Informations générales
Événement : 85e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 300 - Lettres, arts et sciences humaines
Description :À une époque où il est encore malséant pour les femmes de prendre la parole publiquement, surtout pour discuter de matières controversées ou pour formuler la critique de décisions ou de personnages politiques ou religieux, on peut se demander comment, dans les imprimés français de la première modernité, on fait parler une figure féminine ou un groupe anonyme de femmes, notamment lorsque celles-ci sont de basse extraction sociale. Qu’il s’agisse de locutrices agissant comme protagonistes au sein d’un récit ou d’un « je » féminin qui semble se confondre avec une instance auctoriale, ces « voix » féminines présentent une grande diversité d’ethe. Quels types de personae les ventriloques — qu’il s’agisse de rédacteurs féminins ou masculins — élaborent-ils dans leurs écrits? Comment ces prises de parole au féminin se transforment-elles selon les contextes et les périodes? Quelles formes textuelles (écrits en prose ou versifiés, prophéties, caquets, dialogues, lettres, etc.) privilégie-t-on pour faire entendre ces voix féminines marginales et parfois dissidentes? Le travestissement textuel, c’est-à-dire les phénomènes de ventriloquie entendue ici métaphoriquement comme « le procédé au moyen duquel un rédacteur anonyme fait entendre une voix prétendument véritable1 » et autre que la sienne, soulève plusieurs interrogations relatives à l’auctorialité féminine. Brouillant les repères identitaires, ces procédés de ventriloquie complexifient les enjeux génériques et semblent mettre radicalement en question l’essentialisation des notions d’« écriture féminine » et de « parler femme ».
1 Jean-Philippe Beaulieu, « La voix de la maréchale d’Ancre. Effets de ventriloquie dans quelques pamphlets de 1617 », dans David Martens (dir.), La Pseudonymie dans la littérature française. De François Rabelais à Éric Chevillard, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2016.
Dates :Programme
Pratiques éditoriales
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Communication orale
La ventriloquie au fémininDiane Desrosiers (Université McGill)
Cette communication se veut un état présent des travaux portant sur les phénomènes textuels de ventriloquie définie comme une forme de travestissement de la voix. Jusqu’à maintenant, la question du travestissement a surtout été abordée dans le monde anglo-saxon du point de vue vestimentaire (cross-dressing; Connor (2000)). Le travestissement textuel, c’est-à-dire les phénomènes de ventriloquie entendue métaphoriquement comme «le procédé au moyen duquel un rédacteur anonyme fait entendre une voix prétendument véritable» et autre que la sienne (Beaulieu, 2016) a suscité quelques études (Kim & Westall (2012); Davies (2012)). La ventriloquie transgénérique où un auteur féminin emprunte la voix d’un homme a aussi fait l’objet de contributions, mais l’utilisation de voix de femmes par des scripteurs masculins, féminins ou anonymes soulève des interrogations et des remises en question relatives à l’auctorialité féminine qui restent à explorer. En effet, les divers procédés de ventriloquie complexifient les enjeux génériques (au sens de “généricité” (“gender”)) de ces compositions; ils relativisent en quelque sorte la valeur émancipatrice, libératrice accordée par la Modernité à la prise de parole féminine et interrogent la conception essentialiste des notions d’«écriture féminine» et de «parler femme». Je tiendrai donc compte des études récentes dans ce domaine (Giorcelli & Rabinowitz (2012)), en insistant plus particulièrement sur les travaux fondateurs de Butler (2004 et 1990).
