Informations générales
Événement : 85e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 600 - Colloques multisectoriels
Description :Les discours sur le Québec activent le plus souvent des conditionnements étatiques, renvoyant à un ensemble de délimitations juridiques, à des catégories nationales et à des mythes de fondation. Or, le nom « Québec » recouvre une trame empirique riche et complexe, que de telles constructions représentent de manière oblique, partisane ou idéaliste. Au-delà de ces discours, il désigne une prolifération d’histoires, de rencontres et de parcours qu’abritent la vallée du Saint-Laurent et ses bassins versants — en remontant par les forêts et les routes, les territoires traditionnels et les nouvelles banlieues, les zones industrielles et les lacs nommés par l’usage, les secteurs mobilisés et les lieux ouverts. Il existe en effet une multitude de pratiques et de gestes qui, s’articulant à des mémoires et des territoires, font affleurer la matière vive d’une pensée (politique) située au Québec. C’est cette situation de pensée que souhaite investir ce colloque. Il s’agit d’interroger cette série ouverte d’expériences, sous-tendues par une histoire politique, sociale, intellectuelle et littéraire, une tradition orale et une musicalité, voire une condition politique communes. Quels sont les modes du savoir qui permettent de rendre justice à une trame empirique aussi riche, complexe et diversifiée?
Pour appréhender les récits participant à la construction de l’objet « Québec », nous voulons réunir des chercheurs et chercheures dont la mise en commun des travaux contribuera à rendre davantage perceptible la consistance matérielle de ces formes d’existence. Quels échanges les structurent politiquement et cognitivement? Quelles expériences géographiques et humaines, autochtones et allochtones, coloniales et migrantes, les constituent? Nous proposons de déplier et de déstratifier le palimpseste « Québec », pour donner à lire, à voir et à entendre les formes de résonances épiques, épistémiques et quotidiennes qui le composent. L’exercice vise ainsi une construction collective et interdisciplinaire de l’objet « Québec », un effort de le faire apparaître dans son excédence.
Date :- Émilie Bernier (Université d’Ottawa)
- Dimitrios Karmis
- Simon Labrecque (Université d'Ottawa)
- Amélie-Anne Mailhot (Université d'Ottawa)
Programme
Histoires, territoires et habitations
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Communication orale
Madeleine Ferron : faire voir la BeauceLucie Joubert (Université d’Ottawa)
Madeleine Ferron, dans la correspondance qu’elle a entretenue pendant une quarantaine d’années avec son grand frère Jacques, a beaucoup écrit sur la Beauce, sa patrie d’adoption, surtout alors qu’elle préparait, avec son mari Robert Cliche, deux essais qu’elle publiera au début des années 1970 : Les Beaucerons, ces insoumis et Quand le peuple fait la loi. La genèse de ces deux essais, aujourd’hui refondus en un seul volume, permet une lecture transversale d’une région du Québec à laquelle Madeleine elle-même s’est greffée, par la force des circonstances, et qu’elle s’est employée à connaître et à faire connaître. Étudiante en ethnologie à l’Université Laval pendant un temps, elle a développé une curiosité et une intelligence pour la Beauce dont j’essaierai de cerner les contours : je me pencherai sur ce regard « extérieur », perspicace mais non condescendant, qu’elle promène sur le monde rural et ses lois internes ; je m’arrêterai aussi sur l’importance pour la postérité de ses lettres et, corollairement, de ses essais, parce que ces écrits bâtissent devant nous une Beauce insoupçonnée, complexe, riche de ses traditions comme de ses enseignements.
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Communication orale
Le Québec vu de MontréalFrédéric Mercure-Jolette (UdeM - Université de Montréal)
Dans cette communication exploratoire, je vais tenter de présenter comment se défini le Québec à partir de Montréal. Pour ce faire, je vais analyser successivement les différents sens que prend l’objet Québec quand il est pensé à partir de Montréal. J’en retiendrai cinq : 1) le Québec est l’hinterland de Montréal, 2) le Québec est l’autorité administrative sur Montréal, 3) le Québec est un réservoir symbolique pour Montréal, 4) le Québec est un point de vue analytique sur Montréal, et 5) le Québec est un miroir déformant pour Montréal, et inversement. L’objectif est de mettre en lumière les difficultés de penser un objet Québec qui inclut Montréal. En somme, ma question pourrait être : le Québec n’est-il qu’à l’extérieur de Montréal?
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Communication orale
De la nécessité du Québec dans le rêve des Amériques ou la déconstruction obligée de l’objet « Québec » déficitaireJean Morisset (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Au moment où le Québec éclate en miettes de partout,
alors que tous les courants de pensée s’entrechoquent
pour s’entre-déchirer joyeusement autour d’un fulmineux
autodafé de la pensée sur la Place des Impédimenta,
un retour à la nécessité du Québec dans le rêve
des Amériques s’impose avec urgence.
