Informations générales
Événement : 84e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 400 - Sciences sociales
Description :On parle de plus en plus d’équiper les policiers de caméras filmant leurs interventions auprès de la population. Plusieurs villes américaines et européennes l’ont déjà fait, et on peut facilement trouver une partie des vidéos résultantes sur le Web; la possibilité est encore au stade de l’étude au Canada, avec la mise en place récente de projets pilotes dans plusieurs grandes villes du pays, mais les caméras corporelles semblent appelées à devenir une pièce d’équipement incontournable. Les caméras corporelles sont souvent présentées comme une façon de contrôler à distance le comportement des policiers et des sujets d’intervention, mais leur utilisation a des implications de différentes natures. Ce colloque vise à discuter de ces implications : les coûts financiers (équipement, stockage des données), les défis procéduraux (quoi filmer? à partir de quel moment? quelles images diffuser? de quelle façon?), les questions juridiques (utilisation comme élément de preuve), mais aussi les effets sur la relation entre la population et la police, sur les perceptions du public, et autres. Le colloque regroupe des conférenciers de milieux universitaires présentant des travaux empiriques sur le sujet, mais aussi des acteurs impliqués dans le développement des bonnes pratiques et de la formation des policiers afin d’offrir un portrait global des enjeux et défis liés au port de caméras corporelles par les policiers du Québec.
Date :Programme
Mise en contexte
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La caméra change-t-elle le comportement des personnes filmées?Lashaan Balasingam (UdeM - Université de Montréal), Rémi Boivin (UdeM - Université de Montréal)
Le premier effet recherché du port de caméras corporelles en est un de dissuasion : les personnes impliquées dans une intervention policière filmée ont-elles un comportement plus en conformité avec les normes sociales et professionnelles que si la caméra n'était pas présente et activée? Cette question comporte deux volets. Le premier vise à savoir si, une fois avertis de l'enregistrement de l'interaction, les citoyens visés par l'intervention démontrent plus de déférence envers les policiers. Si tel est le cas, le port de la caméra corporelle devrait diminuer la résistance offerte lors de l'intervention, et se traduire entre autres par une diminution des agressions envers les policiers et par une baisse des cas d'entrave au travail policier. Le deuxième volet de cet effet dissuasif anticipé est que les policiers devraient respecter plus strictement les procédures qui leur ont été enseignées. Ainsi, le recours à la force devrait se rapprocher du strict minimum et leur comportement devrait faire l'objet d'un nombre réduit de plaintes. Bien que la littérature sur les caméras corporelles reste encore peu développée, l'immense majorité des évaluations ont tenté de mesurer l'effet dissuasif, ce qui permet de formuler plusieurs observations. Entre autres, les résultats observés suite à des initiatives américaines ne correspondent pas en tous points à ceux obtenus suite aux quelques projets-pilotes conduits par des organisations policières canadiennes.
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L'utilisation des caméras corporelles et véhiculaires par les policiers de la Sûreté du Québec : aller de l'avant ou non? Retour sur les leçons du passéSylvie Godin (Sûreté du Québec)
À ce jour, la Sûreté du Québec a testé à trois reprises l'utilisation de caméras véhiculaires dans ses voitures de patrouille. Au début des années 2000, certaines voitures ont été équipées de caméras enregistrant sur support VHS. Après quelques mois d'essai, le projet a été abandonné, principalement en raison de l'inadaptation de la technologie. À la fin de 2014, une voiture a été équipée d'une caméra véhiculaire pour une durée de 60 jours afin de tester la fiabilité de l'équipement et produire des recommandations quant à un déploiement futur. Enfin, en décembre 2015, à la suite des événements survenus au poste de la MRC de La Vallée-de-l'Or, la Sûreté a équipé cinq véhicules de caméras et s'apprête à poursuivre l'expérience, en projet-pilote, en équipant des patrouilleurs de caméras corporelles.
L'implantation des caméras soulève de nombreux enjeux opérationnels, administratifs, financiers et juridiques sur lesquels la Sûreté se penche actuellement :
Quels sont les impacts des caméras sur la qualité du service et la sécurité des patrouilleurs?