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Communication orale
Une voix féminine entre manuscrit et imprimé : l’exemple de « La vraye disant advocate des dames » de Jean MarotRenée-Claude Breitenstein (Brock University)
Si les prises de parole au féminin restent marginales au tournant des XVe et XVIe siècles, il est un exercice argumentatif où il n’est pas rare de voir s’afficher des locutrices féminines détentrices d’autorité : la défense des femmes. Dans La vraye disant advocate des dames de Jean Marot, composée en 1506 et dédicacée à Anne de Bretagne, diffusée sous forme manuscrite dans un premier temps puis imprimée vers 1520 et 1535, le poète cède la place à une voix féminine associée au domaine juridique, l’avocate du titre. Pourquoi ce changement énonciatif, et quels en sont les modalités et les enjeux ? Quelle est la spécificité de la figure de l’avocate dans le poème de Marot ? Ce procédé de ventriloquie à teinte juridique trouve-t-il d’autres canaux d’expression dans la tradition de défense des femmes ? Enfin, en quoi la modification de support (manuscrit, puis imprimé) en fonction de publics changeants modifie-t-il la portée (éventuellement l’efficacité) du procédé de ventriloquie et la représentation du féminin ? L’objectif de cette communication est triple : 1) relever et analyser le champ lexical du procès dans le poème de Marot pour en mesurer la force de persuasion ; 2) replacer cette stratégie argumentative dans le cadre plus global des défenses et éloges de femmes publiées à la Renaissance ; 3) s’interroger sur l’impact que peut avoir la matérialité des textes sur la question de la ventriloquie.
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Communication orale
Les « Mélanges » (1798) et « Nouveaux mélanges » (1801) à rebours : un florilège à quatre mains… et deux voix?Catherine Dubeau (University of Waterloo)
Les Mélanges (1798) et Nouveaux mélanges (1801) de Suzanne Necker sont un ensemble d’écrits intimes colligés et édités par les soins de Jacques Necker après le décès de son épouse, en mai 1794. Quoique le testament de Madame Necker manifeste une nette volonté de préservation, à aucun moment il n’est question de publication. Dès lors, comment expliquer ce vaste chantier éditorial au terme duquel plus de 1800 pages seront offertes au public européen ? Une première piste de réponse réside dans l’examen attentif du processus éditorial des Mélanges et Nouveaux mélanges : des cinq volumes imprimés en 1798 et 1800 aux volumes manuscrits de Madame Necker, en passant par les épreuves préparées par les soins de l’époux éditeur. Seul ce mouvement permettra de résoudre l’énigme éditoriale d’une collection de textes à laquelle Jacques Necker a tant contribué à donner sa forme. Dans cette communication, nous aimerions revenir sur ce processus éditorial, en dépasser la nature commémorative afin de mettre au jour ce minutieux travail de construction (sélection, élagage, censure, disposition) en vertu duquel Necker a fait dire quelque chose aux écrits de son épouse et contribué à forger l’image que devait en retenir la postérité. Tant il est vrai que les Mélanges et Nouveaux mélanges renvoient ici tout autant à la voix de l’éditeur qu’à celle de l’auteure.
Chœur et voix d’enfant
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Communication orale
Chœurs de femmes et voix collective dans la tragédie humanisteLouise Frappier (Université d’Ottawa)
En imitant les tragiques grecs et romains, les dramaturges français de la Renaissance ont conservé l’une des composantes dramaturgiques les plus importantes de la tragédie antique : le chœur, dont les discours constituaient une part essentielle de la tragédie antique et dont la fonction était, entre autres, de relayer l’opinion commune et de représenter la collectivité. Or, au XVIe siècle, ce chœur est très souvent formé d’un groupe de femmes, dont le rôle au sein de l’intrigue peut s’avérer fort complexe. Dans cette communication, j’examinerai le contenu rhétorique et la fonction dramaturgique des discours de chœurs féminins apparaissant dans quelques tragédies humanistes écrites par des auteurs masculins (telles que Médée de Jean de La Péruse, Cléopâtre captive d’Étienne Jodelle, Jephté de Florent Chrestien et certaines tragédies de Robert Garnier). Il s’agira, en particulier, de déterminer de quelle doxa le discours choral féminin se fait le véhicule et à quel point ce personnage féminin et pluriel joue le rôle traditionnel attribué au chœur, celui d’incarner la voix de la cité.
