Informations générales
Événement : 85e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 300 - Lettres, arts et sciences humaines
Description :La philosophie politique et les sciences sociales « continentales », ainsi que les idées politiques qui s’en inspirent (comme les féminismes de la 3e vague, les études postcoloniales ou subalternes), font un large usage du concept de « sujet » et de ses dérivés : subjectivité, subjectivation. Il s’agit de placer au centre de la réflexion un concept du sujet compris comme une interruption, un écart, un déplacement d’un dispositif de pouvoir, qui renvoie à une pratique de la résistance, voire à une expérience de la liberté. Jouer la subjectivité/subjectivation contre le « sujet » traditionnel, c’est ainsi demander de quelles possibles institutions elle est porteuse : comment la résistance s’institue-t-elle en un sujet politique, comment penser la consistance temporelle spécifique d’un processus donné de subjectivation, et son institution? Quel est aujourd’hui l’atout théorique de l’usage de la « subjectivité politique » dans la pensée du pouvoir et des normes, et en quoi se distingue-t-elle d’autres propositions contemporaines, comme celles qui privilégient les concepts d’agency ou de self, davantage présentes dans le monde anglo-saxon? Inversement, que laisse-t-elle dans l’ombre, quels en sont les limites et les effets pervers possibles? Ce concept a par ailleurs migré dans d’autres champs du savoir, comme la sociologie, le travail social, la santé ou l’éthique du care. Enfin, il présente l’idée d’un sujet incarné (corps, affects, genres) et ancré dans des pratiques, allant du local au global : on peut donc se demander quelle est sa fécondité en regard des orientations pratiques, voire des politiques publiques qu’il est susceptible d’appuyer ou de critiquer, et aussi quels types d’identité et de vécus politiques il permet d’éclairer ou de produire.
Ce colloque entend explorer ces questions dans le triple domaine de la constitution du sujet, des dispositifs de pouvoir et des potentiels d’émancipation. Son objectif principal consiste à identifier l’origine et à circonscrire les avenues actuelles et la fécondité potentielle du concept de subjectivité politique, et cela, dans différents champs théoriques et pratiques. Il s’agira d’examiner et de discuter les problèmes éthiques, épistémiques, méthodologiques et politiques soulevés par ses usages dans la perspective : 1) de comprendre les tensions et les conflits des transformations sociales en cours à travers la pluralité des formes de subjectivité politique qui s’y manifestent; 2) d’identifier les nouvelles potentialités démocratiques et d’émancipation qui y sont en émergence, et les défis que cela pose pour l’action collective; et 3) de mener une réflexion interdisciplinaire et transdisciplinaire (articulations entre recherche, formation et intervention sur le terrain) renouvelée sur les rapports entre subjectivité et politique dans ce contexte.
Dates :- André Duhamel (UdeS - Université de Sherbrooke)
- Carine DIERCKX (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Programme
Ouvertures vers l’autre du sujet
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Communication orale
Entre désir de subjectivation et illusion identitaire : un principe de non identitéMarc Maesschalck (UCL - Université catholique de Louvain)
Lorsqu’il est analysé, le ressort des processus de subjectivation met en évidence un rapport des acteurs à une forme d’identité à soi qui garantit l’intégrité psychique de chacun dans ses choix de vie et ses engagements. Si elle semble par définition toujours à construire et à reconstruire, cette identité apparaît aussi comme une ressource prédonnée, constitutive d’une capacité psychique du soi et qui lui sert de garantie, voire d’assurance à l’égard du devenir de son action. Le recours à une telle idée d’une ressource toujours déjà disponible, prête à l’usage ou en attente de réactivation (comme dans un « réveil »)devrait être mise en question, en particulier lorsqu’on œuvre sur des pratiques collectives, par exemple en faisant appel aux capacités, voire au potentiel d’engagement et de réactivité des sujets., Elle nous semble en effet contenir une double contrainte : d’un côté, le renvoi des pratiques concrètes vers un idéal de vérité qui leur est extérieur et vient fixer leur valeur ; de l’autre, la nécessité de se confronter au manque des pratiques vécues pour les rapporter à cet idéal extérieur à elles. Cette double contrainte n’est-elle pas éclairante à l’égard du besoin actuel de conforter les sujets dans leurs pratiques collectives par les assurances d’identités prédonnées ? Ne serait-elle pas aussi la source d’un rapport imaginaire à l’action qui cache le principe plus fondamental de tout engagement dans le réel, à savoir un rapport de non-identité à soi ?
