508 - Tournant narratif et paradigme de la recherche biographique en sciences de l’éducation : théories, méthodes et savoirs

Dans ma contribution j’aimerais réfléchir au rôle que l’approche a joué et continue de jouer dans mon propre parcours de vie, et ceci dans les trois dimensions de «ma perspective sur l’avenir», de «mon engagement social» et de mes «considérations épistémologiques». Ces trois dimensions sont en fait étroitement liées: ma perspective sur l’avenir a déterminé et continue à déterminer mon engagement social et cet engagement implique une certaine épistémologie, notamment inspirée de l’herméneutique. Aussi, mon parcours de vie se laisse découper en trois périodes soit avant 1994, entre 1995 et 2013 et depuis 2014. Pendant la première période je théorise l’approche biographique d’un point de vue épistémologique comme outil de conscientisation sociale; ainsi, l’approche biographie est pour moi au cœur de l’éducation des adultes telle que je la comprends. La deuxième période (1995-2013) se caractérise par une certaine désillusion avec cette même éducation des adultes et l’approche biographique se réduit en fait à une simple méthode de recherche qualitative, sans véritable aspiration épistémologique. Dans la troisième période (depuis 2014), je reprends des activités de formation d’adultes, mais cette fois dans une perspective sur l’avenir beaucoup  plus pessimiste et d’un engagement (social) plus intellectuel. La question épistémologique et notamment l’herméneutique réémerge alors comme outil privilégié d’une réinterprétation de l’histoire occidentale.

Les travaux de sociologie de l’éducation enquêtent le plus souvent à partir de grandes cohortes anonymes, afin de mesurer la correspondance entre un certain nombre de propriétés génériques des étudiant.e.s, et leurs résultats scolaires. La littérature académique traitant en détails du parcours scolaire d’un individu singulier apparaît en revanche plus rare, comme si les sciences sociales ne pouvaient traiter que de « moyennes » et devaient par principe refuser toute place à la biographie précise des individus, c’est-à-dire à l’ensemble des rencontres interindividuelles et institutionnelles qui influencent leur trajectoire scolaire.

De même, au cours de nos recherches concernant Bourdieu, il nous est apparu que le sociologue était décrit à l’âge de la maturité académique, les seules allusions à son parcours scolaire se contentant généralement de le dépeindre en élève surdoué, passé par les institutions d’enseignement les plus prestigieuses. Or, nous avons pris le parti de revenir sur l’ensemble de sa trajectoire depuis ses premières années à l’école primaire jusqu’à son intégration à l’École normale supérieure. Plutôt que d’adopter un point de vue surplombant et sacralisant, notre travail permet, à partir d’archives inédites, d’entretiens avec ses camarades et des propres souvenirs du sociologue, d’esquisser une analyse réaliste de sa trajectoire scolaire que seule une approche accordant une place au récit biographique permet de ne pas décrire simplement comme exceptionnelle.

Le travail de recherche s'inscrit dans le cadre d’une formation en alternance avec le but d’étudier les parcours dans l’élaboration de l’identité professionnelle.

En Italie, après l’approbation de la loi nº. 2656 le 20 déc. 2017 : "Discipline des professions d’éducateur et pédagogue", des cours universitaires ont été activés pour des éducateurs sans diplôme qui peuvent compléter leur formation et obtenir la qualification nécessaire pour continuer à exercer la profession (Iori, 2017). Déjà engagés dans des services éducatifs depuis au moins trois ans, ces éducateurs possèdent des compétences professionnelles à intégrer dans la formation. Par la collecte des "biographies professionnelles", l’étude vise la compréhension des dimensions existentielles de l’apprentissage et de l’engagement dans différents contextes d’apprentissage (Merhan, Jorro, & De Ketele, 2015). La structuration du milieu de travail comporte des dimensions associées à l’apprentissage finalisées à des fins de la continuité de la pratique et contient aussi, souvent, des éléments pédagogiques (Billet, 2002).