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Communication orale
La rhétorique féminine au regard d’une Antiquité rêvée : l’exemple de l’« Histoire de Tullie, fille de Cicéron » de la marquise de LassayDonia Akkari (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières)
La reprise, dans les ouvrages de fiction, des figures tirées de la littérature antique associe fréquemment tradition rhétorique et esprit d’invention chez les auteurs mondains des XVIIe et XVIIIe siècles. Le projet de recréer une Antiquité rêvée semble alors relever d’une ambition d’ériger ces figures historiques en modèles moraux et éthiques pour mieux concevoir et remettre en question le temps présent. Auteure mondaine très peu connue du premier XVIIIe siècle, la marquise de Lassay a écrit quelques contes de fées et, en 1726, elle fait paraître l’Histoire de Tullie, fille de Cicéron, un ouvrage qu’elle dédie à ses filles pour des fins pédagogiques. Ainsi, le choix de la mise en scène du personnage de la fille d’un grand philosophe et rhéteur latin se justifie par l’idéalisation dont fait l’objet cette époque de l’histoire littéraire, qu’elle tente d’acclimater à l’époque moderne et aux ambitions pédagogiques qu’elle cultive. Par la voix de la marquise de Lassay, le personnage de Tullie deviendra donc le parangon des vertus morales et intellectuelles que chérit la société galante. Or, celles-ci sont indissociables des traits les plus valorisés d’une conversation féminine qui se traduit dans les manifestations d’une rhétorique qui, chez la marquise de Lassay, s’inspire de l’Antiquité pour mieux définir une éloquence française moderne qui passe par l’exemple féminin.
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Communication orale
Faire parler les « jeunes personnes »: les « Magasins » de Marie Leprince de BeaumontAndréane Audy-Trottier (Université Paris-Est Créteil)
Marie Leprince de Beaumont (1711-1780) est l’un des auteurs les plus lus et les plus traduits au XVIIIe siècle. Outre sa réécriture de La Belle et la Bête, ses Magasins constituent sans doute ses œuvres les plus célèbres, ayant grandement contribué à renouveler la pédagogie laïque au siècle des Lumières. Largement inspirés de son expérience londonienne de gouvernante, ces écrits empruntent la forme du dialogue pédagogique et mettent en scène les leçons d’une ‘‘sage’’ gouvernante, Mlle Bonne, et ses élèves. L’une des ambitions de Marie Leprince de Beaumont semble être de proposer un récit éducatif qui non seulement met en scène des jeunes demoiselles, mais leur donne également la parole, laquelle veut refléter les caractéristiques de l’enfance. Cette volonté est inscrite dans le titre même du Magasin des enfans, où elle insiste pour dire qu’elle «fait penser, parler, agir les jeunes Gens suivant le génie, le tempérament, et les inclinations de chacun» et qu’elle y représentera «les défauts de leur âge». Cette mise en scène de la parole enfantine féminine est d’autant plus intéressante qu’elle prolonge et approfondit la réflexion sur l’enfance amorcée au siècle précédent. Je m’intéresserai plus particulièrement au Magasin des enfans (1756), au Magasin des Adolescentes (1760) et au Magasin des jeunes dames (1772), afin d’envisager l’évolution de la parole enfantine féminine à travers les âges de la vie que sont l’enfance et l’adolescence et le début de l’âge adulte.
Lunch
Travestissements
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Communication orale
« Je la fay parler à ma mode » : réflexions sur la pseudonymie féminine dans la production pamphlétaire (1575-1652)Jean-Philippe Beaulieu (UdeM - Université de Montréal)
«Je la fay parler à ma mode»: par ces mots, Suzanne de Nervèze désigne, dans l’adresse au lecteur des Genereux mouvemens d’une dame heroique et pieuse (1644), le procédé par lequel le texte rapporte les propos d’une femme fictive. Cette forme de ventriloquie consistant à faire parler ou écrire une figure féminine semble particulièrement fréquente dans l’abondante production pamphlétaire qui accompagne les troubles politiques se situant entre les guerres de religion et le règne personnel de Louis XIV. En effet, ces courts occasionnels semblent avoir été le laboratoire idéal – pour des rédacteurs anonymes, le plus souvent masculins, peut-on penser – afin de mettre en scène une grande variété des locutrices se prononçant sur les affaires publiques, selon une perspective censément conforme à leur condition et leur fonction sociales. Si, depuis quelques années, on s’est penché sur certains traits de cette production, on ne l’a pas encore envisagée globalement. Dans cette communication, je souhaite donc proposer un aperçu des enjeux généraux de la pseudonymie féminine au sein de la littérature pamphlétaire française du début de la modernité. Il s’agira de distinguer les situations de ventriloquie selon le statut des locutrices, dont découle l’usage de certains types de discours. L’objectif est de contribuer à mieux comprendre de quelle façon le discours féminin est pensable et dicible dans le contexte spécifique du libelle politique.
