Conservé dans deux témoins manuscrits — le BnF fr. 12559 (livre luxueux et richement illustré daté de 1403-1404) et le Turin BN L. V. 5 (codex modeste qui donne à lire une version abrégée) —, le Chevalier errant de Thomas III de Saluces (env. 1394-1396) demeure à ce jour peu étudié, sans doute en raison de son caractère composite. Véritable roman somme, l’œuvre amalgame autant des fictions arthuriennes et antiques que des passages à visée didactique et témoigne ainsi d’une ambition encyclopédique et totalisante qui touche toutes les traditions littéraires et les grands domaines du savoir. L’imprévisibilité de la narration et le passage ambigu du vers à la prose ajoutent au caractère insaisissable de l’œuvre, complexité qui lui a valu d’être qualifiée « d’ouvrage d’amateur » par Pierre-Yves Badel (1980) et… de « tas de fumier », par Legrand d’Aussy, qui en rédige la notice en 1796! Malgré son indéniable hétérogénéité, l’œuvre gagne pourtant à être appréhendée comme un ensemble cohérent. En effet, outre les jeux d’échos internes et la narration fortement structurée autour de la vie allégorisée du protagoniste, l’auteur, au moment de clore son œuvre, dit lui-même avoir effectué un travail de compilation (« Et moy, tiers Thomaz […] [c]e livre fiz et compilay garant » [v. 10483 et 10492]) et d’avoir ainsi cherché à unifier ce qui a pu d’abord sembler disparate.
Nous espérons que cette rencontre deviendra, à l’imitation du travail de l’auteur, l’occasion de compiler les regards jetés sur une œuvre encore trop peu lue qui, bien qu’elle semble constituer un hapax dans l’ensemble de la production médiévale, plonge au cœur des différentes esthétiques dont elle hérite et qu'elle conteste tout à la fois.