Informations générales
Événement : 88e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Enjeux de la recherche
Description :L’évolution des savoirs de nature historiographique repose en bonne partie sur l’élection de nouveaux objets liés à un travail archivistique (voire archéologique) qui provoque l’émergence de nouvelles problématiques et la configuration de nouveaux récits. Les travaux sur la vie culturelle québécoise ne font pas exception. Ainsi, l’exhumation de pratiques scripturaires féminines invite à penser un peu autrement la littérature québécoise, en lui incorporant un corpus faisant place à l’intime; la découverte, dans les journaux du début du 20e siècle, de discours sur le cinéma ou le théâtre, invalide les topoï relatifs à une modernité qui ne serait advenue qu’à partir de la Révolution tranquille. A contrario, les historiens et les sociologues nous ont montré que cette révolution était profondément nourrie par des mouvements catholiques, pourtant jugés comme des adversaires de la modernité. Choisis parmi d’autres, ces deux exemples montrent le rôle cardinal de l’exhumation d’objets culturels « oubliés » dans la compréhension des enjeux sociétaux. Ce type d’étude touche toutes les disciplines, à la fois celles qui étudient la culture (histoire de l’art, danse, littérature, musique, cinéma, architecture, etc.) et celles qui relèvent des sciences humaines au sens large (philosophie, histoire, géographie, etc.). Le présent colloque vise à rassembler des chercheurs de diverses disciplines, intéressés, de manière ponctuelle ou systématique, à l’étude d’objets culturels « oubliés ». Au-delà de l’examen de divers cas d’exhumation, il s’agira d’étudier les conditions et les mécanismes de l’oubli dans leur variété (« verrous » critiques, fragilité des supports ou faiblesse de la conservation, définition péjorative des objets antérieurement à leur analyse, prééminence de stéréotypes, etc.), afin de les contrer. Nous faisons le pari que ces échanges permettront d’esquisser des pratiques propres à désenclaver les nouveaux savoirs en études québécoises.
Remerciements :Ce colloque s'inscrit dans la programmation de l'équipe de recherche en formation « Les “lieuxˮ de la culture québécoise : collections, “oubliésˮ et lieux communs ». Nous remercions de leur soutien le Centre interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ), le Groupe de recherches et d'études sur le livre au Québec (GRÉLQ) et l'équipe La vie littéraire au Québec (VLQ).
Dates :Format : Uniquement en ligne
Responsables :- Micheline Cambron (UdeM - Université de Montréal)
- Joseph Yvon Thériault (UQAM - Université du Québec à Montréal)
- Sophie Dubois (UdeM - Université de Montréal)
Programme
Accueil
Séance 1 – Les oubliés privés de traces
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Communication orale
Invisibles, oubliés et incontournables : problèmes de conservation du cinéma amateur québécoisLouis Pelletier (UdeM - Université de Montréal)
Les Québécois, on le sait, durent attendre de nombreuses décennies après l’invention du cinéma pour voir des films racontant leurs histoires apparaître sur une base régulière sur les écrans de la province. Cela ne veut néanmoins pas dire que la production cinématographique était inexistante avant la décennie 1960. Le Québec compte notamment entre les années 1930 et 1950 un grand nombre de cinéastes amateurs s’illustrant sur les scènes provinciale et internationale. Leurs productions sont toutefois aujourd’hui largement ignorées et négligées. Cette situation est d’abord due à l’histoire des archives cinématographiques, qui se sont surtout acharnées à défendre le cinéma comme art et à sauver le cinéma d’auteur. Une seconde situation ayant entravé la diffusion du cinéma amateur est le fait que la grande majorité des films amateurs utilisaient le Kodachrome, une émulsion inversible se copiant très mal. Les archives ne rendent ainsi disponibles que des copies de consultation de mauvaise qualité. Le manque d’intérêt pour ce pan essentiel du cinéma québécois, qui s’en trouve de ce fait réduit à sa valeur de document, ne saurait donc surprendre. L’avènement du numérique crée maintenant les conditions pour une redécouverte de ce corpus. On peut aujourd’hui produire à bas coûts des copies numériques reflétant l’essentiel des qualités visuelles des bandes originales, tandis que les plateformes de visionnement en ligne démocratisent l’accès à ce cinéma vernaculaire.
