Informations générales
Événement : 89e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 400 - Sciences sociales
Description :Ce colloque vise à penser les nouvelles méthodologies et les nouvelles écritures susceptibles de rendre compte de la dimension émotionnelle de la vie sociale. Nous proposons ici d’interroger les enjeux méthodologiques et épistémologiques que soulèvent la prise en compte et l’analyse des émotions en sciences sociales. Nous examinerons en particulier comment cette dimension du sensible se pose concrètement dans les recherches (depuis leurs conceptions problématiques et méthodologiques jusqu’à la diffusion des savoirs produits) et ce qu’elle induit sur nos manières de connaître.
Si la prise en considération de nos émotions dans les activités d’enquête est souvent appréhendée comme un enjeu de connaissance, elle semble aussi à l’origine d’un véritable renouvellement de nos méthodologies à travers des expérimentations, de nouvelles formes d’enquête et d’écriture, ouvertes et imaginatives (nouvelles narrations sociologiques, récits audiovisuels ou sonores, récits graphiques, performance, etc.). Nous tenterons ici d’objectiver cette emprise du sensible dans les recherches grâce à l’examen de ses mises en jeu et en forme, tout en interrogeant leurs effets sur le façonnement des sciences sociales.
Remerciements :Les responsables du colloque souhaitent remercier l'Université Laval et son département de sociologie, le GTE 10 "Emotions & Société" de l'Association Internationale des Sociologues de Langue Française (AISLF) et le collectif Emovere.
Dates :- Fabrice Fernandez (Université Laval)
- Hélène Marche (CERREV, Université Caen Normandie)
Programme
Ouverture du colloque
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Communication orale
Penser les rhétoriques du sensible en sciences sociales (Introduction générale)Fabrice Fernandez (Université Laval), Hélène Marche (CERREV (Université Caen Normandie))
Conférence plénière
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Communication orale
Le sensible dans l'archiveJean-François Lae (Université de Paris 8 Saint-Denis)
On oppose habituellement quatre figures d’archives : celle qui, avec ses petits papiers de gestion et les dossiers de chaque membre de la maisonnée, relève de l’individu dans sa vie domestique; celle de la correspondance entre deux êtres qui, comme un destin, traverserait solitairement le temps par des sentiments uniques; celle des espaces du travail qui, avec ses documents professionnels bien établis, retranscrit les gestes du métier dans une main courante; celle enfin qui relève du monde de l’administration, codée et surplombée par le point de vue de l’État, et qui ne serait que de simples doublures des injonctions juridiques. A suivre ces partages, on pourrait croire que l’individu est à son apogée dans les deux premières, puis se disloquerait dans les institutions d’autorité pour les dernières. Les sentiments seraient lisibles dans la première série, les intérêts stratégiques dans la seconde. C’est là sans doute l’un des arguments ayant conduit à l’abandon de ces archives mineures, si indigentes et si ridicules disent certains. Or, nous proposons une lecture sensible de cet ensemble d’archives. Nous proposons d’ouvrir la part la plus intime des auteurs où les postures sont infinitésimales, en prenant en charge la palette des émotions : indifférence, impatience, colère, ruse, résignation, supplique ou prière. Ce principe de variation met à l’épreuve l’idée selon laquelle même dans les documents les plus administratifs, le sensible et le social sont présent en sous-main.
Session I – Enquêtes et engagements émotionnels
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Communication orale
Le travail émotionnel dans et après l’enquête : le difficile ajustement du sociologueEstelle Laurent (GRESCO Université de Poitiers)
Je réalise une thèse intitulée « La socialisation par la maladie à l’épreuve du dégoût » portant sur la gestion quotidienne d’affections touchant l’appareil intestinal (alcoolodépendance, cancer colorectal et maladies inflammatoires et chroniques de l’intestin). Mon enquête s’appuie sur une soixantaine d’entretien avec des individus malades et leurs proches réalisés, pour la majorité, en tant que chargée d’étude au sein des projets de recherche « MACHROAPI » dirigés par Ludovic Gaussot (financement : CPER, FEDER, Ligue nationale contre le cancer).
L’objet de cette communication est d’essayer de comprendre le silence sur ces maladies par l’analyse des relations d’enquête et de leurs restitutions afin de contribuer aux axes 1 et 4 de l’appel à communication. Dans un premier temps, il s’agirait d’évoquer les conditions sociales qui permettent les révélations sur la maladie et le stigmate dans l’enquête puis, de rendre compte des effets de ces révélations sur les enquêté.es et l’enquêtrice. Ensuite, j’expliquerai que l’« après-enquête » nécessite un travail émotionnel, à moyen terme, pour faire face aux récits des épreuves des enquêté.es et pour restituer ceux-ci face à un public de chercheur.se.s susceptible de mettre à distance ce qui relève des bassesses du corps et des émotions triviales.
