Informations générales
Événement : 88e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 400 - Sciences sociales
Description :Les tribunaux constituent une institution centrale depuis la différenciation des sphères sociales dans la modernité. En retour, l’autonomisation graduelle résultant de ce processus a induit une ambivalence croissante de l’institution judiciaire. D’un côté, les tribunaux ont été érigés en temples de la Justice, et les magistrats en gardiens du pouvoir de dire le Juste. D’un autre côté, les tribunaux et les magistrats semblent dépassés par les réalités que vivent les justiciables : sentiment d’incompétence juridique, méconnaissance du droit, incompréhension du langage juridique, méfiance vis-à-vis des professionnels du droit, autoreprésentation à la cour, recours aux médias sociaux pour dénoncer des injustices, etc. Cette ambiguïté entre l’idéal et le réel porte à penser que les tribunaux sont un remarquable révélateur des transformations juridiques et des changements sociaux qui caractérisent les sociétés contemporaines.
En dépit de l’absence quasi totale de données publiques précises et fiables (en particulier de statistiques) sur le fonctionnement de l’institution judiciaire, force est de reconnaître que de plus en plus de travaux en sciences humaines et sociales au Québec érigent en objet de recherche les tribunaux (leurs modes d’organisation, les processus qui s’y déroulent, les pratiques qu’ils occasionnent, les acteurs qui s’y activent, les dispositifs alternatifs qui se substituent à eux, etc.). D’où l’intérêt de prendre acte des recherches produites à propos et autour de cet objet. Cinq axes structurent le colloque proposé : 1) quels sont les thèmes qui retiennent l’attention des chercheurs en sciences humaines et sociales? 2) quels terrains empiriques investissent-ils pour les explorer? 3) quels concepts et quelles méthodes mobilisent-ils? 4) quels sont les apports de ces recherches à la compréhension du monde juridique et du monde social? et 5) quelles sont les perspectives de recherche en sciences humaines et sociales concernant les tribunaux?
Dates :Format : Uniquement en ligne
Responsables :- Pierre Noreau (UdeM - Université de Montréal)
- Emmanuelle Bernheim (Université d’Ottawa)
- Yan Sénéchal (UdeM - Université de Montréal)
Programme
Ouverture du colloque
L’office du juge, l’acte de juger et la faculté de préjuger
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Communication orale
Quels sont les déterminants (réels) des décisions judiciaires ? Les Judicial Behavior Studies dans l’angle mort des études sociojuridiques au QuébecJean-Christophe Bédard-Rubin (University of Toronto)
Depuis les années 1980, la littérature qui s’était développée aux États-Unis sur le comportement judiciaire a essaimé au Canada anglais. Les politologues et juristes canadiens anglais se sont mis à analyser les déterminants du comportement judiciaire dans une perspective réaliste plutôt que légaliste: cultivation stratégique de la légitimité de la part de la Cour suprême (Radmilovic, 2010), négociation entre juges pour créer des consensus (Green et Alarie, 2008), influence des caractéristiques personnelles (Songer et al., 2017) ou des orientations idéologiques (Ostberg et Wetstein, 2008) des juges sur leurs décisions, etc. Malgré tout, les catégories d’analyse de littérature américaine se sont révélées imparfaites pour expliquer la réalité canadienne (Wetstein et al., 2009). Les chercheurs francophones sont quant à eux restés complètement à l’extérieur de ce nouveau champ d’étude. L’analyse du comportement judiciaire permet pourtant de poser à nouveaux frais des questions qui les ont traditionnellement intéressés. En partant de l’exemple du bilinguisme des juges de la Cour suprême du Canada, la présentation tente de montrer les différents effets délétères que peut avoir le développement de ce champ d’étude sans la contribution des chercheurs francophones et à en comprendre les causes sous-jacentes. La présentation offre également quelques pistes de réflexions sur la façon dont l’étude du comportement judiciaire pourrait être mise à contribution dans d’autres champs d’études.
