Informations générales
Événement : 84e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 300 - Lettres, arts et sciences humaines
Description :Le colloque de la Société de philosophie du Québec a pour objectif de réunir la communauté des professeurs de philosophie (université et collégial) ainsi que les étudiants de cette discipline. Regroupant habituellement? ?entre 100 et 150 présentateurs, ce colloque couvre un ensemble de sujets appartenant à toutes les branches de cette discipline : éthique et politique, philosophie des sciences, épistémologie, histoire de la philosophie, esthétique, etc. Ce colloque est le point de rencontre entre les philosophes de la province, qui peuvent présenter les résultats de leur recherche, qu’elle en soit à ses premiers stades ou qu’elle soit en cours depuis plusieurs années.
Le colloque a, par conséquent, une visée généraliste : il offre l’occasion de faire un tour d’horizon des projets actuels et de connaître les gens qui participent activement à l’enseignement de la philosophie et à la recherche dans ce domaine. Voilà pourquoi le colloque de la Société de philosophie du Québec n’est limité en principe à aucun sujet ou aucune approche en particulier, pour répondre à sa mission fédératrice des forces vives de la philosophie au Québec.
L’équipe d'organisation n’en propose pas moins un thème chaque année. En l’occurrence, il s’intitule « ?États et fluctuations » : deux notions qui sont présentes sous plusieurs aspects dans les recherches en philosophie. D’une part, ce thème se prête à un traitement sous l’angle de la philosophie politique : les États subissent des changements importants de nos jours, et nous souhaitons mettre en question la dynamique et la portée de ces changements dans l’objectif de préciser la part de changement et d’évolution inhérente aux États contemporains. D’autre part, les notions d’« État »? et de «? fluctuation » se retrouvent dans des contextes philosophiques variés, hors du domaine de la philosophie politique : l’opposition entre un «? État » ?stable et les changements dont il est sujet est une dichotomie fondamentale dans plusieurs sous-disciplines philosophiques.
Dates :- Benoît Castelnérac (UdeS - Université de Sherbrooke)
- Marie-France Laurin (UdeM - Université de Montréal)
Programme
États et fluctuation du « moi », de la critique moderne de l'amour-propre au néolibéralisme contemporain (Partie 1)
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Le moi chez Descartes : passions de l'âme et actions du corpsOberto Marrama (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières)
Dans Les Passions de l'âme, Descartes affirme que tout ce qui en nous répugne à notre raison doit être attribué aux fonctions du corps seulement [I, art. 47], et « qu'il n'y a point d'âme si faible qu'elle ne puisse, étant bien conduite, acquérir un pouvoir absolu sur ses passions » [I, 50]. Cette apparente méprise du corps et de ses fonctions, parmi les effets desquelles il y a les passions, masque en fait un effort de naturalisation et d'objectivisation des passions elles-mêmes, révélé dans l'affirmation qu'« elles sont toutes bonnes de leur nature » [III, art. 211]. Ma communication éclaircira d'abord le modèle interactionniste corps-esprit de Descartes, en démontrant pourquoi et comment l'action de l'âme sur le corps est véritablement comprise comme exercice de l'âme sur soi. Deuxièmement, je montrerai pourquoi les passions et l'activité spontanée du corps sont nécessaires pour cet exercice. Finalement, je chercherai à montrer comment la solution cartésienne suit la combinaison des deux principes de base de sa philosophie, à savoir : 1) un principe de spontanéité et d'autonomie physiologique ; 2) un principe d'autonomie et de liberté spirituelle.
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Le moi peut-il disparaître dans un amour « pur » de Dieu? Malebranche, Fénelon et Lamy sur l'amour-propreSyliane Malinowski-Charles (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières)
En 1687, Rome condamne la doctrine quiétiste en alléguant la menace que ce mysticisme absolu représente pour l'autorité de l'Église (les intermédiaires hiérarchiques et les rituels et sacrements ne sont plus nécessaires pour entrer en contact direct avec Dieu), ainsi que pour l'action morale (quoi que fasse le corps, l'âme n'en est pas responsable puisqu'elle ne s'occupe que de son union mystique). Dans la dernière décennie du XVIIe siècle, le débat est rouvert sous la forme d'une querelle sur la possibilité d'un amour « pur » de Dieu, où le moi disparaîtrait totalement. Cette position, soutenue par Fénelon, sera finalement condamnée par le St-Siège en 1699, sous l'influence notamment de Bossuet. Or, Malebranche se trouve entraîné malgré lui dans cette controverse par son ami François Lamy, qui cite son Traité de morale en faveur d'un désintéressement absolu. Rédigeant en 1697 un Traité de l'amour de Dieu visant à montrer « en quel sens il doit être désintéressé », Malebranche établira des distinctions très fines qui montrent toute l'ambiguïté de la question anthropologique pour un cartésien lecteur de Port-Royal comme il l'est. Le moi est-il irrémédiablement attaché au corps? Peut-il se détacher de sa recherche du plaisir, et du salut personnel?
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L'acte vertueux doit-il être désintéressé?Samuel Lizotte (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières)
Comme l'avait fait le Père Nicolas Malebranche avant lui, John Gay (1699-1745), philosophe et évêque irlandais, a prétendu que le principe naturel de toutes nos actions n'était rien d'autre que notre bonheur personnel, ce que Malebranche appelait « l'amour-propre ». Cette position, déjà difficile au vu de la connotation généralement négative de l'amour-propre, a mené Gay devant une difficulté qui semble insurmontable : si nous ne sommes motivés que par notre bonheur personnel, peut-on être vertueux ? Mais encore et surtout : pour être vertueux, sommes-nous condamnés à agir avec désintérêt ou même directement à l'encontre de notre bonheur personnel ? Dans cette communication, nous aborderons la réponse originale de Gay à ces questions troublantes et nous constaterons comment il arrive à concilier bonheur personnel et bonheur général, amour-propre et vertu.
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Discussion
Méditations gnoséologiques : recherches sur la pensée et son objet au Moyen Âge
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Mot de bienvenue
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Le concept de « nature » dans le Tractatus de Intellectibus de Pierre AbélardRoxane Noël (University of Alberta)
Ma présentation portera sur la notion de « nature » dans le Tractatus de Intellectibus de Pierre Abélard. L'emploi du terme "nature" par Abélard est énigmatique, puisque cet auteur nie explicitement l'existence d'entités, comme les "essences", qui seraient présentes dans chaque chose et leur confèreraient leur nature propre. Comme le terme "essence" ne peut référer à une entité de ce type, il devient nécessaire, pour bien comprendre la pensée d'Abélard, d'élucider ce qu'il entend par ce terme. Mon hypothèse est que l'on peut comprendre ce qu'il entend grâce à une analyse des notions de « nature » et de « statut » telles que développées dans la Logica Ingredientibus, une œuvre majeure d'Abélard. Suivant les travaux de King (1999) sur la notion de nature dans la Logica Ingredientibus et ceux de Alain de Libera (2014) concernant la notion de statut dans la même œuvre, je verrai d'abord dans quelle mesure ces analyses de la Logica peuvent s'appliquer au Traité. En effet, King remarque qu'Abélard semble désigner, par « nature », un certain arrangement spatial de la matière. Pour sa part, de Libera affirme que le statut est un trait individuel qui permet de dire qu'une chose appartient à une certaine classe. J'offrirai donc un bref compte rendu du problème tel qu'il se pose chez Abélard, suivi d'un exposé des notions énoncées précédemment. Par la suite, je conclurai en montrant les avantages et les inconvénients d'appliquer chacune de ces hypothèses au Tractatus.
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Hervé de Nédélec : une position intentionnaliste des universaux?Geneviève Barrette (Cégep Montmorency)
Hervé de Nédélec (m.1323) nomme « universel de prédication » l'universel au sens strict, à savoir les genres et les espèces. Il affirme que ceux-ci ne sont pas dans les choses singulières en tant que tels, mais qu'ils sont suscités lorsque l'attention cognitive d'un sujet connaissant se porte sur un trait singulier, présent dans une chose singulière. Le lieu de l'universel au sens strict est-il alors l'intellect, les genres et espèces survenant à l'occasion d'un acte mental? Hervé n'adopte pas cette posture: il distingue l'universel de prédication de l'acte mental, du concept mental et de l'espèce intelligible, lesquels ont une fonction représentative de l'objet d'attention cognitive. Le lieu de l'universel au sens strict est plutôt le rapport (habitudo) entre le sujet connaissant et ce qui fait l'objet d'une attention cognitive. Pourtant, lorsqu'il y a prédication, ce qui est prédiqué n'est pas cette relation d'universalité, mais bien le trait qui fait l'objet d'une attention cognitive.
Je me propose ici de caractériser l'universel de prédication quant à son fondement, à savoir le trait qui fait l'objet d'attention cognitive, lorsqu'il est l'objet d'attention cognitive. Ce qui est prédiqué serait le trait lui-même, universalisé par l'acte cognitif. Le contenu prédicatif serait intentionnel au sens où il n'existerait que dans la relation du sujet connaissant au trait connu et correspondrait à l'intention même du trait connu, plutôt qu'à son extension.
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Note sur le statut ontologique de l'acte de connaître chez Maître EckhartPierre-Luc Desjardins (Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1))
Mon exposé se donne pour fin l'exploration de la notion de sujet de la connaissance, telle qu'elle se présente – ou plutôt telle qu'elle est absente de la pensée de Maître Eckhart. L'objet de mon travail sera de déterminer pour quelle raison l'homme ne peut être dit sujet de la pensée chez Maître Eckhart, l'acte de connaissance n'étant pas considéré existant dans l'âme comme dans un sujet (ce que nous apprend sa seconde question parisienne).
L'impossibilité d'attribuer à l'homme le statut de sujet de la pensée, i.e. de lieu et de cause de la pensée, provient, c'est ce que je défendrai, d'un désintérêt de la pensée eckhartienne pour la question de la connaissance humaine du monde, laquelle se trouve relayée au second plan au profit d'une doctrine de la connaissance par vision immédiate de l'être divin.
Je mobiliserai pour expliquer la genèse de ce désintérêt les sources de la pensée d'Eckhart, qui plonge ses racines dans celles, notamment, d'Averroès et d'Augustin. Celles-ci justifient dans un premier temps sa conception « substantialiste » de l'âme humaine, pour laquelle l'acte de l'âme, qu'il s'agisse du souvenir, de la connaissance, ou de l'amour, ne peut être considéré comme un accident inhérent à un sujet ; et dans un second temps sa compréhension de l'acte de connaître comme pouvant impliquer deux pôles ontologiques, dont l'un serait une substance immatérielle supra-mondaine et l'autre une âme individuelle liée à ce dernier par l'acte même qu'ils opèrent ensemble.
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Discussion
Nature, rôle et importance des intuitions en philosophie (Partie 1)
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Intuition sensible et intuition catégoriale chez HusserlDenis Fisette (UQAM - Université du Québec à Montréal)
La notion d'intuition joue un rôle central dans la philosophie de Husserl comme le confirme la §24 de son ouvrage Idées directrices pour une phénoménologie dans laquelle Husserl formule « le principe des principes » de sa philosophie : « que toute intuition donatrice originaire est une source de droit pour la connaissance; tout ce qui s'offre à nous dans « l'intuition » de façon originaire (dans sa réalité corporelle pour ainsi dire) doit être simplement reçu pour ce qu'il se donne, mais sans non plus outrepasser les limites dans lesquelles il se donne alors. » (p. 78) Ce principe est déjà à l'œuvre dans ses Recherches logiques (1900-1901), notamment dans la doctrine de l'intuition catégoriale qui est au fondement de sa théorie de la connaissance. Dans la §48 de la sixième Recherche, Husserl soutient que l'intuition catégoriale est aux formes catégoriales telles que « tout », « et », ou », « si », etc. ce que la perception sensible est aux objets et propriétés sensibles des objets comme la neige blanche. Cette distinction est examinée à l'aide du couple de concepts intention-remplissement et Husserl soutient que les objets idéaux trouvent leur remplissement dans l'intuition catégoriale de la même manière que les objets de la perception trouvent leur remplissement dans l'intuition sensible.
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L'intuition esthétique comme Gestalt : entre réalisme et transcendanceSiegfried Mathelet (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Depuis Kant se sont élevées plusieurs critiques de sa « psychologie des facultés », dont l'intuition et l'intuition esthétique font parties. Cette dernière est responsable de la perception des relations spatiales et de leurs formes. Une explication gestaltiste de l'acquisition des formes de l'espace et de la familiarité avec un environnement fonctionnel façonné par la culture peut être vue comme une confirmation de l'intuition kantienne. C'est ainsi que White-Beck, spécialiste américain de Kant, présentait la psychologie de Kurt Goldstein. Néanmoins, Aron Gurwitsch, lui-même étudiant de Goldstein, offre une synthèse du principe d'organisation de la Gestalt ancrée dans une lecture réaliste des Recherches Logiques. Il situe l'activité de l'esprit dans une dynamique relationnelle avec son environnement, remettant ainsi en question à la fois son aspect transcendant et l'idée même de « faculté ». Nous présenterons les deux options et cernerons quelques enjeux ontologiques, avant de défendre une réinterprétation réaliste de l'intuition kantienne par le principe gestaltiste d'organisation perceptive de la conscience. Précisément parce que celle-ci rompt avec la métaphysique des facultés du sujet et de l'objet comme substance, pour adopter l'idée de « champ », plus proche des sciences modernes et de que ce que certains ont appelé la troisième phase de développement de la psychologie sociale.
Le rôle justificatif des intuitions
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Le rôle justificatif des intuitionsMartine Nida-Rümelin (Université de Fribourg)
Il est difficile de faire de la philosophie sans s'appuyer au moins de manière implicite sur nos intuitions: sur ce qui apparaît vrai sur la base d'une réflexion approfondie, pour tout d'abord clarifier ce que sont les intuitions au sens qui est pertinent dans ce contexte. Les intuitions ne sont pas tout simplement des jugements rapides formés sans raisons ou sans argumentation, ni tout simplement des croyances du sens commun. Les intuitions, au sens pertinent, se forment souvent comme résultat d'un travail sérieux de clarification conceptuelle. Elle ne peuvent pas avoir tout genre de contenu ; elles se distinguent, par exemple, de toute sorte de convictions empiriques formées de manière intuitive. Les intuitions permettent souvent de mieux comprendre notre architecture conceptuelle. Pourtant, elles peuvent aussi justifier des thèses ontologiques. Comment est-ce possible ? Comment distinguer les intuitions pouvant jouer un rôle justificatif en philosophie de celles qui ne sont pas fiables? Chaque philosophe ne peut se baser que sur ses propres intuitions. Ne doit-il pas nécessairement s'assurer que ses intuitions sont en accord avec celles d'une majorité quelconque ? Peut-on remplacer l'usage de nos intuitions par une enquête empirique sur les intuitions partagées de la plupart des humains ? Nous aborderons la question de savoir pourquoi une telle procédure semble inadéquate. Pour ce faire il sera nécessaire d'analyser de plus près le rôle justificatif des intuitions en philosophie.
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Discussion
États et fluctuation du « moi », de la critique moderne de l'amour-propre au néolibéralisme contemporain (Partie 2)
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L'amour-propre : source de toutes les vertus ou fondement de tous les vices?Sarah Carrier (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières)
Alors que les moralistes français envisagent l'amour-propre comme fondement de tous les vices, Hobbes considère plutôt cette entreprenante avidité comme source de toutes les vertus. C'est pourtant de la même condition humaine qu'ils parlent: l'affirmation de soi pour la satisfaction de ses désirs dans un affrontement compétitif. Toutefois, si Hobbes, constatant ses effets positifs, l'encense, les moralistes la condamnent ou, du moins, demeurent réticents car ils réagissent à un changement qui, en France, se manifeste surtout par des inconvénients moraux. En effet, si la concurrence de la vie de cour et de salon est semblable à celle des industriels, négociants et financiers, elle est concrètement stérile, voire prédatrice, psychologiquement éprouvante et moralement corruptrice. Cette communication mettra au jour les raisons de l'acceptation chez Hobbes et, à l'inverse, de la condamnation de l'amour-propre chez les moralistes français du XVIIe siècle.
