Informations générales
Événement : 81e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 600 - Colloques multisectoriels
Description :L’ethnographie est une démarche d’enquête au service d’une multiplicité de disciplines. Elle ne se réduit pas à un ensemble de techniques et d’instruments, mais renvoie à une démarche globale qui rend cohérent un travail de terrain, un questionnement de recherche progressif et la production de connaissances (Pepin, 2011). L’ethnographie a fait ses preuves sur de nombreux terrains, où elle a permis de produire des résultats stimulants et de renouveler interprétations et théorisations. Nonobstant les vertus qu’on lui reconnaît, les chercheur(e)s s’investissent peu dans ce type de démarche, exception faite de certains domaines dont l’anthropologie. Sans doute les freins à un investissement plus important dans cette pratique d’enquête sont-ils liés à ses exigences, parmi lesquelles la présence prolongée sur le terrain est probablement la plus difficile à négocier. Par ailleurs, la démarche ethnographique appelle également une vigilance forte. En effet, elle ne peut être réduite à un modèle à mettre en œuvre ou à un ensemble de normes codifiées à appliquer : elle suppose de « coller » aux aspérités du terrain, à sa singularité et à ses contingences. La démarche doit être construite dans les interactions entre le chercheur et son terrain, par tâtonnements successifs et abandons de pistes, en réaction aux découvertes, surprises, imprévus et obstacles qui marquent le travail ethnographique (Demazière, Horn et Zune, 2011).
Ce colloque sera l’occasion d’ouvrir le débat sur cette pratique d’enquête, sous l’angle de la vigilance ethnographique. Cette question est en général escamotée dans les publications, qui sont prioritairement tournées vers l’appréhension des mondes sociaux. En proposant une démarche inverse, nous entendons non seulement réfléchir aux aspects les plus problématiques de l’enquête, mais aussi améliorer notre compréhension des « épreuves ethnographiques » (Fassin et Bensa, 2008). Les contributions s’appuieront sur des récits d’enquêtes ethnographiques, mettant en évidence la façon dont s’est construite la démarche et la justification des choix effectués pour la faire progresser. Car la vigilance ethnographique engage la capacité du chercheur à argumenter ses choix vis-à-vis de la communauté scientifique, et donc à décrire sa pratique d’enquête de manière critique et réflexive (Bizeul, 1998). Les récits d’enquête argumentés qui sont attendus éclaireront la relation d’enquête, c’est-à-dire les façons par lesquelles le chercheur s’est ajusté aux « incidents de terrain » (Malinowski, 1963) qui ont surgi pendant la démarche, ainsi que les influences réciproques qui l’ont lié aux personnes concernées par l’investigation. En somme, il ne s’agit pas de faire un compte rendu à prétention exhaustive de la démarche ethnographique, mais plutôt de tirer profit de certains événements ou particularités du terrain, surprises ou zones d’incertitude, pour mettre en évidence la manière dont s’exerce la vigilance ethnographique.
Dates :- Joëlle Morrissette (UdeM - Université de Montréal)
- Didier Demaziere (Centre national de la recherche scientifique)
- Matthias Pepin (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières)
Programme
De la vigilance ethnographique, partie I
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Mot de bienvenue
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Jamais deux sans trois : le rapport à l'objet dans la quête de la vigilance ethnographiqueBob W. White (UdeM - Université de Montréal)
Une critique de la démarche ethnographique qui tient compte de l'histoire permet d'identifier au moins trois différentes orientations épistémologiques face à l'objet du terrain: moderniste, post-moderniste et herméneutique. Chacune d'elles, qui se manifeste comme disposition (sensibilité, affinité, préférence) mais aussi comme impératif idéologique, correspond à une certaine posture de chercheur vis-à-vis de son objet: objectivité, subjectivité, et intersubjectivité. Au lieu de voir ces orientations en termes de progression historique linéaire où l'objectivité cède à la subjectivité et la subjectivité devient intersubjective, il convient de concevoir qu'elles s'entrecroisent à travers le temps et l'espace. Ce qui varie d'une période ou d'un endroit à l'autre, c'est plutôt la configuration de normes socio-scientifiques qui attribuent plus de légitimité à certaines orientations par rapport à d'autres. Le courant herméneutique permet de comprendre que le savoir ethnographique est le résultat d'une rencontre entre deux ou plusieurs traditions (Gadamer, 1996), mais aussi en quoi ce savoir est le résultat d'une co-production. Si la distinction entre les courants moderniste et post-moderniste s'est clarifiée, il reste encore beaucoup à faire pour distinguer entre les courants post-moderniste et herméneutique. Comme on le verra, l'exploration de leur rapport permet de théoriser une vigilance ethnographique qui serait non seulement durable mais humaine.
