Informations générales
Événement : 88e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 400 - Sciences sociales
Description :Depuis l’institutionnalisation des études féministes dans les années 1980, l’analyse de genre s’est vue de plus en plus mobilisée tant par les chercheur.e.s universitaires que par les politiques publiques ou les organisations internationales. Le genre comme concept et comme approche est devenu si « à la mode » que l’on pourrait se questionner aujourd’hui sur sa charge heuristique et sa portée critique. En effet, malgré le fait que la notion de genre soit largement utilisée, il existe encore des domaines où le sujet est trop souvent universalisé sans tenir compte des expériences genrées différenciées et inégalitaires. De ce fait, il semble essentiel de se demander comment le genre est problématisé lorsqu’il est mobilisé.
Cette tendance récente à surutiliser, voire à instrumentaliser le genre pourrait porter à croire que la popularisation des approches féministes, ayant acquis une telle visibilité, s’accompagne d’un rééquilibrage durable des inégalités entre hommes et femmes. Or, de nombreux travaux démontrent que ce rapport inégalitaire entre les sexes perdure, que ce soit sur le marché du travail (OIT, 2016), dans la sphère domestique (Pugliese, 2017) ou dans les politiques publiques (Mazur et Jacquot, 2010), etc. La pandémie actuelle de COVID-19 et les transformations dans l’organisation sociale du travail se sont en outre accompagnées d’un durcissement de ces inégalités (Froidevaux-Metterie, 2020).
Dans ce colloque, au regard de cet engouement autour de l’approche genrée, nous nous intéresserons aux « interstices » qui n’ont pas ou qui ont peu fait l’objet d’une analyse tenant réellement compte du genre. Quels sont-ils et comment cette analyse peut-elle faire apparaître des réalités vécues qui étaient jusqu’ici restées dans l’ombre? L’instrumentalisation de cette perspective, parfois d’une manière apolitique et asociologique, ne participerait-elle pas, en retour, à dissimuler les dynamiques genrées constitutives des inégalités entre les hommes et les femmes? Cette instrumentalisation ne détournerait-elle pas le regard de ces enjeux? Autant de questions qui seront abordées à partir de situations concrètes par des chercheur.e.s issu.e.s d’horizons divers des sciences humaines et sociales et des professionnel.es de terrain.
Remerciements :Nous tenons à remercier le département de sociologie de l'Université de Montréal et sa directrice Marianne Kempeneers, qui nous a permis d'appliquer à ce congrès. Nous tenons également à apporter toute notre gratitude au comité d'organisation de l'ACFAS d'avoir accepter notre proposition, ce qui va nous permettre d'organiser une journée riche en échange autour d'un thème de société primordiale.
Date :Format : Uniquement en ligne
Responsables :- Marianne Kempeneers (UdeM - Université de Montréal)
- Corynne Laurence-Ruel (UdeM - Université de Montréal)
- Madon Awissi (UdeM - Université de Montréal)
- Amani Braa (UdeM - Université de Montréal)
Programme
Ouverture du colloque
Ombre et sexualité
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Communication orale
L’exploitation des corps aptes à la reproduction dans le domaine technoscientifique : réflexion sur l’imbrication entre la matérialité et son ancrage socialÉloïse Tanguay (UdeM - Université de Montréal)
Les travaux de féministes ont permis de montrer que l’exploitation des femmes étaient produite par des discours et des structures sociales qui les assignaient à la nature. Or, certaines tendances de l’approche socio-constructiviste tendent de plus en plus à évacuer les dimensions matérielles sur lesquelles peut s’appuyer l’exploitation. Le cadre théorique des féministes néo-matérialistes (voire Samantha Frost) est pertinent pour penser l’enchevêtrement de la biologie et du social. Dans cette optique, loin de retomber dans des catégories essentialistes, mon objectif serait de poser la nécessité de traiter de la matérialité des corps aptes à la reproduction biologique afin de penser des formes d’exploitation qui persistent actuellement, mais qui semblent relativement peu explorées en sciences sociales. Ces dernières se donnent notamment à voir dans le domaine technoscientifique. C’est, entre autres, dans le domaine proliférant des biotechnologies que l’on peut constater ces formes d’exploitation. À titre d’exemple, on peut penser au commerce d’ovocytes ou au concept de clinical labor développé par Waldby et Cooper. En bref, à l’aide de l’approche du nouveau matérialisme, je désire montrer l’importance d’articuler une réflexion sur la matérialité avec les travaux montrant les dynamiques socio-culturelles responsables de l’exploitation des femmes.