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Le laisser-faire économique : de Mandeville à HayekMarc Larochelle (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières)
La Fable des Abeilles de Bernard de Mandeville suscita un véritable scandale en Angleterre lors de la publication en 1723. Nous croyons que la controverse autour des thèses contenues dans la Fable des Abeilles est paradoxale. Premièrement, comment expliquer que les thèses fondamentales de l'anthropologie morale augustinienne anglaise du XVIIIe siècle qui influencent profondément Mandeville aussi bien que ses détracteurs aient pu produire deux théories contraires sur le plan politique et socio-économique? Et deuxièmement, comment expliquer que des athées tels qu'Ayn Rand et Frederich Hayek diffèrent de Mandeville sur l'anthropologie, la morale et la religion mais défendent les mêmes thèses de Mandeville sur le plan économique, politique et éthique? Nous nous pencherons donc sur les raisons ou les valeurs fondamentales qui pourraient, en dépit des croyances religieuses, anthropologiques et morales, justifier la thèse du laisser-faire économique et du vice privé comme vertu publique chez Mandeville et dans sa postérité tardive, après quoi nous entendons procéder à une critique des thèses qui justifient le laisser-faire économique, la vertu de l'égoïsme et celle de l'ordre spontané.
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L'ère du libéralisme économique : le triomphe du Diable?Prince Kossa (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières)
Notre présentation s'interrogera sur les rapports entre morale, économie et politique en montrant comment quelques-unes des critiques formulées dans la modernité classique contre le triomphe du moi peuvent nous fournir les matériaux justifiant une régulation du libéralisme économique actuel. « Les mérites du libéralisme sont trop importants et trop évidents pour qu'on ait besoin de lui en attribuer d'autres, complètement imaginaires» (Losurdo, Contre-histoire du libéralisme, 2014) : afin de maximiser le modèle libéral, peut-être l'imposition d'un cadre moral fort s'avère-t-il une nécessité afin de contenir ou orienter l'intérêt personnel quelibère le libéralisme.
Nul ne peut douter de l'influence du libéralisme sur les politiques sociales, économiques et dans les idées dominantes des temps actuels. On peut alors parler de l'ère du libéralisme. Toutefois (1) le libéralisme tient d'une vision de l'homme mettant l'accent sur l'intérêt personnel. (2) Il réhabilite pour ainsi dire l'amour-propre, jusque-là combattu par la morale chrétienne, pour le meilleur et pour le pire. Est-ce donc le triomphe du Diable?
Au milieu des fluctuations historiques : quel rôle pour l'université aujourd'hui? (Partie 1)
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La neutralité axiologique : vertu professorale ou exigence institutionnelle?Marc-Kevin Daoust (UdeM - Université de Montréal), Félix SCHNELLER
Au-delà de la spécialisation technique et d'une garantie pour le bon fonctionnement de nos institutions publiques comme privées, quelle place l'Université conserve-t-elle à l'idée de favoriser l'autonomie des étudiants? Traditionnellement, on propose la neutralité axiologique pour répondre à cette exigence, mais elle est souvent présentée comme une vertu professorale, ou comme une composante essentielle d'une déontologie de l'enseignement. Nous mettons cette conception de la neutralité axiologique à l'épreuve, notamment parce qu'elle ne permet pas d'expliquer 1) l'importance d'un enseignement diversifié, 2) l'importance, pour les personnes subissant une influence illégitime, d'avoir des recours institutionnels, et 3) l'importance qui devrait être accordée par l'Université à l'autonomie des étudiant-e-s. Pour ces raisons, nous proposons plutôt d'interpréter la neutralité axiologique comme une exigence institutionnelle, exigence compatible avec une certaine tradition de la liberté académique.
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Anarchie, résistance et recherche-création : propositions pour une (ré)appropriation intellectuelle et artistique de l'espace universitairePierre-Luc Landry (Collège militaire royal du Canada)
Il semble que l'état de crise que traverse l'université a quelque chose de permanent, du moins les mutations de l'institution ont été fréquemment dénoncées dans l'histoire récente des idées, par des intellectuels comme Jean-Charles Falardeau (1952), Noam Chomsky (1969), Michel Freitag (1995), Eric Martin et Maxime Ouellet (2011), etc. Mais le modèle duquel nous sommes nostalgiques, a-t-il seulement déjà existé? Cette relativisation historique de la crise de l'université appelle à repenser l'urgence avec laquelle nous réfléchissons aux devenirs de l'institution. Habitons-nous véritablement ses ruines, comme l'a affirmé Bill Readings en 1995? Son naufrage, annoncé par Michel Freitag la même année, aura-t-il finalement lieu? Et quand? Dans 5 ou 10 ans, affirment certains, alors que d'autres pensent qu'il est déjà trop tard. Néanmoins, il faut multiplier les poches de résistance au sein même de l'institution. Et c'est à cette résistance (économique, intellectuelle, politique et artistique) que j'aimerais réfléchir lors de la table-ronde. Je proposerai l'idée que les professeurs et les étudiants ont plus de pouvoir qu'ils ne le croient vraiment et que les activités qu'ils choisissent de réaliser à l'intérieur même de l'université peuvent participer activement à une résistance parfois anarchiste aux diktats de l'élite néolibérale qui souhaite mettre l'institution à sa main. La recherche-création, à mon avis, fait partie de ces manières de se réapproprier l'espace universitaire.
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Discussion
Nature, rôle et importance des intuitions en philosophie (Partie 2)
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L'intuition est-elle une attitude propositionnelle?Guillaume Frechette (Université de Salzbourg)
Il est généralement admis dans la littérature analytique sur l'intuition que celle-ci est principalement, ou même fondamentalement, une attitude propositionnelle. Elle est ainsi souvent caractérisée comme une croyance que P, comme la formation d'une croyance sans inférence que P, comme une impression que P(seeming: Bealer 1998), comme une impression intellectuelle que P (Huemer 2001;2005), comme l'attitude consistant à être poussé ou mu (pushed by) par P (Koksvik 2011). Dans tous les cas, la spécificité de l'intuition reposerait sur les propriétés doxastiques qui la distingue d'autres attitudes propositionnelles, comme savoir que P ou douter que P.
Cette caractérisation de l'intuition semble à première vue incommensurable avec le concept d'intuition discuté dans la tradition phénoménologique, où l'intuition est caractérisée comme ce type d'expérience qui rend les objets présents (ou même parfois qui offre un accès privilégié à la vérité que P).
Dans ce qui suit, je vais soulever quelques problèmes auxquels fait face la conception de l'intuition comme attitude propositionnelle. Partant de là, j'aimerais suggérer qu'en abandonnant cette idée, on peut développer une théorie de l'intuition qui peut employer de manière fructueuse les ressources de la phénoménologie et de la philosophie analytique.
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Ad hominem versus ad rem : deux conceptions de l'intuition en philosophieFlorian Cova (UNIGE - Université de Genève)
A en croire les philosophes expérimentaux, les études empiriques sur les intuitions des gens fournissent des résultats directement pertinents pour l'évaluation de certains arguments philosophiques, dans la mesure où ceux-ci se fondent sur des prémisses dites « intuitives ». Certains philosophes ont néanmoins rejeté l'intérêt de la philosophie expérimentale, affirmant que ce ne sont pas les intuitions de tout un chacun qui comptent en philosophie, mais celles des « experts » (c'est-à-dire des philosophes).
Cependant, ces deux conceptions de la philosophie, bien qu'opposées, vont toutes deux contre une conception largement partagée de la philosophie. Selon notre idéal philosophique, la réflexion philosophique requiert tout autant de se distancer de la voix du peuple que de la soumission aux experts (et à l'argument d'autorité). Tant la philosophie expérimentale, que sa critique au nom de la soi-disant « expertise » des philosophes semblent aller directement contre cet idéal.
Dans cette conférence, mon but sera de montrer comment cette tension résulte du fait que la philosophie contemporaine est tiraillée entre deux modèles : le modèle socratique et le modèle scientifique. Chaque modèle implique une conception distincte des intuitions et de leur rôle et de leur philosophie, de telle sorte que le concept actuel « d'intuition philosophique » est une synthèse instable et incohérente entre deux idéaux aux exigences opposées.
Nature, rôle et importance des intuitions en philosophie (Partie 3)
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Intuition et justificationJimmy Plourde (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières)
Selon les philosophes expérimentaux, il n'y a à peu près pas de position philosophique qui ne trouve sa justification au moins partiellement dans l'intuition. C'est ce qui fait dire à Florian Cova dans son introduction à la philosophie expérimentale que l'on peut parler d'une « omniprésence de l'intuition en philosophie », une omniprésence qui serait telle que ce ne serait que dans le cadre de cette discipline que l'intuition « peut servir à justifier une théorie » (Cova, 2011, p. 10). Mais peut-on véritablement penser qu'il y a une telle omniprésence de l'intuition en philosophie et qu'il y a également un lien aussi étroit entre intuition et justification? L'intuition, même celle que l'on peut considérer comme provenant de mécanismes fiables et qui, après avoir été testée empiriquement, s'avère largement partagée, peut-elle véritablement constituer une justification de la vérité d'une thèse philosophique donnée? Ce sont ces questions que nous examinerons dans cette conférence.
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Intuition et lois logiquesPatrice Philie (Université d’Ottawa)
La question de la justification des lois logiques fondamentales comme le modus ponens et le principe de non-contradiction semble être arrivée à une impasse: la plupart des solutions dites ‘traditionnelles' - l'appel à l'a priori, les approches externalistes, les approches internalistes, et j'en passe – font face à des objections dévastatrices. Il est tentant, dans un tel contexte, de ressortir un vieil allié des lois logiques: l'intuition. La présente contribution discutera de la pertinence de cet appel à l'intuition.
Au milieu des fluctuations historiques : quel rôle pour l'université aujourd'hui? (Partie 2)
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Financement de la recherche et théories de la justice : pour une sélection des projets de recherche par des jurys citoyensDanielle Zwarthoed (UdeM - Université de Montréal)
Le financement de la recherche représente une part significative des ressources publiques allouées aux universités. Dans la mesure où ces ressources ne sont pas infinies, il convient de se demander quels projets de recherche devraient en bénéficier en priorité. L'objectif de cet article est double. Premièrement, il vise à identifier les exigences d'une théorie de la justice libérale égalitaire (cf. Rawls 1999) pour la sélection des projets de recherche destinés à être financés par des fonds publics. Cet article défendra trois types d'exigence : (i) la contribution de la recherche à l'établissement et au maintien d'institutions justes dans tous les pays ; (ii) la contribution de la recherche à l'amélioration de la condition économique, sociale, psychologique, sanitaire, des plus désavantagés ; (iii) la contribution de la recherche au maintien d'un capital matériel, naturel et humain suffisant pour les générations futures. Deuxièmement, cet article vise à montrer qu'une procédure de sélection des projets de recherche impliquant une forme de « jury citoyen » pourrait être la plus à même de retenir les projets remplissant les exigences décrites ci-dessus. Cette procédure se ferait en deux temps. Premièrement, des chercheurs spécialistes de la discipline et du champ de recherche seraient invités à pré-sélectionner les projets qui satisfont des critères de « suffisance » scientifique. Les projets pré-sélectionnés seraient ensuite soumis à l'évaluation d'un « jury citoyen ».
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L'enseignement supérieur face à l'exigence d'égalité démocratique : quelles politiques universitaires?Blandine Parchemal (UdeM - Université de Montréal)
Études actuelles en philosophie moderne (Partie 1)
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Mot de bienvenue
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Le monde comme mouvementZoraia Ribeiro Dos Santos (UdeM - Université de Montréal)
Michel de Montaigne, dans l'Essai III, 2 Du repentir (1588), écrit que le monde n'est qu'une branloire pérenne. Toutes choses y branlent sans cesse : la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d'Égypte, et du branle public et du leur. La constance même n'est autre chose qu'un branle plus languissant. Je ne puis assurer mon objet. Il va trouble et chancelant, d'une ivresse naturelle. Je le prends en ce point, comme il est, en l'instant que je m'amuse à lui. Je ne peins pas l'être. Je peins le passage [...]. Cette pensée dialogue avec l'idée d'« état et fluctuations » pour aborder ce qui aide à comprendre l'essentiel du monde, de la vie et de la pensée, à savoir, le mouvement ou état de changement des choses, ceci en tant ce qu'il y a dans le monde. Dans ce sens, la possibilité de penser le mouvement de façon métaphysique, porte directement bien au-delà d'une connaissance intellectuelle. Dans Merleau-Ponty le réel et l'imaginaire (2003), Renaud Barbaras écrit qu'il s'agit d'une démarche propre où une ontologie donne naissance à une pensée de l'imaginaire, ceci étant l'invisible le plus immédiatement rencontré lorsqu'on suit le mouvement de débordement du sensible au-délà de lui-même. Il en découle l'approche de mettre en perspective des sens de l'être dans le monde.
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Rôle des scolies dans l'Éthique de SpinozaThibault Calmus (UdeM - Université de Montréal)
L'étude que nous nous proposons de faire ici vise à éclairer la nature et la fonction de l'ensemble scolien dans l'Ethique de Spinoza. Cet ensemble nous paraît avoir fait l'objet de trop peu d'attention, éclipsé par l'ensemble géométrique des propositions, démonstrations et corollaires. Or, peut-on réellement faire l'économie des scolies dans l'analyse du texte Ethique
Afin de dénouer cette tension apparente, il semble fertile de confronter deux lectures paradigmatiques des oppositions relatives au problème du statut de l'ensemble scolien. D'un côté, Martial Gueroult dans son commentaire du De Deo, considère les scolies comme de simples « marge du procès déductif régulier ». Pour ce dernier les scolies sont de simples démonstrations non déductives subordonnées au système géométrique. A l'autre pôle, Gilles Deleuze fait l'hypothèse inverse et considère qu'il y a comme « deux Ethiques coexistantes », indépendante l'une de l'autre avec un primat accorder à la version scolienne sur celle écrite more geometrico. Enfin, nous verrons qu'une approche textologique permet de mettre en évidence les contradictions qui émergent d'une telle confrontation. Ainsi nous verrons que l'ensemble scoliens n'est ni un simple complément à celui géométrique, ni une chaîne pratique indépendante mais plutôt un tout hétérogène remplissant de multiples fonctions dont certaines sont démonstratives mais aussi intuitives et pédagogiques.
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Science et politique à l'aube des Lumières : Fontenelle sur l'Académie royale des sciences de ParisMitia Rioux-Beaulne (Université d’Ottawa)
Du moment où il est nommé secrétaire de l'Académie royale des Sciences, en 1700, Fontenelle, qui a déjà entrepris une réflexion sur l'histoire de l'esprit humain depuis un certain nombre d'années, sera amené à donner à une inflexion particulière à son schéma narratif, en accordant une place déterminante au rôle des institutions et des pratiques scientifiques dans le développement des savoirs. Il devient évident en effet qu'à partir de cette période, l'idée de progrès est fondamentalement liée à la manière dont les institutions de production et de diffusion du savoir organisent les pratiques scientifiques, leurs fournissent des normes éthiques et méthodologiques, et parviennent à incarner l'état du savoir. Cette communication voudrait mettre au clair ce dispositif dans la pensée de Fontenelle en tant qu'il reflète une véritable naissance de ce qu'on nomme aujourd'hui les politiques scientifiques.
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Identité politique chez Rousseau : démocratie, reconnaissance et relations de pouvoirRita De Cassia Ferreira Lins E Silva (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Une partie du débat moderne voit la démocratie comme fructueuse dans l'analyse philosophique de l'identité politique. Pour E. Laclau et C. Mouffe, la logique démocratique se trouve fondamentalement dans les idées d'identité et d'équivalence. Alors, comment penser un ordre social dans cette logique ? A. Honneth Rousseau attribue à Rousseau la base de la reconnaissance par l'interdépendance mutuelle des sujets. L'analyse réside donc, de forme herméneutique, dans l'anthropologie de l'identité chez J-J. Rousseau, articulée sur les notions d'« amour de soi » et d'« amour-propre ». Il s'agit de la subjectivité politique consubstanciée dans le concept de reconnaissance impliquée dans les différences et dans l'équivalence des intérêts opposant, vers l'unité authentique d'un « nous » dans le jeu du pouvoir. Ainsi, il est postulé que la logique discursive de l'identité chez Rousseau présente les éléments indispensables à l'idée de démocratie en tant que reconnaissance, idée toujours inachevée, comme possibilité légitime de l'ordre social démocratique.