Quels processus de travail sont transformés par la gestion des enregistrements?
Quels sont les coûts d'acquisition, d'entretien, d'entreposage, de conservation et de traitement des enregistrements?
Quelle technologie adopter en fonction de nos capacités?
Quelles procédures établir pour répondre à nos obligations en matière de justice criminelle et pénale?
Enregistrer le travail policier
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Filmer ou être filmé? La nouvelle visibilité policière à l'ère de la sousveillance citoyenneMichaël MEYER (UNIL - Université de Lausanne), Samuel Tanner (UdeM - Université de Montréal)
Cette communication envisage le travail policier sous l'angle de sa mise en images dans la rue et de la diffusion de ces documents (audio)visuels sur les réseaux sociaux de l'Internet. Fondé sur une enquête ethnographique de quatre mois dans une grande police urbaine nord-américaine, nous montrons comment cette « sousveillance » de la police par ses publics marque fortement les perceptions professionnelles des agents en uniforme et modifient leur appréhension des publics de l'intervention policière. Des contre-mesures sont officiellement à l'étude dans les institutions et officieusement déjà adoptées par certains agents de terrain. Les débats entourant l'installation de caméras embarquées sur les membres du personnel de police seront notamment abordés.
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Accès aux captations vidéo d'interventions policières et conservation de ces documents : l'apport des sciences de l'informationClaire Nigay (UdeM - Université de Montréal)
Du point de vue des sciences de l'information, la captation vidéo des interventions des policiers est associée à de nombreux défis, tant au niveau du stockage, du traitement intellectuel que de la conservation de l'information. Il s'agit de choisir des formats de conservation pérennes tout en donnant des clés d'accès complets et sécurisés à une quantité exponentielle d'information. Dans un premier temps, nous brosserons le portrait de différents formats de documents audiovisuels, en évoquant les avantages et inconvénients de chacun. Dans un deuxième temps, nous présenterons le processus d'indexation qui consiste à décrire le contenu d'un document pour en faciliter l'accès. Nous détaillerons la complexité de ce traitement intellectuel associé aux documents visuels et sonores. Enfin, dans un troisième temps, nous décrirons les multiples défis associés au stockage des vidéos en nous basant sur des exemples concrets.
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Pause
Enjeux juridiques
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Les caméras corporelles et la déontologie policière : les enjeuxMaurice Cloutier (Bureau du Commissaire à la déontologie policière)
Il est essentiel de préserver le lien de confiance entre la police et les membres du public. La possibilité de porter une plainte devant un organisme de surveillance civile indépendant est un moyen privilégié au Québec pour maintenir ce lien de confiance. Le Commissaire à la déontologie policière est confronté aux nouvelles réalités technologiques. L'obtention d'images à la suite d'une intervention policière fournit un éclairage qui devrait être complété par la prise de déclarations des témoins qui expliqueront le contexte et les motifs ayant amené l'intervention policière.
Des autorités policières ont mis sur pied des projets pilotes visant à faire porter aux policiers des caméras corporelles. Des balises devraient être considérées avant de mettre de l'avant de tels projets. Des enjeux, telles la protection de la vie privée et les règles encadrant les perquisitions illégales, devraient être examinés de près. Plusieurs projets pilotes américains portent à croire que l'utilisation de caméras corporelles modifierait l'attitude des policiers et des citoyens. La question est alors de savoir quand ces images devraient être captées, à quelles conditions, à qui elles seraient accessibles et pendant combien de temps. Quand le policier devra-t-il activer sa caméra? Aurait-il une discrétion pour cesser de filmer au moment qu'il juge approprié? Les corps de police devraient-ils tenir compte du délai pour porter une plainte dans le délai de conservation des images?
