La répartition du monde en Orient et en Occident, qui a persisté depuis le Moyen-Âge au moins jusqu’à la fin de la première moitié du 20e siècle, n’est plus à l’ordre du jour quand toute la planète mange américain, qu’un Arabe est féru de cinéma indien et qu’un membre de la Communauté européenne lit des auteurs de l’Asie de l’Est. Les littératures et les médias du monde participent à la création de nouveaux imaginaires de la figure du réfugié à une époque où l’Histoire semble s’écrire au présent et à la vitesse des frontières inamovibles ou franchies dans la clandestinité. L’enjeu des droits des individus est au cœur de l’actualité du refuge : par exemple, la photographie d’Alan Kurdi associée à une médiatisation massive a engendré la diffusion de nombreux récits relatifs à la situation des réfugiés. Dans un tel cas, les images de l’enfance et de la jeunesse innocente, ou encore la vidéo hypermédiatisée de la journaliste hongroise Petra Laszlo agressant un réfugié qui porte un enfant au moment de franchir la frontière, sont des représentations du temps présent.
Depuis plus d’un demi-siècle, la mondialisation ne cesse de greffer la culture de l’autre en nous et réciproquement; certaines différences sont renforcées et d’autres sont éliminées formant ainsi des images contrastées. Par exemple, la réception actuelle des voyages d’un Marco Polo ou des tableaux d’un Delacroix par les originaires des cultures représentées s’apparentent en étrangeté aux voyages interplanétaires vers Mars qui occupent autant de place dans les médias que les déplacements des réfugiés. Le postorientalisme du 21e siècle, que les travaux d’Édouard Saïd ont annoncé, accentue une déterritorialisation des imaginaires sous la forme de contre-systèmes discursifs qui contestent les représentations hypermédiatisées du réfugié. Il s'agit de repenser la configuration narrative des récits de migration tout en mettant à l’ordre du jour l’évolution de la représentation de la figure du réfugié. Ce changement de regard nous engage dans une zone de tension faite d’images du réfugié en tant qu’individu, singularisé et pointé du doigt, mais aussi il présente enfin le réfugié à titre de représentant d’une communauté plurielle et indiscernable. À ce sujet, Benedict Anderson recourt à la notion de « communauté imaginaire » pour désigner la figuration de l’individu par rapport à son appartenance culturelle et l’ensemble de représentations totalisantes qui constituent son image.
L’actuelle crise des réfugiés donne lieu à une myriade d’images qui attire écrivains, photographes, caricaturistes et cinéastes pour marquer des moments-chocs de l’expérience de l’asile autour du monde. Nous nous intéressons à la manière dont la littérature, les arts et les médias captent les images des réfugiés et de leurs droits, respectés ou violés, et les figurent ou les transfigurent.