La vertu des institutions
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Le discours des vertus et les institutions, ou pourquoi votre banque n'est ni créative ni généreuseDavid Robichaud (Université d’Ottawa)
Que peut-on vouloir dire lorsque nous affirmons qu'une institution est vertueuse, lorsque nous questionnons la vertu d'une institution? Dans cette présentation, je défendrai l'idée que nous devons nous débarrasser du concept de vertu pour parler des institutions. En effet, soit nous utilisons le concept de vertu simplement pour exprimer l'efficacité ou la désirabilité d'une institution, soit nous l'utilisons de façon problématique pour exprimer des qualités morales garantes de leur bon fonctionnement et de l'atteinte d'objectifs désirables. Il semble y avoir trois types de recours au concept de vertu au sens moral pour évaluer ou définir les institutions. On peut d'abord parler de vertu des institutions comme un raccourci pour parler de la vertu des créateurs ou des dirigeants de ces dernières. On peut ensuite exprimer la croyance que les institutions poursuivent des objectifs admirables et le font de façon admirable, en employant des moyens qui nous semblent les meilleurs. On peut finalement faire référence à des qualités intrinsèques des institutions qui les rendent excellentes à réaliser leurs objectifs, à s'adapter à de nouvelles circonstances, sans interventions extérieures visant à les réformer.
Toutes ces affirmations selon lesquelles les institutions peuvent être plus ou moins vertueuses posent problème.
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Pourquoi les institutions sont plus vertueuses que vous?Benoît Dubreuil (Aucun)
Dans cette présentation, je explorerai l'idée qu'attribuer des vertus aux institutions est non seulement légitime, mais en fait beaucoup moins problématique qu'en attribuer aux individus. J'expliquerai pourquoi en m'intéressant d'abord à la question motivationnelle, puis à la question épistémique. Sur le plan motivationnel, je soutiendrai que les vertus individuelles sont un très mauvais garant du comportement moral. C'est le cas en partie parce que les facteurs situationnels ont un impact considérable sur la disposition des individus à faire ce qu'ils considèrent juste, mais aussi en partie parce que ce qu'ils considèrent juste est au départ largement teinté par leurs intérêts. Les institutions, quant à elle – dès lors qu'elles sont structurées adéquatement, c'est-à-dire dès lors qu'elles sont vertueuses – peuvent assurer un alignement beaucoup très fiable du comportement des individus avec ce qu'ils considèrent justes. Dans un second temps, je m'intéresserai au volet épistémique en soutenant que, comparées aux individus, les institutions sont beaucoup plus susceptibles de disposer du savoir nécessaire à une vie vertueuse.
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Vertu des institutions et démocratieChristian Nadeau (UdeM - Université de Montréal)
Dans quelle mesure pouvons-nous parler en termes de vertu au sujet des institutions ? Et si ce vocabulaire est pertinent, faut-il le rechercher ? Quels sont les mécanismes de contrôle des citoyens lorsque des paramètres institutionnels favorisent un certain type de comportements ? Et quels sont les moyens dont disposent les citoyens pour prévenir la corruption des institutions ? Il s'Agit de penser les rapports des individus à l'égard des organisations, d'où l'importance, d'une part, de penser les paramètres de la responsabilité collective et d'autre part les l'interaction et plus précisément l'interface entre les instances décisionnelles et la participation citoyenne.
Moralité et contingence (Partie 1)
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Droit et moralité politique : la non-contingence selon DworkinSébastien Lacroix (Université Laval)
Au XXe siècle, la philosophie du droit fut secouée par un débat majeur concernant le lien entre droit et moralité. Pour certains positivistes, tel H. L. A. Hart (The Concept of Law, 1961), le droit se réduit au droit positif, énoncé par les législatures et les tribunaux. Le plus grand critique du positivisme juridique hartien est un auteur incontournable de la philosophie analytique contemporaine : Ronald Dworkin. Ce dernier considère qu'il existe des cas difficiles où le droit positif demeure muet (« The Model of Rules I », 1967). Dans de telles situations, le juge doit tout de même trancher la question, mais il ne peut le faire arbitrairement. En ces domaines, une décision devrait provenir des idéaux moraux qui transcendent la société et sous-tendent les normes et institutions publiques : ces idéaux sont issus d'une moralité politique propre à une communauté. Dworkin rétablit donc un lien nécessaire entre morale et droit.
L'objectif de cette présentation est de présenter la position dworkinienne quant au lien entre droit et moralité afin d'en déduire certaines implications métaéthiques, notamment en ce qui a trait au caractère nécessaire ou contingent de la moralité politique que Dworkin mobilise. Si l'on peut démontrer que la moralité politique est elle-même contingente, pourquoi serait-ce important d'affirmer qu'elle a un lien nécessaire avec le droit ? Pour répondre à cette question, j'emploierai certaines thèses défendues par Dworkin dans ses écrits de métaéthique.
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La contingence de la nécessité : à propos du « tragique de l'action »André Duhamel (UdeS - Université de Sherbrooke)
L'action humaine libre et contingente engendre souvent un second ordre de réalité qui pèse en retour sur elle comme une nécessité : logique des effets pervers, problème des mains sales, nécessité pratique ou incapacité morale, tous phénomènes qui se réduisent difficilement aux simples contraintes d'une situation ou à un déterminisme causal. Je voudrais examiner un de ces phénomènes : la nécessité tragique. Ici aussi on assiste à une confrontation entre deux ordres de réalités : des hommes et des dieux, chez les Anciens; des actions individuelles et l'histoire, chez les Modernes, etc. La tragédie se présente ainsi comme irruption du nécessaire dans le contingent : elle en change la donne, fait s'évanouir l'agentivité, engendre la souffrance et détruit le sens. L'idéalisme allemand présente ce conflit comme une propriété de l'agir et non de l'art, une contradiction entre liberté et nécessité. Mais ce ‘tragique' risque d'ontologiser l'agir et d'en effacer la contingence : le ‘tragique de l'action' semble s'inscrire dans l‘ordre du monde' et aboutir à un ‘pantragisme'. Je soutiendrai qu'il serait fécond d'inverser la perspective et faire retour à la dimension proprement poétique de la tragédie. La ‘nécessité tragique' apparaît alors comme une dramatisation, une ‘nécessité de sens' qui résulte d'une certaine présentation ou mise en scène de l'action. La tragédie devient une ressource signifiante pour comprendre, pragmatiquement, certains types d'actions humaines contingentes.
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Comment et pourquoi sortir du cercle corrélationnel? Quelques remarques à propos de la contingence chez Quentin MeillassouxPierre-Alexandre Fradet (Université Laval)
D'après Quentin Meillassoux, une très vaste partie de la philosophie depuis Kant s'interroge non pas sur le réel en soi, envisagé dans son indifférence par rapport à la conscience, mais plutôt sur le monde tel qu'il est médiatisé par notre esprit. Exacerbée par la phénoménologie, l'herméneutique et la philosophie du langage, cette tendance repose sur un argument aussi simple qu'en apparence infaillible : on ne peut connaître l'en soi sans en faire un objet de pensée, c'est-à-dire autre chose qu'un en soi. Pour contrer cet argument du « cercle corrélationnel » et tenter de penser (sans contradiction) ce qui est en dehors de l'esprit, Meillassoux s'efforce de montrer qu'une vérité absolue peut être posée à bon droit qui ne soit pas relative au cercle corrélationnel : la nécessité de la contingence.
Depuis Après la finitude. Essai sur la nécessité de la contingence, jusqu'à ses récents travaux, Meillassoux évoque des objections à cette thèse et tâche d'y répondre, tout en jetant les bases d'une éthique nouvelle. Après avoir reconstruit les principales raisons pour lesquelles Meillassoux juge important de sortir du cercle corrélationnel, je me pencherai sur l'argument qu'il formule à l'appui de la possibilité de s'arracher à ce cercle afin d'en faire ressortir le caractère novateur et stimulant, mais aussi les possibles limites.
Variabilité et catégorisation des sciences (Partie 1)
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Conception et perception du soi : quelles implications pour la classification en psychopathologie?Maude Sills-Néron (UdeM - Université de Montréal)
Ian Hacking introduit le concept de maladie transitoire et a démontré l'importance du phénomène d'effet de boucle dans la classification de maladies mentales (The looping effects of human kind, 1995). Ces avancés ont permis de sortir du paradigme naturaliste et d'ouvrir la voie à des catégories plus pragmatiques en psychopathologie. Serife Tekin (2014), à partir du travail de Haking, se questionne sur l'approche à adopter, car les manuels diagnostiques créent des normes de santé mentale qui ont des implications sur la perception de l'agent dérogeant de ces normes. Tekin soutient que pour comprendre à quel niveau un diagnostic peut avoir des implications normatives néfastes sur la personne diagnostiquée, il faut comprendre comment la perception et la conception du soi interagissent. Il s'interroge sur cette notion dans son texte The Missing Self in Hacking's Looping Effect (2014). Il avance que le « soi » comme multidimensionnel permet de mieux comprendre l'effet de boucle. Je tenterai de compléter son approche avec une approche phénoménologique (Strauss 1966; Tye 1999) et défendrai la thèse selon laquelle une approche plus holiste des maladies mentales permet de mieux cerner les cas où la classification est néfaste.
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Les espèces pratiques et la normativité des désordres mentauxAnne-Marie Gagné-Julien (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Le problème de la classification des désordres mentaux est un enjeu central de la philosophie de la psychiatrie. Plusieurs cas controversés (homosexualité, trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité (TDAH), etc.), classés auparavant comme des désordres mentaux, viennent remettre en question l'objectivité de la psychiatrie : sous couvert de l'objectivité médicale, la psychiatrie classe-t-elle comme pathologiques des états sains, mais qui ne sont pas valorisés au sein de la société ? Ce type de questionnement a généré deux types de positions quant aux catégories psychiatriques : ces catégories seraient (1) des espèces naturelles ou (2) des constructions sociales. L'idée d'espèce naturelle suppose que l'extension des termes psychiatriques réfère à la structure réelle du monde, et donc ne dépende pas des intérêts humains. Les construits sociaux supposent que la taxonomie psychiatrique se retrouverait sans aucun fondement objectif sous-jacent et ne représenterait que des formes de déviances sociales sans lien avec la réalité. Face à cette dichotomie, Peter Zachar a proposé un modèle qui tente d'accommoder les intuitions des deux approches : le modèle des espèces pratiques (Zachar 2000; 2002).
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Sciences normatives et délibération publiqueMarc-Kevin Daoust (UdeM - Université de Montréal)
Pourquoi accorder un rôle essentiel à la délibération publique dans le choix des normes éthiques et politiques guidant les sciences ? À partir d'exemples en économie du bien-être, je soutiens que l'introduction de normes éthiques et politiques en sciences doit respecter le principe de neutralité procédurale, et qu'une délibération publique bien encadrée respecte ce principe. Je présenterai deux raisons de croire que les sciences doivent respecter la neutralité procédurale. Le premier argument est lié au rôle que devrait jouer l'examen libre et critique dans le développement des sciences. Le second argument (qui recoupe en partie le premier) repose sur l'idée que les sciences devraient être sensibles aux procédures présentant le meilleur potentiel épistémique. Pour ces deux raisons, si elle prend position en faveur d'idéaux normatifs, l'économie du bien-être (et la science en général) devrait se tourner vers une approche délibérative, rationnelle et impartiale pour y parvenir.
Le normal et l'exceptionnel : les démocraties face au terrorisme
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Le normal et l'exceptionnel : les démocraties face au terrorisme?Julie Saada (Université d'Artois)
Le terrorisme jihadiste constitue-t-il une nouvelle forme de violence justifiant l'adoption par les démocraties d'un droit d'exception et une transformation de leurs institutions ? Depuis le Patriot Act entériné en 2001 jusqu'à l'état d'urgence décrété en France après les attentats de novembre 2015 et dont la possible constitutionnalisation fait l'objet de virulents débats dans l'espace public, l'adoption de mesures d'exception se présente comme la réponse donnée par les démocraties au caractère exceptionnel de la violence terroriste, en rupture avec les formes de terrorisme qui s'étaient manifestées auparavant. Ces mesures consistent à s'écarter temporairement de certaines normes constitutionnelles et libertés fondamentales tout en restreignant les contre-pouvoirs, au nom de la protection de l'Etat, des institutions et des principes fondamentaux qui organisent les états de droit démocratiques. Ce faisant, le caractère d'exceptionnalité propre à ces mesures ne risque-t-il pas de contrevenir aux objectifs proclamés qui président à leur mise en œuvre et justifient cette dernière aux yeux des puissances publiques ? A l'inverse, une réflexion philosophique normative n'exige-t-elle pas de déterminer les conditions sociales, juridiques et institutionnelles par lesquelles les démocraties peuvent faire face à la violence terroriste sans contredire les principes qui les fondent ?
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Discussion
Études actuelles en philosophie moderne (Partie 2)
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Les facettes du désir d'autrui dans la « Promenade Vernet » de Diderot : témoins d'une dialectique entre la raison et le sentimentMaud Brunet-Fontaine (Université d’Ottawa)
Dans ce que Diderot appellera sa « Promenade Vernet », on voit se tracer trois formes interdépendantes du désir d'autrui : physique, esthétique et philosophique. Il dit à un moment souhaiter la présence de la femme qu'il aime et qui l'attire de manière à pouvoir apprécier plus intensément un paysage. Il écrit aussi ceci, alors qu'il désire la présence de ses amis : « c'est pour moi et pour mes amis que je lis, que je réfléchis, que j'écris, que je médite, que j'entends, que je regarde, que je sens. […] Je leur ai consacré l'usage de tous mes sens et de toutes mes facultés ; et c'est peut-être la raison pour laquelle tout s'exagère, tout s'enrichit un peu dans mon imagination et dans mon discours. »
Dans la relation à l'ami comme à l'amant, il semble que la dimension affective ne soit pas indépendante de la dimension rationnelle : c'est l'ami ou l'amant, pour qui on éprouve de l'affection, qui oriente le regard esthétique comme philosophique et la réflexion en devient d'autant plus riche qu'elle est orientée par de multiples points de vue.
Nous chercherons donc à explorer l'hypothèse selon laquelle le rapport à l'autre, tel qu'illustré dans la « Promenade Vernet », permet de comprendre non seulement une anthropologie du moi-multiple, pour reprendre l'expression de Colas Duflo, mais également une anthropologie qui commande un équilibre, voire une dialectique, entre raison et sentiment.
Le raisonnement humain : entre logique, normativité et cognition (Partie 1)
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Le raisonnement humain : ses origines évolutionnaires et son rôle normatifAlice Livadaru (UQAM - Université du Québec à Montréal)
La psychologie évolutionniste du raisonnement nous apprend que les comportements humains sont tributaires, en partie du moins, de mécanismes psychologiques ayant été façonnés par la sélection naturelle. Ainsi, certaines procédures de raisonnement ont été sélectionnées et contribuent à expliquer nos compétences logiques et nos tendances à faire
des sophismes, tout comme elles s'avèrent être des pistes fertiles pour comprendre les composantes normatives de notre activité cognitive et de nos comportements sociaux. Cette communication étudiera comment cette approche évolutionniste peut aider à expliquer l'origine et la nature de notre normativité et contribuer ainsi à la philosophie politique, à la philosophie du droit et à la psychologie morale.
