Informations générales
Événement : 90e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 400 - Sciences sociales
Description :Pour Hannah Arendt, la politique repose sur le fait de la pluralité humaine, sur l’existence commune d’« êtres différents » qui, ensemble, contribuent à la perpétuation d’un monde partagé. La définition arendtienne de la politique repose en partie sur l’articulation renouvelée et l’équilibre précaire entre le surgissement de la singularité, d’une part, et le maintien du commun, d’autre part. Pour creuser cette tension, entre l’agôn et le polis, le colloque propose d’aborder les notions de conflit et de responsabilité pour le monde dans la pensée arendtienne.
En effet, la politique étant un espace de différence, elle implique aussi l’expression de celle-ci et peut créer du conflit. S’il est indéniable que la division du social est inhérente à une certaine vitalité démocratique, le conflit peut cependant mener à des affrontements violents dont la démesure brise les fondements de la démocratie. D’une certaine manière, le conflit est garant de la démocratie jusqu’à une certaine limite qui, si elle est franchie, le rend dangereux pour la perpétuation du régime. La mesure du conflit, compris comme ce qui lui permet de s’exprimer tout en l’encadrant, peut se retrouver en partie dans l’idée de responsabilité pour le monde évoquée par Arendt devant le contexte contemporain. C’est en ce sens que la montée de l’acosmisme l’inquiète grandement, car celui-ci « […] est toujours une forme de barbarie » (Arendt, 1974). La responsabilité pour le monde se rattache aussi au concept d’amor mundi, de « souci », de « dévouement », de prise de soin pour le monde qui motive et soutient l’exercice de la pensée et de l’agir politique, pierre d’assise de la phénoménologie arendtienne.
Les contributions porteront ainsi, sans s’y limiter, sur les axes suivants : la pensée d’Arendt dans le contexte contemporain, Arendt et la crise climatique, Arendt à l’ère des crises, pluralisme, violence et domination, fragilité démocratique, éthique arendtienne et amor mundi, en plus de conflit et action politique.
Remerciements :Nous souhaitons remercier les conférencier-ère-s ainsi que ceux et celles qui ont contribué à l'organisation du colloque.
Date :Format : Sur place et en ligne
Responsables :- Pascale Devette (UdeM - Université de Montréal)
- Milan Bernard (UdeM - Université de Montréal)
Programme
Bloc 1 – Crise et conflit
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Communication orale
La crise de l’éducation et le problème de la responsabilitéAurore Mréjen (Université Paris Nanterre)
La crise actuelle de l’éducation s’avère d’autant plus problématique que l’éducation est une activité fondamentale de la société humaine, laquelle se renouvelle sans cesse par la naissance de nouveaux êtres humains. L’éducateur est confronté à une double particularité: l’enfant est nouveau dans un monde qui lui est étranger et il est en devenir; c’est un être humain qui est en train de devenir un être humain. Cette dimension de nouveauté est fondamentale en raison du lien consubstantiel entre natalité et liberté chez Arendt. C’est parce que le nouveau venu possède la faculté d’entreprendre du neuf que le commencement inhérent à la naissance peut se faire sentir dans le monde. Alors que l’éducation ne peut se passer de l’autorité et de la tradition, la question se pose de savoir comment introduire les enfants dans un monde qui n’est plus structuré par l’autorité ni retenu par la tradition. Quant à la préservation de la nouveauté indispensable au renouvellement du monde commun, elle soulève le problème de la responsabilité des adultes qui assument la responsabilité de la vie et du développement des enfants, mais aussi celle de la continuité du monde, deux responsabilités qui ne coïncident pas et peuvent entrer en conflit. Cette communication explorera ces deux aspects de la crise, avant d’examiner l’insistance d’Arendt sur la protection de l’enfant du politique, en particulier dans ses «Réflexions sur Little Rock».
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Communication orale
Conflits stériles et polarisation des discours : penser la crise du jugementSophie Cloutier (USP - Université Saint-Paul)
Si la pensée politique arendtienne fait une place importante au conflit, il importe néanmoins de qualifier ce que l’on entend par conflit. En effet, du point de vue du monde commun, tous les conflits ne se valent pas : certains seront stériles, tandis que d’autres, plus rares, seront féconds. La polarisation des discours, attestée par exemple lors de la prise du Capitole en 2022 ou dans les conflits autour des mesures sanitaires, clive la société. Notre hypothèse est que cette polarisation des positions rend les conflits stériles et atteste d’une crise du jugement qui reproduit les conditions de l’aliénation. Nous avançons que la pensée arendtienne procure les outils conceptuels pour à la fois analyser cette crise et proposer des pistes de réponse. Dans un premier temps, il s’agira de montrer que cette polarisation nuit à l’émergence du monde commun puisqu’elle repose sur un déni de validité des autres positions. Dans un deuxième temps, nous analyserons la reprise arendtienne du jugement réfléchissant kantien comme une manière d’accueillir des positions adverses dans l’exercice même du jugement. Kant voulait en effet sortir le jugement esthétique de l’alternative entre le relativisme et le dogmatisme. Pour ce faire, il fallait adopter la mentalité élargie, donc considérer une pluralité de perspectives – nous pourrions dire porter en soi le conflit. Nous conclurons en rappelant l’héritage d’Étienne Tassin sur la fécondité des conflits pour la vitalité du monde commun.