L’objectif de ce travail de recherche est de dégager des trajectoires et des processus de dynamisme et  de construction de sens, mais aussi des fractures qui permettront de mettre en évidence des liens avec le concept d’engagement.

L’orientation est un processus anthropologique de construction de sens. Elle englobe la dynamique de l’histoire de vie envisagée à travers des moments, des personnes et des expériences les plus marquantes. S’orienter, ce n’est plus choisir une formation ou un métier, c’est plutôt s’orienter dans la vie et se former dans l’existence.

La pratique d’histoires de vie auprès des jeunes étudiants nous amène à renouveler la façon de penser la problématique de l’orientation au Maroc. Elle implique des enjeux épistémologiques redoutables dont il s’agit d’éclaircir dans cette communication :

1. L’histoire de vie fait appel à des savoirs expérientiels et narratifs. Ces savoirs sont source d’apprentissage et d’émancipation pour le jeune en quête d’orientation. Ils lui permettent une appropriation du sens de l’histoire et de nouvelles possibilités de projection positive dans l’avenir.

2. Les changements de formation se présentent dans les récits des jeunes comme l’expression d’un changement de voie existentielle. Ce qui stipule une orientation holistique intégrant la dimension existentielle dans les processus de formation et d’apprentissage.

3. La pratique d’histoires de vie conduit à défendre la thèse d’un paradigme biographique d’orientation à l’échelle de la vie humaine. Il s’agit de voir l’orientation comme une facette anthropoformatrice de l’existence, de la faire déborder des champs scolaires et professionnels, pour englober toute l’existence humaine.

Cette contribution est l’occasion de revenir sur deux projets de recherche-action participatives ayant eu recours à la méthode des récits de vie et pour lesquels j’ai agi à titre de «recueilleuse» et assistante de recherche. L’un porte sur le parcours de soins de femmes enceintes immigrantes sans RAMQ dans la ville de Québec; l’autre, sur les effets des programmes de logement social sur les bénéficiaires. Malgré une distinction de terrains et d’objets d’étude, les projets partagent l’objectif d’atteindre une compréhension fine des parcours de vie des groupes visés afin d’apporter des recommandations plus appropriées aux décideurs politiques. Cette convergence m’a poussée à mettre en commun mes apprentissages de ces méthodologies, dans une démarche réflexive, en m’interrogeant plus particulièrement sur comment les récits de vie peuvent-ils devenir des catalyseurs de changement social. Je propose qu’au cœur de la relation dialogique qui caractérise la coconstruction des savoirs et du lien éthique que chercheurs et narrateurs engagent se forgent une capacité d’action et un désir de changement social. L’engagement partagé par le contrat de parole et l’écoute du récit d’autrui, en tenant compte du « soi » situé dans son parcours de vie, m’amènent à approfondir la « responsabilité pour autrui » qui s’y noue. En somme, le croisement de ces savoirs pluriels soutient le point de vue selon lequel la pratique des récits de vie est une voie féconde de formation d’acteurs de changement.

Cette communication vise à présenter les retombées du laboratoire «Biographies et savoirs communautaires» mis en place en contexte universitaire. Proposé aux étudiants du niveau maîtrise/master, le laboratoire a été volontairement choisi par treize étudiants (jeunes et adultes), qui ont participé à douze sessions de deux heures de travail chacune.

Ce laboratoire avait été conçu selon cinq objectifs :

• proposer une formation transdisciplinaire (les deux animateurs enseignent la psychologie et la philosophie de l’éducation);
• favoriser l’engagement personnel de tous les étudiants participants;
• valoriser les biographies des participants, dans une logique de transformation du rapport à soi et aux autres;
• contribuer à l’explicitation des connaissances tacites produites par les communautés où les participants sont impliqués;
• entrainer les participants dans le processus d’écriture, en vue de la rédaction du mémoire.