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Communication orale
« Je est un autre » : identités sociales, intérêts communs, actions collectives et subjectivations politiquesRicardo Peñafiel (UQAM - Université du Québec à Montréal)
La fameuse formule oxymorique de Rimbaud, qui sert de titre à cette conférence, condense tout le paradoxe du sujet qui oriente ce colloque. Il aurait aussi été possible de référer à la critique nietzschéenne du cogito et intituler cette conférence «Ça pense», puisque ce qui est en jeu est précisément l’identité du «Je», la subjectivité même du sujet pensant et agissant. La question se complique encore davantage au moment de référer à un sujet collectif résultant d’actions sociales et politiques convergentes. Est-ce que le québécisme «Nous autres» aurait pu servir de titre et fournir des pistes d’interprétation? Sans aucun doute! En langage scientifique ou philosophique, on pourrait soutenir que cette expression populaire intègre intuitivement le concept du dialogisme constitutif de toute «identité», négativement constituée en fonction d’une figure d’opposition. Le principe dialogique surgi des débats ayant engendré «l’école française d’analyse du discours» permet de faire le pont entre une critique théorique du leurre du sujet et une analyse empirique de «sujets» collectifs (autoconstitués?). Cette conférence propose d’aborder les enjeux théoriques relatifs à l’illusion de la subjectivité de sujets assujettis à l’Idéologie qui les interpelle en tant que sujets libres, à la lumière de cas latino-américains d’actions directes spontanées questionnant les positions de sujet attribuées par la société aliénée à partir de positions «autres». «Nous autres, la plèbe, on est autre»
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Communication orale
La philosophie politique et le sujet de la différenceThibault Tranchant (UdeS - Université de Sherbrooke)
Ce que nous pouvons appeler avec François Laruelle les « philosophies de la différence », c’est-à-dire un ensemble hétérogène de pensées qui cherche en opposition à la dialectique hégélienne à dégager l’ontologie de l’emprise « unitaire » du langage, ont conduit à une transformation radicale de l’approche philosophique de la facticité politique. À celle « classique » depuis Platon consistant à ramener la conflictualité politique à l’unité d’une détermination rationnelle, les philosophies politiques de la différence ont opposé l’autodétermination des multiplicités à une raison qui les transcenderait. Aussi, pour les philosophies de la différence, la question du sujet politique n’est-elle plus celle de l’identification de celui à qui il revient de réaliser les normes de la raison en les objectivant sous la forme d’institutions, mais celle de l’élucidation non contraignante de la diversité des processus de subjectivation conduisant à la transformation des pratiques d’après des critères incommensurables de la rationalité. Mais dans le glissement du sujet vers les « procès de subjectivation » se joue la perte de la spécificité historique du discours philosophique sur la politique : la prétention performative selon laquelle la conflictualité politique est susceptible de se transformer en un monde commun de la raison. L’objet de cette communication sera donc de mieux comprendre le rapport des philosophies de la différence à la philosophie politique classique.
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Communication orale
Responsabilité morale collective et sujet politique collectifJean-Cassien Billier (Université Paris IV-Sorbonne)
Cette communication aura pour but de tenter d'éclaircir l'articulation possible entre les théories de la responsabilité morale collective et celles du sujet politique collectif. Le partage d'une responsabilité morale collective suffit-il pour faire émerger la notion de sujet politique collectif?