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Le raisonnement humain : la normativité et le pluralisme logiqueJulien Ouellette-Michaud (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Le pluralisme en logique est un fait, en ce sens qu'il existe, en plus de la logique classique, des logiques non classiques, comme des logiques modales, des logiques polyvalentes, des logiques qui n'admettent pas des lois classiques fondamentales, comme le tiers exclu ou l'élimination de la double négation, et ainsi de suite. Cette pluralité peut être vue comme étant problématique, notamment si l'on réduit la logique à l'étude du raisonnement correct et qu'on considère qu'il existe des contextes de raisonnement où les conclusions acceptables vont varier, puisqu'il faut alors déterminer quel système logique choisir dans telle ou telle situation. Autrement dit, une telle approche semble ne pas pouvoir caractériser adéquatement la normativité de la logique en relativisant les systèmes à des contextes particuliers. L'objectif de la communication sera de montrer les conséquences de l'adoption d'un pluralisme sur la manière dont nous devons raisonner et d'indiquer l'intérêt d'une telle position comme outil heuristique pour les sciences cognitives du raisonnement.
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Le raisonnement humain : l'analyse de l'argumentation et les logiques non classiquesSimon Brien (UQAM - Université du Québec à Montréal)
L'étude contemporaine de l'argumentation a donné lieu à une analyse logique du discours argumentatif. Toutefois, cette analyse a été la cible de critiques qui l'ont jugée trop rigide pour témoigner de l'aspect dynamique de l'argumentation. Après un examen de ces critiques, on peut voir que beaucoup d'entre elles ne portent pas sur le recours à la logique, mais bien plutôt sur les limites de la logique classique. C'est pourquoi il apparaît pertinent de revisiter ces critiques afin de déterminer comment l'utilisation de logiques non classiques (intuitionniste, modale, temporelle...) peut permettre une réponse à ces critiques et montrer la pertinence de l'analyse formelle de l'argumentation.
Moralité et contingence (Partie 2)
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Le point de vue pratique : l'historicité dans le constructivisme humienJocelyn Maclure (Commission de l’éthique en science et en technologie)
Après avoir distingué les dimensions ontologiques et épistémiques du réalisme moral, j'approfondirai la réflexion sur ce que Sharon Street a appelé le « constructivisme humien ». Pour ceux qui ne sont convaincus ni par la thèse réaliste selon laquelle la moralité constitue une sphère ou un ordre de réalité indépendant de l'esprit humain ni par le constructivisme kantien selon lequel la moralité est le résultat d'une procédure délibérative formelle adéquatement conçue, le constructivisme humien offre une voie nouvelle et prometteuse. Street soutient que nous devons aborder la question de la constitution de la moralité à partir du « point de vue pratique », c'est-à-dire le point de vue des agents moraux situés et incarnés que nous sommes. « What is it », écrit-elle, « for something to be valuable? It is for that thing's value to be entailed from within the point of view of a creature who is already valuing things. ». Mais pourquoi certains jugements ou principes s'imposent-ils avec plus d'autorité dans un contexte moral donné ? Comment penser les désaccords moraux et le progrès moral ? Je soutiendrai que le constructivisme humien doit être historicisé davantage et qu'il demeurera sous-déterminé tant qu'il ne ménagera pas une place aux formes de résistance concrètes aux injustices sociales déployées par les agents.
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La nécessité du cohérentisme au sein d'une morale contingenteFrancois Cote-Vaillancourt (Université Laval)
Dans cette présentation, je discuterai rapidement de l'intérêt de se représenter la morale comme une construction située, résultant de l'ensemble des contingences du contexte des agents. Passé cette introduction, par contre, je chercherai à approcher un problème particulier qui se pose alors, soit la manière par laquelle une telle morale peut rendre compte et traiter la réalité de l'erreur ― y compris, mais pas seulement, pour échapper au relativisme absolu. En effet, dès lors que l'on croit que la morale repose ultimement sur des contingences sociales, historiques, culturelles et expérientielles des agents, plutôt qu'une réalité externe, une raison universelle ou une nature partagée, il est certes aisé d'expliquer le pluralisme et l'éclatement des valeurs, mais il devient difficile d'expliquer comment un agent peut alors se tromper (un fait fondamental à expliquer), et surtout être corrigé par autrui (un idéal d'intersubjectivité à préserver).
Je démontrerai à ce titre qu'une morale reposant sur des contingences comme on le postule devra absolument adopter un type particulier de cohérentisme, distinct du cohérentisme épistémologique, si l'on veut éviter ces problèmes épistémiques et discursifs. Avec ce nouveau cadre cohérentiste, on ne prouvera pas directement l'objet du symposium, soit la place de la contingence en morale, mais on évacuera une difficulté majeure qui, autrement, apparaîtra toujours lorsque l'on tente de reconnaître le rôle de la contingence en morale.
Variabilité et catégorisation des sciences (Partie 2)
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Kepler versus Galilée : vers une étude mathématique de la natureCéline Riverin (Collège Jean-de-Brébeuf)
Cette présentation a pour objectif de mettre en lumière un aspect de la transformation majeure vécue par les sciences naturelles à l'aube de la période moderne. Plus précisément, un examen des arguments du Mysterium cosmographicum (1596) de Kepler et de ceux du Dialogue sur les deux grands systèmes du monde (1632) de Galilée nous permettra de voir comment furent ébauchées deux voies différentes justifiant une étude mathématique du mouvement, mais qui conduisent toutes deux à une conception des sciences naturelles révolutionnaire par rapport à l'aristotélisme prévalant à l'époque. Cette transformation a joué un rôle majeur dans l'évolution de la science dans la mesure où elle a permis une nouvelle catégorisation de l'astronomie et de la physique, cette dernière passant d'une tâche qualitative à une tâche quantitative visant à trouver de l'ordre au sein d'une nature changeante et variable. Pour bien comprendre ce changement de conception, il me semble nécessaire de ne pas s'en tenir uniquement aux arguments empiriques des deux scientifiques afin de comprendre comment cette nouvelle conception épistémologique a pu être rendue possible par ces deux voies qui, bien que différentes, n'en sont pas moins compatibles.
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Modélisation, hiérarchisation et catégorisationDavid Montminy (UdeM - Université de Montréal)
Selon l'approche sémantique des modèles (Giere 2010; Van Fraassen 2008), un modèle est identifiable à un système réel à certains égards et selon un but précis. Or, jusqu'à quel point l'utilisation d'un modèle (par le fait qu'il soit considéré d'emblée comme une simplification ou une idéalisation) permet-elle d'escamoter des questions de nature ontologique ? De plus, considérant que la validité des modèles est en partie évaluée en fonction de la variété des données probantes qui les corrobore, ce découpage, en termes de variété, constitue-t-il une catégorisation ontologique des divers éléments du système observé ? À l'aide des notions de hiérarchie (Winsberg
1999) et de paramétrisation (Katzav et al 2012; Lloyd 2010) utilisées dans les modèles d'évolution du climat, je tenterai de montrer que l'engagement ontologique des modèles varie en fonction de la complexité du système observé et de l'objectif de la modélisation.
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Pensée populationnelle, paramètres gradients et espèces naturellesFrançois Papale (UdeM - Université de Montréal)
Dans cette présentation, je m'intéresserai exclusivement à l'aspect épistémologique du problème des espèces naturelles. Plus précisément, je me demanderai si la méthodologie des paramètres gradients de Peter Godfrey-Smith (2009) permet de cerner le rôle que jouent les espèces naturelles dans une science comme la biologie. En ce sens, je présenterai cette méthodologie dite détendue comme étant une continuité du travail conceptuel amorcé par Charles Darwin. Dans L'Origine des espèces (1859), Darwin avance que les espèces représentent des catégories arbitraires qui ne sont que
des outils pour la description taxonomique du monde biologique. Il serait plus profitable d'étudier l'ensemble des individus en fonction des différences qui les distinguent les uns des autres, et non en fonction de l'espèce naturelle à laquelle on les associe. Pour Godfrey-Smith, la méthodologie des paramètres gradients est une extension de cette pensée dite populationnelle (Mayr 1994) à tout concept qui serait utilisé pour des études sur l'évolution darwinienne. Pour ma part, je défendrai l'idée que cette méthodologie permet un traitement similaire de toute espèce naturelle et non exclusivement des espèces biologiques, des populations darwiniennes ou des individus darwiniens (Godfrey-Smith 2009).
Études actuelles en philosophie moderne (Partie 3)
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La réception de la notion leibnizienne d'harmonie chez Johann Heinrich LambertChristian Leduc (UdeM - Université de Montréal)
Les concepts d'harmonie et de dissonance apparaissent très tôt dans l'œuvre leibnizienne et s'articuleront en métaphysique autour de la doctrine de l'harmonie universelle. L'harmonie constitue la représentation de l'unité des choses, tandis que la dissonance réfère aux lacunes qu'on y décèle, faute de connaissance. Des considérations similaires seront exposées par Lambert dans son Neues Organon de 1764. Celles-ci s'inscrivent manifestement dans une tradition d'inspiration leibnizienne ; toutefois, Lambert complète et réoriente la doctrine leibnizienne selon les préceptes de sa méthodologie. Les concepts d'harmonie et de dissonance s'expliquent à deux niveaux de cognition : d'une part, grâce à la perception sensible, il est possible de penser des relations de dépendances et de contradictions prédicatives. Il semble même que pour Lambert la sensation de l'accord ou du désaccord des pensées soit l'assise sur laquelle toute autre représentation d'ordre soit ensuite rendue possible. D'autre part, l'évaluation plus strictement formelle de l'harmonie et de la dissonance entre les pensées. Une Vernunftlehre vise bien entendu à analyser les relations propositionnelles depuis les règles de la logique et vient ainsi compléter le travail débuté dans la perception sensible. Il s'agit probablement d'un des points de rupture entre les doctrines de Leibniz et de Lambert que nous examinerons dans la présente communication.
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Besoins naturels et culture du désir : quelques remarques au sujet des Conjectures sur les débuts de l'histoire humaine de KantVincent Darveau-St-Pierre (UdeM - Université de Montréal)
Les « Cours sur la pédagogie » (1776-1787) professés par Kant et publiés par Rink en 1803 à partir des notes de cours du philosophe, assignent à l'éducation morale le rôle de discipliner « les impulsions anarchiques » de la « liberté native ». Le professeur de logique et de métaphysique de l'Université de Königsberg conçoit dès lors la nature humaine comme un état d'imperfection devant être corrigé. Ainsi, la culture de l'humanité par l'éducation morale est décrite comme une forme de libération, celle d'une condition animale marquée la tyrannie des impulsions naturelles. Or dans les Conjectures sur les débuts de l'histoire humaine (1786), c'est un tout autre portrait des rapports nature/culture qui est peint. En effet, à partir d'une interprétation originale des chapitres II et III de la Genèse, Kant pense plutôt la condition humaine actuelle comme un dérèglement eu égard à un ordre naturel parfait. L'objectif de cette conférence sera de montrer que cette perspective différente est tout à fait complémentaire à la précédente, ainsi que de souligner la forte influence rousseauiste qui pétrie ces pages.
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Arlequin Diogène : le masque du cynismeKathleen Hayes (UdeM - Université de Montréal)
Le cynique des Lumières est misanthrope; il incarne la désillusion morale. Par son refus des conventions, de la sociabilité, de l'hypocrisie et des faux-semblants, il renonce à sa pleine appartenance citoyenne, ainsi qu'aux valeurs de la société européenne du xviiie siècle. Il est un désapprobateur irréductible des hommes et de leur nature incorrigible. Bien que les Philosophes aient voulu récupérer la figure de Diogène pour le rendre non seulement décent, mais également sociable, le cynique moderne s'inscrit fondamentalement en faux contre les idéaux des Lumières. Plus encore, il a tout intérêt à ne pas devenir la dupe de ces idéaux. Deux chemins se proposent donc au cynique : camper sur ses positions morales en se retirant du monde, ou bien évoluer, c'est-à-dire renouveler la devise d'altération des valeurs du cynisme. Je propose de mettre en lumière cette évolution, par le biais d'un texte de Saint-Just, l'Arlequin Diogène, lequel illustre le changement de sens que s'apprête à connaître le cynisme à l'aube du xixe siècle.
Moralité et contingence (Partie 3)
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Propriétés normatives et concepts de propriétésAnnette Bryson (Université du Michan, Ann Arbor)
Derek Parfit explique l'objectivité normative en termes de propriétés non-naturelles irréductiblement normatives. Il cherche toutefois à éviter le genre de problèmes auxquels sont confrontées les explications réalistes plus robustes—par exemple l'objection selon laquelle les propriétés non-naturelles sont ontologiquement douteuses ou épistémologiquement inaccessibles. Il cherche également à distinguer sa position de la position naturaliste qui lui est la plus proche, celle du naturalisme non-analytique (NAN). Parfit prétend en outre, de manière surprenante, ne partager aucun désaccord significatif avec le quasi-réaliste Allan Gibbard. Cette déclaration d'entente permet d'évaluer la viabilité aussi bien de sa position concernant les propriétés normatives que de ses objections sur le NAN. Deux conclusions sont possibles: (i) Soit il ne subsiste aucune différence méta-éthiquement significatives entre Gibbard et Parfit, mais alors les arguments de ce dernier contre NAN sont équivoques et les propriétés Parfitiennes ne peuvent accomplir le travail que Parfit leur demande d'accomplir. (ii) Soit il existe des divergences entre les deux philosophes, et dans ce cas Parfit offre une perspective sur la normativité que d'autres explications, qu'elles soient de Gibbard ou du NAN, ne sauraient procurer. Mais Parfit est alors confronté aux genres de problèmes auxquels font face les explications non-naturalistes réalistes plus robustes, les problèmes que Parfit cherche précisément à éviter.
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Atteindre la justice épistémique malgré les désaccords morauxSimon-Pierre Chevarie-Cossette (University of Oxford)
Nous avancerons des raisons politiques, liées aux injustices épistémiques, de défendre une certaine théorie du désaccord moral et de la justification. Une injustice épistémique (Fricker 2009, Stanley 2005) consiste en une situation où une personne subit une injustice en sa capacité de sujet connaissant. Cela se manifeste entre autres lorsque certaines personnes sont épistémiquement discréditées en vertu de leur appartenance à un groupe marginalisé ou lorsque des individus ne possèdent pas les concepts nécessaires pour théoriser leur oppression.
Le désaccord moral entraîne-t-il une perte de la justification? D'une part, une réponse positive condamne les marginalisés et les opprimés à l'ignorance et leur donne l'obligation d'abandonner certaines de leurs croyances vraies. D'autre part, une réponse négative échoue a priori à rendre compte de l'injustice supplémentaire, l'injustice épistémique, dont souffrent les marginalisés et les opprimés en faisant partie d'un groupe dont les revendications légitimes seront menacées par le désaccord. Plus positivement, la première avenue nous permet de souligner l'injustice épistémique contre les opprimés, alors que la seconde nous laisse le loisir d'affirmer que les révoltés parmi ces opprimés satisfont leurs devoirs épistémiques. Nous proposerons une synthèse originale de ces deux positions.
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Revêtir la vertu : le rôle de la sociabilité dans le projet moral de KantÉlaina Gauthier-Mamaril (Collège universitaire dominicain)
À la fin de la Métaphysique des mœurs, Kant se pose la question de quelle serait la meilleure manière d'enseigner la vertu. Il conclut, entre autres, qu'il est utile mais dangereux de proposer des modèles de vertu parce que ces modèles sont toujours des êtres humains que nous pouvons jalouser ou qui peuvent nous faire sentir inférieurs, deux sentiments qui, loin de nous pousser à émuler des attitudes vertueuses, nous dégoûtent encore plus de la vertu. Dans l'Anthropologie du point de vue pragmatique, Kant explore comment une approche indirecte à la vertu via les règles de la sociabilité et le rôle para-rationnel de la femme peut rendre la vertu «aimable » et rendre l'idée de la pratiquer moins rébarbative. Mais comment s'assurer de ne pas corrompre le mobile moral? À quel point est-ce que les attitudes conventionnelles de bienveillance et de respect peuvent mener à la vertu et à quel point risquent-elles d'éclipser ou même d'empêcher une réforme plus radicale de notre adhérence à la loi morale? Ce projet présentera comment Kant essaie de marcher sur le fil de funambule entre rendre son projet moral applicable et le dénaturer. Dans le contexte d'une exploration des facteurs qui affectent la notion de vertu, de vertus et de moralité, les enjeux de l'Anthropologie et des moyens para-vertueux peuvent être éclairants.