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Le « comment mourir » dans un service hospitalier : vulnérabilité et vigilanceCaroline LAMBERT (HEC Paris), Marie-Astrid Le Theule (CNAM - Conservatoire national des arts et métiers)
Plusieurs réformes hospitalières ont été mises en place en France, de nombreuses voix de contestation de la part des soignants ont surgi. Pour mieux les comprendre, nous avons été pendant deux ans dans un service de gériatrie en soins palliatifs et soins aigus deux jours par semaine. Nous avons suivi les médecins et les internes tout au long de leurs journées, nous rendant compte de la multiplicité de leurs tâches techniques, humaines et sociales. Les soignants nous ont parlé de leur travail invisible. Alors, nous avons filmé pendant 15 jours et nuits la vie du service. Au début de ce terrain, nous voulions comprendre l'impact des réformes sur le travail des soignants. Or le terrain nous a amenées à une autre problématique : le comment mourir à l'hôpital comme pratique sociale et collective. Problématique si importante pour les médecins, internes, patients et famille que Tous nous ont autorisés à les filmer dans les moments de fragilité et de vulnérabilité. La question du processus du mourir est une décision prise au cours des négociations avec l'équipe médicale, avec la famille et quelquefois avec le patient.
Dans cette communication, nous montrerons, accompagnés par les écrits d'H. Becker et de E. Hughes, comment, en écoutant ce qui était important pour les soignants et patients, la problématique a changé, comment les chercheurs étant percutés dans leur vulnérabilité, tentent d'être vigilants (et échouent parfois) face à cette confiance donnée de la part des patients et soignants.
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Pause
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Vers une ethnographie organisationnelle « constructiviste » et orientée vers les « pratiques »Pascal Lievre (UdA - Université d'Auvergne), Geraldine Rix Lievre (Université Blaise Pascal)
Nous rendons compte d'une posture d'ethnographie organisationnelle que nous avons développée depuis plusieurs années dans le cadre d'une investigation des projets dans des environnements extrêmes, tels que les expéditions polaires. Nous étudions la « vie organisationnelle telle qu'elle se déploie » au sens de Weick. Ainsi, d'une part, nous articulons le registre de l'individuel et celui du collectif et, d'autre part, nous abordons les expériences individuelles et collectives dans des situations particulières. L'observatoire construit le cas étudié à partir des informations recueillies par deux chercheurs engagés dans l'expédition, chacun recueillant des données dans une perspective spécifique. Le journal de bord multimédia est rempli par un chercheur dans une posture de participation observante, en s'appuyant sur les traces de l'activité issues de documents papier ou vidéo recueillis régulièrement tout au long du projet. Ces traces sont ensuite mise en forme pour produire un « récit » de cette action collective. Dans une posture d'observation participante, le deuxième chercheur construit un dispositif pour objectiver les pratiques individuelles à des moments particuliers. Cette objectivation repose sur deux vidéos de la situation, l'une d'un point de vue extérieur, l'autre d'un point de vue « subjectif » en mobilisant une technique d'auto-confrontation. Nous qualifions cette posture d'ethnographie organisationnelle de « constructiviste » et d'orientée « pratique ».