Dîner
Biopolitique et subjectivations sur le terrain
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Communication orale
La mort « donnée » : ultime stade de la « gratuité » du modèle québécoisChristian Saint-Germain (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Le système de santé québécois constitue un dispositif d’interpellation d’un genre particulier; il subjectivise le citoyen dans l’anonymat selon le modus operandi évoqué par Althusser: un individu peu scolarisé se sent spontanément reconnu par un appareil d’État qui lui donne un rendez-vous, un hôpital qui baptise son affection et confère à la détresse humaine une apparence de sérieux. À partir d’un triage, d’une sélection et des diverses embûches de l’accessibilité, on produit du sujet-malade, mais assuré. Pris en compte dans la logorrhée des discours sur les coûts de santé, l’impression de recevoir « gratuitement » des soins n’est la moindre des astuces dans ce processus de mystification. Nous voudrions suggérer que ce dispositif d’assujettissement politique autour de la maladie n’est pas simplement une opération permettant la création d’une aristocratie médicale particulièrement insensible à la réalité économique de ses « bénéficiaires », mais va jusqu’à la dé-subjectivation (à sa suppression idéologique) en lui proposant à titre de « soins » et en fin de parcours de lui donner la mort. Le sujet québécois n’est un sujet politique qu’en tant qu’il est susceptible de tomber malade: assurer de périr dans les termes et les conditions fixées par ce dispositif historique. Ce contexte a-t-il une incidence sur les possibilités politiques des québécois se voulant Sujet de l’Histoire ou s’imaginant être autre chose, mais surtout ailleurs que dans un grand sanatorium d’État?
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Communication orale
La physiocratie et la re-production du colonialisme : une lecture décoloniale de l’œuvre de Pierre-Paul Rivière de La MercierLina Alvarez (Belgique)
La philosophie européenne a mis au jour l’importance de la physiocratie dans la configuration des mécanismes modernes de domination. Les physiocrates affirment l’existence d’un ordre naturel ou physique, qui a comme but le bonheur, lequel consiste en l’obtention de l’opulence. Ils postulent, sous la forme d’une loi, que seule l’agriculture produit des richesses. Ainsi, Marx arrive à la conclusion que les physiocrates sont les pères fondateurs de l’économie, tandis que Foucault et Agamben considèrent cette école comme étant à l’origine de la biopolitique et de la gouvernementalité. Toutefois, malgré le lien étroit que le capitalisme entretient avec le colonialisme, la relation entre la physiocratie et la colonialité n’a été interrogée que de manière marginale.
En faisant une lecture décoloniale de l’œuvre de Lemercier de la Rivière (physiocrate et intendant des colonies françaises aux Caraïbes de 1759 à 1764), cette intervention vise à combler cette lacune. Deux hypothèses seront avancées : 1) la physiocratie n’est pas seulement une des origines de la biopolitique, mais aussi de la nécropolitique. 2) La physiocratie a non seulement contribué à l’émergence d’une nouvelle forme de pouvoir qui vise le contrôle de la population, mais aussi à l’émergence de la colonialité de la nature. Ces hypothèses permettront de confirmer l’idée selon laquelle les pratiques coloniales ont modelé certaines techniques d’objectivation de la vie, reprises par la suite au sein de l’espace européen.
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Communication orale
Du travail social à la cité, et retour, en passant par Foucault : réflexions sur la subjectivité politique du travailleur socialThierry Gutknecht (Réseau fribourgeois de santé mentale, Marsens)
Nous partirons dans cette présentation de différents aspects et tensions auxquels les travailleurs sociaux peuvent être confrontés dans le cadre de leur pratique au sein du dispositif de l’action sociale. Nous chercherons à travers ces différents éléments à relever l’importance pour ce champ d’une interrogation sur le devenir de la cité et de prendre au sérieux la question de la constitution du professionnel comme sujet non seulement éthique mais aussi politique. Nous essayerons alors d’identifier la manière dont le travailleur social s’inscrit dans un processus de subjectivation politique spécifique à partir situations-limites et d’expériences vécues.
L’analyse proposée s’appuiera sur différents concepts issus de la pensée du philosophe français Michel Foucault – pouvoir, savoir, normes, contrôle, dispositif, subjectivité, gouvernementalité, etc. Elle prendra pour point de référence la relation entre le praticien et l’usager – dans le cadre d’un service d’aide sociale, mais pas uniquement – tout en visant à problématiser certains aspects du travail social d’un point de vue global. Fidèle à l’approche de ce philosophe, nous chercherons en effet à montrer l’importance de tenir ensemble deux niveaux d’analyse – local, global -, qui nous semble être le principal enjeu politique de la pratique du travailleur social.