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Communication orale
Enquêter auprès de mères de familles populaires immigrées ou ethnicisées : les affects des chercheuses à l'origine de "bricolages" méthodologiquesLise Lhéritier Alaoui (Université Rennes 2), Chloé Riban (Université Paris Nanterre, CREF (UR 1589) & CREAD)
Nous avons enquêté avec des mères de familles populaires, stigmatisées en raison de leur appartenance à des groupes minoritaires (Goffman, 1975 ; Guillaumin, 1972). En tant que femmes diplômées, nous avons été saisies par le risque de reproduire des rapports de pouvoir entremêlant différents vecteurs (Kergoat, 2009 ; Bilge, 2010). Les émotions ont ainsi marqué notre entrée dans l'enquête, notamment la crainte d'une forme d'exploitation épistémique (Berenstain, 2016). Ces affects nous ont amenées à des formes de "bricolage" méthodologiques, proches de la théorisation ancrée (Glaser & Strauss, 2010). A l'image inversée de Chamboredon et al. (1994) avec "s'imposer aux imposants", nous considérons en effet l'enquête comme un ensemble de relations où, avec vigilance, se négocient les liens. Alors que nous pouvions être une "instance empiétante" (Hertiman, 2021), nous avons mobilisé nos affects au service de la compréhension des actrices. Puisque « c'est l'oubli de la domination [...] qui ménage aux classes populaires le lieu [...] de leurs activités culturelles les moins marquées par les effets symboliques de la domination » (Grignon et Passeron, 1989, p. 104), nous avons quitté l'enquête dans sa dimension formelle pour mieux y entrer. Visibiliser les émotions à l'œuvre permettra de montrer leurs effets sur le plan méthodologique et sur la production des données.
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Communication orale
Calmer les sensations du jobard ? Relire Erving Goffman et objectiver « les emprises » sensorielles lors d’une ethnographie des « soirées chemsex »Romain Amaro (Université Paris Nanterre)
Dans un texte resté célèbre, Erving Goffman propose un cadre conceptuel pour l’analyse de ce qu’il appelle « l’adaptation à l’échec ». Il propose un concept de « jobard ». Pour Goffman, « le jobard est quelqu’un qui s’est compromis, sinon aux yeux d’autrui, du moins à ses propres yeux ». Il souligne que calmer le jobard, c’est aussi calmer le drogué[1]. Je propose un cas d’étude : le moment où l’ethnographe est attiré dans une combine et qu’il est pris pour un « jobard ». J’exposerai les enjeux de l’emprise du sensible lors d’une enquête sur le chemsex[2].Comment analyser les emprises sensorielles (honte, paranoïa, hilarité)[3] d’un point de vue de l’ethnographie ? J’explorerai là les enjeux de « réduction des risques par le bas » et le voilement/dévoilement de soi émotionnel.
[1] Erving Goffman (1969) parle du moment où les acteurs « prennent de la valeur » : « les gens qui tombent amoureux ou ceux qui se droguent disent qu’ils sont accrochés ».
[2] Chemsex : désigne l’association de drogues et de sexualité entre hommes bisexuels ou homosexuels . Les éléments présentés dans ce texte rassemblent les résultats d’une enquête de master et doctorat effectué de 2013 à 2018 pour le terrain et de 2019 à 2022 pour l’écriture. Cette scène renvoie à un moment où les enquêtés consomment du free-base et s’adonnent à des pratiques homo-érotiques.
[3] Les sentiments de honte et de paranoïa ont déjà été étudié d’un point de vue politique et philosophique. Voir Eribon 2009, Mieli. 2008
Conférence plénière
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Communication orale
Le sensible dans la recherche ethnographique: quelques réflexions sur la pudeur dans les soins et la rechercheEric Gagnon (VITAM-Centre de recherche en santé durable), Romane Marcotte (Université Laval)
On pourrait penser que la pudeur appartient à un autre âge, qu’elle n’est plus un souci à une époque où l’on valorise l’authenticité, la transparence et le témoignage. Mais il n’en est rien, et particulièrement dans les soins de longue durée, où la pudeur demeure une préoccupation très vive. La pudeur est davantage qu’une simple règle de bienséance : elle est à la fois un sentiment, où se mêlent différentes émotions, et une conduite en réaction à une situation. Nous en ferons l’examen à partir d’une expérience de recherche en centre d’hébergement. Nous verrons comment elle peut être un objet d’étude pertinent pour le sociologue, en quoi elle est révélatrice des formes de relations qu’entretiennent les individus, de leur conception de la personne et de leurs rapports à leurs émotions. Nous verrons également qu’elle est un principe moral que le sociologue se doit lui-même de respecter lorsqu’il mène ses observations sur le terrain, ainsi que dans la manière dont il en rend compte par la suite. Dans tous les cas, la pudeur exige une forme de maîtrise des émotions.
