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YolandeCohen
Sciences humaines

Yolande Cohen

Université du Québec à Montréal

Le Prix Acfas André-Laurendeau 2024, pour les sciences humaines, arts et lettres, est remis à Yolande Cohen, professeure titulaire au Département d'histoire de l'UQAM.

L’historienne est, entre autres, reconnue pour ses travaux sur les mouvements étudiants du 20e siècle en Europe. Elle a aussi mené à la fin des années 1980, un important chantier de recherche sur l'histoire comparée des femmes et du genre en France et au Québec. Elle mit alors en lumière le rôle des mouvements de femmes dans la modernisation et la sécularisation du Québec, notamment en analysant leurs associations volontaires et professionnelles. Engagée socialement, la lauréate se démarque aussi par ses enquêtes, qui ont redonné une voix aux « sans voix ».

Après un doctorat en histoire à l'École des hautes études en sciences sociales de Paris, Yolande Cohen traverse l’Atlantique et rejoint en 1978 le corps professoral du Département d’histoire de l’UQAM. Le sujet de la minorisation politique des jeunes et des étudiant·es, qui est alors au centre des préoccupations de la chercheuse, l’amène à démontrer les processus d’exclusion à l’œuvre dans l’espace démocratique francophone alors que se met en place la IIIe République. Ni représentés ni considérés au sein des instances politiques, nombre de ces jeunes forment des regroupements pour se faire entendre. Le travail de la lauréate consistera notamment à retracer le parcours et l’influence de ces mouvements de jeunesse, invisibilisés dans l’histoire traditionnelle.

Elle montrera d’abord comment les groupes de jeunes et d’étudiant·es, dont un grand nombre sont exclus du droit de suffrage sur la base de leur âge, ont fait irruption dans l'espace politique au tournant du 20e siècle. En 1982, elle codirige un numéro de la revue Mouvement social, entre socialisme et nationalisme : les mouvements étudiants européens, puis publie, en 1989, la monographie intitulée Les jeunes, le socialisme et la guerre : histoire des mouvements de jeunesse en France. Ces textes ont révélé les critiques antimilitaristes formulées par les jeunes à l’égard d’une IIIe République sourde à leurs revendications. L’historienne contribuera ainsi à intégrer les préoccupations de ces groupes dans la réflexion sociale et politique, une approche pour laquelle elle est encore sollicitée comme experte internationale.

Yolande Cohen s’intéresse parallèlement à la minorisation politique des femmes. Elle lancera un grand chantier pour étudier l’histoire des femmes rurales et urbaines au Québec, et rendre leur apport plus visible. La lauréate dévoile ainsi que, malgré leur exclusion du droit de suffrage, les femmes ont joué un rôle crucial dans la modernisation du Québec dès les années 1920 et 1930. Elles ont, entre autres, contesté leur assignation à la sphère privée en fondant des associations volontaires entre elles. Avec son ouvrage Femmes de paroles : l'histoire des Cercles de fermières du Québec, paru en 1990, on découvre en regroupement qui a pris ses distances face au clergé et qui a développé un féminisme « maternaliste », c’est-à-dire basé sur le souci des autres. La lauréate propose ainsi une relecture plus inclusive de l'histoire du Québec. 

Elle approfondit ensuite ses recherches dans Femmes philanthropes : catholiques, protestantes et juives dans les organisations caritatives du Québec. Cet ouvrage, publié en 2010, témoigne de la contribution de ces femmes bienfaitrices aux premières politiques publiques touchant la famille, la santé et l’immigration. Elle poursuit son étude comparée des féminismes contemporains en analysant la question complexe de leurs positionnements divergents sur le système prostitutionnel dans Prostitution et traite des femmes. Une cause féministe en France et au Canada au tournant du XXe siècle, paru en 2019.

L’historienne explore également la professionnalisation des infirmières, un mouvement qui a conduit à la laïcisation rapide des soins au Québec. Ses travaux exposent les enjeux liés au care – ou soin des autres –, un travail longtemps gratuit, invisible et majoritairement accompli par les femmes. En 2000, elle publie une importante monographie intitulée Profession infirmière : une histoire des soins dans les hôpitaux du Québec, utilisée dans les facultés de médecine, de sciences infirmières et de sciences sociales.

On ne pourrait faire état de la carrière de Yolande Cohen sans parler de ses travaux sur les migrations juives maghrébines, communauté dont elle est issue.  Alors que le sujet demeurait inexploré, l’historienne s’est intéressée aux rapports interethniques et confessionnels dans la constitution des États nationaux postcoloniaux au Québec comme en France. Elle publia en 1992 Itinéraires sépharades : L'odyssée des Juifs sépharades de l'Inquisition à nos jours, et, en 2000, Juifs marocains à travers les âges : Tradition et modernité. Ces ouvrages témoignent du rôle des diasporas dans la formation d’une identité juive sépharade transnationale et de l’ancrage réalisé par ces populations migrantes dans leur pays d’accueil. 

Dans toutes ses recherches, Yolande Cohen a développé une méthodologie unique en histoire orale. Cette approche basée sur l’enquête de terrain consiste à analyser les récits oraux pour retracer les voix oubliées. Son expertise dans le domaine des migrations postcoloniales l'a menée à démontrer les situations de marginalisation et de discrimination dans lesquelles se trouvent les populations migrantes, le contexte d'accueil auprès d’elles et l’organisation de ces groupes au sein des diasporas. Elle a ainsi mis à l'épreuve le concept d'agency – ou capacité d'agir –, qu'elle  a   développé avec   d’autres théoriciennes féministes à partir d'études empiriques. 

Au-delà de ses recherches et de son enseignement, la lauréate se démarque enfin par son engagement dans le milieu communautaire, médiatique et politique. Active au sein de diverses associations féministes et multiethniques depuis plus de 40 ans, candidate à la mairie de Montréal dans les années 1990, Yolande Cohen, loin d’être prisonnière dans une tour d’ivoire, a les pieds bien ancrés dans la communauté et les bras tendus vers une société plus équitable et inclusive.

Publié en novembre 2024.