Informations générales
Événement : 85e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 300 - Lettres, arts et sciences humaines
Description :L’entretien d’écrivain et plus particulièrement du romancier apparaît au 19e siècle, qui voit la montée à la fois du journalisme et du roman comme genre littéraire dominant. Cette convergence sert directement les romanciers qui peuvent désormais investir l’espace médiatique (journaux, revues, enquêtes) pour conférer au roman une légitimité (à travers des réflexions d’ordre esthétique, poétique, épistémologique, social) que les autres genres, déjà bien établis, n'ont pas à défendre dans la même mesure. Au 20e siècle, les liens qui se tissent entre roman et reportage, roman et engagement, roman et actualité, ainsi que le développement de la radio et de la télévision viendront non seulement intensifier la pratique de l’entretien, mais en faire un des lieux premiers de la réflexion des romanciers sur leur œuvre et plus généralement sur le genre romanesque. Les questions auxquelles invite ce colloque touchent à la nature de ces liens, dont elles cherchent à comprendre le fonctionnement et les usages : comment l’entretien s’offre-t-il au romancier comme une forme singulière de réflexion sur sa pratique et sur son œuvre? Que lui permet cette forme que ne lui permettent pas l’essai, les préfaces ou les chroniques? Quel savoir particulier l’entretien ouvre-t-il au critique? Par ailleurs, dans la mesure où, comme l’exposent les travaux de David Martens et de Christophe Meurée, l’entretien d’écrivain tend à devenir au 20e siècle un « genre » littéraire à part entière — surtout lorsque les entretiens sont destinés à la publication livresque et connaissent par le fait même un processus de remaniement, de réécriture et parfois même de mise en fiction —, on peut aussi se demander de quelle façon l’entretien peut être vu comme le prolongement d’une œuvre romanesque.
Date :- Isabelle Daunais (Université McGill)
- Jolianne Gaudreault Bourgeois (2Université McGill)
- Kiev Renaud
- Guillaume Ménard
Programme
Façonnement de l’image
-
Communication orale
Je voudrais parler de Marguerite Duras ou je voudrais en faire un personnage de roman : Yann Andréa en entretienKiev Renaud (Université McGill)
Cette conférence prendra pour objet l’entretien de Yann Andréa accordé à Michèle Manceaux en 1982, après deux ans de vie commune avec Marguerite Duras, mais paru de manière posthume en 2016. La réaction de Duras à ce projet d’entretien aurait été : « “Ah, mais ça va être un autoportrait de moi” (il se reprend); pas un autoportrait de moi, “un portrait de moi” ». La mainmise de Duras sur Yann Andréa est claire : il est fasciné et terrifié, amoureux fou, il craint sans cesse de la trahir et parle de lui-même au féminin parce qu’« elle [lui] parle quasiment tout le temps au féminin! », si bien qu’il apparaît presque comme un ventriloque et qu’il s’agit, bel et bien, d’un autoportrait. La relation qu’il décrit ressemble à celles des romans de Duras : « c’est elle qui la forme, qui en fait une matière romanesque ». Cette intervention cherchera à montrer comment ses propos se fondent dans ceux des entretiens de Duras, voire dans l’œuvre même, et participent à la mythification de l’écrivaine et à la création de son univers.
-
Communication orale
Dany Laferrière ou le façonnement d’une posture d’auteur agréable dans les entretiens littéraires : historique d’un savoir-faire médiatiqueNicolas Gaille (Université Laval)
Écrivain médiatique s’il en est, Dany Laferrière a su pratiquer, au fil de sa carrière, le genre de l’entretien littéraire avec efficacité en adaptant son discours et sa présentation de soi aux différents dispositifs médiatiques – long entretien télévisé de type documentaire (Contact), talk-show (Noir sur blanc, Tout le monde en parle), émission littéraire (La Grande librairie), livres d’entretiens (Conversations avec Dany Laferrière, J’écris comme je vis). Dans cette communication, nous analyserons les modalités de ce « savoir-faire médiatique » à l’aune des tensions inhérentes aux entretiens littéraires : enjeux de légitimation pour l’intervieweur et l’interviewé, insertion de l’œuvre dans une intertextualité, (re)négociation de l’image préalable de l’auteur. Nous verrons ainsi par quels moyens Laferrière est arrivé à se construire une posture d’« érudit agréable », se faisant notamment le passeur de la « grande littérature » dans les médias et occupant de ce fait une position peu investie par les écrivains québécois contemporains.