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Communication orale
Pouvoirs et subjectivations : quelle portée politique de la réflexivité en travail social?Carine Dierckx (UdeS - Université de Sherbrooke)
Le sujet s’inscrit aujourd’hui au cœur de la « question sociale » (Franssen, 2003) et de l’intervention sociale en particulier, du fait que celle-ci mobilise les sujets concernés et les « fait agir » par eux-mêmes pour répondre aux problèmes sociaux. L’intervention sociale fait ainsi appel, sous des formes variables, à leur « réflexivité », non sans ambivalences, tensions, paradoxes et contradictions (Demailly, 2008). Foucault a tenté dans son œuvre d’en identifier les sources, les configurations, les effets et transformations, dans ce secteur comme dans d’autres, croisant analyses micro et macrosociales. Ses études empiriques, articulées à une (ré-)élaboration conceptuelle continue, ont ainsi permis de mettre le doigt sur les relations de pouvoir qui traversent ce type de pratiques, indissociables de certains rapports à la « vérité », touchant à la façon même dont le sujet est constitué (assujettissement) et se constitue (subjectivation). Dans cette communication, je montrerai l’intérêt de cette grille de lecture pour interroger les « usages » du sujet et de sa réflexivité dans les pratiques d’intervention sociale. J’identifierai sur cette base, et à partir de textes publiés par des acteurs du social, la portée éthique et politique transformatrice de certaines formes de réflexivité et de subjectivation mises en œuvre par les intervenants sociaux dans leur interaction avec les usagers, avec leur propre réflexivité, et dans leurs rapports aux pouvoirs.
Résistances, mobilisations et narrativité
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Communication orale
La philosophie du sujet : pertinence et inclusionValérie Daoust (Université d’Ottawa)
Ces dernières années, en philosophie féministe, on a contesté la notion du ‘sujet femme’ comme le résultat et la cause de l’exclusion qui perpétuait le système de genre. En discutant Luce Irigaray et Judith Butler, je montrerai que la référence à la binarité n’exclut pas nécessairement la multiplicité d’identités. On pourrait même penser qu’elle les inclut dans une relation organique. La subjectivité politique est toujours nécessaire aujourd’hui pour défendre les intérêts des femmes.
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Communication orale
Subjectivation en politique : le mouvement subjectivant de la résistanceNathalie Frogneux (Université Catholique de Louvain)
Nous voudrions partir de la question de la résistance morale et donc individuelle comme moment de subjectivation face à une situation politique objectivée. Pour ce faire, nous partirons de la pensée de Jan Patocka, comme moment négatif de la liberté.
Ensuite, nous verrons comment Castoriadis pense la résistance comme subjectivation à partir d’un moment créatif : que ce soit à partir de l’imagination individuelle ou de l’imaginaire collectif. Et dès lors le moment positif de la liberté (son moment instituant, face au moment institué qui est celui de l’objectivation).
Mais ces deux manières de penser la subjectivation comme moment de liberté dans l’histoire renvoient à la question de l’histoire elle-même. C’est pour cette raison que nous tenterons de penser la résistance avec Jonas, comme moment de subjectivation de la liberté face à une tendance historique objectivante. Nous nous demanderons alors d’où vient ce mouvement de subjectivation qui est capable de résister à une tendance social-historique objectivée.
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Communication orale
Subjectivité politique et mobilisation des droits fondamentaux dans le champ du handicapJean-Philippe Cobbaut (Université Catholique de Lille)
Les droits fondamentaux constituent aujourd’hui une référence majeure et la Convention de l’ONU de 2006 relative aux droits des personnes handicapées vise non plus simplement à promouvoir l’intégration sociale de ces personnes mais à faire d’elles des sujets de droit dans tous les secteurs de la vie sociale. Cette évolution est telle que l’on parle aujourd’hui, après les modèles médical et social, d’un modèle juridique du handicap.