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L'ethnographie comme méthode de cueillette pour l'observation des interactions en comité d'équité salariale : l'application d'une méthodologie pragmatisteYves Hallée (Université Laval)
Cette communication rend compte d'une expérience ethnographique par le recours à l'observation in situ de trois comités à divers moments de la réalisation de l'équité salariale. Nous ferons état du récit ethnographique et de l'effet d'une méthodologie pragmatiste dans la lignée de Peirce et de Dewey sur les choix effectués en regard de l'enquête. Nous traiterons notamment du processus de circularité autocorrective, cette démarche évolutive qui rend possible l'expérimentation d'hypothèses et la création de nouvelles, plus pertinentes et conformes à l'expérience observée, et de l'instrumentalisme, où la théorie permet d'agir et de penser le monde tout en ayant pour rôle de guider l'enquête. Ainsi, à mesure que le travail simultané de collecte et d'analyse se poursuivait, notre objet se précisait, nos questions et nos hypothèses devenaient plus sélectives à la manière d'un entonnoir, ce qui permettait de formuler des explications provisoires qui étaient étayées graduellement.
Enfin, cette communication ne pourrait être complète sans aborder le rapport aux acteurs et au terrain, et notamment le processus d'intégration du chercheur, la négociation de sa présence sur le terrain ainsi que sa quête de neutralité en cours d'enquête.
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Dîner
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Enquêter, ne rien trouver, recommencer : les risques d'une démarche située au plus près de faits difficilement observablesWilliams Nuytens (Université d'Artois)
Mes travaux consacrés aux violences commises sur les terrains du football amateur ont débuté dans la première moitié des années 2000. En France. À cette époque, on ne connaissait pratiquement rien du sujet au plan sociologique ; il était même impossible de quantifier le phénomène. On disposait de quelques informations chiffrées, de classifications arbitraires et bien entendu de catégorisations empruntées à la psychologie de l'agressivité. En l'espace d'une dizaine d'années, il a cependant été possible de faire avancer la connaissance : quantification et qualification des faits, reconstitution de processus conduisant aux passages à l'acte, identification de variables discriminantes pour aboutir à de récents résultats relatifs au tiers arbitral. Il s'agit ici de rendre compte du programme qui a permis finalement de passer du chiffre à une sociologie des arbitres, en passant par plusieurs monographies de clubs, alors qu'au départ, je n'avais pas envisagé de suivre cet itinéraire. Seule la précaution avait originellement guidé mes enquêtes, et cela s'est traduit par l'adoption d'un programme d'enquêtes à l'architecture centripète et collant le plus possible aux réalités des situations. J'envisage par conséquent de discuter des risques et des intérêts liés à l'usage d'une démarche ethnographique appliquée à un objet difficilement observable, stigmatisant pour la plupart des victimes et des contrevenants, diversement qualifié par des témoins aux paroles incertaines.
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L'observation participante : agir en espion ou en ami ?Michel RACINE (Université Laval), Michel Racine (Université Laval)
Participation et observation exigent de l'ethnographe une vigilance impliquant de poser des actions situées en milieu observé. L'ethnographe actant peut alors adopter une position se polarisant entre deux extrêmes. Celle de l'espion, qui certes informe le milieu sur le but de sa recherche, mais qui, en action, ruse de retenue pour faire oublier ses visées scientifiques et ainsi ne pas affecter le milieu. L'autre extrême est de se faire ami : les visées des acteurs et de l'observateur participant se « révèlent » alors en cours d'action, à cœur ouvert. Peu importe la position prise, l'ethnographe vise une finalité utilitaire, celle de diffuser une connaissance rigoureuse du milieu; souvent peu d'acteurs se voient concernés par cette visée.
Nous proposons une position mitoyenne : la neutralité observante, qui ne cherche ni à se cacher, ni à s'étaler. Elle contient l'idée de refus de parti pris dans du milieu étudié, la participation de l'ethnographe se voulant explication de l'action observée. S'y trouve aussi l'idée de respect, au sens premier d'observation. Respect qui mène à se conformer (au besoin temporairement) aux actions du milieu, à une fin d'expérimentation sur soi. Un processus réflexif permettra de rendre compte ensuite avec rigueur de l'action du milieu. L'adoption de cette position exige une vigilance disciplinée.
Nous illustrerons notre propos par l'exposé des aspects pertinents d'une ethnographie réalisée dans le milieu du développement économique au Québec.