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Communication orale
Juger la folie : Approche sociojuridique de la production du jugement pénal des auteurs d'infractions atteints de troubles mentauxMaryline Martin (Université de Bourgogne Franche-Comté)
Cette communication s’appuie sur ma recherche doctorale, abordant la question de la fabrication du jugement pénal des auteurs d’infractions atteints de troubles mentaux. Sont-ils condamnés plus sévèrement que les autres ? Pour répondre à cette question une approche pluridisciplinaire semblait nécessaire. De formation initialement juridique, j’ai mobilisé des concepts et méthodologies propres à la socio anthropologie afin d’identifier : les mécanismes intervenant dans le repérage des prévenus atteints de troubles mentaux au cours de la procédure judiciaire ; et les déterminants intervenant dans la décision de condamnation. Le processus complexe de production de la décision pénale constitue un objet de recherche particulier, car il nécessite de multiplier les prises de vue, prenant en compte les règles juridiques, l’environnement local et institutionnel, les interactions entre les différents acteurs marqués par leur culture de métier, les sensibilités personnelles des juges et le profil des prévenus. Une immersion de plusieurs années au sein du tribunal de grande instance de Vesoul (France) a permis l’application d’une méthodologie de recherche plurielle nécessaire à l’objectivation des données : observation directe, analyse de 114 procédures judiciaires, entretiens avec les professionnels impliqués... L’étude que j’ai menée apporte alors un nouveau regard sur le rôle que joue l’expertise psychiatrique dans la procédure pénale et son appréhension par le juge.
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Communication orale
Régimes de normativité dans le traitement judiciaire de l’agression sexuelle en droit canadien : une analyse exploratoire de la jurisprudence au QuébecJulie Perreault (Université d’Ottawa)
Ma recherche s’intéresse aux régimes de normativité entourant le procès pour agression sexuelle en droit canadien. Je pars de l’hypothèse qu’une meilleure compréhension de l’interaction du système judiciaire, incluant ses modes de fonctionnement et les pratiques et motivations de ses acteurs, et des régimes de normativité externes à celui-ci, est nécessaire à une juste évaluation des lacunes souvent pointées du doigt dans ce domaine du droit. Axées sur l’expérience des victimes, les nombreuses études en la matière ont souligné l’insuffisance des tribunaux et l’incapacité du système judiciaire à répondre aux attentes des plaignantes. Si les attitudes des acteurs et la ténacité des préjugés sont souvent mises en cause, l’on constate toutefois que très peu d’études empiriques récentes sont capables de confirmer la prévalence de tels préjugés, ni d’en expliquer la persistance à partir du système lui-même. Empruntant au cadre du pluralisme normatif, je propose d’explorer cette lacune par une démarche de recherche empirique, combinant l’observation de procès, la poursuite d’entrevues, et l’analyse des lois et de la jurisprudence. Ma communication présentera mon cadre d’analyse, précisé à partir de la norme du consentement, avant de l’appliquer de manière exploratoire à quelques décisions rendues par les cours du Québec dans des causes d’agression sexuelle, de sorte à montrer l’interaction des foyers de normativité impliqués dans la justification de tels jugements judiciaires.
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Communication orale
Le discours judiciaire en matière de filicide : production et reproduction des stéréotypes de genreEdith Perrault (UQAM - Université du Québec à Montréal)
La recherche portant sur la réponse pénale au filicide est sans équivoque : la durée et la nature des peines varient selon le genre, les pères ayant plus de chance d’être incarcérés et les mères d’être dirigées vers des peines alternatives, des incarcérations de courtes durées ou les institutions psychiatriques. La réponse pénale étant le résultat de la rencontre du débat social, du discours institutionnel, de ses acteurs et de leurs interactions mutuelles, le discours judiciaire s’avère un corpus essentiel à la compréhension de cette réponse pénale différenciée et de la production et la reproduction des stéréotypes par le droit. La communication se déroulera en deux temps : d’abord les résultats de l’analyse de discours à partir des dossiers judiciaires en matière de filicide, puis une discussion sur les difficultés d’ordre méthodologique liées à une telle recherche.
Dîner
Rapports de pouvoir et cultures judiciaires dans les tribunaux
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Communication orale
Les tribunaux ont-ils remplacé les asiles ? L’ethnographie judiciaire comme révélateur de nouveaux rapports de pouvoir en santé mentaleEmmanuelle Bernheim (Université d’Ottawa)
En rupture avec la « grande noirceur », la désinstitutionalisation et la reconnaissance de droits en santé mentale devait assurer l’autonomie des personnes recevant des soins psychiatriques. De nouvelles compétences, particulières, ont été confiées à une diversité de tribunaux civils et administratifs pour s’assurer de la mise en œuvre de ces droits. Exceptionnellement, des décisions coercitives concernant l’internement, la détention ou l’imposition de conditions peuvent donc être prises, mais sur des bases juridiques et non cliniques, et elles doivent s’astreindre au principe de l’atteinte minimale aux droits et non considérer le « meilleur intérêt ».