D’autant que la marque la plus ancienne révélant
la vie sur terre serait apparue quelque part entre
Inoukdjouak et Koukdjouak, alors que la dérive des
Plaques continentales d’où surgirait un jour le Québec
était toujours en transhumance.
À mi-chemin entre l’Arctique et l’Atlantique,
l’Europe et la Caraïbe, le vaste Hinterland et
la mouvance océane… à mi-voie du métissage fondateur
et du multiculturalisme avant la lettre, mon propos
est de resituer le Québec en dehors de sa pensée pensante.
Et rassembler quelques éléments épars visant à conjurer
le rêve de libération illégitime dans lequel se trouve
engoncé le Québec. Plus encore, donner à voir combien
le Québec se situe à son insu à la jonction des grands
courants de survie et de renouvellement où se joue
l’avenir de la planète.
Oralités, écritures et symbolisation
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Communication orale
Écrire et habiter : correspondance entre Rita Mestokosho et Denise BrassardAmélie-Anne Mailhot (Université d'Ottawa)
Le projet Aimititau! Parlons-nous!, initié par Laure Morali et qui a donné lieu au livre du même nom, visait à faire entrer en correspondances plusieurs couples d’écrivain.e.s, un autochtone et l’autre non-autochtone, dans le but d’ouvrir le dialogue, de créer des liens à travers l’écriture. Parmi ces écrivain.e.s qui ont été jumelé.e.s, on trouve la correspondance de Rita Mestokosho, écrivaine et poétesse innue d’Ekuanitshit, et Denise Brassard, écrivaine et poétesse québécoise, initiée à la géopoétique et professeure de littérature. Ces deux femmes mettent en relief, dans leurs échanges, leur relation à un territoire en partie partagé : toutes deux sont nées sur les rives d’une grande rivière qui se jette dans le fleuve St-Laurent et dont la source s’enfonce vers le Nord. Le territoire qu’elles habitent, pourtant, s’il est en partie partagé, n’est pas le même.
Dans la correspondance entre ces «deux filles du Nord», échangeant sur leur relation aux éléments naturels, l’écrivaine innue dit à l’écrivaine québécoise : «Ton écriture est différente de la mienne, elle est proche de tes attentes». Cette observation de Rita Mestokosho, mention d’un écart qui se situerait –ou se manifesterait- dans la manière d’écrire, constituerait la clé de lecture de cet échange, et des habitations politiques conséquentes des deux auteures. -
Communication orale
Où se trouve le Québec?Véronique Hébert
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Communication orale
La trame épistolaire du destin national : Jacques Ferron, Madeleine Ferron et Robert ClicheMarcel Olscamp (Université d’Ottawa)
D’un point de vue strictement littéraire, les correspondances ne représentent pas toujours la meilleure partie de l’œuvre des écrivains : les lettres, souvent écrites à la volée par des auteurs pressés, appartiennent à une logique différente de celle des écrits « voulus » et destinés à la publication. L’éditeur de ces échanges épistolaires peut parfois, à juste titre, éprouver un obscur sentiment d’effraction; par ailleurs, le patient travail d’annotation qui doit accompagner ces missives est souvent hérissé de difficultés : il s’agit en effet de convoquer un savoir multidisciplinaire (pour ne pas dire hétéroclite) qui accompagne nécessairement les moindres inflexions de la pensée des correspondants. Comment, dans ce contexte, justifier une telle dépense d’érudition? Comment, surtout, rendre justice aux écrivains et ne pas les trahir ?
Une partie de la réponse se trouve dans le caractère exemplaire des auteurs en présence. Dans le cas qui nous occupe, grâce aux aléas de leur existence et à la position qu’ils occupaient dans les milieux intellectuels, Jacques Ferron, Madeleine Ferron et Robert Cliche ont développé une connaissance intime et profonde du territoire québécois dont leurs lettres témoignent abondamment. La lecture de leur correspondance permet donc de voir se dessiner, comme en coupe synchronique, la trame riche, complexe et diversifiée de l’objet « Québec » dans toutes ses dimensions. Nous verrons comment et à quelles conditions l’édition de ces lettres (malgré leur caractère singulier et éminemment subjectif) peut offrir un regard privilégié sur ce qui « travaille » sourdement le pays au milieu du xxe siècle et « qui est lent, obscur, mais nécessaire », comme l’écrivait justement Madeleine Ferron en 1959.
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Communication orale
Penser/écrire (dans) l’enclave : pour Robert HébertSimon Labrecque (Chercheur indépendant)
Depuis le tournant des années 2010, un numéro des Cahiers de l’idiotie est en préparation sous le titre « Exotismes de la pensée de Robert Hébert ». Je suis en charge de monter et de publier ce numéro depuis l’automne 2014. Mon intervention examinera les raisons exemplaires de la lenteur, mais aussi de la persistance entêtée de ce projet éditorial. J'examinerai de quelles manières ces raisons nous donnent un aperçu représentatif des modalités contemporaines d’élaboration et de diffusion, au Québec, d’un certain type de recherche critique sur le Québec.
