Informations générales
Événement : 88e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 300 - Lettres, arts et sciences humaines
Description :Le colloque « Interroger la représentation de l’habiter urbain dans la fiction contemporaine » portera sur la représentation de l’habiter urbain dans la fiction contemporaine, ceci dans une perspective transmédiatique. Seront donc prises en considération les analyses d’œuvres littéraires, mais également cinématographiques, vidéoludiques, bédéiques et télévisuelles.
Le terme « habiter », suivant Heidegger (1993 [1951]), constitue une caractéristique fondamentale de l’être, une « “poétique” du monde qui questionne l’être de l’habitation humaine » (Lussault, 2007, p. 41). À la suite de Dardel (1990), l’habiter se voit articulé en termes de géographicité, soit comme le produit de la relation de l’humain à la terre; une relation comprenant à la fois un ensemble de pratiques et une conscience singulière de la nature et de l’espace (Dupont, 2008). Naît ainsi une approche « onto-géographique » de l’habiter rendant compte de la projection de l’humain dans l’espace (Lévy et Lussault, 2003), mais aussi un habiter comme acte d’appropriation de l’espace : il est alors question de pratiques habitantes (Rosselin, 2002), soit de manières — comportements, fréquentations et usages — d’être aux lieux (Fries-Paiola et De Gasperin, 2014) ou encore, dans une perspective certalienne, de « faire avec l’espace », soit des usages se rapportant non plus à la manière dont on arrange l’espace, mais à la manière dont on s’arrange de l’espace (Duret, 2019).
L’habiter peut également être considéré comme un co-habiter. Il est alors question de la dimension spatiale de la socialité ou encore de la dimension collective de l’habiter. Il se rapporte alors aux configurations des relations de coexistence des individus en société, l’espace social étant entendu comme un être-ensemble dans un milieu humain et en fonction de celui-ci.
D’abord pensé par les philosophes au cours du 20e siècle, le concept de l’habiter a essaimé depuis dans les sciences humaines et sociales, en particulier en anthropologie, en géographie, en sociologie et en urbanisme, au point de devenir un concept essentiel dans les disciplines concernées par les questions de spatialité ces deux dernières décennies. Récemment, plusieurs perspectives d’analyse se sont penchées sur la représentation de l’habiter dans les œuvres de fiction, telles que la géocritique, l’écocritique et, plus récemment, la mésocritique, dont elle constitue l’objet d’étude privilégié.
En considération de cela, ce colloque a pour objectif de montrer comment la fiction contemporaine envisage l’expérience du milieu urbain — et plus précisément l’expérience de la ville considérée à l’échelle de la métropole ou de la mégapole — par ses habitants et habitantes ou, en d’autres termes, comment la fiction contemporaine représente l’habiter et les pratiques habitantes au sein de la ville.
Date :Format : Uniquement en ligne
Responsables :- Christophe Duret (UdeM - Université de Montréal)
- Christiane Lahaie (UdeS - Université de Sherbrooke)
Programme
Espaces ségrégués, espaces de rencontre
-
Communication orale
Montréal et le roman anglo-québecois comme Zone de Contact : The Girl Who Was Saturday Night, de Heather O’NeillClaudine Gélinas-Faucher (Champlain Regional College – St. Lawrence)
Cette communication part de la prémisse que Montréal représente une « zone de contact » telle que définie par Marie-Louise Pratt, c’est-à-dire, un « espace dans lequel des peuples séparés géographiquement et historiquement entrent en contact et établissent des relations au quotidien » (Pratt, Imperial 7). Je cherche cependant à appliquer cette notion de « zone de contact » non seulement d’un point de vue spatial, mais aussi d’un point de vue textuel, en traitant le roman montréalais anglophone à la fois comme source de représentation de l’espace physique et comme espace textuel en soi. Si certains auteurs tels que Scott Simon et Gail Scott utilisent le “colinguisme” comme moyen de refléter la nature dynamique des relations linguistiques à Montréal, d’autres caractéristiques textuelles peuvent aussi identifier l’espace textuel comme étant dialectique. En prenant comme exemple le roman The Girl Who Was Saturday Night, de Heather O’Neill, ma communication tente d’identifier l’appropriation du point de vue francophone par l’autrice, ainsi que son utilisation d’un réalisme magique qui fait écho à la double vision du personnage de Noushka, comme la naissance d’un phénomène culturel propre à la zone de contact et le signe que Montréal, comme zone de contact avec sa « co-présence, ses interactions, ses pratiques imbriquées les unes dans les autres », même si elle est le résultat de « relations de pouvoir asymétriques », est aussi un espace de néoculturation.
