Informations générales
Événement : 84e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 400 - Sciences sociales
Description :Malgré un contexte politique marqué par le développement de plans de lutte nationaux (Canada, 2012; Brésil, 2007; É.-U., 2013) et internationaux contre les formes d’exploitation au travail dénoncées sous le registre de l’esclavage moderne, le marché mondial du travail reste traversé de formes d’exploitation au travail combattues par ces plans : exploitation sexuelle, travail forcé, travail infantile ou encore servitude pour dettes. Beaucoup de produits vendus sur les marchés internationaux sont fabriqués dans des conditions dénoncées comme relevant de l’esclavage moderne à des fins de rentabilité : vêtements, chaussures, chocolat, fruits et légumes, acier, bois… phénomène illustrant comment l’économie capitaliste néolibérale et globale fait de la précarisation des travailleurs l’une de ses caractéristiques. Le contexte contemporain des Amériques n’échappe pas à cette réalité.
S’appuyant sur des études de cas situées dans différents pays des Amériques (Canada, Brésil, Mexique, etc.), ce colloque cherchera à comprendre les logiques et les formes de l’exploitation au travail, liées ou non à la migration. À cette fin, il mettra en question dans chaque cas les spécificités des relations de travail et de dépendances tout en examinant de quelle manière celles-ci prennent place ou non dans un contexte politique d’économie globale conduisant à normaliser objectivement ou subjectivement ces conditions de travail, malgré des discours et des plans de lutte contre la traite humaine et l’esclavage moderne. Il s’agira donc d’étudier tant les contextes des politiques migratoires pour les travailleurs agricoles au Canada et au Québec, par exemple, que les manières dont certains travailleurs se résignent, sous des formes de servitude volontaire, à travailler dans des conditions de travail non libre, notamment au Brésil, pour comprendre comment se construisent les frontières légales, sociales et morales de l’exploitation au travail dans les Amériques aujourd’hui.
Date :Programme
Mot d'ouverture – Conférence : relations sociales et formes d'asservissement au travail en Amérique latine
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Mot de bienvenue
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Le rôle des intermédiaires dans l'assujettissement des travailleurs agricoles migrants au MexiqueSara Lara Flores (UNAM - Universidad Nacional Autónoma de México)
Près de la frontière avec les États-Unis, au Sonora, se trouve une enclave agricole de production de raisin de table pour l'exportation. Il s'agit de grandes entreprises modernes qui rentrent en concurrence avec la production de la Californie et du Chili sur le marché nord-américain.
Pour faire face à cette compétition accrue, les entreprises utilisent des travailleurs migrants, originaires de petits villages de paysans autochtones pauvres du sud du pays. La connexion entre les entreprises et les villages, situés à plus de 2000 km de distance, est assurée par des intermédiaires (« enganchadores »). Mais le rôle de ces intermédiaires ne s'arrête pas là. Une fois rendu dans les lieux de travail ils doivent assurer la rentabilité des travailleurs peu habitués au rythme du travail salarié.
La mise en place de la discipline nécessaire à l'usage de cette main d'œuvre est possible grâce à l'établissement de relations paternalistes propres aux sociétés agraires patriarcales qui s'exercent aussi bien dans les campements, propriétés des fermes où ils vivent, que durant la journée de travail.
Dans cette communication je cherche à réfléchir sur la notion de contrôle proposée par Burawoy, et sur le rôle du paternalisme dans l'assujettissement des travailleurs agricoles migrants dans le cas de l'agriculture moderne mexicaine.
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Le « travail esclave » rural contemporain au Brésil : servitude, droits et citoyenneté...Alexis Martig (Université Laval)
À partir de recherches de terrain et d'entretiens réalisés auprès de travailleurs libérés du « travail esclave » rural, et d'acteurs sociaux engagés dans la lutte contre celui-ci, cette communication se propose de réfléchir aux conditions socio-historiques et aux dimensions subjectives ayant permis l'émergence de cette forme d'exploitation et sa « naturalisation » (Souza,2006). Pour cela, après avoir présenté les caractéristiques du « travail esclave » et l'histoire de sa reconnaissance progressive par l'État brésilien, nous reviendrons sur la manière dont les travailleurs ruraux brésiliens ont été socio-historiquement construits comme une population subalterne et des « alter inégaux » ou des citoyens inférieurs dans la société brésilienne (Martig,2014; Sales,1994). Il s'agira ainsi de tenter de saisir les dimensions subjectives de la servitude en s'intéressant à la manière dont la résignation face à une situation de servitude peut être pensée en termes de perceptions de soi comme inférieur ou inégal et peut être comprise en termes de (non) performativité des droits et de défaut de citoyenneté. Nous chercherons ainsi à saisir les différents éléments, notamment liés à la construction de la subjectivité, à l'origine de la « naturalisation » du « travail esclave » au Brésil permettant ainsi de comprendre la nécessité pour les acteurs sociaux engagés dans la lutte contre le « travail esclave » de dénoncer cette forme de « travail forcé » comme un intolérable moral…
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Pause
Précarités et formes d'exploitation des travailleurs migrants en Amérique latine?