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Communication orale
La double invisibilisation des femmes d’origine asiatique: une analyse préliminaire de la domination des corps asiatiquesJulie Tran (Université d’Ottawa)
Le racisme genré chez les femmes asiatiques est encore peu documenté au Québec. Bien que les Asiatiques constituent la plus grande population minoritaire racialisée au Canada, leur position de sujet en tant qu’entité raciale collective a reçu relativement peu d’analyse empirique jusqu’à ce jour (Coloma, 2013). En fait, les femmes asiatiques sont renvoyées à l’image d’être « doublement soumise » parce qu’elles sont à la fois asiatiques et féminines et que leur existence sociale ne constitue pas une menace pour l’ordre social et dominant (Pyke & Johnson, 2003).
Conséquemment, leur statut englobe un positionnement d’être dévaluées, invalidées, invisibilisées (Brady et al., 2017; Mayuzumi, 2015). Les recherches existantes révèlent que leur corps est constamment sexualisé, ce qui créé une racialisation sur le plan sexuel de leur identité (Jerald et al., 2016; Schug et al., 2015). À l’aide des résultats préliminaires d’un focus group de 8 femmes asiatiques québécoises, notre étude mettra en lumière les stéréotypes genrés et sexuels apposés sur elles. L’épistémologie asioféministre permettra d’examiner leur rôles genrés et les conséquences du mythe de minorité modèle sexué qui invisibiliseront sur les violences sexuelles vécues. Nous allons ensuite adresser la question de la prévention et de l’intervention en mettant en avant d’autres manières d’appréhender ce type de violences, de protéger les femmes qui en sont victimes ou au risque de l’être.
Pause
Le non-dit du religieux
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Communication orale
« Prêtres catholiques homosexuels : des hommes d’un ‘’genre à part’’ »Loïc Bizeul (UdeS - Université de Sherbrooke)
Je souhaite m’interroger sur les façons dont peuvent s’articuler le fait religieux et le genre dans la construction identitaire de prêtres catholiques homosexuels au Québec. En suivant cette démarche, je propose ainsi de décrire comment les prêtres et les homosexuels ont été construits comme à l’écart de la norme masculine dominante, en concevant la construction identitaire des prêtres et celle des personnes homosexuelles comme relevant d’un même processus.
Si la masculinité ecclésiale correspond à une masculinité « marginale » dans l’ordre hétérosexuel dominant (Tricou, 2015), la masculinité gay correspond, elle, à une masculinité « subalterne » (Connell, 1995), c’est-à-dire comme une masculinité dévalorisée, discréditée, soumise à l’ordre hétérosexuel. Pendant longtemps les prêtres ont été considérés, par l’institution Vaticane et la société dans son ensemble, comme des hommes à part, « d’un genre particulier » (Tricou, 2015). Cette approche se distingue quant à l’objet de recherche, aucune enquête n’ayant été menée à ce jour sur l’homosexualité de prêtres catholiques au Québec. Cette proposition de communication propose de se pencher sur un impensé des études de genre sur cette question.
Je m’appuierai pour cela sur des éléments de problématisations issus de ma recherche de doctorat actuellement en cours de rédaction, intitulée comme suit : « Devenir homosexuel», « Devenir prêtre » au Québec : la « carrière » sacerdotale homosexuelle.
