elle a établi des partenariats avec des scientifiques pour la remédiation mercurielle du bassin hydrographique. En 2016, Grassy Narrows nous a invités à collaborer aux premières études épidémiologiques sur leur santé. Nous avons participé à une évaluation de la santé communautaire, créé une base de données longitudinale de biomarqueurs de mercure, et examiné la contribution de l’exposition au mercure sur leur santé et bien-être. Dans cette présentation, nous discuterons comment ces études s’insèrent dans leur lutte pour la justice environnementale.
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Communication orale
Consentement libre et éclairé et stérilisations imposées de femmes des Premières Nations et Inuit au Québec, CanadaSuzy Basile (Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue), Patricia Bouchard (UQAT - Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue)
La colonisation au Canada entraîne de multiples répercussions sur la santé des femmes autochtones, particulièrement dans un contexte de gynéco-obstétrique. Malgré l’existence de protections légales, les femmes autochtones sont toujours la cible de plusieurs formes de discrimination dans le système de santé et le besoin de stratégies de décolonisation est criant. À cet effet, la stérilisation imposée est une réalité méconnue et incompréhensible en raison du degré de violence que ce geste implique et des femmes autochtones subissent d’importantes violations de leurs droits dans un contexte de soins en gynéco-obstétrique au Québec. Les témoignages qui émanent de cette recherche, aussi bouleversants soient-ils, viennent affirmer la nécessité d’aborder ce sujet de front. Ce projet vise à pallier le manque de données sur la stérilisation imposée de femmes des Premières Nations et Inuit. La collecte de donnée, réalisée entre mai 2021 et janvier 2022, a permis de recueillir 35 témoignages de personnes issues de cinq nations distinctes. Force est de constater que l’analyse des témoignages recueillis dans le cadre de la présente recherche, juxtaposée aux conclusions de récents travaux menés sur les enjeux auxquels font face les Premières Nations et les Inuit dans les services publics au Québec, converge vers un constat clair, soit la présence de racisme systémique.
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Communication orale
Jordan, Joyce, Justice : pour en finir avec le colonialisme médical canadienRaven Dumont-Maurice (Université McGill), Samir Shaheen-Hussain (Université McGill)
En traçant l’historique du colonialisme médical envers les enfants autochtones et leurs familles au Canada, y compris en utilisant la campagne #TiensMaMain de 2018 comme étude de cas, cette conférence permettra de prendre conscience d’une partie de l’histoire de la médecine méconnue et même niée, notamment en abordant le rôle de l’institution médicale dans le génocide colonial. La conférence nous emmènera à saisir les impacts violents encore présents à ce jour de cet héritage dévastateur, ainsi que le racisme systémique anti-Autochtone persistant comme conséquence de politiques institutionnelles, empêchant les communautés Autochtones de bénéficier des normes internationales en matière de santé et de mieux-être social.
Enjeux contemporains II
Enjeux contemporains II
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Communication orale
Soigner en contexte saisonnier : les infirmières du Service de Santé des Indiens chez les Innus (1945-1960)Myriam Lévesque (Les éditions du Septentrion)
En 1945, le gouvernement canadien adopte une approche plus « active » à l’égard des populations autochtones et réorganise son Service de Santé des Indiens (SSI). Ce nouvel élan d’assistance médicale repose sur l’expansion de son réseau hospitalier et la mise en place de vastes campagnes de vaccination et de dépistage de la tuberculose. En Minganie et en Basse-Côte-Nord, le service s’appuie sur la construction de dispensaires et le travail des infirmières. Les services sont offerts sur des bases saisonnières et les infirmières sont postées dans les communautés entre les mois de mai et septembre et des visites sporadiques sont effectuées pendant la saison hivernale.
Pauline Laurin, surintendante des infirmières du SSI pour la zone du Québec et des Maritimes, a photographié l’arrivée du service dans quatre communautés innues (Ekuanitshit, Nutashkuan, Unamen Shipu, Pakua Shipu). Son fonds photographique ouvre une fenêtre sur l’organisation du SSI dans la région nord-côtière, la pratique des infirmières et les Innus ayant reçu des soins et collaboré avec le personnel à titre d’interprètes.
Cette communication mettra en lumière l’organisation et l’implantation du SSI dans la région au cours des années 1950. Tout en nous intéressant à la pratique infirmière dans un contexte de soins saisonniers, nous interrogerons l’impact qu’a pu avoir le personnel infirmier et le SSI dans le processus de sédentarité des Innus.
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Communication orale
La sécurisation culturelle dans la pratique des infirmières et infirmiers des Communautés de Premières Nations du Québec : réflexion sur la Roue de la Médicine NIN et les SavoirsSandro Echaquan (UdeM - Université de Montréal)
La sécurisation culturelle est une approche décolonisatrice des soins qui vise à considérer les valeurs, les besoins, les attentes, les droits et les identités des Autochtones dans les soins de santé. Cette conférence propose une vision de la sécurisation culturelle à travers l’intégration de la Roue de la Médecine NIN et les Savoirs ancestraux autochtones. Cette réflexion est basée sur l’importance de reconnaître, respecter et nourrir les identités culturelles uniques des peuples autochtones dans les pratiques des infirmières et des infirmiers. L’intégration des savoirs ancestraux autochtones reste un défi important pour les professionnels de la santé. Le Principe de Joyce, inspiré de la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, met de l’avant la reconnaissance et le respect des savoirs et connaissances traditionnelles et vivantes des Autochtones en matière de santé. Cette médecine est bien vivante et il importe dans l’approche de mieux la comprendre.
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Communication orale
ConclusionMathieu Arsenault (UdeM - Université de Montréal), Helga Bories-Sawala (Institut d'Etudes canadiennes et québécoises Université de Brême)