Le raisonnement humain : entre logique, normativité et cognition (Partie 2)
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Le raisonnement humain : la logique, la métacognition et les architectures cognitivesAnne Cloutier (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Une modélisation biologiquement réaliste du fonctionnement de l'esprit humain devrait parvenir à modéliser des comportements cognitifs comme la déduction, la métacognition et l'apprentissage. L'apprentissage étant une caractéristique dominante dans la cognition humaine, cette présentation étudiera d'abord l'importance de la métacognition dans l'apprentissage et comment elle est prise en compte dans la modélisation des architectures cognitives. Nous traiterons ensuite du rôle de la métacognition en psychologie du raisonnement pour faire des liens entre le rôle de la métacognition dans la recherche du réalisme biologique en architectures cognitives et dans le développement du raisonnement humain.
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Le raisonnement humain : la modélisation du raisonnement spontané et la correction de l'erreur logiqueJanie Brisson (UQAM - Université du Québec à Montréal), Serge Robert (UQAM - Université du Québec à Montréal)
La psychologie expérimentale du raisonnement démontre nos tendances spontanées à commettre des erreurs logiques, à savoir de tirer des conclusions que nous considérons logiquement valides alors qu'elles ne le sont pas, ou encore de refuser de tirer des conclusions, les considérant non valides, alors que pourtant elles le sont. La communication étudiera ces différences entre nos normes logiques et notre fonctionnement cognitif spontané, pour ensuite présenter comment on peut modéliser ces procédures de raisonnement spontanées et en tirer des conséquences sur d'éventuelles erreurs de raisonnement non encore identifiées par la psychologie, de même que sur la pertinence cognitive de l'apprentissage de la logique et sur des stratégies pertinentes pour favoriser cet apprentissage.
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Mot de clôture
Variabilité et catégorisation des sciences (Partie 3)
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Concept d'espèce, clé de voûte et stabilité des écosystèmesSophia Rousseau-Mermans (UdeM - Université de Montréal)
En écologie, le concept d'espèce clé de voûte (Paine 1969) tend à désigner des groupes d'organismes dont l'activité au sein de leur communauté (prédation, mutualisme, etc.), ou de leur habitat (modification de l'environnement physique, par exemple), garantit la stabilité de l'écosystème en son entier (Paine 1969, 1974 ; Mills, Soulé et Doak 1993). Depuis la première de définition proposée par Paine, cependant, le concept d'espèce clé de voûte a été utilisé par les écologues et biologistes de la conservation de différentes manières (Mills, Soulé et Doak 1993). Sur le plan définitionnel et épistémique, le concept d'espèce clé de voûte soulève ainsi deux grandes questions auxquelles cette présentation proposera un début de réponse : (1) Les différentes entités biologiques et écologiques qui peuvent tomber sous ce concept (groupes fonctionnels, populations, organismes, etc.) appartiennent/représentent-elles également une certaine catégorie d'espèce ? (2) En quel sens et dans quelle mesure,
une espèce clé de voûte maintient-elle la stabilité de sa communauté biologique ou de son écosystème ?
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Critique de l'argument évolutionniste contre le naturalisme d'Alvin PlantingaSimon Goyer (UQAM - Université du Québec à Montréal)
À l'heure actuelle, l'argument évolutionniste contre le naturalisme (AECN) qu'a formulé le philosophe de la religion Alvin Plantinga est abondamment discuté chez les philosophes. La thèse explicite de l'AECN est qu'il est irrationnel de soutenir le naturalisme (N) et l'évolutionnisme (E) en même temps et qu'il faut, pour cela, rejeterN. La thèse implicite de l'AECN est qu'il est rationnel d'adopter le théisme (T) et l'E. Selon Plantinga, il est irrationnel de soutenirNetEparce que cela implique qu'il est hautement probable que nos facultés cognitives de base (mémoire, perception, capacité de faire des inductions, etc.) ne sont pas fiables et que, conséquemment, toutes nos croyances sur le monde et nous-mêmes sont fausses (et donc, entre autres, que notre croyance enNetEest fausse). Toujours selon Plantinga, il est rationnel de soutenirTetEparce que cela implique que nos facultés cognitives de base sont fiables et que, conséquemment, nos croyances sur le monde et nous-mêmes sont vraies. Dans cette présentation, je montre que les deux thèses susmentionnées sont fausses. Pour ce faire, premièrement, je présente les concepts nécessaires pour bien comprendre l'AECN et fais connaître ce dernier. Ensuite, je montre queTetEsont incompatibles et qu'il faut, si l'on soutientE, ultimement, abandonnerT. Enfin, je montre qu'il est rationnel de soutenirNetEet, conséquemment, que l'on n'a pas à rejeterN.
Fluctuations démocratiques : les horizons alternatifs de la démocratie (Partie 1)
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Comment penser la relation entre démocratie représentative et démocratie contestataireDominique Leydet (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Comment penser la relation entre démocratie représentative et les pratiques contestataires portées par des mouvements tel Occupy, les Indignados ou, plus près de nous, le mouvement étudiant du printemps 2012? Je veux esquisser une réponse à cette question qui rende compte de la diversité des expériences de ces citoyens qui participent à différentes pratiques associées à l'une ou l'autre de ces deux types de démocratie (voter, manifester, participer à une association ou militer en politique, pratiquer la désobéissance civile, etc.). Dans la première section de l'exposé, je vais m'intéresser à la distinction proposée par James Tully entre pratiques démocratiques restrictives et extensives. Cette distinction permet de penser la relation entre les deux démocraties en évitant la subsomption pure et simple de la démocratie contestataire dans la démocratie représentative sans pourtant les concevoir dans un rapport de stricte opposition. Dans la seconde section de l'exposé, je souhaite montrer comment cette distinction suppose elle-même une interprétation ‘robuste' de la démocratie représentative qui reconnaisse toute l'importance de ce que Bernard Manin appelle la dimension horizontale des rapports entre citoyens, indépendamment du pouvoir formel, laquelle affecte la relation verticale entre gouvernants et gouvernés. Une telle conception de la démocratie représentative implique, entre autres, une interprétation également ‘robuste' du droit d'association et de réunion pacifique.?
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Territorialité démocratique : la démocratie peut-elle être pensée en dehors d'une expérience commune du territoire?Geneviève Dick (UdeM - Université de Montréal)
Certain-es pensent la démocratie comme devant être fondée sur des valeurs communes sous-jacentes aux prises de décision, alors que d'autres la voient comme un processus décisionnel dont l'objectif est d'arriver à des points d'entente. Cependant, à un moment de l'histoire où l'hétérogénéité des communautés politiques ne cesse d'augmenter, et face à la nécessité de l'inclusion de conceptions historiquement écartées des débats, tout en évoluant dans un contexte écologique de plus en plus menacé, comment peut-on penser la démocratie comme fondée sur l'habitation d'un territoire qui nous est commun?
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L'action politique à l'extérieur des institutions : la démocratie plus qu'une fois tous les quatre ansMarianne Di Croce (Université d’Ottawa)
Dans les démocraties libérales, l'exercice du droit de vote est souvent considéré comme étant le geste démocratique par excellence. Au delà des élections, les espaces et les moments permettant une participation à la vie politique sont rares, voire inexistants ; nos institutions politiques n'étant pas constituées de sorte à accueillir l'action des citoyens et citoyennes. Dans une telle conception de la démocratie, les mouvements citoyens de contestation sont souvent considérés, en particulier par la classe dirigeante, comme un phénomène qui vient « déranger » la vie démocratique plutôt que comme l'expression légitime d'un pouvoir politique citoyen et comme une contribution active au vivre ensemble.
En s'inspirant notamment de la pensée de Hannah Arendt, on tentera ici de montrer en quoi l'exercice de l'action politique à l'extérieur des institutions – parole dans l'espace public, mouvements sociaux, désobéissance civile, etc. – constitue un élément vital pour la démocratie et la préservation d'une véritable liberté politique. -
Qui mène le jeu dans la lutte contre les problèmes environnementaux? Le citoyen et la démocratie, ou le marché?Sébastien Carton (HEC Montréal)
De nombreuses recherches ont été entreprises pour développer et ajuster des outils économiques afin de
résoudre les problèmes environnementaux à l'aide de mécanismes de marché. Le rôle de l'activisme
citoyen, et de la démocratie dans la résolution des problèmes environnementaux, a également été
évalué dans d'autres courants de recherche. Nous pouvons considérer qu'il existe plusieurs catégories
de leviers (démocratie, activisme, marchés) pour améliorer la performance environnementale des
nations, cependant, la comparaison de l'efficacité de ces catégories de leviers est encore une
thématique non explorée à ce jour. Notre recherche tentera de bâtir et d'appliquer une méthodologie
pour comparer quantitativement et empiriquement les efficacités respectives de ces catégories de
leviers, en utilisant une approche économétrique ainsi que des bases de données internationales.
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Discussion
Penser le mouvement en droit (Partie 1)
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Mouvances de l'idéologie dominante : d'Antonio Gramsci à la théorie du droit contemporaineViolaine Lemay (UdeM - Université de Montréal)
Après quelques remarques préalables au sujet du « droit » et de l'idée d'« immuabilité » qui lui est souvent associée, la communication explore les liens entre l'idéologie dominante chez Gramsci, le sens commun des sciences humaines et sociales, le pouvoir, le patriarcat et l'autorité législative/décisionnelle du gouvernant élu. Elle dégage ensuite les bases d'un modèle d'évolution du droit posé de l'État dans ses rapports de proximité ou de distance avec la pensée dominante, le tout notamment grâce à la sociologie du droit et à la l'analyse du droit canadien des femmes opérée par la juriste Michelle Boivin.
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La volatilité sémantique du concept de responsabilité criminelle à la lumière de la psychologie moraleUgo Gilbert Tremblay (UdeM - Université de Montréal)
Lorsque nous disons de quelqu'un qu'il est « responsable », la notion de responsabilité que nous utilisons est-elle cohérente, obéit-elle à une signification homogène, renvoie-t-elle à des critères fixes que l'on pourrait appliquer indifféremment à toute personne et dans n'importe quel contexte ? Plusieurs travaux récents en psychologie morale nous invitent à répondre négativement à toutes ces questions. Les frontières de la responsabilité, loin d'être inamovibles, loin de renvoyer à un espace de signification bien délimité, témoignent au contraire d'une étonnante labilité. Selon que l'on soit confronté à des scénarios formulés dans un langage abstrait ou concret, que les conséquences des gestes commis soient graves ou vénielles, ou encore que notre relation avec la personne à juger en soit une de proximité ou d'étrangeté, on observe en effet que nous n'appliquons pas la notion de responsabilité de la même façon. Une des hypothèses retenues actuellement pour interpréter cette instabilité consiste à soutenir que le contenu de la responsabilité varie essentiellement en fonction de facteurs émotionnels. Je voudrais pour ma part m'interroger sur les implications de ces recherches quant à notre compréhension du concept de responsabilité en droit criminel. Le principal enjeu de mon propos sera de proposer une définition fonctionnaliste de ce concept et de récuser la rhétorique descriptiviste qui l'enrobe couramment dans la doctrine juridique.
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Le faux mouvement du droit criminel en direction de la psychiatrieChristian Saint-Germain (UQAM - Université du Québec à Montréal)
L'apparente ouverture du droit à la psychiatrie dans l'aménagement de ses critères de véridicité n'est pas sans bénéfice. Elle lui permet de continuer à deviser sur les « états mentaux », de se saisir du sujet par la « conscience » plutôt que depuis l'ordre social en mutation ou l'état des institutions qui le produisent. Utiliser l'expertise psychiatrique pour évaluer la capacité d'un accusé de former une intention ou d'avoir agi volontairement ou involontairement permet au droit criminel de prendre congé non seulement du travail d'élucidation requis par son usage ordinaire des termes relatifs à l'imputation, mais encore de l'évolution des conceptions de l'esprit dans l'histoire de la responsabilité pénale. Feignant de retrouver dans l'évaluation psychiatrique des comportements des éléments de ses présupposés moraux depuis le dualisme corps-esprit, le droit criminel a toujours été fasciné par cette branche la plus conjecturale de la médecine. Nostalgie pour l'astrologie judiciaire ? Fausse reconnaissance au plan épistémologique, mais surtout « affinité élective » avec son propre dispositif d'appréciation des conduites. Ancillaire à l'origine, le discours psychiatrique exerce désormais sur le droit criminel sa « légalité occulte » depuis son semblant d'objectivité. Nous interrogerons ce renversement discret et ses conséquences dialectiques.
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Walter Benjamin : droit, mythe et destinOlivier Dorais (UdeM - Université de Montréal)
La critique du droit que l'on retrouve chez Benjamin (1892-1940) se situe dans le prolongement de ses réflexions sur les questions du mythe et du destin. Ainsi, nous voudrions tenter d'éclairer cette critique de la violence du droit à partir de ses travaux sur la tragédie antique (ceux-ci s'entremêlant d'ailleurs déjà au domaine du juridique). À la suite de l'héroïsme tragique qui brise le cercle clos du destin qui condamne au malheur, Benjamin oriente sa pensée du droit sur son interruption. Le mouvement du droit n'est pas ici pensé comme souplesse bienfaisante, mais bien plutôt comme extension du domaine de la faute : rémanence des forces démoniques du destin sur la vie historique. Toutefois, la question du mythe n'est pas non plus sans ambiguïté chez Benjamin, et elle n'est pas non plus pensée de manière univoque. Nous espérons donc problématiser le traitement qu'il fait du droit à travers le prisme de son traitement plus riche et plus complexe du mythe.
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La nouvelle culture juridiqueMani Allamehzadeh (UdeM - Université de Montréal)
Le premier article du nouveau Code de procédure civile qui oblige les parties à considérer les modes privés de règlement des différends avant de s'adresser aux tribunaux, s'inscrit dans une volonté du législateur québécois d'insuffler un vent de changement dans la culture juridique des praticiens du droit civil. Quels sont les tenants et aboutissants de ce changement de paradigme? Que signifie-t-il réellement?
Épistémologiquement, l'anthropologie juridique est l'une des branches des sciences humaines qui s'intéresse à la culture juridique. Au-delà de l'application du structuralisme Lévi-Straussien, il convient de s'appuyer sur une méthodologie qui prend en compte la nature évolutive ou changeante de cette transition voulue de la culture juridique, à l'instar de l'anthropologie « dynamique » du Droit d'Étienne Le Roy. Ce faisant, nous classons les modes de règlement des différends en quatre ordonnancements : l'ordre accepté (transaction), négocié (médiation), imposé (système judiciaire) et contesté (violence). Ensuite, nous allons mettre de l'avant un modèle conceptuel comme expression de la relation entre les différentes procédures. Appliquée au contexte du premier article du Code de procédure civile, cette approche nous permettra de mettre en exergue la dialectique entre le mode judiciaire et les modes privés de règlement des différends et ainsi expliquer ce en quoi consiste ce changement de la culture juridique.
Réception et postérité des Lumières kantiennes
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Autonomie, raison critique et émancipation : la réappropriation critique du projet des Lumières kantiennes dans la théorie critique de l'École de FrancfortEmmanuel Chaput (UdeM - Université de Montréal)
Parmi ceux de la deuxième génération de l'École de Francfort, Habermas semble inscrire son projet d'une éthique de la discussion, du moins dans une certaine mesure, dans le prolongement des Lumières kantiennes qui commandaient déjà « l'usage public de notre raison ». L'influence de ces Lumières kantiennes sur les auteurs de la première génération de l'école de Francfort, tel Adorno ou Horkheimer, est cependant moins reconnue. Bien au contraire, leur Dialektik der Aufklärung constitue une attaque en règle contre la civilisation des Lumières et ses errements au XXe siècle. Il est cependant important de saisir qu'une telle critique n'est pas faite initialement dans une perspective irrationaliste, mais en partant des motifs au cœur même des Lumières (l'autonomie, la pensée critique, etc.). Si les Lumières trahissent leurs propres valeurs, c'est toujours au nom de celles-ci que la critique des Lumières opère. À ce titre, la Dialektik der Aufklärung se réapproprie le motif de la première critique kantienne. Notre présentation s'attardera ainsi particulièrement à l'influence souterraine qu'ont pu exercer les Lumières kantiennes sur les premiers penseurs de la Théorie critique, Horkheimer et, plus particulièrement, Adorno.
