L'image de l'embrasement[1], d'abord développée par des romanciers, trouve une crédibilité scientifique dans une série de thèses de médecine[2]. Où les activités sexuelles étaient considérées comme dangereuses par l'opinion médicale. Le discours sur la nécessité de contrôler cet embrasement se concrétise par une double non-mixité, une première liée à la classe sociale une deuxième par le sexe. Cette dernière était jugée d'autant plus nécessaire que les pensionnaires étaient fréquemment mariés, et séparés des leurs par la maladie. C'était des foyers déjà éprouvés qu'il fallait protéger des différentes tentations provoquées par la fréquentation du sexe opposée. Pour les célibataires, il y avait la crainte de voir la liaison de deux malades se transformer en volonté de mariage. La deuxième ségrégation était d'ordre social. La différence du sort réservé aux riches et aux pauvres est lourde de signification. Les riches sont jugés capables d'ordonner leur propre vie, tandis que l'on doit imposer la sagesse aux pauvres. Pour les riches, les jeux de l'amour, favorables à leur santé morale, sont propices à leur guérison. Pour les pauvres, les excès sexuels sont une cause d'épuisement. Nous souhaitons analyser au sein d'une institution sanitaire particulière, le sanatorium, des années 1900 à 1930, l'exercice d'un « micro-pouvoir »[3] sur le corps et la sexualité des malades, Pour mener à bien cet objectif il sera nécessaire d'étudier les différents discours médicaux[4], politico- juridique[5] et la mise en place de la non-mixité. Dans l'optique de s’interroger sur une redéfinition de la sexualité par le biais de modèles éducatifs, mais aussi la reconfiguration d’une division, et d’un partage du pouvoir, ainsi que la fixation de nouvelles normes sexuées et sexuelles qu’elle entraîne.
[1] Devenu lieu commun, ce thème est enfin consacré, au prix de quelques circonlocutions prudentes, dans de grands traités comme celui de Louis Bernard. Où la suralimentation, l'affectivité, explique-t-il, prouve leur « impétuosité du désir sexuel » chez les malades qui, dans les sanatoriums, n'ont « pas d'autres activités capables de canaliser leur énergie ». Le médecin avance que le « décubitus dorsal qui amène une congestion des organes déclives, en particulier de la prostate, cette congestion entraîne l’érection ». Il ne peut plus y avoir de doute, dès lors que les conditions matérielles d'existence viennent ainsi apporter des éléments d'explication complémentaire à ceux que l'approche purement physiologiques ne convaincrait pas.
[2] Bolte, Les troubles psychiques des tuberculeux, Thèse, Toulouse, 1910 ; Chevrolet, Essai sur la psychologie du tuberculeux pulmonaire, thèse de médecine, 1918 ; Delprat, La délinquance chez les tuberculeux, thèse de médecine, 1924. ; Landret, De l'excitation génitale chez les tuberculeux, thèse de médecine, Lyon, 1904 ;
[3] Michel Foucault, Le pouvoir psychiatrique. Cours au Collège de France (1973-1974), Paris, Seuil, 2003, p.17.
[4] Notamment sur la surveillance étroite du malade, qui est justifiée par les débordements que l'on peut craindre, d'autant que l' »incapacité à contrôler sa sexualité peut conduire à tous les excès », comme le suggère le Docteur Delprat, qui intitule sa thèse « La délinquance chez les tuberculeux ». Les médecins expliquent cela par la déficience morale du malade, dont le relâchement sexuel est la manifestation la plus évidente. Le malade s'en trouve dès lors culpabilisé, comme il l'était déjà en tant que porteur de contagion. Quant aux établissements de soins, ils sont malgré les règlements, et la réalité du vécu quotidien perçu par l'opinion comme des lieux de délices interdits au commun des mortels, et qui sont une contre-partie de la maladie.
[5] En France la loi Honnorat du 7 septembre 1919 et le décret d'application du 10 août 1920 donnèrent une base légale à la séparation des sexes dans les sanatoriums français. La formule du décret d'application « autant que possible » autorisait une certaine souplesse. Les autorités estimèrent rapidement que le texte n'était pas assez contraignant notamment en matière de séparation des sexes ». Simple recommandation au départ elle devient une obligation. Cependant, cette disposition eut à peine le temps d'être mis en œuvre qu'elle était abrogée en 1927, puis nouvelle modification en 1932. Ces multiples décrets, abrogations sont les signes qu'il s'agissait d'un sujet sensible.