L’ethnographie judiciaire permet cependant de révéler que l’activité des tribunaux en la matière, qui est en pleine expansion, s’est, d’une part, routinisée et, d’autre part, organisée en fonction d’impératifs organisationnels, psychiatriques et policiers. Dans le flot continu des audiences, la question de l’adhésion au traitement est récurrente et, bien que ces tribunaux ne détiennent aucune compétence en la matière, elle est bien souvent décisive. C’est ainsi que se dessinent les rapports de pouvoir entre les tribunaux, en tant que relais des demandes cliniques et de sécurité publique, et les défendeurs ou accusés, qui conservent l’exercice de leurs droits relatifs aux soins. Le pouvoir strictement juridique, mais aussi symbolique, des instances judiciaires permet ainsi paradoxalement de les amener à renoncer à leurs droits.
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Communication orale
La culture hégémonique des droits de la personne : un verrou sur la justiciabilité des droits sociauxChristine Vézina (Université Laval), Hélène Zimmermann (Université Laval)
Au-delà des effets directs que peuvent entraîner les décisions de la Cour suprême et des tribunaux supérieurs du Québec sur les justiciables, ces décisions permettent d’observer la culture juridique des droits de la personne qui prévaut chez les juges. En croisant les données issues de l’analyse de ces décisions, en matière sociale (santé, logement, pauvreté et éducation), avec celles provenant des entretiens réalisés auprès des avocats et des représentants d’organisations non gouvernementales, nous constatons que les représentations, pratiques et valeurs des acteurs experts et « profanes » du droit, bien qu’elles puissent diverger à certains égards, convergent sur la question de la justiciabilité des droits sociaux qui continue de soulever des réserves associées à la légitimité du pouvoir judiciaire et à la séparation des pouvoirs. Ce phénomène rend compte de la portée hégémonique de la culture juridique des droits de la personne qui crée un véritable verrou sur le développement des droits sociaux.
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Communication orale
La délinquance économique et financière en procès : la gestion différentielle des illégalismes à l'intersection des pratiques des justiciables et des professionnels du droitBaptiste Bailly (EHESS)
La délinquance économique et financière a souvent été analysée comme une déviance des puissants. L’étude empirique des cas soumis à la justice pénale des affaires montre que s’y confrontent des justiciables aux profils sociaux très variés : du journaliste au chef d’entreprise, en passant par l’autoentrepreneur. Cette hétérogénéité permet d’observer la fabrique concrète d’un pan de la gestion différentielle des illégalismes : l’audience et ses alternatives sont à l’intersection des différences de traitement produites par l’institution et des caractéristiques sociales inégales des justiciables.
À partir de l’observation d’audiences dans les juridictions spécialisées en droit pénal des affaires de Lyon et de Paris et d’entretiens avec prévenus, parties civiles, et magistrats, on peut dégager trois dimensions de la gestion différentielle des illégalismes économiques et financiers.
Les effets symboliques de la Justice
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Communication orale
Le rôle des tribunaux ontariens dans le processus d’acceptabilité sociale des spécificités socioreligieuses amishRaphaël Mathieu Legault Laberge (UdeS - Université de Sherbrooke)
Les amish (Gingerich, 1972; Hostetler, 1968) sont présents dans le sud ontarien depuis 1824. Ce groupe religieux minoritaire manifeste certains traits socioreligieux uniques tels que l’utilisation des chevaux pour leurs déplacements et leurs travaux agricoles et la communalisation intergénérationnelle des espaces de vie familiaux. Les tribunaux ontariens ont-ils contribué au processus d’acceptabilité sociale de ces spécificités religieuses et culturelles propres aux amish? Si oui, dans quelle mesure? L’hypothèse avancée dans le cadre de cette étude postule que les tribunaux ont influencé positivement la reconnaissance des spécificités socioreligieuses amish, et ce, au niveau local. Les deux cas considérés afin d’étayer cette hypothèse (Mornington (Township) c. Kuepfer et Stoll c. Kawartha Lakes (City) Committee of Adjustment) concernent le droit municipal. Dans le premier cas, les amish ont obtenu le droit de garder des chevaux dans une municipalité où un règlement l’interdisait formellement. Dans le second cas, les amish ont obtenu le droit de construire une seconde résidence sur un terrain où cela n’était pas permis. Dans ces deux situations, les tribunaux de droit commun, considérés comme source d’autorité, ont joué le rôle principal en ce qui concerne l’acceptabilité sociale de certains traits socioreligieux propres aux amish, prenant en considération la liberté religieuse d’une communauté manifestant des marqueurs identitaires uniques.