Visant la constitution d’une véritable «communauté de pratiques», les six premières sessions du laboratoire ont été consacrées à l’autobiographie raisonnée. Cette pratique a permis aux participants de dépasser rapidement les trois premières étapes propres aux communautés de pratiques : du stade potentiel au stade de maturation, via le stade d’unification. Cela a permis la création spontanée de groupes de travail, qui ont su faire face efficacement aux taches requises par les six dernières sessions, dédiées à l’écriture collective.

Notre présentation prendra appui sur des travaux de recherche doctorale en cours qui visent la compréhension des processus et dynamiques de formation de soi vécus par des sujets ayant survécu à l’épreuve de la violence collective. Dans une démarche de recherche-action-formation, l’approche envisagée est celle des histoires de vie en formation, au sein d’un collectif de survivants ou survivantes de violences sexuelles liées aux conflits, dans la province du Sud-Kivu (République Démocratique du Congo).

Réalisée en terrain qualifié de sensible (Bouillon, Fresia & Tallio, 2005) – traversé de souffrances, d’injustices et de violences pour les personnes qui collaborent à cette recherche –, et difficile (Boumaza & Campana, 2007) – empreint de forts enjeux sociaux politiques et de dangers physiques et émotionnels  –, la méthodologie de l’étude doit être pensée et ajustée de manière à anticiper et réduire les risques de nuire à l’intégrité physique, psychique et morale de l’ensemble des acteurs et actrices impliquées, mais également de manière à répondre aux principes éthiques d’une recherche-collaborative, dégagée de tout rapport ethnocentré et inégalitaire.

Nous ferons état de l’avancée de nos réflexions concernant la pertinence, les enjeux et les défis méthodologiques et éthiques d’une approche interculturelle des histoires de vie en formation en terrain sensible.

En éducation et plus spécifiquement celle thérapeutique les récits de vie sont reconnus comme approche méthodologique conduisant vers des formes de savoirs. Mettre en mots au moyen d’un récit son expérience a montré sa pertinence à l’égard, entre autres, de la prise de conscience de l’événement que constitue la maladie dans le parcours de vie, la valorisation des savoirs acquis par la maladie, la mobilisation de formes de résilience face à l’adversité, le développement d’une «agentivité» dans le vécu de la maladie, ou en étant porteurs de savoirs complémentaires à ceux des soignants. Les retombées de l’exercice de mise en mots dépassent l’individu qui se raconte et rejoignent les personnes qui écoutent, les deux parties étant susceptibles d’être transformées. Sous ces considérations cette communication rend compte d’une démarche de focus group impliquant cinq personnes atteintes par une maladie chronique ayant réalisé chacune auparavant leurs récits dans un processus d’élaboration du sens de l’expérience de vie liée à la maladie. Elle s’inscrit dans la prolongation d’un projet réalisé en collaboration avec une association de malades où les récits ont été recueillis. Quelle est la portée des récits lorsqu’ils sont partagés par les pairs? L’expérience de partage est-elle porteuse d’apprentissages autres que ceux évoqués lors des récits construits individuellement? La communication décrira la méthodologie en incluant la démarche d’analyse qui tente de répondre à ces questions.

La communication proposée visera à déplier une partie de notre thèse, soutenue le 10 novembre 2021 et intitulée Approcher le vif du sujet par sa parole biographique.

C’est en effet à partir de notre herméneutique, que nous spécifions comme radicale car précisément pour elle rien n’est hors-texte, que nous exposerons ce qu’est notre clinique narrative. Autrement dit un régime attentionnel de lecture du récit biographique de l’autre. Une lecture attentionnelle faisant sens du récit biographique à partir de l’épreuve qu’elle fait du texte de l’autre. Une lecture qui se tient éthiquement dans une exploration ajournant toute exploitation du dire de l’autre. A savoir, un régime attentionnel au récit biographique de l’autre qui se prévaut d’une emprise intentionnelle sur lui : lire le texte de l’autre depuis sa géographisation et non depuis notre situé épistémologique de chercheur. Pour cela notre méthodologie de lecture du texte de l’autre se propose comme une prise de sens se composant dans une itinérance en lui. Cette itinérance prend appui sur les travaux de Deleuze et Guattari.