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« À la croisée des chemins de la finitude et de l'infinité » : de la réception heideggérienne du problème de l'imagination chez Kant et HegelOlivier Huot-Beaulieu (Cégep Édouard-Montpetit)
Au tournant des années trente, alors qu'il voue l'essentiel de ses efforts à une élucidation du thème de la finitude humaine, Heidegger est inévitablement appelé à entrer en dialogue avec Kant, qui l'a précédé sur ce terrain. Le Kantbuch propose ainsi une interprétation originale de la déduction transcendantale, interprétation dans le cadre de laquelle l'imagination transcendantale se voit attribuer un rôle insigne. En tant que siège de l'« unité originaire et non composée de la réceptivité et de la spontanéité », il lui revient en effet d'agir à titre de fondement originaire de la transcendance. Or n'a-t-on pas tout compte fait affaire à une nouvelle tentative d'identifier la « racine commune, mais inconnue de nous » des « souches de la connaissance humaine » ? Heidegger ne se prête-t-il pas ainsi à une répétition du projet de l'idéalisme allemand, ce qu'il admet d'ailleurs partiellement en soulignant qu'il aurait pu « recopier son propos sur l'imagination de Hegel » ? D'aucune façon, soutient-il. Contre toute apparence, Heidegger désigne plutôt son interprétation du statut et du rôle de l'imagination comme le « lieu où la plus vive opposition devient claire et où le champ de [son] explication [avec Hegel et l'idéalisme allemand] se détermine ». Il s'agira donc pour nous de prendre la mesure de ce différend.
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Freud, un fils fidèle des Lumières?Adam Westra (Musée des beaux-arts de Montréal)
Freud se décrivait comme un « destructeur d'illusions » ; un athée militant, sa mission était de faire en sorte que la vision du monde (Weltanschauung) propre à la religion soit définitivement vaincue et remplacée par celle de la science. En soumettant la religion, nonobstant son autorité traditionnelle, à une rigoureuse critique, Freud se présente, selon le célèbre historien des idées Peter Gay, comme le « fils fidèle des Lumières ». Cette communication se propose d'examiner cette thèse, avec une attention particulière aux rapports entre Freud et un autre grand « destructeur d'illusions » des Lumières, Kant. Nous verrons qu'il existe une forte parenté intellectuelle entre les deux penseurs, mais que l'athéisme radical de Freud donne lieu à des différends importants, voire des antagonismes avec Kant. D'un côté, Freud fait dans l'Avenir d'une illusion (1927) une critique épistémologique des dogmes religieux qui peut effectivement être qualifiée de rigoureusement kantienne. De l'autre, alors que Kant admettait une fonction éthique pour la religion « dans les limites de la simple raison », Freud lui refuse catégoriquement toute validité dans ce domaine. Qui plus est, Freud insinue que même la philosophie kantienne serait encore prisonnière de certaines superstitions et illusions dérivées de la pensée religieuse. En un mot, Freud s'avère bel et bien le fils des Lumières, mais sa fidélité reste litigieuse.
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Les femmes peuvent-elles penser par elles-mêmes? Un dialogue entre Wollstonecraft et Kant sur la place des femmes dans les LumièresCharlotte Sabourin (Université McGill)
La Défense des droits de la femme (1792) de Mary Wollstonecraft constitue sans contredit une contribution majeure à la pensée féministe. L'œuvre prend pour point de départ un triste constat : celui de l'infériorité bien réelle des femmes. Cependant, bien loin d'attribuer cette infériorité à des causes naturelles, Wollstonecraft l'explique plutôt par les conditions sociales et politiques de son époque – et en particulier par le fait qu'on refuse d'accorder aux femmes la même éducation qu'aux hommes. Les femmes sont en effet des êtres raisonnables à part entière, tout comme les hommes, et devraient à ce titre bénéficier de la même éducation qu'eux. Par ailleurs, il est clair, pour Wollstonecraft, que le progrès de l'espèce humaine tout entière sera compromis tant et aussi longtemps que la moitié de l'humanité en sera exclue. Nous montrerons en un premier temps de quelle façon l'œuvre de Wollstonecraft s'inscrit dans la mouvance des Lumières. Sa pensée sera ensuite mise en dialogue avec la conception kantienne des Lumières, avec laquelle on a de bonnes raisons de croire que Wollstonecraft était familière. Nous chercherons ainsi à jeter la lumière sur une question à laquelle Kant n'a jamais répondu : à savoir, quelle est la place des femmes dans les Lumières ?
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Discussion
Moralité et contingence (partie 4)
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Scanlon et le fondamentalisme des raisons face au défi épistémologiqueFélix Aubé Beaudoin (Université Laval), Patrick TURMEL (Université Laval)
Dans Being realistic about reasons, Scanlon défend le fondamentalisme des raisons contre des critiques souvent adressées aux théories métaéthiques réalistes. Nous soutiendrons qu'il omet de relever un défi épistémologique important, ce qui sème un doute sur la justification d'une thèse qu'il défend, à savoir que la méthode de l'équilibre réfléchi nous permet de découvrir nos raisons d'agir.
Scanlon estime que les mathématiques et l'éthique sont, comme la science, des domaines “basiques”. Pour découvrir les vérités en ces domaines, il faut réfléchir de la bonne façon. Cela suppose 1) de fournir une description générale de chaque domaine en des termes qui lui sont propres et 2) d'appliquer la méthode de l'équilibre réfléchi.
Quel(s) critère(s) permet(tent) de déterminer si un domaine est basique? Pourquoi les mathématiques et l'éthique plutôt que l'astrologie et la théologie? Selon nous, il faut notamment établir la fiabilité de nos croyances. Les versions évolutionnistes du « défi de la fiabilité » ont fait couler beaucoup d'encre. Or il s'agit d'un point où l'analogie entre les mathématiques et l'éthique, sur laquelle s'appuie Scanlon, ne tient peut-être pas. Selon plusieurs, une explication de l'évolution de nos jugements mathématiques requiert que l'on postule l'existence de vérités mathématiques, ce qui n'est pas le cas pour l'éthique. Peut-on, dès lors, présumer d'emblée que « réfléchir de la bonne façon » nous permet de découvrir les vérités du domaine de l'éthique?
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Réalisme moral non naturaliste et concepts morauxDavid Rocheleau-Houle (York University)
Dans « The Moral Fixed Points : New Directions for Moral Nonnaturalism », Cuneo et Shafer-Landau proposent une manière innovante de défendre le réalisme moral non-naturaliste: il y aurait un ensemble de propositions morales qui seraient aussi des vérités conceptuelles. Cuneo et Shafer-Landau croient que cette nouvelle approche répond à une objection importante contre le non-naturalisme : le défi métaphysique que pose la survenance des propriétés morales sur les propriétés naturelles. D'après le problème de la survenance, les réalistes non-naturalistes doivent accepter qu'il y ait une relation nécessaire inexplicable entre deux types de propriétés métaphysiquement « déconnectées », les propriétés morales et les propriétés naturelles. Or, selon un principe humien, articulé entre autres par McPherson dans « Ethical Non-Naturalism and the Metaphysics of Supervenience », tout engagement envers une relation nécessaire inexplicable entre propriétés métaphysiquement déconnectées est problématique. À ce défi, Cuneo et Shafer-Landau répondent que cette relation nécessaire entre les propriétés morales et naturelles est expliquée par une relation nécessaire entre les concepts moraux et certaines propriétés naturelles. Je vais soutenir que la solution apportée par Cuneo et Shafer-Landau ne fonctionne pas : ils ne font que remplacer une relation nécessaire (entre propriétés) par une autre (entre concepts), sans donner une explication de cette relation nécessaire entre concepts.
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Qu'est-ce donc que le non-naturalisme moral?Samuel Dishaw (UdeM - Université de Montréal)
Il est quelque peu embarrassant que l'une des distinctions conceptuelles les plus en vogue en méta-éthique, celle qui sépare les variantes de naturalisme moral, d'une part, et de non-naturalisme, de l'autre, soit aussi peu débroussaillée, hormis quelques tentatives récentes de mieux la définir (Copp 2003, Cuneo 2007, Finlay 2007).
Dans cette présentation, je ferai valoir que cet oubli est peut-être pour le mieux : il n'y a en effet pas de critère plausible de ce qu'est une propriété naturelle qui nous donne raison de croire que les propriétés morales soient des propriétés non-naturelles. De fait, seule une caractérisation épistémique du critère est prometteuse, mais celle-ci s'applique difficilement au domaine éthique (par opposition aux mathématiques). La distinction naturel/non-naturel est donc mal choisie pour son rôle théorique.
Bien que la thèse puisse sembler provocatrice, je tenterai de démontrer qu'elle est compatible avec la grande majorité des théories dites « non-naturalistes ». Car hormis une révision terminologique, la seule position substantielle du non-naturalisme que je remets en question est la thèse selon laquelle des propositions éthiques sont connaissables strictement a priori. Après avoir passé en revue trois positions sur l'a priori dans l'épistémologie non-naturaliste (Wedgwood 2007, Enoch 2011 Scanlon 2014), je présenterai un court argument contre l'existence de connaissances morales strictement a priori.
En finir avec la division sexuelle du travail : l'androgynie institutionnelle comme réponse à l'injustice structurelle
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En finir avec la division sexuelle du travail : l'androgynie institutionnelle comme réponse à l'injustice structurelleNaïma Hamrouni (Université Laval)
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Discussion
Penser le mouvement en droit (partie 2)
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L'esthétique des fluctuations jurisprudentiellesCharles Tremblay Potvin (Université Laval)
En dépit des exigences formelles de cohérence et de prévisibilité du droit, nul ne saurait nier que l'ordre juridique est soumis à de multiples pressions matérielles qui le placent constamment au cœur des transformations sociales, si bien que cette tension entre le mouvement et l'inertie revient systématiquement dans les débats de théorie et de philosophie juridiques. L'école de l'exégèse du XIXe siècle avait superficiellement solutionné ce problème en statuant que l'initiative du changement revenait au législateur, alors que le juge devait assurer la stabilité du droit en appliquant les normes générales aux cas particuliers, mais on a tôt fait de critiquer ce « fétichisme de la loi écrite et codifiée » (F. Gény), qui réduit le rôle du juge à celui d'un technocrate devant incarner la « bouche de la loi » (Montesquieu), masquant ainsi son pouvoir créateur sous un voile de légitimité faussement démocratique. Décidément, c'est dans le cadre du processus juridictionnel que le statut du mouvement semble le plus controversé, et c'est apparemment pour cette raison que tout changement jurisprudentiel, même radical, s'accompagne d'une volonté de la part des juges d'inscrire leur décision dans la « cohérence narrative » du droit. À cet égard, l'œuvre de Ronald Dworkin offre une belle illustration des considérations esthétiques qui interviennent dans le cadre du jugement judiciaire et qui agissent autant en astreignant au respect des traditions que comme un fabuleux réservoir de créativité.
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Le jugement judiciaire selon Paul Ricœur : entre l'universel et l'historiqueRudolf Boutet (UdeM - Université de Montréal)
L'objectif de cette communication sera de montrer en quoi le jugement judiciaire est selon Paul Ricœur le produit d'une sagesse pratique exercée en milieu institutionnel. La vision anti-mécaniste de l'application du droit, que met en avant l'auteur des deux recueils Le Juste, sera explorée sous la loupe d'une dialectique entre l'universel et l'historique. Deux expressions de cette dialectique seront examinées. La première prendra la forme d'une tension entre le moment argumentatif de la délibération en cours lors d'un procès – solidaire d'une exigence d'universalisation du jugement judiciaire – et le moment interprétatif de cette délibération, lequel correspond à un processus de variation de sens sur l'état du droit. L'enjeu sera alors de montrer que si la fluctuation des normes représente pour le droit un risque de sombrer dans l'arbitraire, voire le discrétionnaire, elle est en même temps une condition de son application. La seconde facette de la dialectique universel/historique marquera le débordement du droit dans la sphère éthique du vouloir-vivre ensemble. Il s'agira alors de mettre en lumière la fonction politique du droit pénal selon Ricœur : la restauration du lien social. On verra ainsi, à la lumière de cette vocation restauratrice du droit, se nouer sur le jugement judiciaire l'universalité de la visée du bien en communauté et l'historicité des appréciations du « bien » constitutif de cette visée.
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Le procès comme lieu de résistance à la sédimentation du droitGuillaume Provencher (Université Laval)
Le procès est l'occasion pour un juge d'interpréter et de décider de la validité d'une norme à appliquer dans une situation réelle de conflit. Concrètement, faire le droit ne signifie pas autre chose. Le droit sourd dans le cadre du processus de règlement d'un contentieux ; dans le traitement judiciaire d'un cas particulier. La décision judiciaire qui en découlera ne concernera que les parties ayant eu l'occasion d'argumenter et de débattre à l'audience. N'ayant qu'une portée limitée, il faudra chaque fois recommencer le processus – le procès – afin de redéterminer la validité du droit. Cela est d'autant plus vrai qu'il n'est jamais question de vérité en droit. La thèse retenue est simplement plus adéquate dans la situation donnée. La décision judiciaire est toujours une question de choix, d'adhésion, de prépondérance des probabilités et de validité. Penser le droit par cas appelle au jugement pratique. Soyons de bons raisonneurs. Le droit se fait, se défait et se refait et quand il semble se répéter au point de ne plus changer, il faut voir cet immobilisme comme une forme de mouvement : faire le choix de ne pas bouger sans perdre la possibilité de le faire. Le procès assure le mouvement en droit par sa mise en scène singulière qui permet une réactualisation permanente du droit l'empêchant ainsi de se sédimenter et devenir une épave inamovible et surannée, un vestige sépulcral et cadavérique qui n'aurait dès lors d'intérêt que pour le nécrophile dogmatique.
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Réformes institutionnelles : quels paradoxes pour ces mouvements de rénovation du droit?Andrée-Anne Bolduc (UdeM - Université de Montréal)
Les réformes institutionnelles expriment souvent le mouvement temporel le plus drastique qui puisse s'exprimer par le droit. Elles constituent un important changement paradigmatique symbolisé par le passage d'un « avant » à un « après ». Elles se veulent cependant aussi la manifestation souvent évidente d'un immobilisme représentatif des milieux institutionnels et de leurs acteurs. Toutefois, même si lors de l'entrée en vigueur d'une telle réforme le droit semble changer de façon absolue à un moment bien précis et identifiable, le changement ne se produit pas seul. Les discussions préalables sur les possibles réformes jouent un rôle de passeur dans ce processus en faisant évoluer les idées réformatrices de façon incrémentale. Les réformes parlementaires et les amendements constitutionnels constituent quelques illustrations de ces paradoxes. Ces exemples démontrent à la fois la nécessité de faire bouger le droit pour l'adapter à un contexte social ou à des valeurs qui évoluent de façon plus souple, et l'exigence d'un haut niveau d'adaptation des structures existantes.
Notre communication s'intéressera à décrire le mouvement dans les processus de réforme institutionnelle et les paradoxes qu'il est possible d'y observer, de la rupture paradigmatique à l'immobilisme institutionnel, en passant par l'effet transitionnel des débats préparatoires. Elle portera finalement sur les conditions qui œuvrent à favoriser l'émergence de telles ruptures dans le droit public et constitutionnel.
Fluctuations démocratiques : les horizons alternatifs de la démocratie (Partie 2)
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L'entreprise démocratique : une autre voie vers la justice socialeHelene Landemore (Yale University)
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L'émancipation des habitants à travers leurs différences est-elle possible sans leur participation politique directe? Une tentative de réponse à Iris Marion YoungMargaux Ruellan (UdeM - Université de Montréal)
Iris Marion Young, pionnière de la réflexion philosophique politique sur la ville, affirmait que la ségrégation résidentielle et plus généralement les phénomènes de discriminations socio-spatiaux appelaient un idéal du vivre-ensemble-dans-la-différence plutôt qu'une théorie de l'intégration qui viserait un aplanissement des différences (1999). L'émancipation des habitants demanderait des institutions organisant l'autonomie locale des populations différenciées. Mais, selon Young, cette autonomie des habitants locaux est à nuancer parce qu'elle dépend exclusivement de l'élection de représentants des différents quartiers (ou arrondissements) qui siégeront à des niveaux supérieurs.