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Communication orale
De l’influence du tribunal sur les pratiques de la fonction publique : le cas de la détention administrative des personnes non citoyennesLouis-Philippe Jannard (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Le thème des tribunaux s’est déployé de façon inattendue dans le cadre de ma recherche sur les pratiques administratives relatives à la détention des personnes non citoyennes au Canada. Lors de la réalisation d’entretiens avec des agent.e.s de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), les attentes des commissaires de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), qui contrôlent les motifs de la détention, se sont en effet imposées comme un élément incontournable influençant les pratiques administratives de ces agent.e.s, dont leur processus de prise de décision.
À la suite de Chaïm Perelman, je conçois ces décisions comme un discours visant à convaincre un certain nombre d’auditoires, au premier chef les commissaires, qu’elles sont justes. Pour y parvenir, il est alors indispensable qu’elles soient rendues en tenant compte des attentes de ces auditoires.
Ma communication vise à mettre en lumière de quelle(s) façon(s) les attentes des commissaires de la CISR orientent et contraignent les pratiques du personnel de l’ASFC. J’aborderai ainsi les modalités de leur construction et de leur diffusion au sein de l’ASFC. Il sera notamment question du rôle que jouent les agent.e.s d’audience, qui comparaissent devant les commissaires, en tant que relais de ces attentes auprès de leurs collègues. Ces conclusions permettront à leur tour de réfléchir aux contributions potentielles de la recherche empirique à l’analyse rhétorique du droit.
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Communication orale
Transformation de la conscience juridique en contexte d’immigration : une exploration du cas des femmes africaines au QuébecMarie-Eve Paré (Université McGill)
Le droit étatique, en tant que dimension du social culturellement et historiquement contextualisée, porte en lui les composantes de son inaccessibilité. Ainsi, l’idéal du droit étatique valorise une rhétorique d’autonomie, de neutralité et d’universalité, qui a pour effet d’induire une distanciation entre ses institutions juridiques et la société. À cet égard, l’opacité bureaucratique, la spécialisation du savoir professionnel, les procédures et les coûts illustrent les nombreux obstacles qui complexifient la relation avec les justiciables. Ces défis sont par ailleurs accrus pour les groupes sociaux vulnérables tels que les familles immigrantes. Devant ces défis structurels, on doit se questionner sur la spécificité du rapport aux institutions juridiques de ces familles, sur leur perception du droit, de même que sur leurs stratégies résolutives pour mieux comprendre comment s’articule leur conscience juridique. En se basant sur les résultats d’une étude ethnojuridique et sur les concepts de la mobilisation et de la conscience juridique, cette présentation analysera les trajectoires de femmes monoparentales d’origine africaine lors des procédures de divorce. Son objectif est d’une part de démontrer comment leurs expériences exemplifient les défis d’accès à la bureaucratie juridique au Québec en matière de droit familial. D’autre part, nous nous intéressons au processus de transformation de la conscience juridique en situation post-migratoire pour ces femmes.
Poursuite du colloque
La mobilisation collective pour de nouveaux tribunaux face aux contraintes constitutionnelles
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Communication orale
La création d'un tribunal unifié de la famille au Québec ou la recherche de la quadrature du cercle : une analyse sociohistorique des débatsValérie Costanzo (UdeM - Université de Montréal)
À ce jour, une pluralité d’institutions judiciaires entend les causes en matière familiale au Québec, soit la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec, la Chambre familiale de la Cour supérieure et, parfois, l’une ou l’autre des Chambres criminelles et pénales. Cette pluralité d’institutions apporte son lot de difficultés. Comme solutions aux enjeux d’accès à la justice familiale, l’idée d’un tribunal unifié de la famille (TUF) est proposée depuis des décennies.
Basée sur ses recherches à la maîtrise, la conférencière présentera une analyse sociohistorique des débats qui ont contribué à structurer le projet inachevé d’un TUF québécois.
