Informations générales
Événement : 83e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 600 - Colloques multisectoriels
Description :Si le statut du psychotrope, tel le pharmakon, se caractérise intemporellement par une ambiguïté entre remède et poison, thérapie et plaisir, un ensemble de nouvelles pratiques bouleverse la typologie des usages des psychotropes prévalant (médical/non médical, traitement/prévention/amélioration). Les psychotropes apparaissent de nos jours comme à la fois révélateurs de nouvelles normativités et catalyseurs de nouvelles socialités et identités. Au-delà du « pharmacocentrisme » et de l’approche épidémiologique dominante, ce colloque se propose d’étudier la consommation contemporaine de psychotropes comme une pratique socioculturelle significative.
1) Logiques de contrôle et normativités : entre usages licites et illicites
Cet axe s’intéresse aux normativités et aux logiques de contrôle qui visent à réguler les pratiques d’usages. Quelles logiques de contrôle prévalent, selon quels psychotropes? Quels enjeux sociopolitiques sous-tendent la classification légale des psychotropes? Comment les logiques de pathologisation/pharmaceuticalisation et de criminalisation/moralisation s’articulent-elles? Enfin, au nom de quelles valeurs et selon quelles normes la régulation des usages contemporains des psychotropes et leur consommation s’opèrent-elle et avec quels effets?
2) Cultures/sous-cultures/identités
Cet axe concerne les dynamiques culturelles et identitaires des pratiques contemporaines d’usages de psychotropes. Si elles sont depuis de nombreuses années sorties de la contre-culture pour mieux épouser les contours de la culture dominante (performance, consumérisme, autorégulation), les psychotropes demeurent au centre de dynamiques sous-culturelles, encadrés par un ensemble de rituels qu’il s’agit de mettre au jour afin d’appréhender les socialités sous-jacentes aux nouveaux usages du psychotrope (biosocialité). Il s’agira enfin d’aborder les nouvelles identités qui se forment autour de ces pratiques, entre addiction et plaisir, ou encore entre résistance et conformité.
- Johanne Collin (UdeM - Université de Montréal)
- Caroline Robitaille (UdeM - Université de Montréal)
- Fany Guis (UdeM - Université de Montréal)
- Marie-Élaine Dontigny Morin (UdeM - Université de Montréal)
Programme
Mot d'ouverture
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Mot d'ouvertureJohanne Collin (UdeM - Université de Montréal)
Conférence d'ouverture
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Initiés (insiders) : l'ardent désir de conformitéMarcelo Otero (UQAM - Université du Québec à Montréal)
La consommation accrue de médicaments de performance sociale (enfants, adultes, personnes âgées) mais surtout la croissante légitimité des usages adaptatifs de psychotropes invitent à revisiter les catégories traditionnelles avec lesquelles fonctionnalistes et interactionnistes ont tenté de saisir aussi bien les modes d'adaptation (et d'inadaptation) que les sanctions sociales des écarts à la norme. Si l'une des définitions traditionnelles de la déviance désignait le défaut d'obéissance (supposé ou réel) aux normes instituées par un groupe, doit-on penser, à la lumière de ces cas de figure, à mobiliser des catégories de la déviance caractérisées par la sur-obéissance ou encore par l'hyper responsabilité, et ce, au-delà des ritualismes longuement étudiés ? Et si les différentes théories de la déviance étaient carrément inadéquates pour caractériser les écarts normatifs (problématiques ou non) dans les sociétés contemporaines marquées par le singularisme ? Devrait-on, à la place, avoir recours de plus en plus à des oxymorons mi-sociologiques mi-éthiques pour saisir, non plus les écarts, mais plutôt les modulations normatives contemporaines telles que, par exemple, l'«innovation conformiste» ou encore la pratique du «bon dopage» ?
