La médiation intellectuelle est une pratique philosophique et pédagogique émergente qui consiste à créer des situations égalitaires de réflexion collective et de partage de connaissances. Ces situations mettent en place des cadres de coconstruction de la pensée critique et de l’analyse sociale là où les conditions peuvent en inhiber l’exercice. Cette pratique, proposée et portée par l’organisation Exeko depuis 2006, présume de l’égalité des intelligences (Rancière,1987) et propose ainsi un changement des paradigmes dominants d’accessibilité aux savoirs. Elle répond au besoin universel de penser et d’être reconnu comme un être pensant. Elle consiste en un ensemble de stratégies qui facilitent l’appropriation et la création d’outils réflexifs en vue de favoriser l’émancipation intellectuelle des individus. Ces stratégies donnent un nouvel accès à des connaissances, des opérations conceptuelles, des espaces d’échange du savoir et des objets intellectuels.
Le rapport de recherche « Quand la prudence épistémique devient le buzzer du doute », effectué en collaboration avec Exeko, le Service aux collectivités de l’UQAM et le Laboratoire d’analyse cognitive de l’information (LANCI), a conclu que les compétences développées dans le cadre des ateliers de médiation intellectuelle avec des populations marginalisées contribuaient à : 1) faire diminuer les comportements violents en créant une distance entre les réactions émotives et les actes; 2) favoriser l’autodéfense intellectuelle par la détection de toute forme de manipulation; et 3) sortir du dogmatisme et penser à des scénarios alternatifs.
La médiation intellectuelle se nourrit de plusieurs approches complémentaires et analogues telles que la pédagogie des opprimés de Paulo Freire, les croisements de savoir mis au point par les universités populaires quart monde, la méthodologie des communautés de recherche philosophique, d’abord conçue par la philosophie pour enfants et, finalement, la pédagogie de conscientisation qu’a entre autres contribué à élaborer le Front commun des personnes assistées sociales du Québec.
Si pour l’instant, elle se pratique principalement avec des personnes marginalisées ou à risque de l’être, la médiation intellectuelle n’en demeure pas moins une pratique transversale à l’ensemble des rapports sociaux. Les propositions visant à revoir les modes de production et de diffusion des savoirs, que développe pratiquement la médiation intellectuelle, contribuent à nourrir la réflexion sur les tensions entre savoirs et pouvoir dans le champ de l’épistémologie des sciences sociales (Darré,1999).
Ce colloque présentera : 1) l’état actuel de cette pratique émergente; 2) ses sources méthodologiques et scientifiques; 3) des critiques et limites perceptibles du point de vue des autres pratiques évoluant dans les mêmes milieux; et, finalement, 4) les hypothèses quant aux liens entre médiation intellectuelle, émancipation intellectuelle et transformations sociales.