Conférence plénière
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Communication orale
Se saisir des émotions en sciences sociales : un renouveau méthodologiqueCécile Van De Velde (UdeM - Université de Montréal)
Joie, honte, peur, colère… comment se saisir des émotions en sciences sociales ? A partir d’enquêtes récentes, cette communication explore la nouvelle créativité méthodologique induite par le « tournant émotionnel » de ces dernières années. Que ce soit par le prisme de médias sociaux, de paroles publiques, de témoignages écrits, de récits de vie ou de capteurs physiques, nous montrerons comment certains dispositifs empiriques permettent désormais d’investir une diversité de langages émotionnels -corporels, oraux ou écrits-, et d’approcher d’un peu plus près ces mondes du « sensible » longtemps ignorés des épistémologies classiques. Nous ouvrirons la discussion sur les défis émergents et les nouvelles frontières méthodologiques posées par ce tournant émotionnel en sciences sociales.
Dîner
Conférence plénière
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Communication orale
L’insécurité comme problème social, cognitif, et affectif pour le soiValérie De Courville Nicol (Université Concordia)
Deux points de vue courants sur les perceptions à la source du sentiment d'insécurité, que je comprends comme une incapacité ressentie à surmonter les menaces sociales, cognitives, et affectives qui pèsent sur le soi, s'opposent dans la culture clinique, universitaire, et populaire contemporaine. D'une part, la perception d'insécurité est un problème mental individuel (comme une mauvaise estime de soi, un attachement insécurisant, ou un trouble anxieux). D'autre part, il s'agit d'un problème social collectif (tel que le manque d'accès aux ressources d'un groupe, l'exposition chronique aux risques, ou l'instabilité politique). Pour dépasser cette polarisation des cultures internes et externes et intégrer, de manière conceptuelle, les forces sociologiques, psychologiques, et biologiques à l’œuvre dans ce sentiment, je m'appuie sur l'approche sociologique phénoménologique de l'in/capacité incarnée (de Courville Nicol, 2022 ; 2011) et sur une multitude de perspectives complémentaires sur l'«émotionalité» et la vie sociale. Je propose de voir les sentiments d'insécurité comme des expériences émergentes qui échappent aux formes linéaires de représentation, comme des instances diverses qui intègrent de manière holistique le contexte, et comme des perceptions surdéterminées générées par des voies multiples. Pour conclure, je présente quelques-uns des concepts «interfaciaux» que j’utilise dans l’analyse émotionnelle-discursive des manifestations culturelles de l’insécurité.
Session II – Enqûeter dans des mondes sensibles : questionnements épistémologiques et méthodologiques
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Communication orale
Observer par procuration le charme des hommes. Expérimentation méthodologique d’une anthropologie des émotions érotiques.Morgane Tocco (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (France))
Cette contribution propose l’analyse réflexive d’une expérimentation méthodologique menée dans le cadre d’une recherche anthropologique questionnant les regards érotiques de femmes portés sur les corps d’hommes, en France, dans le contexte contemporain. L’objet d’étude pouvant difficilement être étudié par l’observation directe, un dispositif de photographie participative de type photovoice (Wang, Yuan & Feng, 1996) a été adopté, complété d’entretiens ethnographiques (Skinner, 2012). Des appareils photographiques ont été confiés aux enquêtées volontaires qui devaient auto-documenter leurs désirs et plaisirs visuels, en photographiant des hommes jugés séduisants au cours de leur vie quotidienne. L’intérêt de ce dispositif est double : d’une part, il permet aux participantes de développer leur réflexivité sensorielle ; elles en deviennent des informatrices éclairées. D’autre part, la chercheure peut être témoin par procuration des émotions esthétiques, sensuelles et sexuelles ressenties face aux hommes regardés. Néanmoins, l’expérience ne s’est pas déroulée sans difficultés et la moitié des participantes ont abandonné. La communication réfléchira sur les facteurs expliquant ces échecs. L’objectif est de montrer que le geste photographique auto-ethnographique permet de simuler l’expérience visuelle incarnée des enquêtées. La méthode met ainsi en exergue la dimension sociale des émotions érotiques, en révélant des enjeux de pouvoir, de morale et de goûts.
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Communication orale
« Défis théoriques et nouveautés méthodologiques dans l’enquête des situations sensibles : étude de cas à partir d’une recherche sur les ambiances du (contre)terrorisme en France »Angeliki Drongiti (Cergy Paris Université), Damien Masson (Université de Cergy)
Quelles sont les conséquences des mesures antiterroristes dans la façon de sentir la ville, d’y agir et de s’y sentir ? Plus précisément, comment les actions et dispositifs sécuritaires influencent les ambiances urbaines ordinaires. Cette communication expose des réflexions théoriques et épistémologiques issues d’une démarche mobilisant des approches géographiques, sociologiques et urbanistiques.