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Communication orale
Quelle est cette voix qui se fait entendre? Simulation et dissimulation de la voix féminine dans « L’héroïne mousquetaire »Roxanne Roy (UQAR - Université du Québec à Rimouski)
L’héroïne mousquetaire, histoire véritable (1677-1678) de Jean de Préchac met en scène Christine de Meyrac, personnage qui se travestit en mousquetaire sous le nom de Saint-Aubin afin de participer à la guerre de Hollande. Telle une comédienne sur la scène, la jeune femme est en constante représentation, étant appelée à jouer tour à tour le masculin et le féminin dans différents contextes (principalement la cour et l’armée), selon l’habit qu’elle revêt. Nous posons l’hypothèse que, pour bien tenir son rôle et ne pas se trahir, Christine doit moduler son discours en fonction de l’identité qu’elle adopte. Dans cette communication, nous souhaitons examiner les marques et les caractéristiques du discours afin de dégager les traits génériques du «parler femme». Pour ce faire, nous proposons d’étudier quatre cas de figures où la prise de parole est particulièrement significative ou ambiguë dans la nouvelle de Préchac en regard de la locutrice et de la scène d’énonciation : 1) Saint-Aubin le mousquetaire s’exprimant au sein de l’armée du Roi; 2) Saint-Aubin le galant cavalier conversant avec des dames qui le courtisent; 3) Christine l’amoureuse échangeant des propos doux avec son amant le marquis d’Osseira; 4) Christine telle qu’en elle-même, monologuant en son for intérieur. Nous tâcherons d’identifier les procédés discursifs et rhétoriques employés par Préchac pour simuler ou dissimuler la voix féminine, ainsi que les enjeux (rhétoriques, littéraires, sociaux) qui s'y rattachent.
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Communication orale
Comment faire parler librement les femmes? Le travestissement ou le cas du roman « Frédéric de Sicile » de Catherine BernardSophie Raynard-Leroy (Stony Brook University (New York))
Dans le roman Frédéric de Sicile (1680) de Catherine Bernard, le travestissement est non seulement textuel (parution anonyme et endossée par un auteur masculin de renom) mais aussi sexuel (le protagoniste du roman est en fait une femme déguisée). Nous observerons donc comment, en se faisant passer pour un homme, une femme peut s’exprimer plus ouvertement. Comme la romancière se plaît à insérer des maximes morales (souvent sur l’amour) dans son récit fictionnel, pouvons-nous y reconnaître la voix de Catherine Bernard elle-même ? Est-ce l’auteure que nous entendons en fait dans la bouche du héros travesti ou est-ce son commentaire sur l’histoire de ce héros (maxime comme méta-texte) que nous lisons ? En outre, le personnage éponyme étant une personnalité politique de haut plan (le roi de Sicile), nous analyserons la façon dont une femme choisit d’exprimer ses idées politiques ou sociales en empruntant l’identité de cette figure d’autorité officielle et révérée qui, au sexe près, devrait légitimement être la sienne.
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Communication orale
Romancières de l’au-delà : un dialogue des morts entre Mlle de Scudéry et Mme de GraffignyKim Gladu (UQAR - Université du Québec à Rimouski)
Alors que Mlle de Scudéry est décédée en 1701, Mme de Graffigny n’est disparue que depuis deux ans lorsque paraît, dans le Mercure de février 1760, un curieux dialogue des morts mettant en scène les deux femmes de lettres, œuvre d’un certain M. de Bermann, bachelier en droit, à Pont-à-Mousson. Le texte d’une vingtaine de pages simule un débat entre les deux romancières qui porte, comme le titre l’indique, Sur le soin qu’on doit avoir, en écrivant, de moins envisager son siécle, que l’avenir. Mlle de Scudéry prend parti pour une conception particulièrement moderne de l’art d’écrire et place au sommet la nécessité de plaire au public, dont le goût est dicté par la mode et les inclinations du moment. De son côté, Mme de Graffigny favorise une vision toute classique de la littérature, qui met de l’avant une conception universelle et intemporelle de la beauté, basée sur le critère d’imitation de la belle nature et qui permet aux œuvres d’être appréciées par la postérité. Or, les discours tenus par chacune des intervenantes semblent quelque peu dissonants, ou du moins, être construits à partir d’une seule facette de leur posture littéraire. En ce sens, la voix de ces deux femmes de lettres est modulée suivant le désir de faire valoir une opinion qui, somme toute, se situe dans la mouvance contemporaine agitée par la question de la commémoration et le désir d’institution d’un panthéon littéraire.