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Communication orale
Les oubliéEs de l’histoire de la musique du Québec : Enjeux historiographiques, stratégies de recherche et de mise en récit.Vanessa Blais-Tremblay (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Cette communication porte sur les particularités historiographiques liées à l’intégration des femmes, et en particulier des femmes immigrantes et racisées, au récit de l’histoire de la musique du Québec. Le recherche en histoire de la musique se centre principalement sur les médias écrits et les enregistrements commerciaux afin de relever ce qu’il y a de significatif à propos d’une époque ou d’un genre musical. Ainsi, les pratiques musicales privées ou non commercialisées — auxquelles participaient majoritairement les Québécoises avant la Révolution tranquille — sont rarement documentées. Or, cette invisibilité n’est pas symptomatique d’une absence de traces dans les archives. Outre l’impératif lié à la diversification des sources, cette communication abordera les difficultés liées à l’intégration des femmes dans un récit qui 1) est cloisonné par les catégories de genre musical, un dispositif construit avant tout afin de faciliter la commercialisation de la musique, 2) conçoit la professionnalisation comme un élément déterminant de la légitimité d’un.e artiste, 3) s’articule autour de questions linguistiques et de conceptions de la citoyenneté québécoise qui tendent à exclure les immigrantes de première génération et les femmes racisées, et 4) cherche à circonscrire la spécificité québécoise plutôt que de tenter de la situer au sein d’un réseau transnational de diffusion de la culture.
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Communication orale
George M. Brewer (1889-1947) et les dynamiques de l’oubliLorne Huston (Cégep Édouard-Montpetit), Marie-Thérèse Lefebvre (UdeM - Université de Montréal)
Cette communication porte sur une figure de proue du milieu culturel anglophone montréalais au cours de la première moitié du XXe siècle. Tout à la fois organiste dans une église protestante libérale, accompagnateur recherché, professeur au Conservatoire de musique du Québec ainsi que metteur en scène de théâtre et conférencier sur l’histoire de la musique, Brewer a également été fort apprécié en milieu francophone. Cette présentation de la part des auteurs d’une biographie qui paraîtra sous peu sur le personnage vise d’abord à souligner les grandes lignes de sa carrière pour ensuite proposer des pistes de réflexions sur les dynamiques de l’oubli qui ont été à l’œuvre dans ce précis.
Dîner
Séance 2 – Les oubliés connus mais fantomatiques
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Communication orale
Édouard Chauvin et les Poètes du Quartier latin de MontréalJulien Vallières (Université McGill)
Au regard de l’institution littéraire, encline à faire de la publication au format livre le critère d’inclusion de l’œuvre dans l’histoire, maints aspects de la vie des lettres et avec eux des courants littéraires se trouvent marginalisés, et ceci pour avoir emprunté les voies de la presse périodique. Ainsi de la vie poétique au Quartier latin de Montréal dans la première décennie du XXe siècle.
Partageant le même espace urbain, rédactions du quartier et étudiants s’y côtoient, suscitant un nombre grandissant de vocations journalistiques. Au commencement des années 1910, cette pratique, qui s’intensifie, acquiert davantage d’autonomie, lorsque les étudiants montréalais se munissent de leur propre organe. Il s’intitule L’Étudiant (1911-1915) puis L’Escholier (1915-1917). L’activité éditoriale qu’ils y déploient donne lieu à l’expression d’une poétique originale.
Un recueil emblématique s’en fera le témoin, Figurines (1918) d’Édouard Chauvin. De celui qu’Ubald Paquin nommait le Chantre de L’Arche, du nom de l’atelier mansardé devenu cénacle littéraire, l’institution littéraire n’a guère conservé le souvenir cependant. Des Poètes du Quartier latin ses camarades, comme ils se sont appelés, encore moins. Nous brosserons un portrait de groupe des Poètes de Quartier latin. Puis nous reconstituerons l’œuvre poétique d’Édouard Chauvin, comme elle naît et se poursuit au-delà du livre, dans le journal. Nous nous interrogerons pour finir sur les raisons de cet oubli.
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Communication orale
Mgr Émile Chartier : animateur « clerc-obscur » de la vie littéraireKarol'ann Boivin (UdeS - Université de Sherbrooke)
Mgr Émile Chartier (1876-1963) est un oublié dont l’errance fantomatique dans l’histoire du livre au Québec se vérifie aisément. Les traces qu’il laisse dans les manuels d’histoire littéraire sont très souvent accompagnées du sceau de la « discrétion ». Suivant l’hypothèse de Darnton selon laquelle « les grands hommes ont balayé les intermédiaires de notre vision historique », il devient fascinant de se pencher sur la trajectoire d’un agent modeste, mais efficace, comme Émile Chartier.
