Informations générales
Événement : 89e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 300 - Lettres, arts et sciences humaines
Description :Le droit peut-il exister sans contraintes, ou autrement dit, le droit n’est-il que contrainte?
En droit, la notion de contrainte connaît plusieurs emplois. La loi, par exemple, est comprise comme une contrainte sociale. Plus couramment, la contrainte est carrément assimilée à une obligation. De ce point de vue, la contrainte est envisagée comme liant notre volonté et nous privant de liberté.
Pourtant, la contrainte est surtout une nécessité de la liberté, en ce qu’elle assure un potentiel créatif indéniable. Ainsi, l’article 1378 du Code civil du Québec, qui définit le contrat, nous rappelle que chacune des parties est libre de s’imposer ses propres contraintes juridiques, le contrat étant la loi des parties.
Partant de ce paradoxe, cette journée de réflexion explorera le potentiel de créativité de la contrainte sur le droit en s’inspirant des pratiques de l’OuDroPo,, l’Ouvroir de Droit Potentiel, un lieu de créativité juridique et de théorie du droit se situant dans la mouvance de l’OuLiPo,, l’Ouvroir de Littérature Potentielle. Ce colloque invite ainsi les participantes à imaginer du droit potentiel basé sur l’utilisation d’une contrainte, tel que nous y invite l’OuDroPo,, qui dispose dans son manifeste qu’« à l’aide d’une contrainte librement choisie, il sera créé du droit : norme, acte, lien, prérogative ou personne juridique ».
Plus précisément, cette journée souhaite mettre en lumière les contraintes et les habitudes qui structurent la pensée juridique, et les normes qui s’en dégagent, trop souvent laissées dans l’ombre, rendant la pensée juridique inconsciente, voire machinale, et donc contrainte malgré elle.
Redonner une visibilité aux contraintes permettra de reprendre la main sur le droit envisagé comme « science humaine » et de révéler la grammaire innervant le droit et le pouvoir qu’elle exerce sur notre manière de le penser et de le vivre.
Ce colloque se veut un lieu d’expérimentation permettant de faire jaillir le potentiel « infini » » du droit. Il vise à explorer le droit à partir de différentes contraintes et disciplines dans le but de contrecarrer les approches actuelles qui réduisent le droit, son enseignement et sa pratique aux règles en vigueur et à leur mise en œuvre plutôt que de le comprendre comme un processus culturel et poétique, participant à la constitution du monde.
Organisé par le Groupe de recherche sur les humanités juridiques, ce colloque s’inscrit dans une programmation de recherche subventionnée par le FRQSC sur les humanités juridiques. Il contribuera à rappeler le caractère foncièrement humaniste du droit en s’appuyant sur des expertises originales et complémentaires qui mettront en exergue le pouvoir des contraintes en droit. Visant à rassembler des chercheuses chevronnées et débutantes, il se veut ainsi un lieu de découverte, de rencontre et de maillage entre des spécialistes partageant des intérêts liés aux humanités et au droit, et provenant d’une variété de disciplines.
Remerciements :Le Groupe de recherche sur les humanités juridiques remercie les conférencier·ières pour leur contribution à cette journée ainsi que le Fonds de recherche du Québec – Société et culture pour son appui financier.
Date :- Alexandra Popovici (UdeS - Université de Sherbrooke)
- Marie-Andrée Plante (Université McGill)
- Gaële Gidrol-Mistral (UQAM - Université du Québec à Montréal)
- Mark Antaki (Université McGill)
Programme
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Communication orale
Prolégomènes pour une recherche antécédente sur les X en YJean-Sylvestre Bergé (Université Côté d'Azur)
Cette communication s’inscrit dans le cadre du projet de recherche avancée « ANTÉCÉDENT » (http://www.universitates.eu/jsberge/?p=26695) qui vise à questionner les constructions du « Y » autour de la thématique des « a priori », compris au sens le plus large et rebaptisés pour l’occasion « antécédents ».
La finalité première de cette recherche est de montrer comment le « Y » peut être un moyen de revisiter l'usage contemporain qui est fait, notamment en philosophie des sciences, des « a priori ». Il s’agit d’essayer de promouvoir une nouvelle épistémologie de nature à alimenter les formations et les recherches en « Y » dans un cadre totalement interdisciplinaire et international, de dimension à la fois théorique et pratique.
Pour cette communication, je travaillerai autour de l’objet « X » en posant les jalons de ce que pourrait être à son sujet la mise en œuvre d’une méthode antécédente.