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Communication orale
Does « gender » means « women » ? Impasses et perspectives de l’analyse de genre dans l’étude des communautés hassidiques.Valentina Gaddi (UdeM - Université de Montréal)
Loin de représenter un cadre conceptuel précis et homogène, le binôme genre et religion
a donné lieu à une littérature abondante et féconde pendant ces dix dernières années,
dans les sciences sociales francophones et anglophones (articles, livres, numéros de
revues et revues). Comment l’articulation de ces deux concepts a évolué dans le cas
spécifique des études sur juifs et juives hassidiques ? En particulier, de quelle manière la
notion de « genre » a été employée dans cette littérature ? Et est-ce que cette
problématisation a laissé des interstices inexplorés, des angles morts à éclairer ? Pour
répondre è ces questions, notre présentation se déroulera en trois parties. D’abord, on
présentera une revue de littérature critique de la manière dont le genre est problématisé
dans l’étude des hassidim en Amérique du Nord, Europe et Israël. Ensuite, les angles
morts et les impasses de ce genre d’utilisation seront illustrés, pour enfin esquisser les
contours d’une approche renouvelée de la manière dont ce concept peut être employé
au croisement des études féministes, des perspectives du care et de la sociologie. Cette
approche — c’est notre pari — permet non seulement une meilleure compréhension des
communautés hassidiques ou des communautés croyantes, mais — à partir des
interstices d’un terrain si précis — fertilise et solidifie l’analyse de genre de manière plus
générale.
Discussions, questions, idées
Pause dîner
Ouverture
Marges des migrations et du travail
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Communication orale
Le presque-emploi des femmes immigrantesSusana Ponte Rivera (UdeM - Université de Montréal)
Les femmes immigrantes étant plus précaires (Posca, 2016), plus ségréguées (Rose, 2016 [2013]) et plus déqualifiées (Chicha, 2009) au travail que les hommes immigrants, je centrerai mon regard exclusivement sur les premières. Entre autres écueils, celui du manque d’expérience de travail canadienne ou québécoise pour accéder à un travail rémunéré est souligné (Gauthier 2016; Boudarbat, 2011; Chicha et Charest, 2008). Cependant des institutions étatiques, des organismes communautaires et des entreprises privées élaborent et diffusent un discours sur la pertinence de l’expérience locale et développent des programmes avec des stages non payés et du bénévolat qui donneraient accès à un emploi payé. Les femmes immigrantes effectuent donc ce que je propose de nommer le « presque emploi » dans le but d’accéder à un travail payé correspondant à leurs qualifications et à leurs aspirations dans le Montréal métropolitain. Je voudrais délinéer ce concept en le comparant aux travaux d’auteurs et d’autrices où le genre constitue les concepts, comme le travail invisible (Robert et Toupin, 2018) et le « travail domestique d'intégration » (Ben Soltane, 2018), cadre l’analyse de manière importante dont le « travail gratuit » (Simonet, 2018) ou brille par sa négligeable présence, notamment le « travail non-rémunéré » (Standing, 2011) et le "hope labour" (Kuehn et Corrigan, 2013). Je passerai également le « presque emploi » sous le crible empirique d’un entretien ethnographique.
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Communication orale
Des résistances féminines par les interstices : le cas de migrantes installées à MarseilleAbdoul-Malik Ahmad (Aix-Marseille Université)
Cette proposition propose une réflexion autour des résistances dans les marges du travail à partir du cas de femmes migrantes installées à Marseille et travaillant à la fois comme salariée subalterne (femme de ménage, aide à domicile, aide-soignante…) et comme commerçante informelle à l’international (Glick Schiller, et al., 1995 ; Portes, 1995 ; Tarrius, 1992,…). Ces femmes parcourent un large espace transnational en vue de réaliser leurs achats en s’organisant à la fois en fonction de leurs temps de travail salarié et de leurs responsabilités familiales. Ces entreprises commerciales s’inscrivent dans une autre mondialisation, discrète, qui se manifeste par « le bas ». C’est ce que le géographe Olivier Pliez (2018) a appelé récemment la mondialisation des pauvres. Ces femmes originaires des îles Comores combinent ainsi une double temporalité professionnelle située aux marges du travail salarié et du commerce international. En s’engageant dans l’entreprise commerciale internationale, ces « entrepreneures sans entreprise » (Granovetter, 1995) s’exposent à des mécanismes de marginalisation communautaire et familiale visant à cadrer et contrôler leur mobilité. Elles doivent ainsi faire preuve d’agency pour profiter des interstices des ordres normatifs liés au travail et des systèmes de domination de genre.