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Caméras portatives : de la communication et de l'admissibilité de la preuve à la publication médiatique, un long fleuve turbulent et sinueux attend le système de justiceNicolas Abran (Directeur des poursuites criminelles et pénales)
L'essor des moyens de télécommunications, l'intérêt pour l'actualité judiciaire et la perception d'un manque de transparence du système judiciaire servent de vecteur à l'implantation d'un système de caméra corporelle. Proactives, de nombreuses organisations policières se sont dotées de projets où les policiers ont été dotés de caméras ou le seront prochainement. Parallèlement, cet acte de foi policier dans les nouvelles technologies présente un fort potentiel pour l'amélioration du système judiciaire, lequel est souvent rudoyé quant à son efficacité et quant à la qualité de ses résultats. Ceci étant dit, les défis qui découlent de l'utilisation d'une telle technologie sont nombreux et ceux-ci couvrent un large spectre. Cette présentation vise à présenter les défis ciblés et à mettre de l'avant les pistes de solutions envisagées.
Dans le cadre de cette présentation, afin d'illustrer adéquatement les défis que devra surmonter l'appareil judiciaire, il apparaît utile d'examiner le cheminement complet d'une preuve recueillie par une caméra portative, et ce, à partir du choix de la technologie jusqu'à la destruction de la preuve, en passant par toutes les étapes d'une enquête et d'un procès. En conséquence, sans réellement s'articuler autour d'un cas pratique concret, cette présentation en abordera tous les aspects.
Caméras et perceptions
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Les facteurs humains reliés au travail policierBruno Poulin (École nationale de police du Québec)
Est-ce qu'un policier voit systématiquement l'ensemble des éléments pouvant être perçus dans son champ de vision lors d'une intervention policière? Est-ce que la mémoire humaine permet d'encoder l'ensemble des informations perçues sur les lieux d'intervention? Quels sont les facteurs humains pouvant influencer sa perception d'une situation vécue en condition de stress? Avec l'implantation probable des caméras corporelles au sein des organisations policières, il y a lieu de s'interroger sur les aspects pouvant influencer la prise de décision des policiers selon leur perception du moment, en opposition à ce qui peut être capté par une caméra. Cette conférence permettra de se familiariser avec certains facteurs humains et de reconnaître les impacts de ces facteurs sur l'intervention policière impliquant l'emploi de la force et les personnes impliquées. Notamment, il sera question du système de vision, de l'attention sélective, de la vision tunnel, de la cécité d'inattention, ainsi que de l'effet du stress sur la perception humaine. Ces facteurs humains seront discutés afin de faire ressortir comment ils peuvent influencer l'analyse d'une intervention policière à postériori à partir d'images captées par une caméra corporelle, ou encore, à partir du récit d'un témoin de la scène.
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Étude expérimentale sur l'existence d'un biais de perception relié à l'angle de captation d'une intervention policière avec emploi de la forceAnnie Gendron (École nationale de police du Québec)
L'intégration des caméras corporelles au sein des organisations policières québécoises est imminente. L'opinion publique penche en faveur de leur usage afin de disposer d'images permettant de mieux comprendre les événements controversés impliquant des citoyens et des policiers. Il est donc pertinent de se demander si les images captées permettent d'avoir une bonne représentation de l'intervention policière telle que perçue par le policier dans l'action, et des circonstances justifiant l'emploi de la force (niveau de risque, urgence d'agir). Une étude visant à comparer les opinions quant à la légitimité d'une intervention policière avec emploi de la force à partir d'images vidéo captées sous différents angles a été menée auprès de 231 membres de la communauté universitaire, ainsi que 202 aspirants policiers en formation. De façon aléatoire, les répondants ont visionné une scène identique captée par une caméra corporelle ou une caméra de surveillance, avant de répondre à un questionnaire. Les résultats montrent que les aspirants policiers sont plus en accord avec l'intervention présentée que les répondants universitaires, peu importe l'angle de la caméra, mais qu'une plus grande proportion d'entre eux sont d'avis que le policier a fait feu trop rapidement sur l'homme en crise lorsque la scène est captée par une caméra corporelle. Cette différence laisse donc supposer que les images captées par la caméra corporelle induisent une perception de distance plus grande que réelle.