Le Prix Acfas Thérèse-Gouin-Décarie 2023, pour les sciences sociales, est remis à Manon Bergeron, professeure titulaire au Département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal.
L’une des grandes forces de la lauréate est de savoir rallier les expertises d’individus, d’institutions et d’organismes d’intervention, pour ensuite les organiser en un réseau visant un objectif commun : prévenir les violences sexistes et sexuelles dans le milieu de l’enseignement. Elle a ainsi mobilisé pour le programme Empreinte, l’un de ses projets phares, les intervenantes de 26 centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) et des chercheuses de milieux universitaires spécialisées en violence sexuelle. En 2018, c’est dans cet esprit de collaboration qu’elle a ajouté une brique à l’édifice en créant la Chaire de recherche-innovation sur les violences sexistes et sexuelles en milieu d’enseignement supérieur (VSSMES). La pertinence sociale et la portée politique d’une telle approche ne font aucun doute.
Manon Bergeron a amorcé sa carrière à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) en 2010. Elle s’intéressait alors à une pratique d'intervention auprès des personnes victimes de violences sexuelles qui datait déjà d’une douzaine d’années. Avec l’arrivée de cette chercheuse, l’étude des violences sexistes et sexuelles dans le milieu scolaire allait désormais prendre une place remarquée et remarquable dans le domaine des sciences sociales.
L’élaboration, avec les CALACS, du programme Empreinte, auquel elle fournira une contribution importante, constitue déjà un moment clé dans sa trajectoire. Destiné aux élèves du secondaire, ce programme prend d’abord corps à travers une série d’ateliers dynamiques axés sur la prévention, ainsi que par des capsules vidéo offertes en ligne aux parents. L'évaluation du programme, parfaitement taillé pour les organismes communautaires, démontre des effets positifs chez les jeunes qui y participent.
En réussissant à promouvoir avec succès le programme auprès du gouvernement du Québec, les dirigeantes ont obtenu du Secrétariat à la condition féminine du Québec un financement de 2 millions de dollars en vue d’offrir Empreinte à travers le réseau des CALACS pour trois ans. Depuis, le financement a été pérennisé.
Un autre exemple éloquent du parcours de Manon Bergeron est cette enquête menée à la grandeur du Québec et connue sous son anagramme ESSIMU (Enquête, sexualité, sécurité, interactions en milieu universitaire : ce qu’en disent les étudiant·es, enseignant·es et employé·es). Encore ici, l’ESSIMU repose sur une équipe : 12 chercheuses provenant de six universités québécoises, auxquelles se sont jointes plusieurs étudiantes de cycles supérieurs. Ce sont aussi des organismes : Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS ), auquel s’ajouteront le Réseau québécois en études féministes (RéQEF) ainsi que le Service aux collectivités de l’UQAM.
En révélant qu’une personne répondante sur trois avait été victime d’une situation de violence sexuelle en milieu universitaire, les résultats de l’ESSIMU ont rapidement alerté les milieux communautaires, institutionnels et politiques, et sommé les autorités concernées de se saisir de cette problématique longtemps ignorée ou minimisée. Plus encore, 14 des 15 recommandations proposées dans le rapport d’enquête ont été retenues et intégrées dans la Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur (chapitre P-22.1 des Lois codifiées du Québec).
L’ESSSIMU a été également le tremplin du premier Symposium canadien sur les violences sexuelles en milieu universitaire, tenu à l’UQAM en 2018. Bilingue, multidisciplinaire et multisectoriel, ce rassemblement a dynamisé quelques-uns des enjeux cruciaux de ce champ d’intervention, qu’il faut absolument affronter pour que les outils de prévention puissent être optimisés. Par exemple, le symposium a mis l’accent sur l’importance d’une compréhension commune de ce qu’est la violence sexuelle, sur ce qu’on entend par « culture du viol » et par « réponse institutionnelle à la suite de signalements ». Enfin, on y a réaffirmé l’impérieuse nécessité qu’advienne une analyse féministe intersectionnelle, condition d’une véritable prise en compte des inégalités sociales (sexisme, hétérosexisme).
Par la suite, convaincue du besoin d’implanter une structure officielle qui puisse maintenir – voire intensifier – la mobilisation sociale, Manon Bergeron a proposé la création de la Chaire VSSMES. Au même moment, le rayonnement de ses travaux était reconnu par l’obtention du prix du Scientifique de l’année de Radio-Canada, un honneur rarement décerné à des personnes œuvrant dans le champ des sciences humaines et sociales.
Nul doute, les travaux entrepris depuis un quart de siècle par la lauréate contribuent de façon éloquente à la transformation des normes sociales.