Née, à l’origine, des instances politiques québécoises, l’idée d’un TUF a fait l’objet de nombreux débats à l’Assemblée nationale. Lors de la dernière réforme du droit de la famille au tournant des années 1980, la communauté juridique et la société civile manifestent également leur appui de la création d’un TUF. Il existe un certain consensus sur l’intérêt d’un TUF, mais non sur sa mise sur pied. Quels sont les arguments en sa faveur ? Quels obstacles à sa création sont identifiés ? À ce jour, le projet de TUF a toujours ses promoteurs. Qui sont, aujourd’hui, ses entrepreneurs moraux ?
Autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre au fil de la communication, par le soutien des données empiriques que constituent les discours des principaux acteurs politiques et juridiques, ainsi que ceux issus de la société civile.
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Communication orale
Réflexion sur les tribunaux spécialisés, unifiés ou intégrés en matière de la violence conjugale et familiale au Québec : la solution pour un meilleur accès à la justice ?Louise Langevin (Université Laval)
Au cours des derniers mois, de nombreuses critiques se sont élevées contre le système judiciaire et particulièrement contre l’organisation de la justice criminelle au Québec en matière de violence sexuelle et conjugale. Les tribunaux ne semblent pas être en mesure de protéger les femmes et les enfants vivant de la violence intrafamiliale. L’information entre les différents tribunaux ne circule pas toujours très bien, ce qui peut mener à des incohérences entre les ordonnances. Les femmes victimes de violence se plaignent des délais trop longs, du manque d’information quant au déroulement des procédures, du manque de ressources, etc. Compte tenu la nature particulière de la violence conjugale (VC), les tribunaux doivent s’adapter. Le modèle du tribunal unifié en matière de VC («une famille, un juge») semble apporter une réponse aux failles de l’approche «en silo». Bien que ce modèle ne soit pas envisageable au Canada pour des raisons constitutionnelles, il apporte certaines solutions aux lacunes de l’approche en silo. L’Ontario a mis sur pied un tribunal partiellement intégré en matière de VC à Toronto. Quelles leçons le Québec peut-il en tirer?
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Communication orale
Les tribunaux spécialisés en violence conjugale au Canada : modèles et enjeuxSonia Gauthier (UdeM - Université de Montréal)
Depuis plusieurs années, il existe des tribunaux spécialisés en violence conjugale dans la plupart des provinces et territoires du Canada. Ces tribunaux ont tous en commun de tenter de mieux répondre aux besoins des victimes et d’améliorer la réponse judiciaire à la violence conjugale, une problématique complexe qui doit être appréhendée au-delà d’une lecture strictement juridique de la situation ayant conduit à une poursuite pénale. De plus, il est reconnu que les objectifs visés par la peine peuvent être difficilement atteints par la seule intervention judiciaire, et ce, d’autant moins que l’attrition des causes impliquant de la violence conjugale peut être parfois assez importante. Par ailleurs, plusieurs se préoccupent du risque de revictimisation entraînée par l’intervention judiciaire.
Les interventions réalisées au cœur de ces tribunaux spécialisés impliquent des professionnels du domaine psychosocial à divers moments de la procédure pénale, et dépassent ainsi largement la pratique judiciaire. Ces professionnels œuvrent auprès des victimes de violence et des prévenus. Dans le cadre de cette communication, nous présenterons quelques exemples de tribunaux spécialisés au Canada et exposerons différents enjeux relatifs à ces structures spécialisées, soulevés par des chercheurs et des professionnels du terrain.
De la réforme des tribunaux aux pratiques judiciaires
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Communication orale
Déconstruire le principe de contradiction dans une instance civile réforméeShana Chaffai-Parent (UdeM - Université de Montréal)
Les tribunaux québécois ont été marqués par certaines idées et valeurs qui ont traversé le temps et les réformes. Le principe de contradiction, à la fois norme et culture, a contribué à façonner la structure, voire l’identité, de l’instance civile. On l’associe à l’équité du procès et à la recherche de la vérité, deux piliers historiques de l’instance civile québécoise. Le principe de contradiction constitue ainsi un idéal procédural de justice vers lequel les praticiens et les tribunaux semblent tendre.
Aux bénéfices de la contradiction s’ajoutent toutefois certaines conséquences moins désirables. Le déroulement de l’instance civile accusatoire et contradictoire a été caractérisé par une multiplication des actes procéduraux et des moyens de preuve, ainsi que par un antagonisme marqué entre les parties.