Au cours de notre itinérance dans le texte de l’autre nous avons découvert ce que nous nommons des nodosités biographiques, concept que nous avons forgé pour expliciter notre trouvaille dans le récit biographique de celui qui fait narration de lui. Nous expliciterons tout particulièrement cette notion en la mettant en lien avec les travaux d’Edgard Morin.

La notion de « situation biographique », telle que pensée et thématisée par Alfred Schütz, s’inspire notamment de la définition proposée par W.I Thomas dans son ouvrage « Social Behavior and Personality » paru en 1951. Elle s’intègre dans une théorie phénoménologique du monde social qui s’est en partie construite au contact de chercheurs de l’École de Chicago. Située à l’intersection de la sociologie compréhensive, de la phénoménologie sociale et de l’herméneutique de Dilthey, la pensée de Schütz avance une théorie de l’activité biographique inédite. En fondant une théorie phénoménologique du monde social articulée autour des « réserves d’expérience », des « structures de pertinence du monde de la vie », des processus de « réciprocité des perspectives de sens », Schütz forge des notions qui éclairent de manière singulière les processus narratifs et leurs effets transformateurs pour les sujets qui s’y exercent. Cet ancrage en phénoménologie constitue une ressource potentiellement sous-estimée pour penser la singularité de la recherche biographique et des histoires de vie en formation. C’est ce qui est réfléchi dans cette communication, en pensant notamment à ce qui a été désigné comme le tournant phénoménologique de l’herméneutique.

Les transformations profondes de notre société ont fait de l’entrepreneuriat une profession dans l’air du temps. Cependant, l’entrepreneuriat n’est plus le projet d’une vie, mais un projet professionnel parmi d’autres; dans les trajectoires individuelles, des périodes de salariat alternent avec des périodes entrepreneuriales.

            Étudier le processus de professionnalisation de l’entrepreneur est un défi car il s’agit d’un professionnel à visages multiples: une figure héroïque ou un « bricoleur », quelqu’un en recherche de sens dans son travail ou des moyens de subsistance, un dirigeant d’une entreprise de grande taille ou un patron « que de soi ».

Les approches narratives permettent d’aborder ce processus en tant que phénomène complexe. Notre démarche est double: investiguer pour comprendre les phénomènes en jeu, par une articulation des approches holistes et analytiques; accompagner le porteur de projet à trouver une adéquation entre son projet d’entreprise et son parcours de vie par une mise en récit de soi.

            Si en termes de procédés et de pratiques, le chercheur est amené à mobiliser des techniques spécifiques au champ biographique (réflexivité, implication, contractualisation), en termes d’intercompréhension, il devra avoir une connaissance des phénomènes en jeu dans l’agir entrepreneurial (les différentes temporalités, la dialogique entrepreneur-projet, etc.).

Le processus d’écriture d’un mémorial est une sorte de modalité herméneutique de l’approche biographique, car il s’agit d’un exercice d’auto-interprétation. D’un côté, nous nous auto-interprétons; de l’autre, nous cherchons dans le dialogue avec les autres une co-interprétation de notre expérience. Nous concevons le récit de soi dans le cadre temps/espace ricoeurien : qui raconte des expériences passées, à l’aide de la connaissance des faits dans le temps présent, les réélabore par des conjectures avec la pensée orientée vers l’avenir. Ce qui a été ne suscite pas, dans le présent, le même sentiment, ni ne possède la même signification qu’autrefois ; le regard qui remémore les faits de la vie en continuum se compose d’écrans qui façonnent, peu à peu, un personnage en tant qu’invention de soi. L’identité narrative est une dimension constitutive du personnage fabriquée par le narrateur qui élabore sa vie tout en narrant sa propre trajectoire à lui ; et la possibilité même d’émergence d’une telle démarche ressort, enfin, au vécu en tant que dialectique du soi-même, constitutif de l’identité personnelle, et de l’autre, constitutif de l’altérité.