Le Prix prix Acfas Michel-Jurdant 2024, pour les sciences de l’environnement, est remis à Philippe Archambault, professeur au Département de biologie de la Faculté des sciences et de génie de l’Université Laval.
Cet expert en écologie marine plonge jusqu’aux grandes profondeurs du golfe du Saint-Laurent et de l’Arctique canadien pour documenter la biodiversité des écosystèmes côtiers. Il s’intéresse tout particulièrement aux invertébrés des fonds marins, qui représentent plus de 90 % des organismes océaniques. Ses constats sur les relations entre la diversité de la vie sous-marine et les changements climatiques ont des impacts majeurs en matière de protection des écosystèmes marins, et ce, partout sur la planète. Ses travaux, qui contribuent notamment à la sécurité des ressources marines utilisées par les populations inuites, illustrent bien une démarche qui, comme celle de Michel Jurdant, contribue à servir tous les vivants.
Philippe Archambault réalise d’abord un doctorat à l’Université Laval. Sa thèse, qu’il dépose en 1998, traite des invertébrés : Influence de l'hétérogénéité côtière à grande échelle sur les communautés benthiques et planctoniques. Puis, il met le cap vers l’Australie pour deux ans d’études postdoctorales auprès du professeur Antony J. Underwood de l’Université de Sydney, un grand spécialiste en statistiques appliquées à l’environnement. Il travaille alors sur l’influence de la taille des villes et des eaux usées sur l’état des eaux longeant la côte est de l'Australie.
Il revient ensuite au Québec en 2000, et c’est à Institut Maurice-Lamontagne de Pêches et Océans Canada qu’il décroche son premier poste de chercheur dans son champ de spécialité : l'influence des perturbations naturelles et anthropiques sur la biodiversité des écosystèmes aquatiques. Il conçoit alors un plan d’échantillonnage pour tester l’effet de l’ensemencement de poissons sur la biodiversité des lacs. Son travail s’avère précieux pour les gouvernements fédéral et provincial, qui s’en inspirent pour élaborer des lignes directrices du processus d’introduction de poissons dans les plans d’eau. Ces travaux en milieu marin seront aussi utilisés pour appuyer le développement d’aires marines protégées ailleurs dans le monde.
En 2007, il devient professeur-chercheur à l’Institut des sciences de la mer relié à l’Université du Québec à Rimouski. Puis, en 2016, l’Université Laval l’accueille à titre de professeur titulaire au Département de biologie.
Il sera le premier à démontrer l’existence d’un réseau complexe d’interactions alimentaires entre tous les poissons qui vivent dans nos océans, soit quelque 11 300 espèces. Ce réseau alimentaire, découvre-t-il, est si intimement interconnecté géographiquement qu’une simple perturbation locale, aussi petite soit-elle, se répercute dans l’ensemble du réseau, à l’échelle de la planète. Les résultats de ses travaux figuraient parmi les 10 Découvertes de l’année 2019 du magazine Québec Science.
Du côté des écosystèmes côtiers arctiques, son travail sur le terrain et les masses de données recueillies pendant de nombreuses années permettront de caractériser l’état de santé et l’évolution de ces milieux. Et si la fonte du couvert de glace arctique faisait entrer davantage de lumière dans les eaux, se demande l’équipe d’Archambault? La température de l’eau monterait probablement et deviendrait accueillante pour d’autres espèces comme les grandes algues. Ces algues, qui pratiquent la photosynthèse, attireraient à leur tour plus de biodiversité. Or, pour appuyer cette hypothèse, il faut trouver un moyen de mesurer et de cartographier directement cette diversité en perpétuel changement… Comment y parvenir?
Quand on travaille sur les écosystèmes et les réseaux, on nage aussi dans l’interdisciplinarité. Sans surprise, en retrouve alors le lauréat au sein de différentes collaborations. Par exemple, il se tourne vers des chercheur·euses en optique photonique et des spécialistes en santé communautaire pour développer un capteur LIDAR fluorescent sur mesure. Il en résultera une percée étonnante dans la compréhension des environnements côtiers arctiques ou d’ailleurs. En effet, le potentiel de séquestration du carbone de ces grandes algues est bien plus significatif que ce que l’on croyait. De plus, ces écosystèmes singuliers constituent des sources de nourriture insoupçonnées pour les communautés inuites. Ils offrent des aliments riches en sélénonéine – un puissant antioxydant qui contribuerait à diminuer les effets néfastes du mercure sur la santé, un phénomène affectant ces populations.
Comme Michel Jurdant, Philippe Archambault veut que les questions fondamentales et les études théoriques soient prises en compte dans les décisions en matière de biodiversité et de changements climatiques. À cet effet, il a fondé, en 2014, Notre Golfe, le réseau d’innovation intersectoriel pour l'étude de l'environnement socioécologique du golfe du Saint-Laurent, dont il a été directeur scientifique jusqu’à l’arrêt des activités, en 2018. Les observations de ce réseau ont été utilisées par le Sénat canadien pour appuyer l’interdiction de l’exploration et de l’exploitation d’hydrocarbures en Arctique canadien ainsi que dans le golfe du Saint-Laurent.
Le lauréat a aussi cofondé, en 2015, le Laboratoire international associé BeBest, spécialisé en écologie côtière, qui propose des concepts et des outils pour l’étude de ces écosystèmes.
Rassembleur reconnu par ses pairs, Philippe Archambault devient en avril 2024 l’un des deux directeurs scientifiques du réseau national de recherche ArcticNet. Il avait rejoint ce réseau à titre de chercheur dès 2007. Soulignons enfin que le lauréat est qualifié, rien de moins, de professeur « hors classe » par ses étudiant⸱es, à qui il consacre une bonne partie de son temps. Déjà, plusieurs sont dans son sillage...
Publié en novembre 2024.