Il s’agira d’analyser la trajectoire d’Émile Chartier en recentrant la focale sur la valeur didactique de ses réalisations, ainsi que sur sa mobilité, tant dans l’espace littéraire (le champ) que géographique (le monde occidental). Je me propose de plonger dans les archives pour suivre Chartier dans le sous-champ des périodiques, pour ensuite analyser sa contribution à la publication d’un ouvrage de vulgarisation ayant connu la longévité et une large diffusion : L’Encyclopédie de la jeunesse (1923) de la Société Grolier. La circulation massive de l’encyclopédie n’empêche pas l’effacement du préfacier dans l’imaginaire collectif : ce paradoxe rend d’autant plus intéressante l’étude des mécanismes de la consécration et de l’oubli. Postulant pourtant que Chartier a contribué de manière significative à faire circuler les idées et les connaissances dans le monde de l’imprimé, je souhaite lever le voile sur la fonction de médiateur transnational qu’a joué cet animateur de la vie littéraire.
14h15-15h45 : Table ronde 1 – Les manuels : oubliés, lieux communs et lissage des récits
Ouverture de la deuxième journée
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Communication orale
Pour contrer l’oubli dans une époque d’hypermnésie amnésique : le projet LIRAHCOlivier Lapointe (UQAM), Jean-Marc Larrue (UdeM - Université de Montréal)
Nous vivons une époque paradoxale : hypermnésique, puisque nous n’avons jamais eu accès à autant de traces du passé ni autant créé d’archives; amnésique parce que les systèmes de conservation et d’exploitation des jeux de données numériques que nous utilisons n’assurent en rien leur pérennité et leur accessibilité. En somme, nous produisons de l’oubli. La chose, à vrai dire, n’est pas nouvelle, mais elle atteint des proportions vertigineuses. Ainsi, en moins 15 ans, une cinquantaine de projets de recherche scientifique subventionnés dans le champ des pratiques culturelles et artistiques ont fourni autant de bases de données précieuses sur l’histoire, les modalités et la diversité de ces pratiques. Or, ces bases se trouvent, assez rapidement, exclues de la dynamique de la recherche active pour cause d’inaccessibilité ou d’inexploitabilité. Écartées, puis occultées et, finalement, oubliées, ces bases de données sont non seulement inutilisables mais, faute d’entretien adéquat, elles sont menacées dans leur intégrité numérique.
Le projet de Laboratoire intégré de recherche en actualité et histoire culturelles (LIRAHC), que préparent six universités du Québec et de l’Ontario, vise précisément à rompre ce cycle amnésiant, en assurant la pérennisation de ces immenses quantités de données, mais aussi en les rendant interopérables et exploitables, de la micro à la macro-analyse, créant une plateforme numérique sans équivalent au national comme à l’international.
Séance 3 – Les oubliés aux prises avec les retournements de la mémoire
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Communication orale
Lectures bourgeoises : oubli et patrimonialisationCatherine Bertho-Lavenir (Université Sorbonne-Nouvelle (Paris 3))
En 1896 un couple de jeunes bourgeois cultivés fait l’inventaire de sa bibliothèque à Chicoutimi. Parmi ses ouvrages, de nombreux titres aujourd’hui oubliés. Sa correspondance permet de comprendre l’usage que faisait ce jeune couple de ses livres. Les textes de fictions et les biographies semblent avoir été un répertoire d’exempla, offrant des modèles de vie ou des sources de réflexion sur les conduites à tenir. Les ouvrages d’histoire, mais aussi de géographie, de botanique ainsi que les biographies de personnages importants de l’histoire du Québec permettent de nourrir un sentiment national d’appartenance au monde canadien-français. Cent cinquante ans plus tard qu’en est-il ? Enfermés dans les rayons des bibliothèques spécialisées, étudiés seulement dans les programmes universitaires et diffusés à travers des rééditions critiques, les ouvrages « oubliés » de cette bibliothèque bourgeoise ne servent plus de guides de vie. On peut faire l’hypothèse cependant que, la fonction patrimoniale ayant pris le relais, ces mêmes titres et auteurs continuent, sous une autre forme, à être les vecteurs d’une identité nationale.