Cocktail : Faculty Club
Les femmes de Rabelais
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Communication orale
L’énonciation féminine dans l’œuvre de François Rabelais : le pouvoir dans la paroleMarie-Christine Cyr (Université McGill)
Pour cette communication, je souhaite analyser la prise de parole des personnages féminins, en discours direct et indirect, dans l’œuvre de François Rabelais. Je travaillerai à partir d’extraits du Gargantua, du Pantagruel ainsi que du Tiers Livre. Dans un premier temps, je veux mettre en lumière les signes textuels qui témoignent de la représentation de cette parole rapportée. J’effectuerai cette étude à l’aide, entre autres, des travaux de Gillian Lane-Mercier sur la parole romanesque. Je souhaite montrer comment ces paroles prennent place dans le livre-objet, à une époque où l’imprimé apporte son lot de changements dans la forme que prend le livre, mais également comment elles participent à la construction de personnages féminins dotés de pouvoirs particuliers. Qui sont ces femmes qui parlent ? Ultimement, j’aimerais montrer que plusieurs femmes dans l’œuvre de Rabelais détiennent le sort des hommes sur le bout de leurs langues. En effet, nous rencontrons des mères, des dévotes, des déesses et des sibylles qui sont en mesure de donner la vie, tout en menaçant, parfois bruyamment, de la reprendre.
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Communication orale
Jacobe Rhodogine, engastrimythe ou comment Rabelais fait parler CincinnatuleClaude La Charité (UQAR - Université du Québec à Rimouski)
Rabelais s’est intéressé aux ventriloques, au point d’introduire en français le terme savant grec équivalent d’«Engastrimythes» au chap. LVIII du Quart Livre de 1552. Si, dans sa «Briefve Declaration», il glose, sans surprise, le terme par «Parlans du ventre», il consacre un long développement à un cas particulier de ventriloquie féminine, en relatant l’histoire de Jacobe Rodogine, Italienne de condition modeste qui, à Ferrare, en 1513, faisait parler l’esprit malin par son ventre. L’anecdote rabelaisienne va jusqu’à préciser que l’esprit malin se nommait lui-même «Cincinnatule» en latin, c’est-à-dire «Crespelu» en français. Le qualificatif suffit à suggérer que la ventriloque en question ne parlait pas tant du ventre que du bas-ventre. L’exemplum relèverait ainsi d’une grivoiserie convenue proposant, sous couvert de termes grecs et latins, une variante érotique. Si une telle lecture n’est évidemment pas exclue, elle est loin cependant d’épuiser le sens et l’intérêt de ce passage. En réalité, derrière le nom de Jacobe Rodogine, il faut reconnaître la source que Rabelais s’ingénie à réécrire, à savoir les Antiquæ Lectiones (1517) de Cælius Rhodoginus qui évoque bien, au livre V, chap. x, le cas d’une Ferraraise ventriloque. Nous voudrions profiter de cette communication pour cerner les sources antiques sur l’engastrimythie qui connaîtra, tout au long de l’Ancien Régime, une exceptionnelle fortune comme procédé littéraire destiné à faire parler les personnages féminins.