Cependant, certains se demandent « si les revendications des droits de l’homme sont une source de dépolitisation ou les vecteurs d’une rénovation de l’ambition démocratique » (Lacroix, 2012). Pour Marcel Gauchet, notamment, la mise en œuvre de ces droits déboucherait sur une dévitalisation de la démocratie. Dans son récent ouvrage, Le nouveau monde, Gauchet (2017) considère que la qualité de sujet de droit est devenue le pivot de l’identité des individus, ce qui conduit à des démocraties incapables de se gouverner.
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Communication orale
De sujet mutilé à sujet créateur : pour une politique des formes de vieJacques Quintin (UdeS - Université de Sherbrooke)
Il existe des êtres humains aux prises avec des difficultés de vie qui diminuent l’existence humaine à sa plus simple expression : des êtres vivants qui n’entretiennent aucun rapport avec l’expérience du vivre, ce qui procure, à l’instar de Benjamin, des vies pauvres en expérience. Ne reste que l’usage des corps : manger, se divertir et dormir en étant en phase avec le monde ambiant. Foucault a montré comment le pouvoir psychiatrique a exercé une emprise sur des sujets psychiatriques. Avec le naturalisme qui imprègne les sciences cognitives et les neurosciences, nous assistons à une réduction de l’être humain à des mécanismes neuronaux, à une vie biologique, ce qu’Agamben nomme la « vie nue ». Le pouvoir politique s’exerce en excluant ces vies nulles. Ce faisant on coupe l’être humain de la vie politique. Le défi consiste à se doter de formes-de-vie qui permettent à l’être humain de donner une voix à la vie nue. On ne peut pas imaginer une forme de vie sans imaginer un langage. Nous nous servirons de la pensée de Ricœur autour du récit et de l’identité narrative pour penser autrement le sujet. Il y a des récits porteurs de vérité qui se caractérisent par un engagement éthique dans le monde pratique et politique. Il s’agit donc de créer des formes-de-vie qui rendent viables et vivables les vies difficiles, nues et mutilées en se dotant d’une politique du care et de la solidarité. Le politique et l’éthique permettent le passage de sujet psychiatrique à sujet politique.
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Communication orale
Éthique clinique et narrativité : le point aveugle de la subjectivationAlain Loute (Université Catholique de Lille)
Une partie de l’éthique clinique s’est développée en mobilisant le concept de narrativité. Cette approche devait permettre de renouer avec la vie morale et concrète, d’ouvrir la voie à l’exercice d’une créativité éthique, de même qu’impliquer les sujets au-delà de leur objectivation à travers des données physiologiques et légales. Cette mobilisation de la narrativité pose de nombreuses questions relatives au processus de subjectivation des acteurs. Premièrement, pour certains auteurs la narration s’inscrit dans le mouvement d’injonction à l’autonomie de l’individualisme contemporain. Le mot d’ordre ricoeurien « ose te raconter ! » (2000) peut se comprendre un comme « un moyen privilégié de la subjectivation par la norme d’autonomie » (Lefève 2014). Ensuite, l’éthique narrative tend à surestimer la capacité de l’individu à donner sens à son expérience. Pour Charon, la narrativité peut ainsi se comprendre comme une compétence du médecin, plutôt que comme une pratique collective au cœur de différents conflits de normativités et de relations intergroupes. Enfin, l’approche narrative repose sur une conception de la temporalité qui présuppose une continuité de l’expérience. L’éthique clinique narrative est mue par un « optimisme sémantique » (Loute 2017) présupposant que l’expérience vive, bien qu’opaque et discordante, reste toujours racontable. Ce présupposé ne permet pas de cerner les conflits, les refoulements et les contradictions à travers lesquels se sédimente l’expérience.