La problématique articule la notion d’ambiance pour saisir l’expérience subjective du sensible (Kazig, Masson 2017) dans l’espace urbain, à la sociologie de des émotions collectives (Bernard, 2013 ; 2017) pour interroger les effets du terrorisme et de sa prévention sur les affects et émotions quotidiennes.
La méthodologie accorde une place importante aux approches qualitatives situées : ethnographies sensibles (Pink, 2009) combinant la méthode des itinéraires (Petiteau 2001) et des parcours commentés (Thibaud, 2001) ; entretiens semi-directifs avec des habitant.e.s d’Île de France, des aménageurs, des acteurs de politiques publiques et de sécurité ; et des observations non participantes des espaces publics fortement sécurisés.
Cette approche assemblant ambiances et émotions permet d’aller au-delà de la terreur comme catégorie affective d’emblée associée aux actes terroristes et à la sécurisation de l’espace public (Adey et al. 2013) et d’accéder à la saisie du sens affectif (Anderson, 2009) des « panoramas émotionnels » (Drongiti, 2019) liés à ces phénomènes.
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Communication orale
Praxis de terrain et émotionsCécile Vermot (Sup'Biotech)
L'objectif de cette présentation est de questionner la praxis de terrain dans une recherche concernant la sociologie des émotions. Pour ce faire, je reviendrais ici sur l’élaboration de mon interprétation de l’expression de la colère et de la nostalgie par les migrants argentins (1999-2003) à Miami (Etats-Unis) et Barcelone (Espagne). Dans un premier temps, je montrerai que pour comprendre la colère des Argentins vis-à-vis de l’Argentine, il m’a fallu faire des allers-retours entre les données discursives (récit des migrants) et l'observation participante. En effet, la présentation du « soi argentin » lors des entretiens n'était pas la même que lors de l'observation participante. Ne prendre en compte que les entretiens m'aurait conduit à une mauvaise interprétation du rejet de l'Argentine par les migrants argentins. Dans un deuxième temps, je présenterai comment la prise en compte de la temporalité de mon travail de terrain m'a permis de comprendre pourquoi les Argentins à Miami exprimaient de la nostalgie vis-à-vis de l’Argentine, ce qui n’était pas le cas des Argentins à Barcelone. En conclusion, cette présentation souligne que pour observer, analyser et interpréter les émotions, seule l'interdépendance entre les données collectées à travers les récits et l'observation participante dans l'espace et le temps m’a permis d'atteindre une perspective heuristique.
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Communication orale
Émotions et grammaire des « souvenirs emprisonnées : des affinités électives ? Une étude exploratoire.Alexandre Jouhanneau (Université d’Ottawa)
Dans le cadre d’une étude exploratoire menée en France, j’ai voulu mieux comprendre comment les six anciens détenus que j’ai interrogés m’ont témoigné de leur expérience carcérale. Pour cela, j’ai montré que les émotions ont joué un rôle souvent essentiel dans la construction des souvenirs du passé carcéral, tel qu’il se donne à voir dans le cadre d’un long entretien biographique. Pour restituer empiriquement ce phénomène, il m’a fallu mettre au jour aussi bien la part intentionnelle de ces souvenirs, et des émotions qu’ils suscitent, que la part sociale de cette « mémoire autobiographique » (Berntsen & Rubin, 2012), en m’intéressant notamment à leurs multiples temporalités. Ce que m’a permis d’entrevoir cette analyse exploratoire, c’est qu’avec cette forme de « mémoire », quand elle rend compte de « souvenirs emprisonnés », l’analyste est confronté à un type de « traduction » ayant sa propre morphologie sociale ainsi que différentes grammaires d’expression, tout autant mémorielles qu’émotionnelles. En conséquence, afin d’avoir une idée plus précise sur ce qui « reste » de la prison pour les ex-détenus, dans la temporalité « post-carcérale », il semble tout à fait utile de s’intéresser à leur « travail émotionnel » (Hochschild, 1979), quand ils témoignent de leur expérience carcérale, par le biais d’une ou plusieurs « grammaires mémorielles », d’autant que ces dernières pourraient être, en partie, le produit d’« effets de cadrage », tout comme les émotions (Déchaux, 2015).