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Migration centraméricaine et capture dans des réseaux d'exploitation humaine au Mexique : le cas de l'État du ChiapasMartin Hébert (Université Laval)
Le Mexique est considéré comme le pays des Amériques comptant le plus de personnes travaillant dans des conditions assimilables à de l'esclavage moderne. Fortement lié aux réseaux criminalisés impliqués dans le trafic de drogue et de personnes à la frontière nord du pays, les racines du problème plongent néanmoins jusqu'à sa frontière sud. Dans la présente communication, nous examinerons plus particulièrement la situation des migrants centraméricains qui se trouvent capturés dans ces réseaux lors de leur entrée au Mexique par l'état du Chiapas. Depuis l'augmentation des patrouilles autour de la localité d'Arriaga, où les migrants honduriens, salvadoriens et guatémaltèques se rendaient dans l'espoir de pouvoir sauter clandestinement sur le train roulant vers le nord, d'autres chemins migratoires sont maintenant empruntés pour entrer au Chiapas. Alors qu'Arriaga comptait un certain nombre de services humanitaires disponibles pour les migrants, les nouvelles routes, elles, existent dans la clandestinité complète et sont généralement contrôlées par le crime organisé. Croisant des données ethnographiques recueillies dans la région de la Selva lacandona, des témoignages recueillis par des organismes de droits humains et des données gouvernementales, nous proposerons ici un portrait de l'inscription de ces migrants dans les circuits d'exploitation humaine du sud-est du Mexique.
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La circularité de la précarité : le cas des travailleurs migrants saisonniers du Mexique au CanadaGuillermo Candiz (Université Laval)
La plupart des travaux qui analysent la question de la précarité des travailleurs migrants dans le contexte de la migration saisonnière au Canada portent sur le statut légal du migrant, les conditions de travail et les conditions de vie dans le pays d'accueil. Toutefois, la précarité des travailleurs migrants n'est pas circonscrite à leur vie au Canada mais commence bien avant le départ et se poursuit suite au retour. L'objectif de cette communication est donc de nous pencher sur ces deux derniers aspects de la précarité en lien avec les changements des conditions socioéconomiques au sein des familles des migrants.
Cette présentation repose sur un corpus de quarante entretiens effectués au Yucatán entre les mois de janvier et d'avril 2012. Nous avons recueillis vingt entretiens auprès de travailleurs migrants ayant travaillé au Canada dans le Programme mexico-canadien de travailleurs agricoles saisonniers (PTAS) et vingt entretiens avec les conjointes de ces migrants. Quoiqu'on constate certaines améliorations des conditions de vie des travailleurs après leur migration, ces améliorations ne renversent pas la situation de précarité d'origine. En bref, nous soutenons l'idée que la migration saisonnière est déclenchée par une situation de précarité qui se poursuit et se reproduit au Canada et après le retour.
Dîner
Formes de coercition chez les travailleurs migrants au Canada : du droit aux relations sociales...
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Contrôle judiciaire et migration temporaire qualifiée d' «esclavage » : le déni étatique du droit à la liberté des travailleurs (im)migrants au CanadaEugénie Depatie-Pelletier (UdeM - Université de Montréal)
En 2006 la Cour Suprême d'Israël conclut que les programmes de permis de travail lié à l'employeur constituent, même en incorporant une procédure de changement d'employeur, une forme moderne d'esclavage et, en particulier, une violation étatique injustifiable des droits fondamentaux à la liberté et à la dignité des travailleurs migrants. Les rares décisions judiciaires rendues depuis laissent néanmoins non-résolue la question des politiques de protection. Le PTAS canadien est, précisément, caractérisé par les protections mentionnées dans la jurisprudence. Toutefois, ce cadre lie ‘indirectement' le travailleur à son employeur, reproduisant notamment des normes adoptées afin de forcer les ex-esclaves à demeurer auprès de leurs anciens propriétaires. Aussi, suivant la doctrine des ‘atteintes à la liberté/sécurité' de la Cour suprême du Canada, les données révèlent que les travailleurs PATS font face à des restrictions étatiques (1) à leur liberté physique et à l'accès à la justice, (2) au contrôle sur leur intégrité corporelle, (3) à la prise de décisions personnelles fondamentales, ainsi qu'à (4) des risques accrus d'atteinte à la santé. Aussi, à moins d'être associés à un permis de travail quasi-ouvert, à une absence d'incitatif indirects au travail auprès d'un employeur abusif, au droit à l'unité familiale et à l'intégration sociale (permanente), les régimes de travailleurs migrants impliquent un déni du droit de « ne pas être tenu sous condition d'esclavage ou de servitude ».