Toutes sortes d’a priori (postulats, présupposés, préjugés, paradigmes, croyances, lieux communs, biais ou émotions) sont ainsi mobilisés de manière à questionner les potentialités multiples des « X » en termes de création de « Y ».
Quant à la méthode antécédente, elle peut schématiquement consister à 1° sortir du « Y » grâce à un questionnement sur ses antécédents, 2° comparer les différents savoirs autour de leurs propres antécédents, 3° revenir au « Y » en pleine compréhension des objets – ici les « X » – à appréhender.
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Communication orale
Le Code civil et son imaginaire : le langage de la loi conditionne-il la condition sociale?Alexandra Bahary-Dionne (Université d’Ottawa), Marc-Antoine Picotte (Université d'Ottawa)
Le Code civil du Québec s’applique-t-il aux femmes et aux personnes non-binaires? Les référents utilisés par la loi contribuent-ils à minoriser les groupes sociaux? La langue de la loi favorise-t-elle l’édification de l’homme (blanc) de condition économique favorisée à titre de référent universel et neutre? Ce référent participe-t-il à la reproduction des rapports de domination par une pensée juridique (in)consciente? D’ailleurs, qui sont ces fameux créancier, débiteur, propriétaire et même citoyen dont parle le législateur (tiens donc!) avec les mots (maux?) de la loi? Qu’est-ce que ces identités révèlent dans le rapport que notre imaginaire juridique entretient à la condition sociale? Les personnes en situation d’itinérance, par exemple, sont-elles même imaginables, dicibles et nommables par le prisme des référents du propriétaire et du créancier? La langue de la loi conditionne-t-elle notre manière de penser et de faire vivre la société? Le Code est-il fait pour les pauvres? À qui servent les référents et le Code?
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Communication orale
La liberté dans la restriction : l’exemple de l’obligation réelle environnementaleGwendoline Chapon (Université Jean Moulin Lyon III)
Introduite par la loi sur la biodiversité de 2016, l’obligation réelle environnementale (ORE) se comprend comme une obligation dont la finalité est « le maintien (…) d’éléments de la biodiversité ou de fonctions écologiques » (L.132-3 C. envi.). Conclue entre le propriétaire d’un immeuble et une personne morale agissant pour la protection de l’environnement, le propriétaire grève volontairement son bien d’une charge environnementale. À l’instar de toute obligation réelle, l’ORE est inscrite dans le bien et pèse tant sur le propriétaire actuel que sur les propriétaires ultérieurs.
La charge est double. D’une part, le propriétaire engage sa chose mais aussi lui-même, par voie de conséquence. La propriété, symboliquement associée à la liberté, prend ici la forme d’une liberté de se limiter dans la disposition du bien. D’autre part, dès lors que l’ORE sera publiée, elle se transmettra passivement aux acquéreurs futurs, sans qu’ils n’y aient consentis. Le propriétaire limite donc son propre pouvoir mais également celui de tous ses successeurs pour une finalité plus grande : la préservation de l’environnement.
Ce mécanisme présente de nombreux points d’intérêt et d’interrogations : pourquoi le propriétaire affecterait-il son bien d’une telle charge? Cette obligation, initialement librement choisie, ne devient-elle pas un véritable assujettissement pour les propriétaires ultérieurs? Est-elle contraire à l’essence du droit de propriété ou, au contraire, en est-elle l’émanation pure?
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Communication orale
La passion du profit comme astreinte ou poïèsis contractuelle?André Bélanger (Université d’Ottawa)
Comment la compréhension qu'ont les juristes du contrat est-elle influencée par notre relation au profit? Et cette relation contribue-t-elle à une forme de poïèsis du contrat dont la teneur échappe aux juristes? Je fais le pari que cette double question peut permettre de sortir de l’ombre des considérations rarement abordées par les civilistes.
En m'attardant aux liens, plus ou moins francs, assumés ou (in)conscients, qui se tissent entre le discours contractuel et notre (in)compréhension du profit (qu'il soit justifié par le risque, l'innovation ou l'exploitation), je propose de « révéler la grammaire innervant le [contrat] et le pouvoir qu'il exerce » aujourd'hui. Cette mise en relation Profit-Contrat permet de souligner la possible renaissance qui se tapit sous les apparences d'astreinte et se formule donc comme un Ouvroir de Droit Potentiel important pour le contrat.