Comme on le voit, Young reste très réticente à l'idée d'une démocratie locale directe qui attribuerait des pouvoirs et des responsabilités politiques aux habitants, mais également à l'idée d'une autonomie des gouvernements locaux. L'objectif de cette présentation sera de montrer qu'un projet de justice territoriale antiségrégationniste, conçu dans les termes de la politique de la différence, ne peut pas faire l'économie d'une démocratie participative directe et d'une autonomie du local vis à vis des autres échelles politiques. La justice urbaine dépendrait donc de l'attribution d'un droit politique à la décision locale.
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Finance et propriété en démocratie républicaineGabriel Monette (UdeM - Université de Montréal)
La finance est l'une des institutions centrales de notre siècle. Elle est au cœur de la plus part des grandes luttes économiques, politiques et sociales de notre temps. Non seulement est-ce l'un des enjeu fondamental de l'élection présidentielle américaine à venir, mais elle fut aussi l'objet des critiques de l'un des mouvements de contestation politique le plus importants des dernières années : Occupy Wall Street. Celui-ci visait les grandes banques et institutions financières en affirmant que celles-ci participaient à éroder le pouvoir des États contemporains et minait les fondements mêmes des démocraties contemporaines en portant le pouvoir du capital sur le plan politique. Un enjeu qui a émergé quelques années après ce mouvement, mais était déjà depuis des décennies un problème global, est lui des paradis fiscaux. Les grandes banques et autres institutions financières globales permettent et facilitent le déplacement des capitaux en amont et en aval de ses législations. Cela participe encore à éroder la souveraineté fiscale des États et mine au même moment le pouvoir redistributif des États providences. Certains vont même jusqu'à affirmer que la fluidité des capitaux, dans un contexte où des États compétitionnent pour l'attirer, représente même peut-être le défi politique le plus important du XXIe siècle. Cette présentation aura comme objectif de montrer comment le défi lancé par la finance aux démocraties est fondé sur une conception particulière et problématique de la propriété.
Penser le racisme (Partie 1)
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Temps raciséAlia Al-Saji (Université McGill)
Cet essai s'appuie sur Peau noire, masques blancs de Frantz Fanon pour questionner les structures temporelles de l'expérience racisée, ce que j'appelle le temps racisé. J'analyse l'expérience racisée d'arriver « trop tard » dans un monde qui semble prédéterminé, ainsi que la distorsion du possible—la limitation de la variabilité ludique et imaginative—qui définit ce sens du retard. Je soutiens que la racialisation du passé joue un rôle structurant dans cette expérience. La racialisation n'est pas circonscrite au présent, mais colonise et reconfigure le passé, fragmentant le passé en une dualité de temporalités. Alors que le temps colonisateur et Blanc est conçu comme étant ouvert et progressiste, le temps des racisé-e-s est compris comme rétrograde, fermé et anachronique. Pour comprendre cette construction coloniale du passé, je me tourne vers la pensée décoloniale d'Aníbal Quijano. En conclusion, je propose une politique reconfigurée de la mémoire.
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Perspectives autochtones et racismeAnnie O'bomsawin-Bégin (Cégep de Saint-Jérôme)
Variations sur des thèmes kantiens (Partie 1)
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La liberté transcendantale kantienne : les enjeux de la troisième antinomie de la Critique de la raison pureSarah Gauthier-Duchesne (Université Laval)
Cela va pratiquement de soi, la liberté est au fondement de la philosophie morale de Kant et on ne saurait nier l'importance qu'elle y occupe. En effet, on ne peut ignorer une proposition aussi pesante que « la liberté […] forme la clef de voûte de tout l'édifice d'un système de la raison pure, y compris de la raison pratique » (Critique de la raison pratique, V, 3). Bien entendu, ce concept de liberté va évoluer tout au long des écrits kantiens. Nous nous intéressons toutefois au tout début du développement de ce concept de liberté, avant même l'entrée en jeu des écrits de Kant sur la philosophie pratique, c'est-à-dire tel qu'abordé dans la Critique de la raison pure. Nous nous proposons ainsi de nous pencher sur la troisième antinomie au cœur de laquelle se trouve le problème de la liberté transcendantale. Avant de pourvoir expliquer les enjeux autour de ce concept, si cher à Kant, de liberté, il nous paraît important de bien saisir son point de depart qui se trouve dans la Dialectique transcendantale.
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Libertés et contraintes : l'enjeu de la liberté dans la philosophie de Kant et de SpinozaDucakis Désinat (Université d’Ottawa)
Nous entendons définir la conception de la liberté chez Spinoza en montrant que contrairement à une idée reçue, le philosophe ménage une place à la liberté dans un système qui tend apparemment à l'affirmation d'un déterminisme absolu. Dans ces circonstances, nous entendons comparer cette conception de la liberté avec celle que l'on retrouve chez Kant dans la Critique de la raison pure, où la liberté se pose comme «la faculté de commencer de soi-même, un état dont la causalité n'est pas subordonnée à son tour, suivant la loi de la nature à une autre cause qui la détermine quant au temps libre-arbitre». Une liberté par opposition au nécessitarisme et au déterminisme. Notre première tâche consistera à lever le voile sur le concept de déterminisme chez Spinoza. Nous verrons que ce déterminisme est surtout une forme de nécessitarisme, c'est-à-dire que tout ce qui existe est nécessaire et obéit à une causalité naturelle. Il ne peut y avoir du hasard et de l'accidentel dans la nature. Ce nécessitarisme récuse la liberté comme le libre-arbitre ou volonté.
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La philosophie pratique de Friedrich-Albert Lange : une éthique à l'aune d'un kantisme naturaliséSamuel Descarreaux (Université d’Ottawa)
Dans l'Histoire du matérialisme, Friedrich A. Lange (1828-1875) dit de la philosophie pratique d'Emmanuel Kant « qu'elle est la partie véritable et éphémère de [sa] philosophie [...], quelque puissante influence qu'elle ait exercée sur ses contemporains. La place seule en est impérissable, non l'édifice que le maître y a construit ». Si le propos contredit Kant qui fait de la raison pratique « la clé de voute de l'édifice entier d'un système de la raison pure », il offre néanmoins un accès privilégié à la pensée de Lange : la valeur de la philosophie kantienne ne dérive point, selon lui, de la Critique de la raison pratique, mais réside plutôt dans la Critique de la raison pure. Si Lange souligne la valeur de l'échafaudage théorique, il n'en nie
pas pour autant la place véritable et impérissable du questionnement pratique. Il reconnait non seulement un besoin moral à l'être humain, mais aussi une nécessité à l'édification spirituelle de l'humanité. Au sein de la philosophie pratique de Lange réside une oscillation entre la nécessité de repenser la question pratique et l'impératif d'une réactualisation des thèses théoriques kantiennes. C'est cette tension que nous tâcherons de clarifier tout au long de notre présentation, d'abord en replaçant l'interrogation de Lange dans le contexte du XIXe siècle, puis dans celui son néo-kantisme naturalisé.
Penser le racisme (Partie 2)
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Penser les conditions républicaines de la réparation postcoloniale des injustices historiques : une utopie réaliste?Agnès Berthelot-Raffard (Université d’Ottawa)
Les citoyens issus de l'immigration postcoloniale française subissent des discriminations systémiques et une intersection des oppressions engendrées par un racisme d'État qui se perpétue sous la forme de pressions morales et sociales à leur encontre. Au nom des principes de l'universalisme républicain imposant une égalité formelle entre les citoyens, les demandes de reconnaissance sociale et de réparations des injustices coloniales peinent à être entendues dans l'espace public et politique. L'universalisme républicain est-il un paravent institué entre deux types citoyens ? Les réparations des injustices historiques remettent-elles vraiment en cause les valeurs et les fondements du modèle républicain ? Peuvent-elles passer par des mesures de discrimination positive ou est-ce insuffisant ?
En référence –entre autres- aux travaux de M. Bessonne, A. Renault, H. Benthouami-Molino, ces questions seront abordées après avoir présenté les citoyens concernés par ces demandes de réparations ainsi que l'état du débat hexagonal sur la justice réparatrice et la discrimination positive. Il sera évalué si l'on peut véritablement penser les conditions républicaines d'une réparation postcoloniale des injustices historiques ou s'il s'agit d'une utopie. Afin d'examiner si le modèle républicain est bien la cause des obstacles aux réparations, la situation des citoyens français issus de l'histoire coloniale sera mise en perspective avec celle des personnes autochtones du Québec.
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Anthony K. Appiah sur la color line de W.E.B. Du Bois : un angle de vue africain sur la problématique de la « race »?Delphine Abadie (UdeM - Université de Montréal)
Dans plusieurs écrits dont son livre "In my Father's House" (1992), Anthony Kwame Appiah oppose aux pères intellectuels du panafricanisme, notamment W.E.B. Du Bois, une critique fondationnelle. Selon le philosophe américain d'origine britano-ghanéenne, Du Bois aurait légué à la postérité un critère normatif problématique de la solidarité entre les peuples noirs de la terre, raciste car fondé sur l'acception essentialisée de la "race" telle qu'elle circule au tournant du XXe siècle.
Si elle continue de faire sourciller de nombreux afrocentristes et chercheurs en études afro-américaines, la radicalité apparente de cette thèse prend souche dans la banalité d'une riche "dispute" de la philosophie africaine au sujet de la pérennité de l'impensé raciste dans l'émergence d'une réflexion postcoloniale sur le continent. S'interrogeant spécifiquement sur les conditions d'apparition du discours philosophique sur l'"Afrique" (V.Y. Mudimbe), la majorité des philosophes africains contemporains se méfient aujourd'hui de la quête d'une identité décolonisée qui prendrait appui sur l'affirmation d'une différence qualitative de l'expérience noire (A. Mbembe, F. E. Boulaga, S.B. Diagne).
En remontant aux racines de l'influence qu'a exercée sur lui la philosophie africaine, nous montrerons l'ambiguïté de la réflexion d'Appiah sur la "color line" de Du Bois et de ses héritiers, en regard notamment de la pluralité de ses niveaux d'application, national, inter-national et cosmopolite.
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Leçons des opprimé.e.s NoirsMarie-Eveline Belinga (cégep Outaouais)
Ces derniers mois, des étudiants et étudiantes noires de plusieurs universités et collèges américains[1]ont mené des actions politiques afin d'être entendus sur la question du racisme à l'intérieur des institutions académiques américaines. Aux États-Unis, les étudiants et étudiantes noirs de 51 collèges ont exprimé leurs doléances face à un système institutionnel à l'intérieur duquel ils se sentent déconsidérés et « objectivés » en raison de leur « race ». Les étudiants et étudiantes noires réclament entre autres (dans 38 collèges) une plus grande diversité dans le corps professoral.
Ces revendications attirent mon attention en tant qu'universitaire et professeure de philosophie au collégial. Si elles ont une résonnance aussi importante, c'est en partie parce que je suis une femme noire qui pratique la philosophie dans une institution académique occidentale. Ces expériences et ces vécus particuliers des étudiants et étudiantes noirs qui ont été structurés de façon politique grâce à une mobilisation massive ne peuvent me laisser indifférente.
Qu'en est-il du Québec? Connaissons-nous les besoins et les préoccupations des étudiants et étudiantes des groupes minorisés au sein de nos milieux académiques ? Les départements de philosophie au Québec sont relativement homogènes en termes de représentativité « raciale » et de « genre ».
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Synthèse
Penser le mouvement en droit (Partie 3)
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L'évolution de la théorie générale des contrats : la mouvance de la notion de « contrat » et le chaos des normes en résultantMarie-Hélène Dufour (Université Laval)
Le développement des règles en matière contractuelle s'est fondé sur l'évolution de la conception du contrat et des notions liées. Longtemps empreint de la théorie pure de l'autonomie de la volonté et s'inscrivant dans la doctrine du libéralisme économique, le contrat était présumé juste et immuable. Puis, depuis quelques dizaines d'années, la justice contractuelle s'est déployée aux côtés de la liberté contractuelle, donnant lieu à un foisonnement d'interventions protectionnistes du législateur et des tribunaux, sans qu'un changement complet de paradigme ne s'opère. Le contrat, bien que reposant toujours sur l'échange des consentements lui conférant une force obligatoire, est appréhendé en fonction de la théorie néoclassique où dominent la moralité contractuelle et l'hypertrophie de la bonne foi. Nous constatons l'échec de cette théorie contractuelle, ne serait-ce qu'en raison de l'insécurité contractuelle et des incohérences qu'elle engendre.
La théorie générale des contrats doit poursuivre sa transformation et une remise en question épistémologique de la notion de « contrat » est requise. Et s'il était temps d'admettre le « mouvement » à l'intérieur même du contrat ? L'approche de la théorie relationnelle qui fait du contrat un instrument de projection de l'échange dans l'avenir, ouvert aux changements, plutôt qu'une emprise cristallisée sur le futur, nous semble regorger de promesses à cet égard.
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L'encadrement des modes de prévention et de règlement des différends en santé : un droit en dérive?Laure Bagliniere (UdeM - Université de Montréal)
Aujourd'hui on constate une constante augmentation de l'institutionnalisation des dispositifs juridiques prenant pour objet la médiation, l'arbitrage ou la conciliation. Le domaine de la santé est également touché par l'institutionnalisation de ces modes de prévention et de règlement des différends (PRD). Ce processus de pérennisation et d'officialisation de la norme est-il la solution ou n'est-il pas par nature antinomique avec l'idée de « mouvement » ? Actuellement, la problématique de l'insertion institutionnelle de ces dispositifs dans une société qu'ils reflètent mais qu'ils peuvent également modifier est une préoccupation constante. Elle induit le questionnement suivant : celui des rapports entretenus entre normes juridiques et normes sociales. Ce questionnement s'inscrit dans un débat qui n'est pas nouveau, celui de savoir si les règles de droit sont l'émanation du corps social ou si, à l'inverse, la modification de ces règles de droit engendre des changements sociétaux. Nous pensons les deux possibles et inscrivons notre communication au cœur de ce débat.
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Le mouvement de déjudiciarisation en droit civil québécoisAlexandra Pasca (Université McGill)
La récente réforme du Code de procédure civile du Québec (Cpc) s'inscrit dans un mouvement de déjudiciarisation qui vise à réduire l'intervention de la voie judiciaire traditionnelle en favorisant les modes alternatifs de règlement des conflits. Le nouveau Cpc changera-t-il réellement la pratique du droit ou risque-t-il d'accentuer davantage le problème de l'accès à la justice ? Ma présentation portera sur les effets de la déjudiciarisation en droit civil québécois, en particulier quant à la privatisation de la justice et la redéfinition du rôle des juristes dans la société contemporaine. Ma thèse est que la fonction symbolique de l'avocat et du juge – officiers et gardiens de la justice – s'est érodée au XXIe siècle, laissant place à des fonctions administrative et transactionnelle, qui trouvent écho notamment dans la culture populaire (littérature, cinéma, etc.) La culture populaire doit être comprise ici non seulement comme le miroir des valeurs de la société, mais également comme un véhicule de changement, puisqu'elle façonne notre perception du système judiciaire et de la profession juridique.
