À une époque où il est encore malséant pour les femmes de prendre la parole publiquement, surtout pour discuter de matières controversées ou pour formuler la critique de décisions ou de personnages politiques ou religieux, on peut se demander comment, dans les imprimés français de la première modernité, on fait parler une figure féminine ou un groupe anonyme de femmes, notamment lorsque celles-ci sont de basse extraction sociale. Qu’il s’agisse de locutrices agissant comme protagonistes au sein d’un récit ou d’un « je » féminin qui semble se confondre avec une instance auctoriale, ces « voix » féminines présentent une grande diversité d’ethe. Quels types de personae les ventriloques — qu’il s’agisse de rédacteurs féminins ou masculins — élaborent-ils dans leurs écrits? Comment ces prises de parole au féminin se transforment-elles selon les contextes et les périodes? Quelles formes textuelles (écrits en prose ou versifiés, prophéties, caquets, dialogues, lettres, etc.) privilégie-t-on pour faire entendre ces voix féminines marginales et parfois dissidentes? Le travestissement textuel, c’est-à-dire les phénomènes de ventriloquie entendue ici métaphoriquement comme « le procédé au moyen duquel un rédacteur anonyme fait entendre une voix prétendument véritable1 » et autre que la sienne, soulève plusieurs interrogations relatives à l’auctorialité féminine. Brouillant les repères identitaires, ces procédés de ventriloquie complexifient les enjeux génériques et semblent mettre radicalement en question l’essentialisation des notions d’« écriture féminine » et de « parler femme ».
1 Jean-Philippe Beaulieu, « La voix de la maréchale d’Ancre. Effets de ventriloquie dans quelques pamphlets de 1617 », dans David Martens (dir.), La Pseudonymie dans la littérature française. De François Rabelais à Éric Chevillard, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2016.