Dîner
Écarts, marges et luttes
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Communication orale
Exister en tant que chercheure racisée au QuébecMarie-Eveline Belinga (Université d’Ottawa)
Comment survivre à l’effacement en tant que chercheure racisée au Québec? Comment préserver sa subjectivité en tant que femme racisée francophone lorsque les paroles et les savoirs des femmes racisées sont subalternisés et/ou invisibilisés dans les instances académiques? Au cours de cette communication, je présenterai des stratégies de résistance qui ont été articulées par des chercheures féministes racisées au Québec. Je montrerai comment les contributions intellectuelles des femmes racisées émergent à la suite de rapports de pouvoir liés à la production de connaissances. Pour terminer, je poserai cette question : « peut -on continuer comme société, à se dispenser de recherches qui mettent en scène des chercheures racisées et qui mettent en valeur des savoirs et des paroles authentiques sur ce que signifie être une femme racisée et être une personne racisée ? ».
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Communication orale
Folie, marges et subjectivation politique : figures plurielles, écarts inattendusLourdes Rodriguez Del Barrio (UdeM - Université de Montréal)
Comment avoir accès et comprendre le processus de subjectivation et de subjectivation politique au cœur même des expériences comprises, encore aujourd’hui, comme étant de figures emblématiques de l’aliénation? Quels discours et quelles pratiques ouvrent les marges nécessaires? Quels sont aujourd’hui les discours, les pratiques et les espaces qui facilitent ou créent des obstacles à ces mouvements singuliers et collectifs?
Les discours politiques contemporains dans le champ de la santé mentale font allusion de plus en plus, à la possibilité, pour les personnes psychiatrisées, d’acquérir plus de pouvoir sur leurs vies: appropriation du pouvoir, capacitation, participation, rétablissement, citoyenneté. Ces termes cohabitent avec une approche biomédicale dominante qui tend à exclure la référence à l’expérience subjective dans le traitement des troubles psychiatriques.
Cette présentation propose une écoute attentive des discours des personnes qui vivent l’expérience psychotique et une réflexion sur les déplacements méthodologiques que l’analyse narrative de ces discours provoque. Ce travail d’élucidation permet de saisir les matériaux et les voies, souvent inattendus, à partir desquels les personnes bricolent ce que l’on peut qualifier de pratiques de liberté. À travers ce travail se montrent aussi les pièges des pratiques biomédicales dominantes et, paradoxalement, de celles qui s’y opposent.
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Communication orale
Jacques Rancière et la tentative d’émancipation politique du mouvement étudiant québécois du printemps 2012Nicolas Bernier (UdeS - Université de Sherbrooke)
Cette présente communication vise à démontrer que le surcroît d’intelligibilité de la pensée politique de Jacques Rancière permet de poser un diagnostic sur l’action politique au cœur du mouvement étudiant québécois du printemps 2012. Nous mettrons l’emphase sur la réaction autoritaire et les stratégies de discréditation du statut de citoyen des étudiants provenant à la fois du gouvernement libéral et de la société civile québécoise. La pensée de Rancière permet de cerner les obstacles inévitables à l’émancipation politique à l’intérieur des sociétés occidentales modernes, qu’il qualifie de post-démocratiques puisqu’elles masquent l'apparence litigieuse du peuple. Au nom de l’État de droit, du discours expert et de la nécessité économique mondiale, les post-démocraties s'en prennent à l’essence même de la participation politique, c'est-à-dire la capacité des individus de se constituer comme sujet politique capable, au même titre que n’importe qui, de prendre part aux décisions de la vie commune. Nous terminerons par souligner les conséquences néfastes des post-démocraties quant à la montée de l’intolérance envers les minorités. En effet, selon Rancière, la montée de l’intolérance sociale est largement causée par l’impossibilité de minorités présentées comme causes ou menaces de perturbation de l’ordre social, de constituer leur identité politique et de revendiquer leur droit de participer aux décisions de la vie commune.