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Communication orale
Auguste Descarries. Une œuvre musicale reprend vie après un demi-siècle d’existence virtuelleHélène Panneton (Association pour la diffusion de la musique d'Auguste Descarries)
Le 4 mars 1958, Auguste Descarries nous quittait brusquement avant d’avoir pu partager le fruit de près de 40 années de création musicale. Plus d’un demi-siècle plus tard, en 2012, naissait à Montréal l’Association pour la diffusion de la musique d'Auguste Descarries (ADMAD) sous l’impulsion de Laurent Descarries, fils du compositeur, de Danièle Letocha, amie de la famille, et d’Hélène Panneton, organiste.
Par où commencer lorsqu’un artiste a livré une soixantaine d’œuvres et que manquent cruellement les partitions qui permettraient de les diffuser ? Un concerto pour piano, une dizaine de mélodies, des œuvres de musique de chambre et de musique sacrée, et un important corpus d’œuvres pianistiques rendent compte des habiletés du musicien à s’approprier les diverses formes musicales ainsi que les styles qu’il a découverts lors d'un séjour en Europe.
Notre exposé retracera les différentes étapes qui ont conduit Auguste Descarries vers une certaine reconnaissance. Selon le critique Christophe Huss, « La teneur et la qualité musicale justifient que la redécouverte de la musique d’Auguste Descarries devienne dans la prochaine décennie une cause nationale culturelle prioritaire. » (Le Devoir, 27 déc. 2019). Mais la cause sera-t-elle endossée par la nouvelle génération de musiciens ? Quels mécanismes faudra-t-il activer pour que l’énergie déployée dans ce processus de renaissance permette au compositeur d'enfin occuper la place qu'il mérite dans l'histoire de la musique au Québec ?
Dîner
Séance 4 – Les oubliés victimes de lieux communs et/ou privés de récit(s)
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Communication orale
Boers et Canadiens français, le conflit pour existerCaroline Sarah St-Laurent (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Les « oubliés » que nous souhaitons aborder sont les Boers. Ces paysans sud-africains blancs aux prises avec l’Empire britannique ont reçu la sympathie des nationalistes canadiens-français – au premier chef Henri Bourassa – au tournant du XXe siècle. Les études comparatives actuelles au Québec n’en font plus guère mention. Nous faisons l’hypothèse que la mondialisation néolibérale, d’origine anglo-protestante, tend à évacuer le conflit. Le libéral progressisme crut, dès le début du XIXe siècle, pouvoir en faire l’économie. Pour tout un courant de pensée dominant (Émile Durkheim, Emmanuel Kant et sa Paix perpétuelle), le conflit était une pathologie, un dysfonctionnement à éviter. Le commerce devait réguler et apaiser pour de bon toutes les tensions. On peut penser ainsi le démantèlement de l’apartheid et l’élection de Nelson Mandela après la chute du mur de Berlin. Or, en marge de la « fin de l’histoire et du dernier homme » (Francis Fukuyama), un courant minoritaire inspiré par Georg Simmel, Carl Schmitt et Julien Freund s’est proposé de ramener au cœur du politique la notion de conflit. Un effort intellectuel qui met au centre de la cité la dimension agonale pourrait retisser le lien unissant les petits peuples afrikaner et québécois.
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Communication orale
Les publics féminins, ces grands oubliés des équations culturellesChantal Savoie (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Prolongeant deux ensembles de travaux que j’ai réalisés au fil des ans – le premier sur la réception féminine de la chanson sentimentale et le second sur femmes de lettres canadiennes-françaises –, je souhaite alimenter la réflexion proposée sur les oubliés de la culture en faisant valoir les avantages de la considération des publics et des destinataires pour renouveler l’histoire culturelle.
Dans quelle mesure et par quelles modalités la figure du destinataire constitue-t-elle un outil opératoire pour comprendre comment se construit la culture commune, depuis l’imaginaire médiatique qui se cristallise au tournant du XXe siècle et jusqu’aux best-sellers féminins, en passant par les révolutions médiatiques successives du disque, de la radio et de la télévision? Les traces de la mise en scène des destinataires permettent de documenter très concrètement l’entrecroisement d’enjeux sociohistoriques et rhétoriques, de l’imaginaire et du réel, en plus de nous permettre de retracer le chemin de l’acceptabilité de certaines pratiques d’écriture médiatiques des femmes et des modalités qui contribuent à favoriser cette acceptabilité, par communautés imaginaires interposées.