Le couple loyauté-trahison, sauf exception, n’apparaît guère dans le vocabulaire politique actuel. Les débats politiques et les discussions théoriques sur le vivre-ensemble et l’obligation politique se sont en effet davantage appuyés, dans la deuxième moitié du 20e siècle, sur les idées d’appartenance et de communauté, de pluralisme et de tolérance, d’identité et de reconnaissance. Dans les sociétés libérales démocratiques, la relation à l’État et au gouvernement est davantage celle de la revendication et de la critique que celle de l’allégeance et de l’engagement : la loyauté est en quelque sorte minimale ou distanciée et non maximale ou constitutive. Les exceptions apparaissent, justement, quand l’identité culturelle ou la sécurité nationale sont concernées ou menacées, comme dans le cas des compétitions sportives internationales, des mouvements migratoires ou des déploiements militaires. S’il peut encore être question de loyauté et de trahison en dehors des phénomènes de ce genre, c’est à plus petite échelle, au sein des partis politiques, par exemple (« retourner sa veste » sera considéré comme une traîtrise) ou dans les organisations de la société civile (loyauté envers l’employeur, difficile à assumer en ces temps de « flexibilité »). On ne retrouve ainsi un usage important de la loyauté — et de son contraire, la trahison — que dans le monde professionnel (Clancy, 1998; Begin et Centeno, 2015) et, quand elle subsiste en politique, elle est souvent associée au patriotisme et aux valeurs de droite (MacIntyre, 1984; Drunckman, 2004). Si son étude ne disparaît pas pour autant, comme en témoignent après Hirschmann (1970) les travaux de Keller (2007), Laroche (2010) et Klenig (2014) sur la loyauté, et de Schehr (2010) et Giraud (2010) sur la trahison, elle demeure en retrait dans les sciences humaines et sociales. L’atténuation de la loyauté et de la trahison politiques est-elle avérée ou s’agit-il d’une question de point de vue, qu’un changement de perspective pourrait infirmer? Telle est notre interrogation.
L’objectif de notre colloque d’une journée consistera donc à recouvrer ou retrouver les usages, la pertinence et les limites de la loyauté politique aujourd’hui, et de permettre d’offrir une synthèse sur le concept de la trahison dans la variété de ses manifestations. Le colloque entend aborder la consistance conceptuelle de ces notions afin de dépasser une simple approche événementielle et descriptive des rapports sociaux et des modes d’engagement étatique. Il accueillera les études de cas et les approches comparatives (notamment celles de spécialistes de la chose militaire), mais toujours dans le but d’une théorisation adaptée aux difficultés de ses usages actuels. Nous espérons ainsi circonscrire la portée du concept de loyauté en philosophie politique ainsi qu’en sciences humaines et sociales, et en arriver à la délimitation (ou à l’élargissement) du paradigme de la trahison. Nous pourrons ainsi mieux rendre compte de sa complexité actuelle et mieux en mesurer l’actualité.