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Pause
Contrôle et normativité : performance, psychotropes et intégration
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Psychotropes et immigration : une recherche ethnographique sur la souffrance sociale et psychiqueAnnamaria Fantauzzi (Université de Turin)
Dans cette communication je présenterai les résultats d'une recherche ethnographique menée dans un dispositif commun à Paris, où on prend en charge des immigrés malades mentaux. Il s'agit du Centre Philippe Paumelle, qui accueille la plupart des immigrés de la zone ayant des troubles mentaux ou une condition sociale pénible. À partir des principes de l'anthropologie médicale et de l'ethnopsychiatrie, à travers une application des catégories socioculturelles proposées en particulier par T. Nathan et G. Devereux, j'analyse, d'une partie, la dynamique de la prescription de psychotropes à ce type de malades (normalement de première génération et provenant de l'Afrique subsaharienne), qui quelquefois semblent «jouer » avec la maladie, c'est-à-dire que d'être dépendants du médicament les autorise à rester à Paris, en Europe, puisque dans le village d'où proviennent il n'y aurait aucune possibilité d'avoir ce pharmakon. D'une autre partie, j'analyse la dépendance aux psychotropes pour les malades mentaux immigrés ne pouvant plus vivre sans le médicament, qui donne une raison d'oublier sa propre souffrance psychique issue d'une souffrance sociale. Le psychotrope devient donc une aide contre la solitude et la réélaboration du trauma de la migration, et un refuge qui offre un soutien dans le pays d'accueil. Je présenterai aussi les entretiens faits avec les malades et les points de vue de médecins et infirmiers qui travaillent avec eux, dans la structure examinée.
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Psychotropes et performanceFrédéric Legault (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Actuellement considérées comme les plus puissants stimulants de l'activité cérébrale, les amphétamines et leurs dérivés sont parmi les psychotropes de performance les plus consommés sur le marché et génèrent aujourd'hui d'importants débats dans les cercles médicaux, universitaires et de santé publique.
Mais que peut-on comprendre de la diffusion de ce phénomène à l'échelle sociale? Selon quels motifs un individu consent-il à modifier son comportement à l'aide de substances chimiques? D'où vient le besoin d'améliorer ses facultés intellectuelles? L'intention de cette présentation sera d'alimenter la réflexion sociologique autour des incitatifs sociaux à la consommation d'amphétamines par le biais de trois arguments principaux.
Tout d'abord, le recours non-médical aux dérivés amphétaminiques sera présenté comme pouvant s'inscrire dans une métamorphose de la perception de la santé, c'est-à-dire autour d'une logique de pathologisation/médicalisation des états vagues de fatigue (Canguilhem, 1943; Conrad, 2007). Ensuite, le recours aux amphétamines sera présenté comme étant compatible avec un système normatif qui conçoit l'individu comme capable de s'adapter à toutes situations en faisant appel à son initiative et à ses capacités individuelles (Martucelli, 2004). Finalement, il s'agira de pointer une convergence socioéconomique forte entre les effets stimulants des amphétamines et les exigences de performance constante qui caractérisent la société occidentale contemporaine (Ehrenberg, 1991).
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Naviguer dans l'incertitude : les psychoactifs en milieu universitaire comme ouverture à une culture axée sur la performanceMarie-Élaine Dontigny Morin (UdeM - Université de Montréal)
La consommation de psychotropes à des fins de rehaussement du rendement académique, confinée à des analyses quantitatives, cliniques et athéoriques, est peu abordée en tant que fenêtre sur la société dans laquelle elle prend forme et ne peut, en conséquence, faire sens avec son contexte. Ainsi, nous avons actuellement accès à une compréhension strictement individuelle du phénomène conduisant à l'émergence d'une logique moralisatrice vis-à-vis des consommateurs-toxicomanes, intrinsèquement problématiques, plutôt qu'à l'analyse du cognitive enhancement comme pratique socio-culturelle significative.
Un bref retour sur l'histoire de la psychiatrie et celle des psychostimulants permet, dans un premier temps, de mettre en perspective le paradigme d'interprétation du soi en des termes neurologiques, étroitement lié à la perception des psychotropes comme solution par défaut aux épreuves de la vie.
Ce bref recul est ensuite combiné à une revue de l'état du marché du travail occidental contemporain, plus spécifiquement en rapport avec les étudiants de l'Université de Montréal dont le passage des études au travail est généralement incertain (i.e. les sciences humaines/sociales, les arts et les sciences naturelles/fondamentales).
Dans le cadre d'un individualisme solidement établi, la montée des incertitudes s'unit dans une dynamique bidirectionnelle au culte de la performance pour exacerber une solitude et une détresse communément observées chez les étudiants universitaires contemporains.
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Dîner
Contrôle et normativité : la réduction des méfaits en question
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Sites d'injection supervisée et philosophie de réduction des méfaits : Insite comme lieu de manifestation et de reconduction de la normativité sociale contemporaineJonathan Glendenning (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Implanté en 2003 dans le quartier défavorisé du Downtown Eastside à Vancouver le site d'injection supervisé Insite est destiné à une population d'utilisateurs de drogues injectables (UDI). Se réclamant de la philosophie de réduction des méfaits ce site permet à ses usagers de s'injecter légalement leurs drogues dans un espace sécuritaire, hygiénique et supervisé.