Cet examen réflexif se fera à l’aune d’une analyse historique des conditions de production et de circulation, ainsi de la teneur singulière des constructions de l’objet « Québec » dans les écrits de Robert Hébert, professeur retraité de philosophie au collège de Maisonneuve. Depuis les années 1970, Hébert a publié neuf livres et un grand nombre d’articles dans des revues plus ou moins confidentielles. Il a travaillé des notions originales et porteuses, dont celles de vallée du Saint-Laurent, d’enclave, d’ethnophilosophie, de détour atlantique, de fonction exotique du Canada français, de fracture endo-coloniale, de self-reliance, de philosophie artisanale et de saturation. Quelques chercheurs francophones, jeunes et moins jeunes, se revendiquent aujourd’hui de son héritage vivant comme d’une pensée postcoloniale québécoise, élaborée en marge de l’académisme universitaire et des polarisations militantes, qui prend en compte l'ancrage géographique de toute pensée. Cette pensée postcoloniale ancrée n’est toutefois pas donnée : il faut la reprendre, la relancer à chaque recherche, dans et par l’écriture, et cela prend du temps.
Dîner
Mobilisations, idéologies et pratiques
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Communication orale
L’Ogre Québec a le vivant sous la dent...Charles Deslandes (Université d’Ottawa)
La fable « Québec » parait inséparable du thème de l’animalité. Cette communication propose de dégager des axes d’analyse en interrogeant la mise en récit de l’objet « Québec » comme la production d’une fable sans fondement autre que la position corporelle et matérielle d’où elle s’énonce et les discours qu’elle mobilise et actualise – la scénographie. Cette position d’énonciation, on l’abordera en fonction du thème de l’animalité, c’est-à-dire comme autoproduction d’un sujet souverain qui en disant la fable Québec reproduit de manière performative un « propre de l’homme » limitant la participation des animaux au statut de faire-valoir réels ou fictifs. Ainsi, la fable ne semble pouvoir s’énoncer que par l’actualisation de l’imaginaire du pouvoir souverain, c’est-à-dire une hiérarchisation des vivants dont le sommet est préoccupé par des « créatures » anthropologiques affabulées dont le souverain – le Québec – agit tel un ogre, en domestiquant et en incorporant tout vivant comme s’il vivait, se reproduisait, mais ne mourrait jamais – à condition que le récit se dise et circule toujours, de bouches à oreilles.
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Communication orale
Être un État-nation : éléments de réflexion sur les aspirations québécoises à l’invulnérabilité et leurs enjeux sur les rapports entre autochtones et QuébécoisJoëlle Michaud-Ouellet (University of Victoria)
La contribution proposée part d’un constat d’une conscience exacerbée de vulnérabilité propre au Québec et qui s’explique principalement par le caractère minoritaire de ce peuple francophone au sein du bassin nord-américain. Pourtant, c’est la qualité de majorité des Québécois qui est au cœur de la réflexion proposée. « L’objet Québec » est ici abordé à travers une réflexion critique qui prend à partie à la fois le consensus voulant qu’il y ait adéquation entre être et État-nation et l’idée selon laquelle celle-ci est la meilleure garantie qui soit d’une identité invulnérable. En admettant d’emblée que le Québec n’est pas unique en son cas, c’est précisément à travers le prisme d’une quête de normalité, présentée comme maturité politique et indépendance, que la question de notre rapport à notre vulnérabilité est abordée. L’angle d’analyse privilégié est celui des conséquences pour les relations entre Autochtones et non-autochtones qui découlent de cette quête d’une identité invulnérable en la forme de l’État-nation.
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Communication orale
Héritage felquiste et perspective féministeMarie-Ange Cossette-Trudel (Collège Jean-de-Brébeuf)
Cette communication explorera une part de l’héritage laissé par le Front de libération du Québec (FLQ) dans l’imaginaire politique québécois. L’analyse portera plus précisément sur les histoires qui ont circulé et qui circulent encore à propos des idéaux et des actions de la cellule Libération. Formé par Jacques Lanctôt, Louise Lanctôt, Jacques Cossette-Trudel, Marc Carbonneau, Yves Langlois et Nigel Hamer, ce groupe d’action directe a été l’objet de plusieurs récits populaires et médiatiques qui gravitaient en particulier autour de Louise Lanctôt, la seule femme directement associée au FLQ dans l’imaginaire québécois (mise à part une informatrice célèbre). Comment expliquer que cette femme ait souvent été perçue comme la plus violente des protagonistes impliqués dans l’enlèvement du diplomate britannique James Richard Cross, en octobre 1970? La communication proposera des pistes de réponse à cette question et au problème plus général de la place des femmes dans le mouvement indépendantiste en conjuguant une mise en contexte historique et une approche partiellement autobiographique, dans une perspective résolument féministe.