Session III – Passions et attachements au sein des mondes socioémotionnels
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Communication orale
L'art contre la machine : émotions et technosciencesJean-Paul Fourmentraux (Aix-Marseille Université - EHESS (Centre Norbert Elias))
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Communication orale
L’émotion au service du travail dans le secteur artistique : les galeristes d’art contemporain et leurs « amis /clients » (comment effacer la relation marchande pour mieux vendre).Alain Quemin (GEMASS - Sorbonne université)
Alors que la dimension marchande est centrale dans le métier de galeriste, les activités développées par ces professionnels tentent fréquemment de masquer cette dimension en s’inscrivant dans un registre d’apparente gratuité, amical. Lors d’une séquence d’observation, nous avons ainsi eu la surprise d’entendre un galeriste utiliser l’expression d’« ami slash client » pour désigner un acheteur.
C’est précisément la nature particulière de la relation unissant les galeristes et leurs principaux clients que nous entendons analyser dans le cadre de cette communication. Comment se manifeste l’« amitié » entre galeriste et collectionneur/se ? Comment fait-on naître puis entretient-on cette « amitié » qui permet à la relation marchande de s’épanouir, à l’aide de quels instruments, de quelles techniques ? Il s’agira de prendre l’amitié au sérieux et d’étudier sa place dans le monde des galeries d’art contemporain.
Dans une perspective interactionniste empruntant tant aux analyses d’Howard S. Becker sur les mondes de l’art et leurs communautés que d’Anselm Strauss sur le travail invisible, nous nous appuierons notamment sur les très nombreuses observations de terrain recueillies dans le cadre d’invitations – cocktails, diners, visites d’expositions ou voyages – dont nous avons nous-même bénéficié en tant que journaliste / critique d’art, notre seconde activité professionnelle, connexe à celle d’enseignant-chercheur, et « ami » et qui visaient également des collectionneurs.
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Communication orale
Mise en présence des entités invisibles. Usage du registre émotionnel chez les fidèles pentecôtistes et les pèlerins de LourdesLaurent Amiotte-Suchet (Haute école de santé Vaud (Lausanne))
Cette communication prendra appui sur des enquêtes ethnographiques menées au sein d’assemblées pentecôtistes de l’est de la France et de pèlerinages mariaux à Lourdes. Alors que les pentecôtistes manifestent, durant le culte, des attitudes particulièrement démonstratives lors de « la venue du Saint Esprit » (exclamations « spontanées », perte de contrôle, improvisations « inspirées »), les pèlerins restent immobiles et silencieux pour « entrer en contact » avec la Vierge face à la grotte de Massabielle. Mais dans un cas comme dans l’autre, l’usage maîtrisé des émotions est manifeste. Les fidèles déclarent ressentir une présence et adoptent les attitudes corporelles socialement convenues pour manifester l’« authenticité » de cette dernière. Nous nous trouvons bien là au cœur de ce que Roberte Hamayon désigne comme le « jeu-rituel » puisqu’il convient dans le même temps d’adopter une attitude personnelle empreinte de spontanéité – prouvant que l’entité invisible convoquée agit concrètement de son propre chef – tout en homogénéisant les comportements individuels « spontanés » pour que le collectif puisse démontrer la légitimité des discours pastoraux et des pratiques rituelles qu’il promeut. Le dispositif rituel est un jeu, un théâtre d’improvisation où l’usage maîtrisé du registre émotionnel sert à démontrer publiquement l’« authenticité » de la présence et, par là même, la légitimité du collectif et de ses autorités en place.
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Communication orale
L’accueil familial pour personnes âgées et handicapées Cœur machinal et détraquementCélia Le Cocq-Foltz (Université de Caen)
L’accueil familial pour personnes âgées et handicapées est un dispositif d’hébergement peu connu qui relève du domaine médico-social. A partir d’une approche anthropologique des sensibilités où les perceptions et les émotions sont au cœur de l’analyse, je m’intéresse aux différents modes d’hospitalités, c’est-à-dire à ce qui fait appartenance, dans le cadre du néolibéralisme et en particulier du système bien-être où tout converge vers « l’industrie du bonheur » si l’on se réfère à l’ouvrage d’Eva Illouz et d’Edgar Cabannas.
Dans cette communication, je propose d’aborder plus particulièrement la situation des accueillantes familiales qui exercent leur activité à des fins mercantiles. Dans un premier temps nous verrons dans quelle mesure nous pouvons considérer que leur accueil est pour elles un fonds de commerce puis, de quelle façon il se révèle comme factice.
De cette analyse, émergera une esthétique permettant de dessiner une géographie sociale, imaginaire et métaphorique sous les concepts de seuil, bord et béance immonde. Si le seuil désigne le lieu, l’espace de l’entre-deux et en ce sens, le mouvement de l’accueil, la possibilité de rencontre avec l’inconnu, l’estime et l’action réciproque par la force des liens, le bord et la béance offrent un prisme tout à fait contraire.
