Le Prix Acfas Jacques-Rousseau 2024, pour la multidisciplinarité, est remis à Caroline Duchaine, professeure titulaire au Département de biochimie, microbiologie et bioinformatique de l’Université Laval.
La lauréate a élevé la science des bioaérosols, ces particules biologiques en suspension dans l’air, à un niveau résolument supérieur grâce à son approche multidisciplinaire. Les travaux de la chercheuse ont notamment révélé les risques de transmission de virus et bactéries par voie aérienne, sur la ferme comme à l’hôpital. Il va sans dire que sa contribution a été fortement utile, par exemple, lors de la pandémie de COVID-19. Microbiologie, physique, médecine, science de l’atmosphère, ingénierie, biologie moléculaire et hygiène industrielle : assembler autant de champs d’expertise variés au sein de ses projets est un pari audacieux, mais ô combien fructueux.
Caroline Duchaine détient une formation multidisciplinaire de l’Université Laval. Elle complète son baccalauréat en microbiologie en 1991, obtient son diplôme de maîtrise en physiologie/endocrinologie en 1993, et, trois ans plus tard, un doctorat en médecine expérimentale. Dans le cadre de sa thèse, la chercheuse intègre des savoirs en santé humaine, en microbiologie et en utilisation de modèle animal pour démontrer que les producteurs laitiers du Québec s’exposent à un risque accru de développer des maladies respiratoires incurables – un risque causé par les bactéries utilisées pour préserver le foin de la croissance des moisissures. Des portes s’ouvrent alors pour l’étude des bioaérosols en milieu agricole au Québec.
C’est à cette époque que Caroline Duchaine développe son approche multidisciplinaire, où la recherche devient un lieu d’échange dynamique entre des collaborateur·trices aux expertises variées. Cette stratégie s’est rapidement cristallisée en véritable « modèle » pour ses recherches.
Après deux stages postdoctoraux à l’Université de Montréal, puis à l’Université d’Iowa, la chercheuse se joint au corps professoral de l’Université Laval en 2000.
Les aérosols, qui représentent couramment de 15 à 20 % de la pollution atmosphérique particulaire, contribuent à de nombreux enjeux sanitaires et industriels. Ils jouent notamment un rôle dans les maladies infectieuses, les allergies et la détérioration de différents matériaux et mécanismes. Pourtant, les études d’impact des aérosols sur la santé humaine et animale n’ont véritablement commencé qu’au début du 21e siècle. Caroline Duchaine est une pionnière dans l’élaboration d’approches novatrices pour étudier la composition, le comportement, la caractérisation et le contrôle des bioaérosols. Un sujet qui fut d’ailleurs propulsé à l’avant-scène mondiale avec la pandémie de COVID-19.
La lauréate publie en 2015 une étude sur le rôle de l’air dans la transmission de la gastroentérite, étude qui transformera significativement les pratiques de prévention de cette maladie en milieu hospitalier. Caroline Duchaine et son équipe démontrent alors que les norovirus, principalement responsables des cas de gastroentérite, peuvent se disséminer par voie aérienne. La découverte est majeure et fait grand bruit : couverture médiatique internationale, présentation par le président de l’European Congress on Clinical Microbiology and Infectious Diseases (2016) devant plus de 15 000 acteur·trices du milieu hospitalier et ingénieur·es en ventilation.
Depuis 2019, Caroline Duchaine dirige un projet sur le rôle des bioaérosols dans la dispersion des gènes de résistance aux antibiotiques (GRA). Pour ce, elle a créé un riche écosystème de recherche, où collaborent des spécialistes de diverses disciplines : génie agricole, production animalière, médecine des animaux, santé publique, météorologie, chimie, biologie, génie médical, infectiologie, bioinformatique, intelligence artificielle et physiologie animale. Des équipes canadienne, américaine, française et chinoise participent à différents volets des travaux et aident à dresser un tableau global de cet enjeu mondial qu’est la résistance aux antibiotiques. Voilà un parfait exemple concret de l’approche multidisciplinaire de la lauréate.
Ces projets audacieux soulignent aussi les qualités de communicatrice de la chercheuse, qui réussit à mettre en place un vocabulaire commun pour des domaines disparates. Sa volonté de partager ses connaissances, tant au sein de la communauté scientifique qu’auprès du grand public, reflète son désir sincère de contribuer au bien-être de la société dans son ensemble. Ce ne fut donc pas étonnant de la retrouver membre de plusieurs comités gouvernementaux pendant la pandémie de COVID-19. Caroline Duchaine fut alors la seule scientifique au Québec à procéder à des campagnes d’échantillonnage dans les milieux de soins.
Son travail au sein du Comité de sciences dentaires du ministère de la Santé du Québec, où elle est l’unique spécialiste des bioaérosols, représente un élément clé dans l’établissement de meilleures mesures et pratiques de contrôle – tels les purificateurs d’air – de la transmission des maladies en pratique dentaire.
Les personnes formées dans le laboratoire de la chercheuse sont elles-mêmes devenues des expertes du domaine et contribuent à enrichir le paysage scientifique. Rassembler des chercheur·euses universitaires autour d’une question est une chose, mais réunir des cultures professionnelles autour de cette même question en est une autre. Et ces défis, Caroline Duchaine les surmonte avec brio.
Publié en novembre 2024.