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Travail, morale et dépendance personnelle : les ouvriers agricoles mexicains et guatémaltèques dans les fermes québécoisesLucio Castracani (UdeM - Université de Montréal), Jorge PANTALEON (UdeM - Université de Montréal)
La littérature sur les programmes pour la main-d'oeuvre agricole temporaire au Canada a davantage analysé le cadre juridico-légal et ses répercussions sur le travail, montrant des conditions de vie et de travail comparables dans certains cas à une forme de servitude contemporaine. Dans cet article, à partir de nos respectives terrains de recherche au Quebec, nous approfondissons la dimension personnelle de la relation dans ces contextes de surexploitation et extreme vulnérabilité. Selon nous, la dimension personnelle de la relation capital-travail s'articule au cadre juridico-légal et demeure fondamentale dans l'organisation et le contrôle de la main-d'oeuvre dans l'actuel contexte de production. Explorant le croisement d'évaluations morales et de compétences professionnelles, nous proposons quatre variantes de la relation entre employeur et main-d'oeuvre, fonctionnelles à l'organisation du travail dans les fermes.
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Pause
Travail migrant : genre et exploitation au Canada
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Complices du silence : barrières structurelles dans l'offre de services aux travailleuses migrantes temporaires victimes de violence ou d'exploitationChantal Robillard (Université Concordia)
Selon l'OMS, certaines populations sont particulièrement limitées dans leur accès aux services de santé et sociaux notamment les travailleurs migrants, les migrants irréguliers et autres migrants victimes de violence, d'abus ou d'exploitation. Encore trop peu de données probantes existent quant aux femmes migrantes en situation de vulnérabilité. Sur la base d'entrevues semi-dirigées avec des fournisseurs de services (QC :20, ON : 24) et des décideurs politiques (4) du Québec et de l'Ontario, nous proposons une réflexion sur les défis et solutions dans l'offre de services aux travailleuses migrantes temporaires victimes de violence. Les participants ont exprimé que peu de femmes rapportent une situation de violence dans leur milieu de travail ou soumettent une plainte en raison des risques de cette divulgation pour le projet migratoire; du manque de connaissances de leurs droits ou des services disponibles; et des obstacles dans l'accès aux services. Les fournisseurs de service deviennent également complices du silence si la situation de violence est divulguée en raison des limites de l'action possible définies par leur mandat et leurs sources de financement; du manque de personnel qualifié; et des défis structurels pour apporter des changements tangibles aux situations de violence. Pour remédier, sinon que partiellement, à la situation, les fournisseurs développent des réseaux informels de collaboration et des espaces ouverts, sans discrimination, pour discuter de ce sujet sensible.
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À propos d'une exploitation spécifique : le cas des travailleuses domestiques philippines soumises au Programme des aides familiaux du Canada (PAF)Martin GALLIÉ, Elsa Galerand (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Depuis le milieu des années 50, le gouvernement canadien organise, par sa politique des frontières et de gestion de l'immigration, l'importation d'une main-d'œuvre qu'il affecte et confine au travail de « femmes de services » dans le secteur privé de la domesticité. Cette politique s'inscrit dans le cadre des réorganisations de la division internationale du travail domestique, parfois dit « reproductif » ou « de care » (Federici, 2002, Parrenas,2000, Oso Casas,2002,2008) qui se traduisent notamment par une fuite de care (care drain) (Hochschild, 2004) des pays « hyper endettés du Sud Global » vers et au profit des pays du « Nord Global » (Sassen,2010). La politique migratoire du gouvernement canadien participe ainsi directement de l'« extraction transnationale du travail de care » (Glenn, 2009a).
Ce sont les effets du défaut de citoyenneté comme des différentes formes de privation et de coercition qui organisent l'exploitation spécifique des travailleuses domestiques résidantes soumises au Programme d'immigration actuel des « Aides Familiaux » (sic.) (PAF) que cette communication voudrait contribuer à préciser à partir des résultats d'une enquête de terrain sur les conditions de vie et de travail des aides familiales, conduite en partenariat avec les militantes de Pinay (organisation de défense des droits des travailleuses domestiques philippines au Québec) et défendant l'hypothèse d'une forme transitionnelle d'exploitation entre salariat, esclavage et « sexage » (Guillaumin, 1978).