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Communication orale
Apprendre à aimer. Émotions et apprentissages chez les élèves de Bac Pro ASSP - accompagnement, soins, services à la personneGuillaume Cuny (Université Paris Saclay / Centre Pierre Naville)
Cette proposition de communication s’appuie sur une recherche en sociologie filmique pour laquelle nous avons mené une enquête longitudinale sur trois ans auprès d’élèves scolarisés dans le Bac Pro ASSP (accompagnement, soin, services à la personne) qui se destinent aux métiers du care (Giligan, 1982 ; Divert, 2020).
Les métiers du care comme tous les métiers de service comportent une dimension relationnelle qui s’accompagne d’émotions qu’il convient pour les élèves d’apprendre à reconnaître et à gérer (Hochschild, 2001 ; Cartier 2012 ; Avril,2014). Ce travail émotionnel n’est pas reconnu par les structures et n’est pas présent dans les grilles d’évaluation de l’Éducation nationale alors que les élèves eux-mêmes reconnaissent la prégnance de ces émotions.
Si les concepts de travail émotionnel et de travail relationnel nous aident à concevoir ces dimensions de l’activité, il n’est pas toujours simple d’en rendre compte à travers l’écriture académique. La sociologie filmique apparaît alors comme un outil pour rendre visible ces dimensions cachées de l’action (Clot, 2006). Pour ce faire, le sociologue doit se mettre dans la peau d’un metteur en scène pour rassembler les éléments permettant de faire advenir une parole. Le dispositif filmique, en renouant le dialogue entre esthétique et politique (Rancière, 2000), doit alors dépasser le statut de simple outil de retranscription pour devenir un espace où les enquêtés pourront fabuler (Deleuze, 1985).
Dîner
Projection / débat
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Communication orale
Cuentos de humo - court métrage (23 minutes), Les Films Velvet (2021)Nataly Camacho Mariño (Université de La Rochelle), Théo Zachmann (Réalisateur indépendant)
Cuentos de humo (Contes de fumée), co-écrit par Nataly Camacho et Théo Zachmann, réalisé par Théo Zachmann, produit par Les Films Velvet, financé par le Centre national du Cinéma (CNC) et Arte France, 23’, 2021.
"Sous forme de contes fantastiques racontés dans les bus de Bogotá, Lasso, un jeune sans- abri, consommateur de Bazuco, arbore l’histoire de sa propre vie et fait émerger, au milieu de sa crainte d’un cycle qui se répète sans cesse, le souvenir d’un fils qu’il n’a pas vu grandir”.
Ce court-métrage de fiction s'inspire de la recherche de thèse de Nataly Camacho intitulée: Une anthropologie de la rue. Pauvreté, drogues et violence dans les ollas de Bogota (Colombie)
Prix et sélections dans des festivals : 2022, Sélection au Festival de cinéma Hispano-américain de Poitiers, mars 2022 ; 2021, Lauréat du prix Shorts TV au 36e Festival Européen du Film Court de Brest, France, 9-14 novembre ; 2021, Sélection au Panorama Amérique-Latine du Festival International du Film de Nancy, France, 27 août-5 septembre ; 2019, Lauréat du premier prix du concours de scénario du 35e Festival du Cinéma Européen, Lille, France, 8-15 mars.
Conférence plénière
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Communication orale
Approches innovantes pour ressentir autrementAlexandrine Boudreault-Fournier (University of Victoria)
Il est clair qu’une approche positiviste en sciences sociales ne permet pas convenablement d’adresser les véritables enjeux de notre monde, ni de décloisonner les disciplines scientifiques d’un milieu exclusivement académique. Cette présentation se penche sur le potentiel des approches méthodologiques qui expérimentent avec le sensible. Plus précisément, je me pencherai sur les opportunités offertes par une approche multimodale en sciences sociales et humaines pour proposer de nouvelles avenues de recherche qui contribuent à la diversification des savoirs, à la décolonisation de nos disciplines ainsi qu’à la création de nouvelles formes de collaboration. Pour développer ce point, je puiserai dans des réalisations multimodales (video, son, dessin et installation) émergents de projets de recherche récents.