Pause
Luttes et résistances
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Communication orale
Repenser le militantisme au féminin : le cas des « féministes » togolaisesMaude Jodoin Léveillée (UdeM - Université de Montréal)
Les mouvements sociaux sont le plus souvent analysés dans un cadre contestataire qui s’intéresse aux formes « dures », directes et protestataires de l’action collective. L’attention est alors portée aux formes d’activisme s’apparentant à des qualités perçues comme « masculines ». À partir du cas togolais, cette présentation propose de s’appuyer sur les normes de genre pour revisiter les registres « féminins » d’action collective et ainsi élargir l’étude des mouvements sociaux à des formes plus « douces » et plus subtiles de militantisme qui reposent sur des modèles moins contestataires et plus « féminins ». Dans un contexte ouest-africain où l’activisme féminin et le féminisme sont souvent perçus négativement, repenser l’éventail des répertoires d’action collective féminins et féministes est nécessaire pour éviter l’invisibilisation et l’exclusion de pratiques n’étant pas considérées suffisamment «protestataires» pour être qualifiées de militantes.
Les résultats présentés dans cette communication reposent sur des données qualitatives récoltées au Togo sur une période de deux ans, combinant entretiens semi-dirigés et observation. Il sera aussi question de mobiliser une littérature portant sur le subactivisme et le politique de tous les jours [everyday politics].
Bref, à partir de l’étude de cas des mouvements féminins togolais, il s’agira de reconnaître des formes moins « masculines » d’action collective comme faisant partie intégrante du paysage activiste ouest-africain.
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Communication orale
Les programmes de PAE qu’arrive-t-il quand on occulte le passage du temps? Quel impact pour les femmes? Quel rôle pour la CDPDJ?Katia Atif (Action travail des femmes), Diane Gagné (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières)
Les PAE ont pour but d’assurer la représentation équitable des personnes issues de groupes victimes de discrimination à l’embauche, dont les femmes, en ciblant des objectifs d’intégration à atteindre. Suivant Chicha et Charest (2013), qui faisaient le constat du rendez-vous manqué des PAE, nous constatons que dans le secteur de la construction, on se maintient depuis plus de 30 ans aux alentours de 2% de travailleuses et qu’ailleurs, certains employeurs n’arrivent plus à atteindre les cibles fixées. Les derniers bilans démontrent une baisse régulière de la représentation des femmes dans les emplois à prédominance masculine tant chez Énergir (soumis à une obligation du TDP) qu’à la ville de Montréal. Chez les cols bleus de la ville de Montréal, le taux d’emploi occupé par des femmes se situait à 17%. Cette année, malgré un net recul (13%), la ville de Montréal gagne le prix égalité de la CDPDJ. Les organismes dévoués à la cause des femmes et de l’emploi sont perplexes. La ville de Montréal, au regard de la situation, n’est certainement pas un employeur exemplaire !
La difficulté de la CDPDJ à expliquer les modalités de calcul des cibles à atteindre est l’une des interstices que nous voulons mettre en lumière. Car, dans les faits, le passage du temps ne permet pas d’améliorer l’accès à ces emplois bien protégés et bien rémunérés (Gagné 2019), au contraire, la situation des femmes se précarise, puisqu’à défaut de rencontrer les cibles historiques, l’on les abaisse.