-
Communication orale
L’expérience de l’habiter urbain chez les écrivains caribéens francophonesLine Menage (Université des Antilles)
L’habiter urbain est une problématique exposée dans les romans caribéens francophones.Les écrivains retranscrivent l’expérience de l’homme dans la ville de Fort-de-France, de Pointe-à-Pitre et de Port-au-Prince, des lieux souvent décrits de manière péjorative. Le rapport qu’entretient l’homme avec son milieu est complexe car il résulte de données sociales, raciales et sociétales.Résultant du phénomène d’exode rural, la démographie de la ville ne cesse d’évoluer pour mettre en concurrence les différentes classes de la société, héritées du système esclavagiste. Les nouvelles dynamiques urbaines font intervenir les notions de quartiers, de séparations voire de compartimentations et d’exclusions qui maintiennent l’homme dans une inertie. Les romans de Patrick Chamoiseau, de Gary Victor, sont quelques exemples, livrant la dure réalité de l’homme dans la ville. Les romans mettront en évidence la disparité qui se fait tant de manière sociale que de manière géographique. Cette expérience de l’habiter urbain mettra en exergue les fléaux de la ville ainsi que l’errance et la marginalisation de l’homme. Ces enclaves géographiques, mais aussi psychologiques mettent l’homme dans la posture de l’esclave, dans un espace où il ne peut ni évoluer, ni s’épanouir. Les écrivains caribéens francophones se font les porte-paroles de la problématique de l’habiter urbain dans un espace fragmenté. Quels sont les codes poétiques et langagiers dont usent les écrivains pour dénoncer cette problématique?
-
Communication orale
S’enfarger dans la rue Sherbooke — Le Centre-Sud de Richard SuicideThara Charland (Université McGill)
L’habiter en régime numérique
-
Communication orale
Devenir l’image. L’habiter, entre réel et virtuel, dans le roman De Synthèse de Karoline GeorgesMaude Deschênes-Pradet (UdeS - Université de Sherbrooke)
« Très tôt, j’ai compris que la vraie vie se jouait là, à l’écran (DS, p. 26) », explique l’héroïne imaginée par Karoline Georges dans le roman d’anticipation De synthèse (2017). Situé dans le paysage urbain anonyme d’un futur proche, le récit propose une réflexion sur la difficulté d’habiter le monde ou, plus précisément, d’être au monde (Heidegger, 1993).
Or, parmi les découvertes, technologies électroniques et autres miracles scientifiques à tout bouleverser depuis deux siècles, c’est avec un masque et une paire de gants que je détermine maintenant l’horizon de mon évolution. Depuis près d’une décennie, je me retrouve chaque jour en réalité virtuelle, face à face avec mon double de pixels, à tenter de prendre corps à travers elle. J’y étais presque. Et puis ma mère a commencé à se décomposer. (DS, p. 8)
Les technologies électroniques dont il est question étant presque à notre portée, on pourrait dire qu’il s’agit à peine de science-fiction. Juste assez pour qu’il se produise chez le lecteur une distanciation cognitive favorable à la réflexion (Suvin, 2010). Bientôt, peut-être, se dit le lecteur, ce sera ma vie…ça pourrait presque être moi, cette femme qui ne sort plus, dans ce monde inhabitable. De fait, quel rapport aux lieux, réels et virtuels, les personnages révèlent-ils? Quel rapport à la société, à l’Autre? Quel rapport au corps physique, charnel et inévitable? Quelle co-habitation (Lévy, 1993) est-elle possible pour la fille et la mère?
-
Communication orale
Habiter la ville intelligente : le cas de la franchise vidéoludique WATCH_DOGSChristophe Duret (UdeM - Université de Montréal)
Dans une perspective mésocritique, nous proposerons ici une analyse mésogrammatique des jeux de la franchise vidéoludique WATCH_DOGS et, plus spécifiquement, la représentation de l’habiter au sein des villes intelligentes.