Session IV – Résonnances sensibles
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Communication orale
"Se penser et se dire par le sensible. Le théâtre performatif, forme alternative d'écriture en sciences sociales".Sophie Lewandowski (Institut de recherche pour le développement)
Dans les quartiers populaires du centre-ville de Marseille, les relations entre accompagnants de la scolarité (enseignants, parents, éducateurs…) sont marquées par des rapports de force et des incompréhensions socio-culturelles. Le projet École, famille, quartier étudie ces relations sous l’angle des affects vécus dans de micro-événements d’interactions quotidiennes. Pour cela, chaque partie prenante met en scène ces situations au sein d’ateliers de théâtre forum-CNV (Communication non violente). Les ateliers mettent en exergue notamment (i) les stéréotypes, les représentations, mais aussi les savoirs sur soi, sur l’autre, sur les rapports de force dans la relation, (ii) les émotions associées à ce qui est important pour chaque partie prenante, (III) la différence des régimes émotionnels d’une groupe social à l’autre, (iv) les stratégies privilégiées de chaque groupe pour satisfaire ses besoins. Par l’intermédiaire de la dramaturgie, ils proposent une position auto-réflexive où chacun, chercheurs compris, analyse et partage sa position dans la conscience de sa singularité. Ce dispositif de recherche-action propose et assume ainsi une rhétorique du sensible spécifique, qui sert de base d’échange de points de vue et de savoirs. A partir d’une vidéo et de données d’entretiens, la communication propose une réflexion sur le théâtre performatif comme forme d’écriture alternative en sciences sociales.
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Communication orale
Faire résonner le sensible. Ethno/graphie politique du traitement judiciaire et médiatique d'une tuerie de masseSarah Arnal (MMAQ), Fabrice Fernandez (Université Laval), Stéphanie Gariépy (Université Laval), Sophie Marois (Université de Toronto)
À partir de l’étude du procès d’une tuerie de masse perpétrée contre une minorité religieuse à Québec, cette communication vise à penser une nouvelle manière de produire un écho aux dimensions politiques des récits d’adversité des survivants et des familles de victimes. Circonscrits au tribunal, leurs témoignages chargés d’affects et d’émotions inscrivent la violence de l’attaque dans un paysage politique empreint de discriminations, de racisme et d’islamophobie. Malgré l’omniprésence, durant les audiences, de ces récits à la portée politique manifeste, nous avançons que la dépolitisation de la tuerie les a rendus inaudibles dans l’espace public. En effet, cette parole sensible au regard de sa dimension contestataire demeure contenue – voire confinée – par des mécanismes de voilement des dissonances interprétatives, émotionnelles, culturelles et sociales. Pour éclairer cette mise sous silence, nous avons travaillé à une forme d’écriture et d’illustration basée sur une ethno/graphie collective. Les images produites dans ce cadre ne visent pas à illustrer le texte scientifique, mais à générer, à travers un dialogue texte/images, de nouvelles façons de rendre compte, par une sorte de résonance sensible, de ce que nous étudions et de ce que nous ressentons sur le terrain. Ce travail ethno/graphique vise à faire circuler, dans l’espace public, un regard sensible sur des expériences et des parcours de vie afin de retrouver la dimension critique et politique de leur mise en récit.
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Communication orale
Parloir Libre et la voix des détenus, colère collective en prison : performer une archive radiophoniqueJuliette Petit (Paris 8 Université)
Cette communication traite de mon terrain de recherche sur Parloir Libre, émission radio anti-carcérale des années 1980 en lien avec les prisonniers d’Île-de-France. Ses archives audio donnent à entendre l’expression singulière d’une colère de l’intérieur des murs, celle des détenus, émotion collective qui leur semble de coutume refusée sur la scène médiatique. Alors que la décennie 80 voit la naissance des radios libres, les prisonniers et leurs proches se saisissent des ondes pour faire résonner leurs paroles de part et d’autre des murs. Cette décennie est marquée par de nombreuses révoltes en détention, les premières depuis que les détenus possèdent eux-mêmes des outils d’expression, des lettres écrites de l’intérieur et lues à l’antenne par les animateurs, jusqu’à l’enregistrement de cassettes clandestines en prison, diffusant la voix même des enfermés. Nous aborderons la méthode d’enquête et le format hybride de cette thèse – entre écriture et documentaire sonore –, à travers le souci de faire entendre ces archives audio comme témoignage de la reprise en charge médiatique des prisonniers par eux-mêmes, permettant l’expression de cette colère collective inaudible jusqu’alors. Pensé comme format de diffusion de la thèse, et comme méthode d’enquête (devenant aussi le prétexte à la réalisation d’entretiens), il s’agit de faire résonner les voix prisonnières de ceux qui, 40 ans plus tard, réinvestissent la radio en réalisant des entretiens sur leur expérience rétrospective.
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Communication orale
Mettre en scène et lire le sensible : pour une médiation scientifique engagée et créative.Anne-Cécile Hoyez (CNRS)
Cette communication prendra appui sur un retour d’expérience en recherche-création qui a réunit les membres d’un projet de recherche en sciences sociales et une compagnie de théâtre[1]. La recherche abordait l’accès aux soins et les trajectoires de soin de personnes migrantes récemment arrivées en France, tout en prenant en compte les expériences de soins des professionnel.le.s qui les recevaient en consultation dans différents lieux, en différentes villes. La place des émotions sur ces terrains nous a conduit à adapter les formes d’écriture scientifiques afin de mieux restituer, dire et exprimer les émotions des migrant.e.s, professionnel.le.s de la santé et du social rencontré.e.s mais aussi des chercheur.se.s en situation de recueil de données sensibles. C’est le théâtre qui s’est imposé, plus précisément la « lecture-spectacle » (proche du théâtre documentaire) -car nous ne souhaitions pas endosser de « rôles » ou « jouer » des personnages.