Ce potentiel est peut-être aussi important que le profit sans limite qu'offrent les divers procédés d'échanges virtualisés contemporains. Il faudra établir dans quelle mesure ces dispositifs sont ou non façonnés, pensés, orientés par les juristes et conditionnent nos pratiques et théorisations contractuelles. Autrement dit, si notre rapport décomplexé au profit a tué le contrat, on ne peut nier que ce dernier renaît, sous d'autres atours et animé de nouvelles justifications. Peut-on alors soutenir que puisque la loi des parties est morte, plus que jamais c'est aux parties de créer la loi?
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Communication orale
Schtroumpf et Zirpf : une exploration buissonnière des régularités de la langue juridique au Québec et en FranceGuillaume Simiand (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne)
Une des caractéristiques de la langue législative traditionnelle est le recours à des formules figées, qui lui donnent un caractère immédiatement reconnaissable. Si ces habitudes rédactionnelles doivent faciliter la lecture de professionnels familiers de tels textes, elles pourraient dérouter le justiciable, qui en est moins familier, en dépit de l'impératif d'intelligibilité de la loi.
D'où l'idée de proposer une traduction intégrale des codes civils québécois et français en langue schtroumpf. Pourquoi le schtroumpf ? Pour les linguistes, dont Umberto Eco, le schtroumpf est une langue impossible, parce que tout entière dans l'ambiguïté.
Schtroumpfer un texte permet de mettre en évidence les expressions les plus lexicalisées ; nous pourrons nous appuyer sur la loi de Zirpf, qui prédit la distribution des fréquences des mots dans un texte.
Peut-être pourrons-nous aussi tirer de cette expérience quelques éléments jurimétriques intéressants par le rapprochement des codes français et québécois.
Enfin, c'est un grand pas pour l'accès au droit des Schtroumpfs.
Pause dîner
1 ½
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Communication orale
En réponse à l’insolence de la Loi, le sarcasme de celle des partiesSimon Saint-Onge (TÉLUQ - Université du Québec)
Par la présente, je tiens à proposer une étude de la notion de « loi des parties » en matière contractuelle avec comme tremplin l’anarchie juridique. Le postulat sur lequel repose cette théorie veut que la seule obligation de la norme juridique soit celle de défier la Loi. Pour ma part, épouser ce postulat, c’est refuser l’idée que le contrat tient lieu de loi entre les contractants 1) à titre de pâle calque de la Loi étatique ; et 2) dont la force obligatoire ne serait effective qu’en raison de la Loi étatique.
L’histoire a établi que la codification de cette notion en France s’effectue au même moment où l’on célèbre une toute nouvelle sacralisation du terme « Loi ». De ce fait, cette histoire passe sous silence que, dans ses coulisses qui remontent à la Révolution française, ce terme peut être subverti par ce que l’on présente comme son rejeton notionnel : la « loi des parties ».
J’accéderai à ces coulisses de l’histoire en troquant pour un autre le couple structurel de la « liberté » et de l’« obligation » dans lequel on cherche à enfermer le contrat depuis le Code napoléonien. L’hypothèse défendue sera que, en préférant le couple structurel articulant la « liberté » et le « conflit » pour penser le contrat, se fait précisément entendre un rire subversif adressé directement à la Loi, qui permet en retour de redéfinir celle des parties.
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Communication orale
Éléments de la science ‘patajuridiqueThomas Windisch (UdeS - Université de Sherbrooke)
Cette communication a pour objectif de révéler les fondements pataphysiques de la pensée juridique contemporaine. Constatant l’insuffisance du juspositivisme face aux transformations de la normativité, les discours juridiques contemporains proposent des solutions, sous forme de théories et de concepts, qui nuancent le rôle de l’ordre juridique étatique dans la production de la normativité et la place de l’État dans la régulation de la société . Ces solutions, répondant aux problématiques actuelles (certaines) ou virtuelles (probables), peuvent être qualifiées d’« imaginaires » : elles décrivent « un univers que l’on peut voir et que peut-être l’on doit voir à la place du traditionnel » (Jarry, 1899).
Ainsi, les solutions imaginaires aux problèmes juridiques, actuels ou virtuels, sont-elles légitimes et, le cas échéant, sont-elles utiles ? Avec la ‘pataphysique, soit la « science des solutions imaginaires, qui accorde symboliquement aux linéaments les propriétés des objets décrits dans leur virtualité » (Jarry, 1899), nous démontrons que la science juridique positiviste s’est elle-même érigée grâce à des solutions imaginaires. Nous avançons par la suite que les solutions imaginaires sont utiles et hautement sollicitées par la pensée juridique contemporaine.