Par la réforme du Code de procédure civile, le législateur a voulu atténuer certains effets de la contradiction, avec en tête l’objectif d’améliorer l’accès à la justice. Or, les tribunaux et les praticiens se révèlent être bien ancrés dans la continuité. L’objet de la présentation sera d’exposer en quoi le principe de contradiction, à travers ses dimensions symbolique, normative et pratique, semble constituer un obstacle au changement des pratiques devant les tribunaux québécois.
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Communication orale
La mutation judiciaire vue par ses acteurs : le virage numérique avant-gardiste du Tribunal administratif des marchés financiersMaya Cachecho (UdeM - Université de Montréal), Cathy Jalbert (Tribunal administratif des marchés financiers)
Le Tribunal administratif des marchés financiers (TMF) est le premier tribunal sans papier au Québec. À ce titre, il inspire la recherche universitaire et les acteurs de la Justice.
Le TMF a complété la transformation technologique des activités juridictionnelles en 2017 après trois années de réforme. Il convient de souligner que sa procédure est entièrement informatisée : le dossier est consultable en tout temps, le plumitif est facilement accessible et les décisions sont rendus électroniquement. Les gens peuvent ainsi déposer des pièces, choisir la date de l’audience, effectuer des paiements ou encore apposer leur signature. Le tout s’effectuant avec le plus haut degré de sécurité.
En plus de bénéficier des nombreux avantages qualitatifs engendrés par cette transformation numérique, le TMF est devenu un véritable modèle pour de nombreux acteurs et institutions de la Justice au Québec dans le contexte de la crise sanitaire provoquée par la COVID.
Principalement deux questions seront abordées dans le cadre de cette communication : Comment le TMF a-t-il effectué ce virage numérique avant-gardiste? Et comment accompagne-t-il les autres acteurs dans la mutation technologique opérée en urgence par les différents tribunaux administratifs ?
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Communication orale
La gestion par résultats au sein du Tribunal Administratif du Travail : un cas d’acculturation du droit par le managementAlexandra Bouchard (UdeS - Université de Sherbrooke)
Cette communication portera sur les influences de la mise en œuvre de la gestion par résultats au sein du Tribunal Administratif du Travail. En effet, depuis les réformes administratives des années 2000, divers mécanismes et outils de gestion relevant de l’approche du nouveau management public et de la gestion par résultats ont été mis en place au sein de l’administration publique québécoise. Il s’agissait ainsi pour l’administration publique québécoise d’emprunter des sciences managériales, afin de permettre aux gestionnaires des organismes de prendre les décisions les plus efficaces et les performantes dans les circonstances. Or, malgré ces transformations, « les instruments de gestion ne représentent pas une catégorie reconnue et homogène dans les ouvrages de droit administratif, peu importe la langue ou le système national en cause » (Mockle, 2018). Notre communication permettra, d’abord d’identifier les différents principes, outils et mécanismes mobilisés par l’administration pour mieux gérer le Tribunal administratif du Travail, et ce, afin de mieux comprendre comment ces principes et outils managériaux interagissent avec le droit administratif. Cette communication s’appuie sur les travaux de recherche que nous avons effectués dans le cadre de notre maîtrise en droit à l’Université de Sherbrooke.
Dîner
La transformation des tribunaux et le renouvellement de la recherche en miroir
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Communication orale
La boite noire des tribunaux et les difficultés de mesurer les impacts des réformes législativesChloe Leclerc (UdeM - Université de Montréal)
Depuis les quinze dernières années, d’importantes réformes ont considérablement modifié la politique canadienne en matière de justice criminelle, proposant des réponses toujours plus sévères à l’endroit des criminels. Or, l’effet réel de ces réformes sur les pratiques des tribunaux est très difficile à estimer. À l’aide de plusieurs exemples concrets de démarches visant à analyser les impacts de différentes réformes pénales, nous discuterons des difficultés et enjeux entourant l’accès à des données statistiques de qualité qui permettrait de documenter adéquatement les effets attendus et inattendus de ces modifications législatives.
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Communication orale
Contribution de l'approche ethnographique aux recherches sur les tribunauxKarine Bates (UdeM - Université de Montréal)
L’anthropologie propose différents angles d’analyse concernant la problématique de l’organisation étatique de la justice. Cependant, les ethnologues se font rares dans les tribunaux. De par ses biais disciplinaires, l’anthropologie résiste souvent à l’idée d’étudier certains lieux de pouvoir. Quelles sont les principales raisons derrières le manque d’ethnographies des tribunaux? Pourquoi l’ethnologie pourrait contribuer aux sciences sociales en proposant davantage d’analyses empiriques de ce forum de résolution de conflit?