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Communication orale
Comment devient-on un sujet politique?Diane Lamoureux (Université Laval)
À une époque où des intimidateurs parviennent au pouvoir en utilisant le mensonge et la violence, il importe de définir les modalités par lesquelles des personnes et des groupes que l’on traite par le mépris, l’injustice, la méconnaissance, bref l’exclusion, peuvent parvenir au statut de sujets politiques. En m’appuyant sur les travaux de l’équipe de recherche Érasme, qui réfléchit à la citoyenneté à partir de ses marges en associant recherche universitaire et milieux de pratique, et sur une réflexion philosophique qui traite de l’injustice, du mépris, de l’invisibilité et de l’inaudibilité, je me propose d’identifier certaines conditions qui favorisent l’émergence de liens de concitoyenneté et favorisent l’agir des personnes et des groupes exclus. Je partirai de certaines réflexions liées à la philosophie politique ou à la tradition phénoménologique pour voir comment des individus et des groupes peuvent accéder au statut de sujet et s’autoriser à intervenir à égalité dans les conversations sur le monde que nous partageons. J’aborderai les stratégies individuelles et collectives qui permettent de se constituer en sujets à la fois sur le plan symbolique et politique, à travers les accrocs des trajectoires individuelles, les expériences de services « par et pour », les actions collectives. Je mettrai l’accent sur le fait que pour les marginalisé.e.s, les dimensions individuelle et collective de la subjectivation sont indissociables.
Risques et politiques du sujet : théories et pratiques
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Communication orale
Entre éthique et politique : le destin du sujet dans l’œuvre de Lawrence OlivierJulie Perreault (Université de Moncton)
Lawrence Olivier est un des premiers penseurs québécois de langue française à avoir abordé de front la question de la subjectivité politique. Commentateur avéré du philosophe Michel Foucault, il a aussi développé au fil des ans et des ouvrages une pensée qui lui appartient, une éthique de la destruction, pour ainsi dire, dans laquelle le sujet politique devient l’acteur de sa propre disparition. De Contre l’espoir comme tâche politique à Détruire : la logique de l’existence, jusqu’à son tout dernier livre, Suicide et politique, Olivier a mis en place une philosophie active de la mise en abyme dans laquelle le pouvoir s’anéantit dans sa subjectivité même. Nous y verrons une conception particulière, tragique et sans rémission, de l’émancipation. Une éthique de l’inaction qui consiste à vouloir enfin et activement l’effacement de « l’homme » dont parlait déjà Foucault, afin de laisser apparaitre la figure plus simple, vulnérable, de l’être humain tapi derrière. Mais quelle est donc cette forme de vulnérabilité qu’Olivier, se détachant ainsi en s’y attachant de la figure par excellence de l’humanisme occidental, est capable de se saisir? La limite de cette posture appartient-elle à sa logique propre? Peut-on y échapper… en en sortant tout simplement? Nous proposons d’examiner ces dernières questions à travers une réflexion sur l’ouvrage Suicide et politique : la révolte est-elle honorable?, dans lequel Olivier entame notamment une discussion avec le philosophe Albert Camus.
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Communication orale
La gestion du risque à l’ère du terrorisme : basculement du risque subjectivé au risque individualiséYasmine Jouhari (UEQ)
À partir des travaux de Beck et Bauman sur le terrorisme, nous essayerons d’identifier les raisons qui ont mené nos démocraties à se mettre en péril pour répondre au terrorisme. L’une des hypothèses que nous défendrons est celle selon laquelle « la communauté de destin » est vidée de son caractère « collectif » si on opère un déplacement d’une subjectivation vers une individualisation de l’objet-risque dans le cadre de sa gestion. Nous essaierons de comprendre le tournant opéré par Beck, en 2001, en terme de risque terroriste. Celui-ci abandonne la voie d’une gestion sociale et collective du risque car, selon lui et Bauman, l’objet-risque terroriste ne peut être qu’individualisé. Un détour par le tandem individualisation du risque et « communauté de destin » nous permettra alors d’explorer des pistes en vue d’une gestion sociale et politique du risque terroriste.
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Communication orale
Actes de véridiction, risque de violence et subjectivation politique dans le cadre des luttes socio-environnementales au Honduras (2009-2015)David Longtin (Université d’Ottawa)
Conceptualisée par Foucault afin de cerner le travail éthique et politique de constitution historique du sujet à travers des pratiques de soi inscrites dans des techniques de pouvoir et des modes de véridiction, la subjectivation a été développée par Butler afin de réfléchir la subversion performative de formes d'assujettissement resignifiant les assignations identitaires et créant des subjectivités post-identitaires. Chez Rancière, la subjectivation politique correspond plutôt au processus de désidentification des identités assignées par la vérification de l'égalité entre ces identités formant de nouvelles subjectivités collectives nées du litige. Bien que distinctes, ces conceptualisations mettent toutes en lumière le rôle des jeux de vérité, de la prise de parole et des rapports conflictuels dans l'émergence des subjectivités politiques.