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Communication orale
La coexistence conflictuelle: ébauche d'une mesure arendtienne du conflitMilan Bernard (UdeM - Université de Montréal)
Bloc 2 – Esthétisme et scolastique
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Communication orale
À propos de l’esthétisme de Hannah ArendtCharles Blattberg (UdeM - Université de Montréal)
Cet article soutient que la conception arendtienne de la politique, en particulier de l’action et du jugement, est esthétique et que, pour cette raison, elle ne prend pas la politique suffisamment au sérieux. Je commence par offrir un compte rendu de l’esthétisme en tant que doctrine métaphysique selon laquelle les choses apparemment non esthétiques sont en fait esthétiques, des parties de toute une dimension « désintéressée » de la réalité que nous pourrions simplement appeler « l’esthétique ». (Évidemment, je pense que ce terme devrait avoir un sens beaucoup plus large que ce que l’on suppose habituellement). Je montre ensuite comment la politique d’Arendt peut être comprise comme une forme unique du républicanisme classique, unique parce qu’elle n’est ni moniste ni pluraliste, mais paradoxalement « pluramoniste ». Ensuite, je présente un compte rendu détaillé de la manière dont ses conceptions de l’action et du jugement sont esthétiques. L’article se conclut en soutenant que tout ceci est motivé par sa réponse évasive à la réalité du mal dans le monde.
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Communication orale
Hannah Arendt, lectrice de Duns Scot, penseur de la liberté et de la volontéGilles Labelle (Université d’Ottawa)
Il s’agira de tenter de lier deux éléments relatifs à l’œuvre d’Hannah Arendt dans cette communication. D’une part, on peut inscrire Arendt parmi une série de penseurs juifs qui ont réagi à ce qu’ils estimaient être un élément fondamental de l’héritage hégélien au 20e siècle, soit le motif, hérité du christianisme, d’un « accomplissement ». On peut citer ici, entre autres, Rosenzweig, Levinas, Strauss, Benjamin, Adorno. Il est remarquable de constater que tous ces auteurs ont puisé, à un degré ou à un autre, dans l’héritage judaïque pour fonder une critique de ce qu’ils concevaient comme la téléologie inhérente à la dialectique hégélienne. Or, Arendt a ceci de particulier qu’il lui arrive au contraire de puiser dans le corpus chrétien : Augustin, certes, mais aussi, dans The Life of the Mind, Duns Scot. Ce geste, certes singulier, mérite d’être interrogé –tout comme, par ailleurs, la façon dont Arendt aborde ces auteurs, en particulier Duns Scot. Pour dire les choses rapidement et sous bénéfice d’inventaire, Arendt n’hésite pas à « décontextualiser » Duns Scot, à l’extirper des débats internes à la scolastique au sein desquels les interprètes le situent généralement, pour en faire un penseur de rapports entre la liberté et la volonté qui devraient nous importer maintenant. En somme, Arendt procède à une interprétation libre de celui qu’elle considère comme un penseur de la liberté : c’est sur cette interprétation et sur ce qui l’autorise que j’entends me pencher.
Dîner
Pause et repas à l'extérieur
Bloc 3 – Problématiques de la pensée arendtienne
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Communication orale
Arendt et le problème du pouvoirCristobal Balbontin-Gallo (Universidad Austral de Chile)
L'objectif est de réfléchir aux différentes formes paradoxales sous lesquelles la violence s'exprime dans un état de droit qui caractérise une démocratie constitutionnelle libérale; un état de droit qui prétend se définir par la résolution non violente des conflits et par le monopole exclusif de la force (Weber). Un État qui, en vertu de ce principe de l'État de droit, est soumis à un principe de légalité, d'équilibre des pouvoirs, de répartition organique des fonctions, de contrôle et de division des pouvoirs dans l'exercice du pouvoir, afin d'éviter toute forme d'arbitraire ou d'abus dans son utilisation. Cependant, ce n'est pas seulement l'évidence empirique qui nous permet de contester cette prémisse normative: au niveau théorique, différents penseurs (Foucault, Butler, Agamben) ont affirmé comment le pouvoir et la violence circulent dans des formes diffuses ou exceptionnelles qui, loin d'être contenues dans le principe de la souveraineté de l'État aussi bien que par l'État de droit constitutionnel, se servent de cette illusion normative précisément pour que le pouvoir soit exercé de manière abusive. Cette prémisse divise et confronte deux penseurs qui ont profondément réfléchi à la relation entre la violence et le pouvoir: Benjamin et Arendt. Le but de la communication est d'approfondir cette opposition pour tenter une critique de la conception de la violence chez Arendt afin de mettre en évidence certaines insuffisances à la base de sa théorie du pouvoir.
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Communication orale
Égalité et élitisme dans la pensée politique d’ArendtMarianne Di Croce (Université d’Ottawa)
Chez Arendt, l’égalité est un élément fondamental de la relation politique entre les humains et donc de la liberté et du pouvoir qui s’exercent par l’action en commun dans l’espace public. Mais dans le politique arendtien, l’égalité cohabite avec une certaine verticalité : on pense par exemple à l’idée de distinction face à ses pairs (Condition de l’homme moderne) ou à celle d’élite auto-sélectionnée (On Revolution). Le politique arendtien paraît donc conjuguer l’égalité avec une certaine forme d'élitisme qui soulève des questions quant à la conception du politique défendue par la philosophe.
Plusieurs y ont d’ailleurs vu un élitisme ou un anti-démocratisme qui serait en tension avec sa défense de l’action en commun, qui présuppose d’agir entre égaux. Plusieurs critiquent par exemple sa distinction entre le social et le politique en disant qu’elle mène à une exclusion politique pour certaines personnes dont les conditions d’accès à l’espace public ne seraient pas garanties, puisque les questions sociales (pauvreté, discriminations, etc.) ne sont pas considérées comme un enjeu dont le politique doit s'occuper.
Cette conférence vise donc à mieux comprendre la relation entre égalité et élitisme chez Arendt, ainsi qu’à en montrer les limites et l’intérêt pour penser l’action politique dans une perspective démocratique authentique.
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Communication orale
Action et décroissance chez Hannah ArendtPascale Devette