Cette communication analyse la tension licite/illicite qu'aménage Insite. Elle démontre qu'Insite est un lieu où se manifestent et s'affrontent une culture médicale de l'usage (responsable et sécuritaire) et une culture de l'usage de « rue » (irresponsable et dangereuse). Le monde social propre aux UDI, avec ses normes, ses stratégies de survie et son environnement pose « problème » pour la santé et la sécurité publique. Ce problème est endigué par l'implantation d'un lieu alternatif de consommation et d'interactions sociales. Cet « espace disciplinaire » avec ses règles, ses protocoles et ses interactions obligées avec des « agents de la normalité sociale » favorise l'adoption par ses usagers d'une routine d'injection sécuritaire et d'une forme d'individualité sociale caractérisée par les injonctions d'autonomie et de responsabilité individuelle.
Le matériau sur lequel s'appuie cette présentation est composé des articles scientifiques publiés dans le cadre de l'évaluation officielle d'Insite nommée Scientific Evaluation of Supervised Injecting et des rapports officiels produits par et pour le site.
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Quel est le problème avec la cigarette électronique?Fany Guis (UdeM - Université de Montréal)
L'usage de cigarettes électroniques se développe rapidement au Canada sur fond de flou juridique, que ce soit en ligne ou à travers l'ouverture de commerces spécialisés. Son marché mondial est estimé à 3 milliards de dollars et ses ventes pourraient être multipliées par 17 à l'horizon 2030 (OMS, 2013), allant jusqu'à dépasser celles de cigarettes classiques. Ce développement exponentiel de la cigarette électronique soulève dès lors un débat dans l'espace public et des appels à la règlementation d'une telle pratique se font entendre.
Pur produit de la guerre contre le tabac menée depuis une trentaine d'année, le statut de la cigarette électronique entre drogue et médicament, pose problème. Ce nouveau mode de consommation de nicotine apparait en effet emblématique d'un déplacement des frontières entre usage médical et usage récréatif des substances psychotropes dans le cadre d'une conception de la santé biomédicalisée (Clarke et al., 2003; 2010). Faisant prévaloir une application stricte du principe de précaution, les autorités canadiennes semblent s'orienter vers une régulation de la CE comme un produit du tabac plus que comme un médicament (comme c'est le cas par exemple au Royaume-Uni), rejetant ainsi son potentiel de réduction des méfaits en matière de tabagisme. Cette communication se propose ainsi d'interroger les principaux enjeux du débat contemporain autour de la régulation de cette pratique au Canada et les logiques qui y président.
Culture et identité en construction : drogues illicites et pratiques en marge
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Intériorisation des pulsions et psychotropes : la difficile gestion de la violence et de l'agressivité dans l'intervention de rue en toxicomanieRomain Paumier (UQAM - Université du Québec à Montréal)
À partir d'une enquête par entretiens non-directifs auprès d'une vingtaine d'intervenant-es communautaires en toxicomanie de la région montréalaise, cette communication analyse les expériences et les pratiques d'intervention sous l'angle de la gestion et de l'anticipation des effets attendus chez les usagers de psychotropes selon les catégories de produits consommés.
Les produits et substances ne possèdent pas tous solide réputation auprès des professionnel-es de l'intervention. Une différenciation de l'usage du psychotrope s'opère, qui s'inscrit dans deux figures principales de consommateurs. Chacune rattachée à des catégories de produits et à des conséquences physiologiques et émotionnelles propres : le léthargique et l'agressif.
D'une part l'héroïnomane, consommant une drogue provoquant un certain apaisement, est ainsi souvent préféré par les intervenant-es au cocaïnomane et au consommateur de ses dérivés et variantes, pour son instabilité comportementale, les éclats qu'il provoque et la tension qu'il installe au sein des structures et configurations de rue, une fois qu'il est sous emprise. Si ces deux figures correspondent pour beaucoup à une certaine dualité classique du drogué, je montrerai en quoi cette dichotomie constitue le premier seuil de réhabilitation auquel l'usager de psychotropes doit se conformer avant d'être considéré comme étant capable d'autonomie.?
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Les médicaments de substitution hors prescriptionMarie Dos Santos (Université de Strasbourg France)
Dans cette communication, nous souhaitons nous intéresser au discours des personnes qui nous ont affirmé avoir commencé leur traitement en dehors des centres de soin, en achetant le Subutex® ou la méthadone dans la rue.