Ces jeux se déroulent dans une version alternative du Chicago et du San Francisco actuels, où la surveillance et la gestion algorithmiques jouent un rôle prépondérant. Ils font écho aux craintes suscitées par l’avènement des villes intelligentes : dérive sécuritaire dans le cadre d’une société dite « de contrôle » ou « algorithmique », immixtion du secteur privé dans la gouvernance des villes et, plus largement, création d’enclaves et disparition de l’espace commun.
Notre objectif sera de montrer comment WATCH_DOGS, par le biais d’une structure agonistique opposant Blume Corporation (artisan des villes intelligentes) à DedSec (groupe de cyberactivistes chargé de mettre un terme à ses activités), d’une part, et à l’aide d’une rhétorique spatiale témoignant d’une certaine ambivalence utopique, d’autre part, retravaillent les enjeux de l’habiter dans la ville intelligente. WATCH_DOGS promeut un habiter alternatif caractérisé, notamment, par une réappropriation citoyenne des dispositifs technologiques de la ville intelligente dans l’optique d’un désenclavement de ses différents mondes sociaux, pris jusque-là dans une logique d’exclusivisme social et de clubisation (illustrée notamment par les gated communities), et d’une recréation de l’espace commun.
L’urbanité hors la ville
-
Communication orale
L'habiter pavillonnaire à la française : explorations fictionnelles et reconfigurations critiquesArthur Pétin (Université Grenoble Alpes)
Alors qu’ils constituent une réalité structurelle du territoire français, les espaces urbains périphériques demeurent largement critiqués. À rebours d’une représentation médiatique souvent réductrice et surplombante, la littérature française contemporaine s’intéresse de façon croissante à ces territoires pour en explorer justement toute l’ambivalence.
Or les fictions contemporaines ancrées dans le périurbain – si l’on pense aux ouvrages récents de Sophie Divry, Julia Deck, Bruce Bégout et Fanny Taillandier –, au-delà de leur diversité formelle, entreprennent surtout de ressaisir le mode de vie des habitants de ces zones. L’habiter périurbain se distingue, en effet, des pratiques urbaines en usage, tant dans les centres des métropoles que dans la représentation qu’en donne la littérature française jusque dans les années 2000.
Loin de toute vision idéaliste, ces fictions dressent un tableau souvent critique des modalités d’existence du périurbain. Mais, si ces textes donnent à éprouver au lecteur toute l’épaisseur de ce mode de vie singulier, c’est précisément en résistant à la banalité et à la monotonie prétendues de ces espaces, pour en faire surgir toute l’étrangeté via divers processus de distanciation. Dès lors, c’est la notion même d’habiter et ses implications idéologiques que les fictions périurbaines permettent de questionner, en pointant les limites d’un mode d’habitation qui se penserait avant tout comme une appropriation familiarisante du monde.
-
Communication orale
Quand les néo-ruraux contemplent les campagnes, quelles représentations de l’habiter urbain dans les films français contemporains ?Maylis Asté (Université Toulouse 2 Jean Jaurès)
En s’appuyant sur un corpus de films ruraux français, ce chapitre interroge ce que les personnages de retour ou fraîchement installés à la campagne disent de l’habiter urbain en contemplant leur nouveau cadre paysager. Outre la dimension narrative, nous aborderons les choix formels des cinéastes et les représentations sociales qu’ils sous-tendent. Promotion d’un lieu de vacances ou attention sensible à un genius loci, ces mondes fictionnels façonnent nos imaginaires.
Habiter, mémoire, identité
-
Communication orale
Écritures de l’habiter urbain : Montréal, espace d’affect et espace de pensée dans l’écriture au féminin, de la « demeure » à la spatialisation d’une identité collectiveCarmen Mata Barreiro (Universidad Autónoma de Madrid)
L’imaginaire urbain s’avère important dans l’écriture au féminin au Québec, dans l’œuvre d’écrivaines comme Nicole Brossard, Louise Dupré et Alexie Morin, ainsi que dans l’écriture migrante au féminin (cf. Abla Farhoud, Kim Thúy, Marie-Célie Agnant). Montréal y apparaît comme une entité signifiante, comme « palimpseste » (Corboz, 1983 ; Morisset, 2009) et comme « spatialisation d’une identité collective » (Morisset, 2011 : 43), et parallèlement, comme une ville vécue et ressentie, comme un espace de réalisation d’un lien social.