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Pause
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Le processus d'observation ou de la nécessité d'être « pris(e) au jeu »Marie-Ève Lapointe (UQAM - Université du Québec à Montréal)
L'observation participante est une méthode présupposant l'implication affective et idéologique du chercheur dans l'univers social objet de sa recherche. Malgré les principes requis de vigilance épistémo-méthodologique, un tel exercice suscite chez celui-ci la mobilisation de défenses et autres réactions affectives de contre-transfert (au sens de Devereux et de Bourdieu), alors que la place qu'il occupe dans le monde qu'il étudie lui est largement imposée. À quelles conditions faire de cette double difficulté un levier de connaissance?
La question de la tension entre objectivation de l'observation et subjectivité sensible de l'observant sera abordée à partir d'une enquête réalisée dans un hôpital québécois. Cette observation de près d'une année a été menée dans le cadre d'une recherche doctorale sur le statut symbolique conféré au patient dans l'univers hospitalier.
La réflexion portera sur la fonction de chercheure aidante à tout faire ayant structuré mon inscription sociale au sein des unités. Ce rôle, bricolé au cœur de l'action, a été conçu d'emblée comme une stratégie d'intégration dans un contexte professionnel des plus complexes. Jusqu'où cet engagement a-t-il été stratégie défensive face à des situations émotionnellement difficiles? Jusqu'où fût-il stratégie de survie révélatrice du mode relationnel propre à ce milieu, posture éthique de recherche ou condition-même du passage à une observation compréhensive de ce que l'on nomme globalement la relation soignant/soigné?
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Observer une activité partagée. Apports et écueils d'une posture sécante du chercheur sur le terrain des maraudesCaroline Arnal (UVSQ - Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines), Caroline Arnal (Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines (France))
À partir d'une enquête ethnographique menée au sein des maraudes parisiennes, cette communication interroge la place du chercheur sur son terrain afin d'en apprécier les implications pour la recherche. Cette démarche répondait à l'intérêt de comprendre les enjeux inhérents à la situation de coprésence qui caractérise cette activité. L'activité de maraude est en effet assurée par une multitude d'équipes salariées et/ou bénévoles dont l'objectif est de sillonner le territoire parisien à la rencontre des sans-abri. Le recours à l'« observation participante transversale » (Muller, 2007) – qui a consisté à occuper un poste de maraudeur bénévole dans trois associations – visait à engager une démarche comparative afin d'identifier d'éventuelles variations dans les pratiques et les logiques d'action. Il s'agissait de repérer des tensions, des négociations, des compromis, des conflits à l'œuvre dans les cours d'action.
Nous montrerons comment le chercheur se retrouve parfois amené à transgresser des normes implicites du milieu étudié, notamment ici celle de la fidélité associative. Nous montrerons comment certaines « déconvenues » de l'enquête (Bizeul, 1999) se sont révélées propices au dévoilement des conditions sociales et organisationnelles du maintien des engagements au sein de cette activité partagée. Cet examen critique et raisonné d'une expérience d'enquête nous amènera plus généralement à exposer la manière dont se fabrique la vigilance ethnographique et ce qui lui échappe.
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Ethnographie : la délicate implication des acteurs en milieu défavoriséMarjorie Vidal (UdeS - Université de Sherbrooke)
Mais qui a peur de l'ethnographie scolaire ? interrogeait Vienne dans un article en 2005. Ce titre peut sembler racoleur a priori, il donne pourtant un bon aperçu des nombreux risques méthodologiques auxquels est confronté l'ethnographe, ces « impondérables de la vie » comme y fait référence Malinowski (1963, p.75). C'est sur « un sentier de chèvre » que s'engage donc l'ethnographe en herbe et sa posture doit associer flexibilité et souplesse (Morrissette, 2012).
À ces risques déjà identifiés peut également se greffer un aspect peu abordé dans les écrits scientifiques sur l'ethnographie : l'implication des acteurs. C'est dans cette perspective que je me propose d'illustrer le rapport délicat entre le chercheur et les participants à une ethnographie scolaire, sur la base des éléments empiriques de ma recherche doctorale. Elle porte sur la mobilisation des relations sociales dans une optique de résilience scolaire.
Cette communication vise à faire émerger des pistes de réflexion sur les avantages et difficultés de la participation à une ethnographie. La question de l'implication est ici d'autant plus cruciale que les acteurs concernés sont des élèves d'une école secondaire dans un quartier défavorisé à forte concentration multiethnique de Montréal.
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Plénière