Nous chercherons à comprendre le sens que ces « usages profanes » peuvent revêtir. Entre « mésusages thérapeutiques » (Langlois) et usages récréatifs, certains usagers sont à la recherche d'effets psychoactifs, tandis que pour d'autres il s'agit de combler le manque ou de reprendre le contrôle sur leur consommation.
L'usage du médicament est incorporé au mode de vie de l'usager ; l'achat dans la rue correspond aux diverses modalités du trafic auquel l'usager est habitué et il s'inscrit en lien avec un réseau d'interconnaissance, dont il connaît les codes et les pratiques.
Certains rejettent de manière explicite les hétéro-contrôles exercés par le corps médical sur leur consommation, le TSO étant considéré comme « outil du contrôle social ». La disponibilité de ce traitement sur le marché noir le rend accessible à des personnes encore éloignées du soin, mais suscite toutefois de nombreux questionnements éthiques.
Enfin, nous verrons les raisons qui poussent ces mêmes personnes à franchir les portes d'un centre pour « régulariser » leur traitement, et nous analyserons l'impact que cette première expérience de la substitution peut avoir sur la relation avec le médecin prescripteur.
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Pause
Culture et identité en construction : des drogues de rues aux communautés Internet
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Lieux virtuels de socialisation et pratiques liées à l'usage des psychostimulants : un nouveau terrain à explorerCaroline Robitaille (UdeM - Université de Montréal)
Une forte tendance se révèle quant à la consommation croissante de psychostimulants à des fins autres que médicales dans les sociétés nord-américaines. Il apparaît que l'usage non-médical de ces substances traverse l'ensemble des sphères sociales et que, pour la majorité, cet usage semble être issu d'une planification stratégique afin d'améliorer la performance et non du besoin d'assouvir une dépendance. Ces constats sont contraires à l'image du consommateur toxicomane, souvent véhiculée par la santé publique, et remettent en question des interventions visant, ultimement, l'arrêt de tout usage sauf thérapeutique. Émerge alors une frontière floue entre un usage médical -légitime- et un usage récréatif -à proscrire- et soulève les questions suivantes : quelles logiques et dynamiques sociales sous-tendent ce phénomène ? Comment l'usage de psychostimulants contribue-t-il à modeler les identités contemporaines ?
Pour y répondre, il y a lieu d'explorer les pratiques actuelles en lien avec l'usage de ces substances. Le recours croissant à Internet comme lieu de partage et de socialisation en fait une ressource pertinente, voire incontournable, à exploiter afin d'atteindre cet objectif. La communication proposée présentera les résultats préliminaires d'une netnographie (adaptation de l'approche ethnographique au contexte virtuel) des pratiques contemporaines en lien avec l'usage des psychostimulants, ainsi que les enjeux qui entourent cette méthode.
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Drogues de rue : gestion des risques, stratégies de régulation, tactiques et savoir-faireMathieu Lovera (EGO-AURORE, EHESS)
Socialement disqualifiés, les usagers de drogues vivant dans la rue sont presque exclusivement dépeints sous des représentations alarmistes ou misérabilistes. L'idéologie anti-drogues, assortie de la loi de 1970, y est pour beaucoup, faisant de tout usager soit un malade, soit un délinquant. Comment des personnes qui semblent complètement dépendantes, donc sans autonomie, parviennent à faire face aux difficultés de la rue et aux risques liés à la consommation?
Le premier enseignement de cette recherche est qu'il existe un savoir chez ces personnes. Les usagers de drogues en contexte précaire développent des savoir-faire, des conduites singulières, et sont capables de produire du sens sur ces pratiques. Ce savoir expérientiel peut être partagé, transmis et confronté au savoir savant et technique.
Cette enquête expose également l'importance des sociabilités dans l'usage des drogues de rue. Même si des rapports de domination traversent presque toujours les situations de partage et d'entraide, les formes de solidarité organique entre les usagers de la rue permettent des échanges de savoirs et de compétences, et maintiennent les mécanismes de protection internes au groupe. Dans les systèmes de survie liés aux drogues de rue, les rétributions matérielles et symboliques des relations interpersonnelles sont déterminantes. Le groupe, la «paire» ou le couple se fabrique un système de valeurs, partage des références communes, des souvenirs et des projets.
Discussion synthèse et mot de clôture
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Discussion synthèse et mot de clôtureJohanne Collin (UdeM - Université de Montréal)