Le Prix Acfas Thérèse-Gouin-Décarie 2024, pour les sciences sociales, est remis à Francine Saillant, professeure au Département d’anthropologie de la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval.
La lauréate est une anthropologue de la santé et des droits humains qui a mis au cœur de ses travaux toute l’importance de tenir compte du contexte socioculturel quand il est question de soins. Elle a introduit, par exemple, des méthodes participatives faisant appel aux témoignages et à l’art. Grande voyageuse, elle a enseigné dans les communautés locales d’une dizaine de pays, effectuant un travail de terrain avec rigueur et respect. La créativité dans ses approches est la qualité par excellence que lui attribuent collègues et étudiant⸱es, et plusieurs organisations sociales cherchant conseil auprès d’elle.
Francine Saillant entame sa carrière en 1973 comme infirmière, puis assistante infirmière-chef, à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus de Québec. En 1975, elle choisit d’étudier en anthropologie à l’Université Laval. En 1986, elle obtiendra son doctorat de l’Université McGill pour la toute première thèse en anthropologie médicale clinique effectuée au Québec, intitulée Les aspects culturels de l'expérience du cancer en contexte clinique moderne. Elle en fera une publication accessible, Cancer et culture. Produire le sens dans la maladie, un ouvrage de référence en sciences sociales. Francine Saillant y explore comment, au-delà de la pathologie, la personne malade cherche à donner du sens à son expérience. Dans son analyse, elle tient compte des caractéristiques du système de santé québécois ainsi que des conditions environnementales, culturelles, etc. Elle contribue ainsi à transformer les représentations sociales du cancer et de la mort en plaçant l’expérience humaine au cœur des approches.
Devenue professeure à l’Université Laval en 1982, elle s’intéressera en particulier à la santé des femmes, réalisant la première étude sur les sages-femmes au Québec. En 1987, elle dirige un ouvrage collectif, Accoucher autrement. Repères historiques, sociaux et culturels sur la grossesse et l'accouchement au Québec, qui fera école sur la manière d’aborder la question. Ces deux productions ont mené à des changements notables dans les mentalités et les pratiques, notamment en milieu hospitalier.
Elle amorce par la suite un travail pionnier sur les soins, avec une série d’études sur la médecine populaire abordée sous l’angle des pratiques familiales. Ces analyses feront connaître l’apport des femmes aux soins familiaux ainsi qu’aux pratiques déployées en l’absence de professionnel·les de la santé entre la fin du 19e siècle et le début des années 1960.
Petit à petit, la vision sociale de Francine Saillant prend forme, faisant surgir d’étonnantes initiatives relatives aux soins. À la fin des années 1990, une époque où la médiation culturelle est peu ou pas pratiquée par le milieu scientifique, elle convie le public à l'exposition Aux grands maux les grands remèdes, au Musée de la culture populaire du Québec, à Trois-Rivières.
Au début des années 2000, tout est à faire pour les aidants·es naturel·les – majoritairement des femmes –, un apport social totalement invisible. Francine Saillant décrit les soins féminins comme forgeurs de liens sociaux, pourvoyeurs d’accompagnement et de présence humaine auprès des personnes vulnérables. Elle met les projecteurs sur la valeur d’une approche non-techniciste des systèmes de soins et sur notre responsabilité collective. Les personnes proches aidantes sont enfin reconnues.
Peu à peu, la lauréate ouvre sa pensée à l’anthropologie des droits humains. Rompue au travail de terrain à l’échelle internationale, elle collabore avec les milieux humanitaires et produit une vaste recherche impliquant la France et le Brésil ainsi que l’ONG Handicap international. Elle est une des premières personnes à développer théoriquement une anthropologie comparative de l’humanitaire et de la vie sociale des droits.
Les droits dans le mouvement communautaire québécois forment un autre thème de son expertise. Avec son équipe, elle documente 50 ans d’actions sociales en faveur des groupes marginalisés. En ressort une exposition itinérante, InterReconnaissance, qui rassemble les témoignages de personnes issues de 500 groupes communautaires québécois. Le racisme et la diversité suscitent aussi son intérêt. Elle effectue, par exemple, des recherches approfondies sur les réparations dans le contexte de l’esclavage au Brésil et les réunit dans l’ouvrage Le mouvement noir au Brésil, publié en 2014.
Autrice ou directrice de 35 ouvrages, Francine Saillant est également réalisatrice de films, dont Navire négrier, en 2014, soutenu par l’UNESCO. L’ONU l’invite ensuite à rédiger Diversity, Dialog and Sharing, un livre sur les ressources interculturelles dans le monde. La méthode Saillant, qui intègre l’art aux méthodes des sciences sociales, fait de plus en plus d’adeptes sur le plan méthodologique.
Le leadership de la lauréate est tout autant remarqué. Pendant six ans elle a dirigé le Centre de recherche Cultures-Arts-Sociétés de l’Université Laval, conciliant les perspectives de 17 disciplines. Elle a conçu par ailleurs une programmation sur le vivre-ensemble dont le concept a été reconnu par l’Unesco. L’idée sera appréciée par la Ville de Québec, qui invitera la chercheuse à siéger à son comité d’experts sur le Vivre-ensemble, pour adapter le programme à l’échelle de l’agglomération. Elle a coréalisé le film Apparaître, dédié aux ressources alternatives qui offrent l’art comme forme d’accompagnement en santé mentale.
En 2015, avec des collaborateur·trices internationaux, Francine Saillant fonde Anthropen, le « dictionnaire francophone d’anthropologie ancré dans le contemporain », ouvert et en libre accès. Instrument unique au monde, Anthropen.org vise à combler le manque de ressources scientifiques en français dans ce domaine.
La pertinence scientifique et sociale des travaux de Francine Saillant est reconnue mondialement. La chercheuse est considérée comme une leader incontestable et une mentore des plus appréciées en anthropologie de la santé et des droits humains. Toujours active, cette passionnée des sciences sociales poursuit ses initiatives originales pour vulgariser les connaissances.
Publié en novembre 2024.