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Mot de clôture
Fluctuations démocratiques : les horizons alternatifs de la démocratie (Partie 3)
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La démocratie à l'ère néolibéraleSylvain Lajoie (UdeM - Université de Montréal)
Il est indéniable que l'idéologie capitaliste s'est imprégnée dans les mœurs, que son système économique a su se positionner comme étant le seul choix possible et que sa logique de marché a réussi à se répandre dans chaque aspect de nos vies. Pourtant, malgré son encrage profond, son hégémonie n'a jamais cessé d'être critiquée. Pour répondre à certaines de ces critiques et pour tenter de remédier aux tendances destructives du capitalisme laissant derrière elles d'énormes injustices, les politiques d'après-guerre cherchèrent à donner un côté plus humain au système qui venait de générer la Grande dépression. Une coexistence semblait alors possible entre la démocratie et le capitalisme. Mais cette paix au sein du capitalisme démocratique allait être troublée, et les tensions entre la démocratie et le capitalisme allaient de nouveau se sentir et s'aggraver avec l'avènement du néolibéralisme dans les années 70. Notre présentation tentera de soulever ces tensions entre le capitalisme et la démocratie, et la façon dont la justice du marché a su supplanter la justice sociale. Nous tenterons de mettre en évidence les différentes phases ayant mené à ce que Polanyi (1944) a nommé la société de marché tout en se demandant comment et si l'éthos d'une telle société peut évoluer vers quelque chose de plus juste, de plus humain. Un choix se dressera devant nous : démocratie ou capitalisme ; l'État pour le Staatsvolk ou pour le Marktvolk (Streeck, 2014) ?
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Pas de démocratie sans décroissance, pas de décroissance sans démocratieYves-Marie Abraham (HEC Montréal)
La quête de croissance économique dans laquelle sont embarquées nos sociétés est profondément anti- démocratique. Cette quête en effet n'est jamais qu'une exigence du capital. Mais la décroissance forcée qui s'annonce risque d'être encore plus anti-démocratique. Comment limiter ce risque ? Il faut tenter de s'engager sur la voie d'une décroissance soutenable, qui suppose une révolution démocratique. Pour ce faire, un travail de décolonisation de notre imaginaire s'avère nécessaire, tant le principe démocratique constitue pour nous un impossible.
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Entre démocratie directe et représentation : mandat délibératif, transparence démocratique et révocation comme dispositifs de contrôle populaire des élusJonathan Durand Folco (USP - Université Saint-Paul)
Bien que la démocratie directe et la représentation soient souvent présentées comme deux principes incompatibles, plusieurs régimes politiques combinent déjà divers mécanismes institutionnels (élections, référendums, initiatives populaires, etc.) afin de démocratiser le gouvernement représentatif par la participation citoyenne. En prenant l'exemple du conseil de quartier décisionnel, une innovation institutionnelle visant à démocratiser la ville par la décentralisation des pouvoirs vers des assemblées citoyennes, nous analyserons l'articulation entre la démocratie participative à l'échelle locale et le rôle des élus qui doivent faire un va-et-vient entre le quartier et le conseil municipal. Comment s'assurer que la délégation du pouvoir dans les mains des conseillers municipaux ne se transforme pas en une confiscation du pouvoir décisionnel qui viderait de sa substance la participation citoyenne? Pour garantir un réel contrôle populaire des élus et une redevabilité forte, nous proposerons trois dispositifs permettant de dépasser la dichotomie qui oppose mandat impératif et mandat représentatif : le mandat délibératif, la transparence démocratique et la révocation (recall).
Variations sur des thèmes kantiens (Partie 2)
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Nature, liberté et pensée politique : ramifications d'une antinomie kantienne chez Hannah ArendtAntoine Pageau St-Hilaire (Université d’Ottawa)
Les travaux sur le rapport de Hannah Arendt à Emmanuel Kant insistent souvent sur l'influence de la troisième Critique dans l'élaboration d'une théorie du jugement politique (Beiner, Hunziker, Norris, Riley, Rivera de Rosales). Or aussi décisive soit cette réappropriation, elle jette souvent un voile sur l'influence que Kant eût sur Arendt en amont de l'articulation du jugement politique, à savoir dans la formulation de sa phénoménologie de l'action. Nous proposons ici de retracer cette influence en observant comment le caractère antinomique du rapport entre nature et liberté dans la pensée kantienne structure la façon dont Arendt pense la condition humaine de natalité (en dépit d'une référence augustinienne soulignée par Widmaier), et, plus généralement, la tripartition de la vita activa dans The Human Condition. Nous essaierons ensuite de montrer que si la question de la liaison entre nature et liberté est encore pensable dans cet ouvrage fondateur par le biais de l'œuvre (work), la radicalisation de l'antinomie rend ce passage beaucoup moins aisé dans On Revolution, où la distinction entre le social et le politique – qui soutient son appréciation des révolutions américaine et française – devient si ferme que la réconciliation entre nature et liberté est rendue très problématique, sinon impossible. Nous tâcherons finalement de faire ressortir les questions que pose le problème d'un tel passage pour une phénoménologie politique comme veut l'être celle d'Arendt.
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La critique de la raison historique : Raymond Aron et l'héritage du néokantismeSophie Marcotte Chénard (University of Toronto)
Dans cette communication, nous examinons le rôle de la référence kantienne dans l'œuvre de Raymond Aron. Ce dernier développe une théorie du jugement politique qui puise à la source kantienne et fait appel à une "Idée de la Raison". Sa reprise de Kant a toutefois ceci de particulier qu'elle s'effectue à travers le prisme du néokantisme de Rickert, Dilthey et Weber. Ces philosophes ont développé ce qu'Aron nomme une « critique de la raison historique » qui vise à dégager les conditions d'une connaissance universelle de la culture par-delà le constat de la diversité historique des croyances, des modes d'être et des valeurs. Ce projet criticiste se pose en rupture avec l'hégélianisme, qui suppose un terme final de l'histoire, tout en se plaçant à la suite de la critique hégélienne du formalisme kantien. Dès lors, le néokantisme se voit traversé par une tension entre la reconnaissance de normes universellement valides et la prise en considération de la singularité historique. Nous montrerons que la philosophie aronienne tâche de résoudre, ou du moins de penser dans toute son ampleur, la signification de cette antinomie entre universalisme abstrait et relativisme historique en redéfinissant l'exercice de la raison. En examinant la relation d'Aron au néokantisme, nous tâcherons d'évaluer le statut de la référence à la "raison historique" : celle-ci parvient-elle à éviter les écueils de l'historicisme?
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Discussion
Assemblée générale annuelle de la Société de philosophie du Québec
États et fluctuations (Partie 1)
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De l'œil révulsé à la nouvelle optique : Nietzsche et la critique de la vérité comme valeurCorinne Lajoie (UdeM - Université de Montréal)
Le perspectivisme de Nietzsche, selon lequel l'ensemble du réel est le terrain d'un processus dynamique d'interprétation, refuse toute possibilité d'une connaissance en soi: nous percevons et connaissons plutôt toujours dans l'horizon de conditions d'existence historiques et contingentes. Il n'existe ni perspective unique qui puisse toutes les recouper, ni système pour les réconcilier et l'inquiétude de l'homme face au devenir nourrit les différents récits métaphysiques instanciés en vérités absolues. L'impermanence et la variabilité des interprétations frappent d'impossibilité l'idée d'un monde en soi derrière les apparences et soulèvent l'importante question de la nécessité et des conséquences épistémologiques, ontologiques et physiologiques d'une critique de la vérité unique comme valeur la plus haute. Il s'agit pour Nietzsche de faire la généalogie de nos croyances et tracer l'histoire de nos valeurs pour comprendre ce qu'elles ont signifié. Si la vérité doit être perspective, la nouvelle science exigera d'un penseur le courage d'une nouvelle vision, à la fois plus souple et plus agile que la vision paralysée privilégiée par des siècles de raisonnement erronnés. Nous croyons trouver dans la métaphore optique chez Nietzsche l'indice d'une réponse aux apories apparentes du perspectivisme et la possibilité d'envisager, malgré l'impermanence et la fluctuation des interprétations, une connaissance dynamique et positive du réel.
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Heidegger et Arendt en partant d'Aristote : fluctuations autour d'une définition de l'hommeAntoine Pageau St-Hilaire (Université d’Ottawa)
La tradition philosophique a longuement compris le mouvement à la lumière du repos, la mobilité à l'aune de la stabilité, le passager à la lumière du permanent. Même si Aristote est sans doute l'un des philosophes Anciens qui pensa avec le plus d'insistance le cours changeant des choses humaines, il faut reconnaître qu'il enracinait cette mobilité, ces fluctuations, sur un état plus originel, sur une définition de l'homme comme l'animal possédant le logos. Nous chercherons à déterminer au cours de cette communication comment Martin Heidegger et Hannah Arendt ont fait fluctuer cette définition par des interprétations mettant en valeur le primat de la mobilité et de la temporalité – de la fluctuation – de l'homme sur sa permanence ou sa nature – son état. Nous montrerons cette tendance lourde au fil des interprétations heideggerienne et arendtienne du logos aristotélicien et de la praxis à laquelle ce logos conduit.
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Allen Buchanan et l'autonomie intraétatiqueXavier Garneau (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières)
Cette communication porte sur la théorie morale du droit international d'Allen Buchanan. Le but principal de ma présentation sera la critique de ce qu'il a écrit sur l'autodétermination des minorités ethnoculturelles. Buchanan accorde un droit à l'autonomie territoriale seulement comme forme de réparation par rapport à des injustices faites envers les minorités ethnoculturelles. Cela fait en sorte qu'il reconnaît un droit à l'autodétermination seulement aux peuples indigènes parce qu'ils ont été victimes d'injustices dans le passé. Pour les minorités nationales, certaines conditions doivent être remplies pour qu'un droit à l'autonomie intraétatique leur soit reconnu. La première lacune de la théorie de Buchanan est qu'elle ne reconnaît aucun lien entre la nature des groupes ethnoculturels, les injustices faites à leur égard et leurs revendications particulières. De plus, il considère qu'il y a une différence de nature entre les minorités nationales et les peuples indigènes, alors qu'il s'agit plutôt d'une différence de degré. Le deuxième problème de sa théorie concerne les critères nettement insuffisants pour l'attribution de l'autonomie territoriale aux minorités ethnoculturelles. La présentation sera divisée en deux parties. Tout d'abord, j'expliquerai brièvement ce qu'est la théorie d'Allen Buchanan. Par la suite, je ferai la critique de sa théorie et je tenterai de proposer une condition supplémentaire pour le droit à l'autonomie intraétatique.
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Discussion
États et fluctuations (Partie 2)
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L'industrialisation de la science : pour une logique macrohistorique?Jean-Claude Simard (UQAR - Université du Québec à Rimouski)
L'histoire des sciences et l'histoire des techniques constituent deux disciplines autonomes dont les résultats ne se croisent guère. Pourtant, si l'on veut prendre au sérieux l'avènement de la technoscience au XXe siècle, l'on doit se résoudre à les considérer de concert. C'est ce que nous nous proposons de faire dans cette communication en nous penchant sur un aspect essentiel de la technoscience : son industrialisation. À quoi pourrait donc ressembler une histoire de l'industrialisation des grands domaines du savoir envisagée sur deux siècles et demi, c'est-à-dire depuis que le phénomène est apparu en physique, en chimie et, de nos jours, en biologie? C'est la question à laquelle, pour la première fois à notre connaissance, on essaie de répondre ici. Ce faisant, nous examinons quelques-uns des tenants et aboutissants essentiels de cette macro-histoire. Et curieusement, ce qui apparaît lorsqu'on déroule ainsi ce temps long, qui est aussi un temps lent, c'est l'existence de cycles à la fois séculaires et réguliers. Paradoxal tant pour l'histoire des sciences que pour celle des techniques, un tel résultat entraîne des conséquences importantes, qui invitent à revoir à cette aune quelques-uns des grands problèmes épistémologiques qui ont marqué le XXe siècle, en particulier l'unité de la science, la commensurabilité des théories scientifiques et le réductionnisme.
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Matérialisme et physicalisme contemporain : la matière dans tous ses étatsJean Robillard (TÉLUQ - Université du Québec)
Le matérialisme inspiré de l'épicurisme était fondé sur la notion d'atome en tant que corps ultime et indivisible, en nombre infini mais stable. Il proposait une conception philosophique où la matière est la forme première de tout, car composée d'atomes. Quels sont les liens de filiation entre ce matérialisme atomiste et le physicalisme actuel? Peut-on concevoir le matérialisme autrement que comme un physicalisme? Et qu'en est-il depuis l'avènement de la physique quantique, laquelle rejette tout atomisme? Ainsi, cette communication veut tenter de cerner les caractères propres du matérialisme dans son rapport au physicalisme actuel issu des théories physiques apparues au siècle dernier.
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Discussion
La parité dans les sciences humaines : perspectives historiques et critiques
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La sous-représentation des femmes en philosophie, la justice et l'action positiveNaïma Hamrouni (Université Laval)
Je soutiens dans cette intervention que la sous-représentation des femmes au sein du corps professoral des départements de philosophie universitaire pose non seulement un problème de justice distributive, mais également de justice participative, deux dimensions de la justice que le concept de discrimination structurelle permet d'intégrer. Dans un premier temps, je formulerai le concept de discrimination structurelle, qui se distingue des notions de discrimination directe, de discrimination systémique et de biais implicites de genre, et je présenterai les désavantages que cette forme de discrimination entraîne pour les femmes. Je poserai ensuite la question de savoir si l'action positive représente bien l'un des remèdes possibles à cette injustice. Après avoir examiné trois justifications normatives majeures de l'action positive (conçue comme un moyen (a) de réparer les injustices passées commises envers les femmes, (b) de neutraliser les effets persistants de la discrimination directe et indirecte, ou (c) de promouvoir la diversité épistémique), je soutiendrai que la justification morale de l'action positive mérite d'être repensée à l'aune de la conception structurelle de la discrimination.
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La non-parité et les injustices épistémiquesRyoa Chung (UdeM - Université de Montréal)
L'argument de la méritocratie au sein de l'institution universitaire est traversé de failles. En effet, la légitimité de la méritocratie repose fondamentalement sur l'égalité des chances. Or, à partir du moment où l'analyse de nos institutions sociales nous révèle l'ampleur des injustices politiques qui biaisent l'égalité des chances et façonnent les déterminants sociaux de l'éducation supérieure, il est très difficile de soutenir l'affirmation selon laquelle la représentation du corps professoral est le reflet d'un système neutre de mérites individuels. De plus, plus le corps professoral reconduit une forme d'homogénéité parmi ses représentants, plus il y a risque d'homogénéité épistémologique. Les injustices structurelles donnant lieu à des injustices épistémiques, force est de constater que la non-parité est une forme d'homogénéité problématique. L'université et la discipline académique de la philosophie devraient accueillir et célébrer des formes de parité dans l'hétérogénéité comme gages de pluralisme et de plus grande justice épistémique.
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La parité dans les manuels et les plans de cours : les cas de l'enseignement des inégalités dans l'emploi et des approches de comparaisons internationalesStéphane Moulin (UdeM - Université de Montréal)
Au département de sociologie de l'Université de Montréal, un comité intitulé « Femmes et sociologie » s'est formé en 2015 afin de travailler la question du manque de références aux auteures féminines dans les cours. En calculant les proportions d'auteures citées dans les plans de cours, le comité a identifié des sous-représentations importantes. À la suite de discussions organisées sous le thème la socio : une affaire d'hommes, les étudiantes de ce comité ont suscité la controverse au sein du département. Leur réflexion m'a conduit à m'interroger sur le nombre de références à des auteures dans mes enseignements. Si les auteures femmes sont très présentes dans mon cours et mon manuel sur les inégalités dans l'emploi, en revanche je me suis aperçu qu'elles étaient relativement peu citées dans les travaux de philosophie politique de la justice ou d'économie des inégalités et restaient peu présentes dans mon enseignement sur les comparaisons internationales. J'aimerais, à partir de ces deux exemples, discuter de deux facteurs qui concourent à la sous-représentation des auteures femmes dans les manuels et les plans de cours. La première est matérielle et tient à l'héritage de la division inégalitaire des emplois dans le monde académique. La seconde est symbolique et tient à la double tendance à valoriser les conceptualisations abstraites et à confiner les travaux des auteures femmes dans une perspective féministe critique de ces conceptualisations.
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La parité d'un point de vue juridiqueAurélie Lanctôt (Université McGill)
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Discussion
Facile la vie? Réflexions sur les origines du vivant
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Facile la vie? Réflexions sur les origines du vivantChristophe Malaterre (UQAM - Université du Québec à Montréal)
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Discussion