Les émotions, en particulier lorsqu’elles sont exprimées par des femmes, sont rarement bien accueillies dans la sphère publique. Le modèle du sujet autonome, rationnel et désincarné continue de prévaloir, y compris dans le milieu universitaire. Reléguées aux espaces intimes et privés, les émotions échappent aux méthodes d’archivage conventionnelles et ne sont pas envisagées comme un moteur légitime pour la recherche universitaire. Pourtant, ces émotions, de même que les objets qui y sont rattachés, sont révélatrices d’histoires et d’expériences vécues par les femmes.
Afin d’explorer le potentiel critique et créateur des émotions, nous invitons cinq chercheuses féministes et engagées s’intéressant au politique dans l’art à partager leurs archives affectives. Nous nous inspirons du travail d’Ann Cvetkovich et de son concept d’archive of feelings, que nous traduisons par archive affective. Ce concept permet de réfléchir aux manières dont nous recueillons, documentons et conservons les émotions – celles qui sont connotées positivement, mais aussi celles qui sont démonisées ou pathologisées. Ces émotions sont souvent encapsulées dans des matériaux conservés chez soi, qui ne répondent pas aux normes archivistiques traditionnelles : des objets du quotidien et de l’intime, des artefacts d’expériences militantes comme des macarons ou des affiches, des œuvres de fiction ou des ouvrages scientifiques annotés, des images ou des photos, de la musique, des cahiers de notes ou des correspondances, etc.