Laurent Mottron
Le Prix Acfas Léo-Pariseau, pour les sciences biologiques et les sciences de la santé, est remis à Laurent Mottron, professeur titulaire au Département de psychiatrie de l’Université de Montréal.
Le lauréat, chercheur et psychiatre, figure parmi les spécialistes les plus reconnus mondialement dans le domaine de l’autisme. Même s’il s’est surtout fait connaître au niveau international par ses découvertes sur les forces propres aux personnes atteintes d’autisme, il a abordé simultanément presque tous les aspects en cause : mécanismes neurocognitifs, outils diagnostiques, évaluation clinique de personnes de tous âges, intervention précoce, génétique, imagerie cérébrale.
Originaire de France, Laurent Mottron détient un doctorat en linguistique de la Sorbonne et un second en médecine, de l’Université de Tours. Pour ses études postdoctorales, en 1992, c’est le Québec qu’il choisit, où il approfondit la neuropsychologie cognitive à l’Université de Montréal auprès de Sylvie Belleville.
Devenu chercheur, puis professeur, au Département de psychologie et d’addictologie de l’Université de Montréal, il sera l’un des pionniers d’une discipline aujourd’hui en effervescence : le traitement des informations chez les autistes, de l’enfance à l’âge adulte. Il maintient une large pratique diagnostique clinique à l’Hôpital en santé mentale Rivière-des-Prairies, affilié à l’Université de Montréal, où il voit plusieurs milliers d’enfants et d’adultes autistes. Il inclut ainsi dans son groupe de recherche des personnes autistes, entretenant avec elles des liens très proches et valorisant leur contribution scientifique autant que militante. Les résultats obtenus par son équipe depuis 30 ans modifient profondément notre compréhension de l’autisme, le choix des interventions à appliquer et la place des autistes dans la société.
Première découverte importante du lauréat : la perception des autistes, contrairement à ce qu’on a longtemps écrit, ne fonctionne pas tout à fait comme celle des autres personnes, et elle joue un rôle supérieur dans leurs centres d’intérêt et leur intelligence, moins souvent diminuée qu’on le pense. L’autisme peut être comparé à une intelligence normale, même si celle-ci fonctionne différemment. Voilà ce qu’il défend dans son premier ouvrage, accessible au grand public : Une autre intelligence (2004), un texte de référence pour le diagnostic et le soutien des autistes adultes dans les pays francophones.
Avec sa collègue autiste Michelle Dawson, et les chercheurs Isabelle Soulières et Jack Burack, il dirigera les travaux de conception d’un modèle qui unifie l’ensemble des connaissances alors accessibles en neurosciences de l’autisme : le « surfonctionnement perceptif ». La notion que la perception des autistes puisse avoir une performance supérieure et un plus grand rôle dans leurs opérations mentales est aujourd'hui encore le principal modèle explicatif permettant, entre autres, d’interpréter les données d'imagerie par résonance magnétique en la matière, comme les signes que les autistes présentent dans leur vie de tous les jours. Cette notion de perception atypique sera, en 2013, intégrée dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), le plus utilisé en clinique et en recherche psychiatriques.
En 2007, Laurent Mottron fonde le Centre d’excellence en troubles envahissants du développement de l’Université de Montréal (CETEDUM), avant de se voir confier, en 2008, les rênes de la Chaire de recherche Marcel et Rolande Gosselin en neurosciences cognitives fondamentales et appliquées du spectre autistique, dont il est le titulaire jusqu’en 2027. Cette chaire vise à transformer les principes de l'intervention précoce auprès des enfants atteints, à partir de l’idée que l’intervention doit s’appuyer sur ce que les enfants autistes savent et aiment faire plutôt que de prendre modèle sur la manière dont les enfants typiques apprennent. Cette nouvelle stratégie d'apprentissage, qui s’appuie sur une connaissance profonde de la manière dont ces enfants traitent l’information, et en particulier le langage, révolutionne l’approche thérapeutique utilisée jusque-là.
En 2011, le chercheur répond à l’invitation de la revue scientifique Nature et publie l’article « Changing perceptions: The power of autism », devenue un des articles « bannières » de l’intégration des personnes neurodiverses dans notre société. Par sa fréquentation quotidienne de chercheur·euses autistes intégrés à son groupe, Laurent Mottron bénéficie d’un accès unique à « l’intelligentsia » autiste à travers le monde, un accès qui aura, entre autres, des impacts de nature politique. En 2016, en collaboration avec la Dre Isabelle Soulières, une de ses étudiantes devenue professeur-chercheuse, il jouera un rôle clé dans la décision du gouvernement québécois d'abandonner l'intervention précoce intensive comme traitement exclusif de l'autisme. Le témoignage du professeur Mottron, combiné à celui de Michelle Dawson, devant la Commission canadienne des droits de la personne et autres tribunaux, fera également en sorte que les employeurs et les responsables de garderies ne puissent plus exercer de la discrimination envers les personnes autistes.
En 2019, dans un article publié en collaboration avec la doctorante autiste Eya-Mist Rødgaard dans le Journal of the American Medical Association, il démontre comment les différences observées entre les personnes autistes diagnostiquées et les non-autistes ont diminué au fil du temps. Cette observation s’est combinée à un débat international lancé sur ce thème par le lauréat à partir, cette fois, d’un article publié en 2021 « A radical change in our autism research strategy is needed: Back to prototypes », et d’un discours présenté en 2023 sur invitation au congrès de la Société internationale de recherche sur l’autisme et à la communauté scientifique chinoise. Le chercheur se demandait si les critères diagnostiques, devenus trop généraux, ne feraient pas obstacle aux nouvelles perspectives en matière de recherche et de traitements. Ainsi, selon lui, trop de personnes seraient aujourd’hui diagnostiquées en raison de critères inadéquats.
Dans les dernières années, avec d’autre membres de son groupe de recherche, il a élaboré un modèle qui modifie radicalement la place de l’autisme dans les variations humaine et éclaire de multiples aspects dont on était jusqu’ici incapable d’expliquer la combinaison. Son dernier ouvrage, Si l’autisme n’est pas une maladie, qu’est-ce? Une refondation de la définition de l'autisme, de son étiologie et de sa place dans l'espèce humaine (2024), explique que l’autisme serait à placer, avec d’autres « bifurcations développementales asymétriques » du développement humain, comme des « possibilités humaines » minoritaires – comme le fait d’être gaucher, jumeau ou homosexuel –, non comme des maladies ou de simples variations.
Influenceur de la pratique médicale au Québec et en France, le lauréat joue un rôle de premier plan dans la formation de la prochaine génération de psychiatres spécialisés. Avec la complicité organisationnelle de sa collègue médecin Pascale Grégoire, il a largement contribué à faire de l’Hôpital en santé mentale Rivière-des-Prairies le chef-lieu de la recherche en autisme au Québec, et un des établissements internationaux les plus influents dans ce domaine. L’assiduité de ses recherches et sa détermination inébranlable à stigmatiser une conception « normocentrique » de l’autisme incitent fortement la communauté scientifique mondiale, à considérer des questions parfois dérangeantes et en rupture de ban avec l’esprit du temps.
Publié en novembre 2024.