-
Communication orale
Pierre Michon par Pierre MichonGuillaume Ménard (Université McGill)
Le titre de cette communication fait signe vers celui de l’autoportrait Roland Barthes par Roland Barthes (1975), écrivain auquel Pierre Michon voue un grand respect. C’est à Barthes que Michon doit l’usage du terme « biographème », élément distinctif mais partageable de toute biographie, et dont on en retrouve la trace dans ses entretiens. L’alcoolisme avoué, le rire ironique et l’absence du père constituent quelques-uns des traits importants de la biographie michonienne, telle que l’écrivain la révèle en entrevue. Or les biographèmes de Michon offrent de singuliers échos à ses textes de fiction, notamment avec la vie d’Arthur Rimbaud dans Rimbaud le fils (1991). Le biographème serait ainsi à comprendre comme un carrefour dans lequel se nouent et se dénouent la personne réelle (biographique), l’écrivain (institutionnel) et les personnages (fictionnels), où fiction et réalité, œuvre et biographie engagent un conflit et des jeux de transformations réciproques. L’objectif de cette communication est de réfléchir à l’entretien comme espace d’une négociation entre la vie de l’écrivain et la possibilité de l’invention de soi par les moyens de la fiction. Les entretiens de Pierre Michon réunis sous le titre Le Roi vient quand il veut (2007) et son récit Rimbaud le fils (1991) feront l’objet de cette présentation.
La mise en narration
-
Communication orale
Annie Ernaux et la poétique du dévoilement : le roman autobiographique comme forme détournée d’entretienFrédérique Collette (UdeM - Université de Montréal)
Annie Ernaux a accordé un très grand nombre d’entretiens jusqu’à aujourd’hui. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs fait l’objet de publications livresques : l’auteure répond généreusement à toutes sortes de questions, qu’elles portent sur sa vie, son œuvre, sa poétique d’auteure et ses procédés d’écriture. Les œuvres autobiographiques ernaliennes sont d’autant plus intéressantes en cela qu’elles nous offrent une forme détournée d’entretien : sans la médiation d’un journaliste ou d’un chercheur, Annie Ernaux fait part à ses lecteurs de ses diverses réflexions, commentant sans cesse le texte qu’elle écrit, les discours qu’elle y tient et le langage qu’elle utilise. C’est donc par le biais de métacommentaires et de métadiscours – qui sont très souvent mis en relief par des parenthèses ou des tirets doubles –, que l’auteure tend à expliquer et à légitimer ses textes. Autrement dit, Ernaux révèle des éléments de ses textes comme elle le ferait lors d’un entretien, mais à l’intérieur même de ces derniers. Une poétique du dévoilement est donc à l’œuvre dans les romans autobiographiques d’Annie Ernaux : ces derniers, caractérisés par une autoréférentialité et une métadiscursivité, présentent une imbrication de la réflexion et de la création, de l’entretien et du roman.
-
Communication orale
L’art de l’entretien chez Romain Gary au crible de l’identité narrativeJolianne Gaudreault Bourgeois (Université McGill)
Cette communication s’intéressera à la pratique de l’entretien chez Romain Gary en tant que lieu d’invention d’un soi à la fois biographique et fictif. À la lumière du concept d’identité narrative tel que le définit Paul Ricœur, sera notamment envisagé l’ultime entretien de Romain Gary accordé à Radio-Canada en 1980 et publié en 2014 sous le titre Le sens de ma vie, lequel peut être considéré comme la dernière autobiographie du romancier. Interviendra également La nuit sera calme (1974), une œuvre romanesque empruntant la forme d’un entretien fictif qui peut aussi être comprise comme un « auto-entretien ». Passerelle entre l’œuvre et la vie, l’entretien chez Gary s’avère un lieu de confession et d’invention où il est possible de s’envisager « soi-même comme un autre » et de multiplier les identités.
Dîner
La pratique de l’entrevue (Partie 1)
-
Communication orale
« Laissons les bibliothèques et regardons par la fenêtre » : le romanesque et l’écriture journalistique dans « Les Confidences d’écrivains canadiens-français » d’Adrienne ChoquetteCharlotte Biron (Université Laval)
En 1938, Adrienne Choquette rencontre 33 écrivains pour le journal de Trois-Rivières Le Mauricien. La série d’entretiens littéraires met en lumière les aspirations d’un milieu qui cherche par le roman une évolution presque foncière de la littérature. L’ambition romanesque parcourt les réponses des interlocuteurs de Choquette, tandis qu’une autre donnée se généralise en filigrane : les écrivains se consacrent bien moins au roman qu’au journal. À travers cette obsession du roman canadien-français, dans l’ombre du modèle écrasant de Louis Hémon, mais également à travers la pratique omniprésente du journalisme et l’enchâssement de récits dans les entretiens — de fragments narratifs insérés —, la série campe une tension profonde entre la conception d’une écriture romanesque à venir et l’existence concrète d’une pratique journalistique. L’enquête de Choquette existe, à l’instar d’un ensemble d’entretiens parus depuis la fin du XIXe siècle, comme une strate sédimentaire précieuse, petite histoire littéraire des écrivains, mais c’est également le lieu d’un renversement singulier où l’écrivain renonce temporairement à l’écriture au profit du journaliste devant lui. À ce roman en creux et à l’ubiquité du journal s’imprime ainsi le renversement énonciatif définitoire du genre. Hors de ces Confidences, en effet, peu de choses séparent la journaliste de ses « interviouvés ».