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Communication orale
Faire la barbe au pape : les vertus épilatoires de la ventriloquie dans les « Apresdisnées » de Nicolas de CholièresChristian Veilleux (Université McGill)
Au chapitre 34 du Tiers Livre de Rabelais, Ponocrates rapporte la demande que des religieuses ont adressée au pape Jean XXII, prié d’autoriser les sœurs cloîtrées de se confesser entre elles plutôt qu’à un homme d’Église. Quarante ans plus tard, dans la cinquième Apres-disnée de Nicolas de Cholières, le sieur Rodolphe relate la même anecdote et cite sa source rabelaisienne, qui cependant est dix fois plus concise. L’amplification considérable du micro-récit fait entendre le détail de l’argumentaire des «clergesses», un discours si bien mené que le pape crut «que ce fussent quelques grands docteurs qui, en habits desguisez et la barbe pelée (quia forte castrati ou autrement) luy vouloient faire la barbe». Le soupçon papal quant à l’identité sexuelle des religieuses a une portée métaleptique: il rappelle que les arguments des moniales leur sont soufflés par un énonciateur masculin. Aussi le questionnement comique du Saint-Père sur la méthode épilatoire des docteurs travestis peut-il se lire comme une interrogation sur le coût opératoire de la ventriloquie pratiquée par le sieur Rodolphe, «[par castration] ou autrement». La question est d’autant plus importante que ce dernier se targue de la supériorité du sexe viril. Je me propose d’évaluer ce «coût» en interprétant les commentaires métadiscursifs du pape à la lumière de la sixième Apres-disnée, consacrée aux barbes et à la fiabilité de la pilosité comme critère discriminatoire des sexes.
Les voix de l’Autre
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Communication orale
L’énonciation au sein des « Contes amoureux par Madame Jeanne Flore » : prise de parole collective et parler de femmeMarie Raulier (Université McGill)
Les Comptes amoureux par Madame Jeanne Flore, touchant la punition que faict Venus de ceulx qui contemnent & mesprisent le vray Amour (ca 1542), petit recueil de récits courts paru dans la première moitié du XVIe siècle à Lyon, s’inscrit dans la foulée du Décaméron de Boccace (ca 1349-1353), tout comme en France Les Cent Nouvelles nouvelles (1462) ou l’Heptaméron de Marguerite de Navarre (publié en 1558), mais il s’en différencie en raison notamment de sa cornice: ce ne sont que des femmes qui sont réunies pour conter chez Jeanne Flore. Prenant elle-même la parole pour «blasme[r] icy l’impareil mariaige », désirant faire parler des femmes dont le propos est d’histoires de femmes, alors que le monde livresque est alors presque exclusivement masculin, Jeanne Flore illustre un exemple d’irrégularité en termes de prise de parole. Quels processus énonciatifs sont mis en place ? Comment sont mises en scène les prises de paroles féminines ? Quelles sont les particularités du parler féminin? Cette communication vise analyser les transferts de parole, fictifs, auctoriaux et éditoriaux, entre collectivités et individualités féminines, dans les Contes amoureux de Madame Jeanne Flore. Ces imbrications de transferts de paroles qui résultent en un assemblage compliqué sont, à notre avis, pour le moins symptomatiques de la difficile, mais émergente, prise de parole féminine à l’époque, en plaçant au centre de l’œuvre la question «Qui parle?».
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Communication orale
De la parole du diable à la confession d’une femme : le travestissement des voix féminines dans « L’histoire de Madeleine de Bavent » (1652)Lucie Desjardins (UQAM - Université du Québec à Montréal)
L’étude de la sorcellerie a constitué l’un des terrains de prédilection d’une histoire culturelle soucieuse de restituer la façon dont ont été élaborées les marges d’une société donnée. Éclipsé par la célèbre possession de Loudun, le cas de Madeleine de Bavent (1643), religieuse au couvent de Louviers, nous apparaît particulièrement intéressant pour étudier les effets de ventriloquie. Lorsque l’affaire est jugée, son confesseur, le révérend père Desmarets, prête sa plume à Madeleine de Bavent pour qu’elle raconte son histoire. Or, cette autobiographie n’apportera rien de neuf sur les faits, mais plutôt une réflexion sur la voix et le langage. Femme de condition modeste, Bavent commence par s’attaquer à la rumeur qu’elle analyse comme un processus tautologique par lequel le discours de la possession se dissémine et se ramifie pour finir par se confirmer lui-même. Elle se reconnaît coupable de possession pour se dédire quelques années plus tard: «Je n’en ai aucune connaissance & en vérité certain article que j’ai avoué à la cour là-dessus, n’était qu’un reste d’impression que j’avais de leur discours». Ses aveux, proteste-t-elle, n’ont fait que reproduire les informations que l’Autre répandait à son compte. En étudiant le travestissement des voix masculine (le diable, le confesseur) et celui des voix féminines (Bavent, ses consœurs), nous verrons que ce texte s’organise autour d’une seule question: comment dire «je» dans une économie discursive vouée à la parole de l’Autre?