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Communication orale
Les historien.ne.s et l'histoire des tribunaux au QuébecDonald Fyson (Université Laval)
Cette communication brosse un portrait synthétique de la manière dont les historien.ne.s ont abordé l'histoire des tribunaux québécois, en tant qu'objet de recherche distinct, depuis le milieu du XIXe siècle jusqu'à nos jours. D'abord l'oeuvre surtout de juristes-historiens, l'histoire institutionnelle des tribunaux a rapidement attiré l'attention d'historiens érudits s'intéressant au régime français et aux débuts du régime britannique. Il fallait toutefois attendre l'emploi systématique des archives judiciaires nouvellement accessibles par les tenants de l'histoire sociale, pendant les années 1970 et 1980, pour que des historien.ne.s commencent à se questionner sur le fonctionnement concret des institutions productrices de ces sources si éclairantes sur des questions comme les rapports de classe et de genre ou encore interethniques. Ce n'est que plus récemment encore que les historien.ne.s se sont intéressés aux tribunaux en soi, autour de questions comme leur insertion dans les structures étatiques, leur contribution à la formation de l'État au Québec, ou leur importance comme lieux d'exercice du pouvoir, social comme étatique. Même là, la recherche s'est concentrée pour l'essentiel sur la période jusqu'au début du XXe siècle. Ce retard relatif (comparé à l'histoire des tribunaux en l'Angleterre ou en France, par exemple) est en partie le reflet de la nature de l'histoire sociale pratiquée au Québec, mais aussi des sources disponibles.
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Communication orale
Le juge, le chercheur, la peur : des conditions de la recherche en milieu judiciairePierre Noreau (UdeM - Université de Montréal)
La sociologie de la justice et, plus largement, l’étude des tribunaux font systématiquement se confronter les exigences du doute et de la vérité. Cette opposition rend suspecte la prétention des chercheurs à expliquer empiriquement le fonctionnement de l’institution judiciaire, que cette ambition soit fondée sur l’étude des conditions matérielles et relationnelles de l’activité judiciaire, sur ses idéologies de référence ou sur ses contradictions et ses opacités. S’y confrontent les épistémologies opposées du dévoilement et du secret (le for intérieur, l’intime conviction, la réserve), de l’analytique (de ce qui est réellement fait) et de la normativité (de ce qu’on prétend y faire), des impératifs de la critique et de la légitimité, de la subjectivité de l’expérience et de la rationalité formelle du droit, du monde vécu et du rituel sacré. Il s’ensuit que toute recherche à prétention explicative ou compréhensive constitue une menace. Ce sont ces tensions qu’on mettra en évidence, sans oublier toutefois que la sociologie est elle aussi traversée par des postulats chargés de certitudes… et de mystères.
Conférence de synthèse
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Communication orale
La recherche contemporaine sur les cultures judiciaires en perspective sociologiqueYan Sénéchal (UdeM - Université de Montréal)
Les tribunaux sont un symbole archétypique de l’ambivalence de la Justice dans les sociétés modernes, dont l’institutionnalisation a induit une tension entre idéalité et réalité. Ils peuvent ainsi constituer un remarquable révélateur des transformations juridiques et des changements sociaux à l’œuvre aujourd’hui.
Il est à cet égard étonnant de constater l’absence quasi-totale de données publiques précises et fiables – de statistiques en particulier – sur la situation de l’institution judiciaire au Québec. Ce fait n’en est que plus surréaliste au regard des informations disponibles à propos de la santé, de l’éducation et des autres institutions de l’État-providence réformées depuis les années 1960.
Par chance, de plus en plus de travaux en sciences humaines et sociales érigent les tribunaux en objet de recherche, en mettant l’accent sur les injustices qui y accèdent (ou non), les acteurs qui s’y activent, les pratiques qui s’y déploient, les processus qui s’y déroulent, les tendances qui s’y profilent, etc. D’où l’intérêt et l’importance, dans un souci de cumulativité épistémique et de réflexivité scientifique, de dresser un portrait des recherches actuellement produites à propos ou autour des tribunaux, à la lumière des communications présentées dans le cadre du présent colloque, et d’essayer de mettre en perspective sociologique les cultures judiciaires qu'elles révèlent.