La communication reviendra sur le contexte d’émergence de cette lecture-spectacle : elle présentera la façon dont elle s’est construite avec la Compagnie de théâtre, et décrira les contenus et le déroulé de la lecture. Ensuite, dans une visée réflexive, elle proposera trois points à la discussion : (1) sur l’invisible et l’indicible en santé, (2) sur la recherche-création comme objet de médiation scientifique, (3), sur la dimension créative et humaniste des sciences sociales.
[1] https://migsan.hypotheses.org/440
Session V – Fictions et émotions
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Communication orale
L’épreuve contemporaine de la maladie : de l’enquête sociologique au récit de science-fictionHélène Marche (CERREV, Université Caen Normandie)
Cette communication propose une réflexion sur les usages du récit de fiction et de l'écriture poétique dans les mises en forme de la recherche sociologique. Partant de travaux menés depuis plusieurs années sur l'épreuve du cancer et son encadrement bio-médical, j'expliciterai mon travail d'écriture - et de relecture - d'une nouvelle publiée en 2020 dans le domaine de la littérature de science-fiction autour de l’expérience de la maladie et des relations de soins, prenant le parti de les transposer « dans un monde où les frontières entre le normal et le pathologique n’existeraient plus ». Je propose ici de revenir sur le travail de réélaboration de la matière sociologique comme production d'un dispositif de sensibilisation, dans laquelle la mobilisation de tactiques narratives, les déplacements de sens et les mises en jeu du rapport au public m'ont permis, par le détour, de réinterroger la dynamique des subjectivités autour du soin, la diversité des normes morales mobilisées par les soignants ou encore les perceptions sociales et culturelles de la maladie grave. En quoi ces méthodes d'expérimentations de la matière sociologique mobilisant les arts et l'écriture poétique participent-elles de la connaissance de la vie sociale ?
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Communication orale
Ethnographie et création artistique: récits fictionnels pour raconter et saisir le sensibleNataly Camacho Mariño (Université de La Rochelle)
L'articulation entre recherche et création artistique s'est placée depuis une dizaine d'années au centre des réflexions méthodologiques et épistémologiques des études d’Art, révélant ainsi un panorama nouveau des relations possibles entre la recherche universitaire et la pratique artistique. Au travers du prisme d’une démarche ethnographique dans l’« univers de la rue » à Bogota (Colombie), je propose pour cette communication de réfléchir à la place de la création artistique (ici cinéma) dans la recherche en sciences sociales, non seulement concernant les aspects méthodologiques, mais aussi les résultats de nos travaux. Je m’intéresse particulièrement à comment le « fictif » traverse le travail ethnographique et comment, en tant que construction sociale mais aussi artistique, il nous rapproche, par ses nuances, de l’expérience sensible d’une condition de vie limite marquée par la précarité, l’usage de drogues dures et divers types de violence.
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Communication orale
La mise en fiction de l’expérience de terrain. Proposition d’esquisses ambiantales et poétiques.Nathalie Audas (Université Grenoble Alpes, CNRS, ENSAG)
MOBI’KIDS est un programme de recherche qui vise à comprendre les conditions de mobilités quotidiennes des familles, notamment l’évolution de celles des enfants.
La proposition vise à présenter des résultats d’analyses qualitatives issus de parcours commentés réadaptés de l’outil initial (Thibaud, 2001), et menés auprès d’enfants en cours d’acquisition de leur autonomie (passage CM2-6è). Deux phases d’enquête se sont succédé, l’une avec enregistrement audio de la conversation entre l’enfant et l’enquêteur se rapprochant ainsi d’une « ethnographie relationnelle/participative en mouvement » et l’autre avec une captation vidéo via une caméra embarquée par l’enfant.
De ces deux types de matériaux émerge une analyse sous la forme d’une mise en récit poétique des ambiances dans un souci d’imprégnation de l’expérience de terrain par le chercheur-analyste, afin de rendre compte des faits observés, entendus ou perçus dans leur contexte d’inscription. Ces récits sont ensuite retravaillés en empruntant au registre de la fiction pour relater les relations sensibles et affectives des enfants envers leurs espaces de vie. La restitution poétique d’inspiration fictionnelle peut-elle avoir sa place dans l’exercice d’écriture scientifique ?