Dans une perspective transdisciplinaire, nous analyserons l’approche, chez des écrivaines québécoises contemporaines, de l’espace privé et de l’espace public, la mémoire de l’arrivée à Montréal, de son apprivoisement et de l’identification avec la ville, la représentation de l’habiter urbain comme un dialogue ou une tension entre l’intime et le politique. Et nous interrogerons l’espace, privé et public -de la « demeure » (Didi-Huberman) aux « non-lieux » (Augé)-, comme moteur de transformation du je, comme lieu de prise de conscience de la vulnérabilité de l’être humain et de la complexité des cultures et de leur communication.
-
Communication orale
Ces souvenirs qui viennent au fil de l’écriture et à travers la villeAgata Mozolewska (UdeM - Université de Montréal)
J’interroge à la fois l’œuvre de Patrick Modiano et celle de Régine Robin en ce qu’elles explorent les lieux urbains, les lieux de la mémoire individuelle et collective hantés par l’Occupation.
Déambuler à travers la ville, habiter et traverser Paris est un prétexte pour visiter le passé et pour enquêter sur les vies disparues. Laisser venir les souvenirs, c’est aller à travers la ville et l’écrire.
Les deux auteurs sont hantés par la mémoire et notamment celle que referment certains lieux urbains (les rues, les appartements, les bistrots par exemple), lieux avec leurs traces plus ou moins empoussiérées. Ainsi, la question de la mémoire reste chez Modiano comme chez Robin intrinsèquement liée à celle de l’habitat, du lieu où la trace ne devient visible finalement qu’ « au fil de l’écriture ». Leurs personnages ont cette « pulsion archivistique », cette tendance aussi à vouloir à tout prix remplir les vides de ces lieux comme les blancs des pages. Le hasard qui, chez Modiano tout particulièrement, n’est qu’un « faux » hasard les amène sur les chemins parfois inattendus leur permettant de faire les liens, de dépoussiérer les empreintes enfouies, de retrouver les pistes et les fragments de souvenirs.
Robin et Modiano partagent ce même « désir d’écriture », cette même « prolifération d’existence ». Leurs nostalgies « ne se laissent pas apprivoiser » et la peur de l’oubli les pousse à déambuler devenant la ligne de départ de l’écriture.
-
Communication orale
La passion de « l’habiter » : Guillaume et Nathalie de Yanick LahensMorgan Faulkner (UNB - University of New Brunswick)
Guillaume et Nathalie de l’écrivaine haïtienne Yanick Lahens relate la rencontre amoureuse d’un sociologue et d’une architecte à Port-au-Prince les mois avant le séisme de 2010. Ils ont chacun une relation complexe à la ville, métropole haïtienne de plus de 2.5 millions d’habitants. La famille de Guillaume vit en exile au Québec, tandis que Nathalie vient de se réinstaller à Port-au-Prince après avoir fui ce lieu où elle a vécu d’atroces violences sexuelles. Cette étude interrogera la manière dont l’individu « habite » l’espace de ses traumatismes. Dans un premier temps, la ville de Port-au-Prince est dépeinte comme un lieu de violence, de misère et de désespoir. Dans un deuxième temps, l’œuvre examine la psychologie de l’être aux prises avec la ville et avec soi-même. La ville et l’être sont ainsi liés dans une vision de « l’habiter » où l’individu confronte l’espace intérieur et extérieur de ses vécus. Le choix d’un personnage de sociologue et d’un autre architecte est important. Guillaume et Nathalie interrogent les pratiques habitantes de la ville en rapport avec son espace physique. Quelles sont les choses qui la font tenir ensemble ? Qui la font effondrer ? Cette communication se penchera sur comment Lahens use de la fiction pour réfléchir sur l’expérience intime et collective de la ville de Port-au-Prince. En quoi, malgré la présence écrasante de la misère dans la ville, l’œuvre représente-t-elle, également, le désir accablant de vouloir l’habiter ?