À partir d'une analyse du discours des communiqués émis par deux fédérations autochtone et afrodescendante du Honduras, cette communication examinera deux cas de processus de subjectivation politique, à la fois individuelle et collective, qui se nouent dans les actes de véridiction et la circulation des discours sur la violence dans le cadre des conflits socioenvironnementaux entourant des projets de développement. Elle cherchera à éclairer de nouvelles formes de subjectivités politiques qui émergent dans les pratiques du dire-vrai entourant ces violences en s'écartant des identités assignées par les dispositifs des droits humains.
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Communication orale
Les nouvelles frontières théoriques du marxisme français au tournant de l’année 1968Francis Dolan (UQAM - Université du Québec à Montréal)
La philosophie marxiste des années 1960 a été marquée par un vif débat entre, d’un côté, le marxisme humaniste d’Henri Lefebvre et de Roger Garaudy et, de l’autre, le marxisme antihumaniste de Louis Althusser. L’influence existentialiste des uns s’opposait à l’intégration du structuralisme au sein du marxisme des autres. Les rôles et fonctions de l’idéologie, de la subjectivité et de la science au sein de la lutte des classes furent contestés de part et d’autre. Débordant du cadre théorique, ces débats divisèrent la gauche française au niveau organisationnel et stratégique.
Lorsque les événements français de Mai et Juin 1968 ainsi que le soulèvement de Prague survinrent, ces mêmes positions antagonistiques se disputèrent leur sens. Ces événements jouèrent un rôle de premier plan dans la matérialisation de ce clivage théorique et pratique notamment par la constitution d’une Nouvelle gauche et de Nouveaux mouvements sociaux. Comment ces rapports conflictuels, au niveau théorique, furent-ils constitutifs de ces nouvelles réalités politiques concrètes?
L’objectif de cette présentation est premièrement d’aborder cette opposition théorique à partir des principaux protagonistes en accordant une attention particulière au rôle accordé à l’idéologie et à la subjectivité dans la théorie marxiste. Dans un second temps, j’esquisserai une généalogie de ces perspectives théoriques afin de situer les forces et enjeux en présence dans l’émergence de la Nouvelle gauche lors des années 70.
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Communication orale
Subjectivité politique de l’amourAndré Duhamel (UdeS - Université de Sherbrooke)
L’idée et l’idéal communs de l’amour romantique moderne entre personnes le situe dans l’intime du sujet, et le prétend plus fort que tous les éléments extérieurs défavorables Les théorisations courantes suivent souvent cette idée : l’amour serait une passion de valeur unique, une expérience relationnelle conduisant à la réalisation de soi. Ces conceptions négligent le contexte historique et social de l’amour, comme s’il échappait au temps, aux contraintes, au pouvoir et ne connaissait pas de dynamique en lien avec ces facteurs. Des recherches récentes en sciences humaines et sociales, ainsi que plusieurs théories féministes, soutiennent au contraire le caractère de construction, de production de l’amour, toujours inséré dans des pratiques situées et genrées (corps, sexe, care, émotion, famille, travail, santé, lois, violence, sacrifice), souvent inégalitaires, parfois oppressives, mais susceptibles d’être transformées en retour. Je souhaiterais mettre en œuvre la catégorie de « subjectivité politique » pour penser cette dynamique, en posant deux questions : 1) comment faire en sorte que ces analyses ne restent pas des explications de surplomb, mais puissent être appropriées pour l’action en première personne, tant du singulier que du pluriel, 2) comment ces appropriations pourraient servir de levier de résistance pour la transformation de soi et du monde, non seulement pour et par les parties opprimées ou minorisées, mais aussi celles en posture privilégiée – comme la mienne.